Fin février 2004, l’IBGE (Institut Brésilien de statistique et de géographie) publiait les données définitives ayant trait à la dynamique de l’économie brésilienne au cours de l’année 2003, c’est-à-dire de la première année du mandat présidentiel de Luiz Inacio Lula da Silva et de son gouvernement.
Le déphasage est net entre les promesses électorales du Parti des travailleurs (PT) - pourtant des plus sages, puisqu’elles étaient déjà plombées par les accords avec le FMI d’octobre 2002 (et même de juin 2002) - et la situation sociale et économique. En un mot, il y a eu un changement, mais pas celui que d’aucuns attendaient.
L’Etat brésilien a effectué en 2003 moins d’investissements publics qu’en 2002, c’est-à-dire sous le règne du néolibéral Fernando Henrique Cardoso. Par contre, il a versé plus d’argent aux détenteurs d’obligations et d’autres titres liés à la dette interne et externe, c’est-à-dire aux spéculateurs qui profitent de taux d’intérêt réels usuraires1.
La majorité de la population en a payé le prix, que ce soit au plan desdits programmes sociaux (« Faim Zéro », programme d’aide à la scolarisation...) ou, encore, dans le domaine de la réforme agraire. Sur ce terrain, le gouvernement a tenu environ le tiers de ses engagements, qui étaient déjà revus fortement à la baisse par rapport aux projections pré-électorales établies par une commission d’étude présidée par une personne faisant autorité, Plinio Arruda Sampaio Sr.
La réforme agraire, qui constitue un élément important de la déconcentration de la propriété au Brésil, fait du surplace ; et cela malgré la présence d’un ministre qui se veut l’expression de la « gauche officielle » du PT, Miguel Rossetto, membre de Démocratie socialiste.
En 2003, le Brésil s’est appauvri. Si l’on prend en compte la croissance du nombre d’habitants (1,3%), le produit intérieur brut (PIB) per capita a reculé de 1,5% ! Ce chiffre est un indicateur des effets désastreux du cours néolibéral du gouvernement Lula. Toutefois, il traduit fort mal l’inégalité de la distribution des revenus - qui, elle, s’encastre dans la structure de la propriété et de l’appropriation privée du surplus social qui en découle - qui s’est encore accentuée dans le Brésil luliste. Ce n’est point un hasard si le PDG Kevin Roberts de Saatchi & Saatchi, un des géants mondiaux de la publicité pour produits haut de gamme, déclaraitle 16 mars sur la chaîne télévisée liée au Wall Street Journal - la CNBC - que le chiffre d’affaires de sa firme croissait particulièrement au Brésil, en Chine, en Inde et en Russie. La seule différence, pourrait-on dire, c’est que le taux de croissance, en 2003, de la Chine était de 9,1% et celui de la Russie de 7,3% ! Lorsque le gouvernement Lula annonce une croissance de 1,5% en 2004, cette anticipation doit subir l’épreuve des faits, mais, surtout, une telle projection doit être lue à partir de la stagnation des années précédentes, autrement dit c’est une croissance qui part « de plus bas »...
Tous les secteurs liés au marché intérieur brésilien ont connu un état récessif : l’industrie a reculé de 1%, la construction de 8,6%. Il est facile de mettre ces chiffres en relation avec une baisse de 3,3% de la consommation des ménages, qui avait déjà connu un recul de 0,4% en 2002. Les investissements (la Formation brute de capital fixe) ont chuté de 6,6%, après une année déjà mauvaise en 2002.
Dans ce contexte, la montée du chômage était donnée d’avance. Selon l’IBGE, le taux de chômage se situerait à hauteur de 11, 2% de la population active. Toutefois, des études telles que celles menées par la fondation SEADE (Fundaçao Sistema Estadual de Analise de Dados - organisme gouvernemental) ou par la DIEESE (Departamento Intersindical de Estatistica e Estudos Socio-Economicos - organisme réunissant les syndicats) situent le taux de chômage à hauteur de quelque 20%.
Dans les grandes villes, le chômage frappe particulièrement les moins de 24 ans : 46,5% des chômeurs et chômeuses enregistrés par l’IBGE. Et la dynamique de la précarisation ne fait que croître, puisque le nombre de salariés sans aucune couverture sociale a crû de 2,8%.
Au milieu de cette déconfiture socio-économique se développe un mouvement, encore réduit, d’occupations d’entreprises, afin de défendre l’emploi. Un trait ressort de ces luttes : des patrons, après avoir reçu des crédits de la Banco Nacional de Desenvolvimento Economico e Social (BNDES) et avoir profité de remises fiscales (ou des évasions), abandonnent leur fabrique ou la déclarent en faillite. C’est le cas d’entreprises occupées telles que Cipla-Interfibras à Joinville (Etat de Santa Catarina) qui a laissé un trou de quelque 160 millions de dollars ou de Flakepet à Itapevi, dans l’Etat de São Paulo, ou encore du Grupo Busscar (Etat de Santa Catarina), qui a mis sur le trottoir 1100 travailleurs et qui devait une somme de 12 millions de dollars à la BNDES ainsi qu’à la Banque de développement de l’Etat de Santa Catarina.
Les occupations de fabriques posent simultanément trois problèmes. Le premier se rapporte à une politique traditionnelle du patronat brésilien, celle consistant à utiliser des aides publiques, à échapper aux impôts et à licencier les salariés brutalement lorsque les appuis étatiques n’étayent plus leurs profits. Voilà leur adaptation aux « lois du marché ». Exploitation et appropriation privée de la richesse se combinent ici avec socialisation des « déficits ».
