La Paz, 30 septembre 2003 - C’est le deuxième jour de la grève générale, qui est encore dans sa phase de démarrage. Ses effets commencent à se manifester. Ainsi, les principales villes boliviennes ont été partiellement paralysées durant plusieurs heures, lorsque des milliers de travailleurs, d’étudiants et de commerçants ont coupé les rues et avenues les plus importantes en signe de protestation contre la politique gouvernementale et contre les décisions concernant la gestion des ressources du pays : gaz et pétrole.
Dans les villes de La Paz, Cochabamba, Potosi et Oruro, les manifestants sont partis des quartiers populaires pour converger vers le centre, fermant à leur passage les petits commerces et les magasins, tandis que les grandes surfaces baissaient leurs stores métalliques et fermaient leurs portes en prévision de conflits avec les manifestants.
Dans la ville de La Paz, un des acteurs principaux de la mobilisation fut la dynamite [dans l’histoire du XXe siècle bolivien, les mineurs des mines d’étain, lorsqu’ils faisaient grève et défilaient dans les villes, lançaient en l’air des cartourches de dynamique après en avoir allumé la mèche ; cette tradition de manifestation est reprise] ; les enseignants venant des campagnes en ont fait largement usage. D’autres secteurs participaient à cette action de protestation convoquée par la Centrale ouvrière départementale de La Paz, dont les enseignants de la ville, les ouvriers des fabriques, des syndicats représentant diverses professions [semi-artisanales],des paysans installés dans les environs de La Paz, des universitaires et des membres des professions techniques et libérales.
Dans d’autres villes à l’intérieur de la République, le mouvement de protestation a également fait du bruit, tout en restant pacifique. Et dans toutes les villes on a entendu des slogans exigeant la démission du président Gonzalo Sanchez de Lozada (Goni) et refusant l’exportation de gaz aux Etats Unis, un marché qui fera entrer 1,3 milliard de dollars dans les caisses des transnationales, contre à peine 40 à 70 millions qui reviendraient à l’Etat bolivien.
Après les manifestations, les principales villes boliviennes ont retrouvé leur aspect habituel, alors que les dirigeants ouvriers projettent de nouvelles mesures de pression pour appuyer une grève générale convoquée par la COB (Centrale ouvrière bolivienne) et le blocage des routes qui se poursuit sur l’altiplano. Parmi ces nouvelles actions, on prévoit jeudi la création d’assemblées municipales, créées dans plusieurs villes, le blocage des routes dans le sud par les membres des coopératives minières à partir de vendredi 3 octobre et la coupure de routes par les cocaleros [paysans cultivant la coca] de la région des Yungas à partir du lundi 5 octobre.
Une grève faite à moitié
Jusqu’à maintenant, selon un dernier décompte syndical, relativement peu de secteurs sont entrés dans la grève générale illimitée. Parmi eux, il y a, au niveau national, les enseignants des villes et des campagnes, les travailleurs des mines et du secteur de l’exportation de viande [la Bolivie exporte de la viande de boeuf, y compris vers la Suisse], en plus de quelques syndicats régionaux de travailleurs dans les universités. Au cours de ces prochaines heures, on prévoit l’entrée en grève des travailleurs de la santé et de la sécurité sociale, mais pour le moment cet élargissement ne se fait pas comme l’avaient prévu les dirigeants de la COB.
Une des raisons en est que le décret gouvernemental 21060, qui est toujours en vigueur, permet aux patrons de licencier en toute légalité et en tout temps n’importe quel travailleur. Cette menace affaiblit depuis longtemps les actions syndicales, et diminue l’impact et l’ampleur des grèves, dans la mesure où beaucoup de travailleurs craignent d’être licenciés s’ils participent à la grève.
Une autre des raisons, comme l’expliquent des dirigeants paysans de la vallée et de l’est du pays - par exemple, Roman Loayza [secrétaire exécutif de la Confédération des paysans de Bolivie, CSUTCB, entre 1994 et 1998] -, est la "précipitation" avec laquelle a été lancé l’appel à la grève et à la coupure des routes. "Il faut du temps pour s’organiser", explique Loayza, tout en assurant que les paysans de Cochabamba et du sud vont commencer à bloquer les routes dès le lundi 6 octobre.
Malgré cela, une délégation paysanne du secteur de Loayza, avec des travailleurs des usines et des petits paysansde Cochabamba ont commencé aujourd’hui une marche vers Warisata, localité située sur l’altiplano, pour soutenir l’action des paysans fidèles au "Maliku" Felipe Quispe (dirigeant de la Fédération paysanne bolivienne), qui sont en lutte depuis plus de deux semaines sans qu’il y ait une solution en vue [voir article sur la Bolivie en date du 29 septembre].
"Il ne s’agit pas d’un conflit purement sectoriel ou limité aux zones rurales, il s’est étendu à d’autres organisations, y compris la COB, qui s’y est jointe, et le problème n’a fait que s’étendre. Le blocage peut durer encore un mois, parce que nous n’avons pas de patrons et nous n’avons pas de salaire", a dit "Maliku", dans une interview diffusée par Radio Fides, durant laquelle il a confirmé que "les paysans réclament la démission de Gonzalo Sanchez de Lozada".
Les craintes patronales
Selon le premier bilan des organisations syndicales, le gros de la mobilisation se concentre dans les barrages de routes mis en place par les paysans de l’altiplano, et s’exprime dans les marches et les manifestations de rue qui sont en train de devenir une constante de la vie urbaine, ce qui ne manque pas de susciter la rancoeur, notamment parmi le patronat et les secteurs aisés de la classe moyenne.
"Nous sommes très inquiets à cause des blocages et des marches, car nous ne pouvons pas travailler et nous sommes dans une situation incertaine ; nous sommes angoissés, car nous ne savons pas ce qui va se passer demain", s’est plaint Roberto Mustaffa, le vice-président de la Confédération des patrons privés de Bolivie. Dans un entretien avec Radio Panamericana, Mustaffa a expliqué : "Depuis quinze jours, les patrons ne peuvent plus transporter leurs produits vers les centres de distribution, nous ne pouvons pas non plus importer d’autres matières premières, celles-ci sont bloquées dans les ports [du Pérou essentiellement]."
(Tiré du site À l’encontre)