Bogotá. La première année d’exercice du pouvoir du président Alvaro Uribe a pleinement satisfait ses parrains. Le chef du Commandement Sud de l’armée des États-Unis, le général James Hill, qui s’est rendu à 15 reprises en Colombie ces 12 derniers mois, a affirmé que soutenir Uribe "a été un bon investissement pour la politique et les ressources des Etats-Unis ». Phil Reeker, porte-parole du Département d’État, a quant à lui qualifié de « sensationnel » le travail de Uribe. Dans des termes moins diplomatiques, le vice-président du Dialogue interaméricain, Michael Shifter, l’a défini de son côté comme « l’unique président de guerre » d’Amérique latine.
Les chiffres ne démentent pas les propos de Shifter : après l’arrivée au pouvoir de Uribe, la guerre civile a connu une escalade. L’État colombien détient le record de l’hémisphère occidental en matière de violation des droits de l’homme. On estime à trois millions les déplacés internes et à six millions ceux qui ont quitté le pays. Huit mille personnes ont été assassinées pour des motifs politiques. L’ONU estime que l’État et ses alliés paramilitaires sont responsables de 80% de ces crimes. Il faut ajouter à ces chiffres, celui de 20 disparitions par jour.
Qualifié comme le « père intellectuel et idéologique » des groupes paramilitaires, Uribe a souscrit un accord avec les Autodéfenses Unies de Colombie (les paramilitaires), moyennant lequel environ 12 000 paramilitaires vont se reconvertir en « soldats paysans » assignés à des activités contre-insurrectionnelle et de renseignement, sous le commandement de l’armée. Le nouveau paramilitarisme déguisé intégrera un réseau d’un million d’ « informateurs », dont la tâche d’espionnage comprendra les communautés de Colombiens du Mexique et du Venezuela.
Les « investissements » de Washington sont importants, surtout dans le domaine militaire : la Colombie est devenue le second pays en importance à bénéficier de l’aide militaire des États-Unis, après Israël. Depuis le lancement du Plan Colombie il y a trois ans, Washington a versé environ 2,5 milliards de dollars. En juillet dernier, le Congrès étasunien a approuvé un autre versement de 700 millions de dollars pour 2004.
L’ambassadrice (sortante) des États-Unis à Bogotá, Anne Patterson, a affirmé qu’il existe en Colombie 300 points d’infrastructure considérés « stratégiques » par Washington. Ce sont fondamentalement des infrastructures pétrolières. Après le Venezuela et le Mexique, la Colombie est la pays pétrolier le plus important de la région. Selon Stratfor, une agence spécialisée dans le renseignement, le pétrole est le principal objectif des États-Unis en Colombie, davantage que la lutte contre la drogue ou contre les guérillas. La région du Casanare, riche en hydrocarbures, a été répartie entre trois grandes entreprises transnationales : Occidental (États-Unis), British Petroleum (Royaume-Uni) et Repsol (Espagne).
La majeure partie du lot de 532 millions de dollars de l’aide militaire approuvée en février par le Congrès étasunien a été destinée à la Brigade XVIII, située à Arauca, à la frontière avec le Venezuela, et dont la fonction primordiale est de protéger l’oléoduc Caño Limón-Coveñas contre les attaques de la guérilla. Cet oléoduc transporte le brut extrait de la zone par l’Occidental Petroleum. Les soldats colombiens sont « formés » sur le terrain par près d’une centaine de Bérets verts. La brigade va recevoir des armes, un appui logistique et des hélicoptères UH-1 Huey. Une autre partie de l’argent est destiné à la création d’une seconde brigade de l’armée, à des activités de renseignement militaire et policier, à l’achat de quatre avions Hercules C-130, pour le transport de troupes, et de deux AC-47 (avions fantômes) pour des opérations d’assaut contre les FARC et l’ELN.
En mars dernier, le Pentagone avait en Colombie un effectif de 411 personnes (spécialistes en renseignement électronique, en planification tactique, en appui logistique et en reconnaissance aérienne), 11 de plus que la limite fixée par le Congrès colombien il y a deux ans. Parmi ceux-ci, on trouve 49 « experts », dont neuf membres des Forces spéciales qui participent à une mission de sauvetage de 3 espions étasuniens capturés par les FARC. Mais ces chiffres sont trompeurs. Tout comme le nombre de civils étasuniens qui exercent des activités militaires et de sécurité sur le territoire colombien. Ils sont officiellement 324. Mais des sources locales estiment cependant que le contingent de « sous-traitants militaires privés » pourrait dépasser les trois mille. Les mercenaires travaillent pour des compagnies comme DynCorp, Northrop Grumman et MPRI, sous-traitées par la Défense étasunienne. Ils réalisent un travail d’espionnage, d’entraînement militaire et de formation d’escadrons de la mort (paramilitaires). Des "vétérans" de Bosnie et de Croatie agissent en temps de paix comme des armées secrètes, bien loin des yeux du grand public. En temps de guerre, ils ne sont pas soldats et ne sont pas obligés de suivre les codes militaires de conduite ; ce sont les soldats idéaux pour la guerre sale.
Plusieurs rapports indiquent que les services de renseignement stratégique de l’armée colombienne "ont été remplacé par un groupe d’élite de conseillers étasunien qui ont pris possession des bases militaires », d’où ils orientent la guerre contre les insurgés. Le Pentagone travaille depuis des années à la "professionnalisation" de l’armée colombienne et a déployé une base technologique de radars, d’avions et de téléphonie pour détecter et suivre les groupes guérilleros. Selon Robinson Salazar, le déploiement du personnel et des équipements étasuniens sur le territoire colombien comprend : l’installation de radiodétecteurs sur l’île de San Andrés et à Riohacha ; l’installation d’un radar et d’une base terrestre à Marandúa, Vichada ; l’équipement de la brigade orientale de l’Armée à Puerto Carreño et à Vichada ; l’installation d’un radar et d’une base terrestre à San José del Guaviare, et l’ouverture d’une école d’entraînement à Barrancón ; la brigade de l’Armée à Caquetá ; une base militaire à Tres Esquinas, Putumayo ; une brigade de patrouille fluviale à Puerto Leguizamo, Putumayo ; l’installation de radars et d’une base terrestre radar à Leticia, Amazonas, et la fourniture de 18 hélicoptères HV-1N à la base militaire à Tolemaida, Tolima.
En février, les États-Unis ont octroyé des fonds pour l’usage offensif d’avions contre les FARC, sur un compte dénommé « Financement militaire étranger ». Ce mois-ci, le programme conjoint d’interdiction aérienne, avec l’appui technique de la CIA, va reprendre. Sur la scène régionale, Uribe plaide pour un vieux rêve du Pentagone : la formation d’une force militaire multinationale. Avec l’engagement direct de Washington, certains experts prévoient une "vietnamisation" du conflit colombien ; d’autres pensent que le Pentagone optera pour une stratégie chirurgicale ; c’est-à-dire une solution « à la philippine ».
Traduction de l’espagnol : Frédéric Lévêque & Gil B. Lahout, pour RISAL.
Article en espagnol : "El hombre de Washington", La Jornada, 11 août 2003. 21 août 2003.
Photo : INDYMEDIA Colombia.
© COPYLEFT LA Jornada 2003.