Le deuxième a trait à l’attitude des directions syndicales, comme celle de la CUT, qui ne développent aucune politique sérieuse face à des dizaines d’exemples de ce type.
Le troisième renvoie à une perspective politico-syndicale. Celle qui consisterait, à partir de la légitimité de ces occupations de fabriques et de cas similaires d’entreprises en difficulté ou en faillite, à poser le problème de l’expropriation, sans indemnisation, de ces entreprises et leur appropriation sociale.
Au moment où le gouvernement Lula manifeste à nouveau son adaptation aux exigences du FMI (voir la réception plus qu’amicale faite par Lula du patron démissionnaire du FMI, l’Allemand Horst Köhler), il semble logique et nécessaire que les salarié.e.s expriment leur volonté d’adapter leurs luttes et leurs revendications à leurs exigences d’emplois et de salaire, et à celle de prendre en main, même de façon embryonnaire, leur destinée et celle du Brésil. Voilà une thématique qui ne serait pas à négliger au cours de l’essor du Mouvement pour un nouveau parti de gauche, socialiste et démocratique.
Dans le but d’informer nos lectrices et lecteurs, nous publions ci-dessous un article de Caballero de la Esperanza(Chevaliers de l’espoir - 1er mars 2004), donnant le point de vue de la Commission des travailleuses et travailleurs de l’usine Flakepet. Ces derniers, le 3 mars 2004, alors que l’occupation avait commencé le 9 décembre 2003, ont subi une attaque brutale de la part de la police. L’usine a été « vidée ». Il ne s’agit pas ici de mettre en relief une lutte exemplaire - car il est plus que probable que des occupations de fabriques, sans grandes expériences préalables, s’affrontent à d’importantes difficultés - mais d’indiquer un état d’esprit et une dynamique possible, bien que limitée, face au désastre économique imminent au Brésil. (16 mars 2004)
1. Voir les données fournies par le Sistema Integral de Administración Financiera del Gobierno Federal de Brasil (SIAFI).
Hier (jeudi 27 février), les travailleuses et travailleurs de l’usine occupée Flakepet (Itapevi dans le grand São Paulo) ont reçu pour la deuxième fois la visite d’un représentant de la justice, accompagné de l’avocate de l’employeur Maurício Nogutte. Ce représentant de la justice est venu exécuter la décision prise par la juge remplaçante, Caroline Conti Reed - confirmée par la juge titulaire - de réappropriation de l’usine par son propriétaire.
Les ouvrières et les ouvriers de l’usine Flakepet continuent de résister avec l’objectif de défendre les 143 postes de travail en jeu. « Ici, vous ne trouverez que des travailleurs, si vous cherchez quelqu’un le responsable de la situation, allez trouver M. Maurício Nogutte. C’est lui le responsable de toutes les dettes et qui n’a pas payé nos salaires », disait une ouvrière.
En moins d’une semaine, les travailleuses et les travailleurs ont obtenu plusieurs victoires, mais pour le moment rien n’est encore acquis. Vendredi dernier, pendant le Carnaval, l’entreprise électrique Eletropaulo est venue à l’usine avec l’intention de couper l’électricité. Dix voitures de police, avec environ 50 policiers, sont venus accompagner cette intervention.
Les travailleuses et les travailleurs ont passé la journée à protéger la centrale électrique. Un contact avec le président de la Chambre des députés fédéraux, João Paulo Cunha (PT), a aidé l’ouverture des négociations avec Eletropaulo. L’usine Flakepet est redevable d’une dette de 502’000 réals à ce fournisseur d’électricité. Lors des négociations, les membres de la Commission d’entreprise, avec le soutien des municipaux d’Itapevi et de la région, et de responsables syndicaux, ont obtenu la suspension de la coupure de l’électricité jusqu’au 10 mars.
Une réunion entre la Commission d’entreprise et la Banque nationale du développement (BNDES) est agendée au 3 mars [c’est précisément à cette date que la police a lancé son offensive], à Rio de Janeiro, afin de discuter de la situation de l’entreprise qui doit à cette banque gouvernementale environ 52 millions de réals.
La lutte des salarié·e·s de l’usine Flakepet pour la défense des emplois par le biais de l’occupation de la fabrique n’est pas un cas isolé. En effet, les usines Cipla-Interfibra (à Joinville, Santa Catarina) et Flaskô (à Sumaré, Etat de São Paulo) sont également occupées par les travailleuses et les travailleurs et dirigées par des Commissions d’entreprise élues en assemblée générale. Ces usines occupées sont toujours actives et continuent la production.
Les salarié·e·s de la Cipla-Interfibra et de la Flaskô luttent pour la nationalisation de leurs entreprises, car elles/ils pensent qu’il s’agit de la seule forme de maintenir les postes de travail et de conserver les droits des travailleurs. Cette lutte peut durer.
>Les travailleuses et les travailleurs de l’usine Flakepet s’adressent actuellement aux pouvoirs publics afin que ces derniers leur trouvent une solution à la situation gravissime dans laquelle elles/ils se trouvent. La lutte de ces ouvrières et ouvriers a eu l’appui des municipaux du PT, de la Centrale unique des travailleurs (CUT), des syndicats, de responsables politiques et de la jeunesse [certaines illusions, normales, dans le rôle des élus du PT existaient parmi les travailleurs de Flakepet].
Les Commissions d’entreprise des usines Flakepet, Cipla-Interfibra et Flaskô demandent une rencontre avec le président Lula au mois d’avril.