La victoire écrasante de Lula aux élections présidentielles (plus de 60"/’0 au second tour et près de 20 millions de voix d’avance sur son concurrent) a été obtenue dans le cadre d’une politique d’alliance et d’un programme hautement contradictoires. En effet, le candidat du Parti des Travailleurs (PT) a obtenu de son parti la réalisation d’une alliance avec un parti de droite, le Parti Libéral. En conséquence de quoi, le Parti Libéral obtenait, en cas de victoire, la place de viceprésidence à la république.
Le programme était également contradictoire parce qu’il prévoyait de poursuivre la politique économique mise en pratique par le gouvernement de Fernando Henrique Cardoso, politique largement dictée par le FMI, qui assurait le remboursement de la dette extérieure et la poursuite de l’ajustement structurel. Cette politique réduit évidemment considérablement les sources de revenus publics pour réaliser la partie progressiste du programme. Celle qui prévoyait l’augmentation significative des revenus les plus bas (le salaire minimum équivaut à environ 70 euros et devait être augmenté de 200/o), l’éradication de la faim (40 millions de Brésiliens souffrent de manière chronique ou permanente de la faim), la réforme agraire, l’augmentation de la population couverte par la sécurité sociale.
Au cours des quatre premiers mois de son mandat de président, Lula et Palocci, ministre de l’Economie et des Finances, ont annoncé une politique économique et sociale de type néolibéral en contradiction tant avec un projet de transformation structurelle qu’avec la concrétisation d’une amélioration substantielle des conditions de vie de la majorité des citoyens brésiliens. En quoi consiste cette politique ?
Mireilles, représentant du grand capital financier, s’est vu confier la présidence de la Banque centrale. Mireilles avait mené campagne pour Jose Serra, le candidat de Fernando Henrique Cardoso, lors des premier et second tour des élections. Le jour de sa désignation à ce poste, on pouvait encore lire sur son site l’appel à voter Jose Serra !
Des mesures légales ont été prises afin de rendre la Banque centrale autonome visàvis du gouvernement, ce qui correspond aux desiderata du FMI et des marchés financiers. Cette décision a été fortement critiquée par différentes composantes de la gauche au sein de la majorité présidentielle notamment par Heloisa Helena, sénatrice du PT (membre de la Démocratie socialiste). Rendre autonome du gouvernement la Banque centrale et, pour comble, mettre à sa tête un représentant du grand capital, c’est renoncer en tant qu’exécutif à exercer un contrôle direct sur la politique monétaire (taux de change et émission de monnaie) et sur les taux d’intérêt (traditionnellement fixés par la Banque centrale). Cela revient à se tirer une balle dans le pied !
Au cours de sa campagne électorale, Lula avait déclaré, tout comme les autres candidats à la présidence à l’exception du candidat du PSTU, qu’il respecterait les accords les accords signés entre son prédécesseur et le FMI en août 2002. Cet accord prévoyait notamment l’obligation pour le Brésil de dégager un surplus budgétaire primaire de 3,75",. Réaliser un surplus de 3,75% implique de limiter fortement les dépenses sociales. Au cours des premiers mois de la présidence, Palocci a décidé d’alIer encore plus loin dans l’orthodoxie du Fonds Monétaire et des marchés, le gouvernement s’est engagé à dégager un surplus de 4,25% !
Dans le même style, Palocci a augmenté les taux d’intérêt, les portant à 25,5%. Cette mesure a un effet tout à fait contraire à la partie progressiste du programme de Lula : elle augmente les revenus du grand capital sous la forme rentière. Elle renforce donc l’inégalité sociale. Elle donne une prime à ceux qui vivent de manière parasitaire de leurs rentes. C’est la continuité d’une politique de "deux poids. deux mesures" : serrer la ceinture aux bas revenus et augmenter l’opulence des riches. L’augmentation du taux d’intérêt a deux autres effets négatifs. Primo, elle augmente mécaniquement les sommes à rembourser sur la dette publique interne qui est colossale. Secundo, elle rend l’accès au crédit encore plus difficile pour les petits et moyens producteurs (paysans, artisans, petits entrepreneurs ... ), cela freine la croissance (déjà très faible).
Depuis 1995, les taux d’intérêt réels ont été de manière quasi permanente les plus élevés de la planète. Les tenants de la politique du FMI justifient cela par la nécessité d’attirer des capitaux étrangers et de les fixer dans le pays. Cela n’a pas empêché l’explosion de six crises monétaires. De ce point de vue, le Brésil a battu également tous les records. Le plan "d’aide" du FMI en août 2002 a été présenté comme un soutien au Brésil alors qu’il s’agit en fait d’un soutien du Brésil aux deux grandes banques des ÉtatsUnis (Boston et CityCorp) exposées à concurrence des deux tiers de la somme prêtée. Le fait que Mireilles, actuel président de la Banque centrale, était juste avant sa nomination le représentant de la banque Boston, n’est malheureusement pas une coïncidence.
D’autres projets gouvernementaux sont inquiétants : la réforme de la sécurité sociale et celle du Code du travail (reforma trabalhista). En ce qui concerne la réforme de la sécurité sociale, on assiste au Brésil à une campagne bien connue partout où il a été question de justifier la généralisation des fonds de pension privés et la remise en cause des acquis des salariés en matière de pension. Sous prétexte de mettre fin à des privilèges dont bénéficient des catégories très marginales de fonctionnaires publics (haut gradés de l’armée, personnel dirigeant des ministères ... ), il s’agira de réduire très fortement le plafond des pensions de tous les fonctionnaires publics. Certaines sources gouvernementales parlent de réduire ce plafond à environ 2.300 mais (c’estàdire l’équivalent de 10 fois le salaire minimum), soit une pension inférieure à 800 euros, alors que le principal syndicat de gauche, la CUT, veut réduire ce plafond au double de la somme susmentionnée (soit 20 fois le salaire minimum).
Pourquoi y atil antagonisme entre le maintien des accords avec le FMI et la partie progressiste du programme sur base duquel Lula a été élu ?
Les accords du FMI impliquent une augmentation de la dette publique externe et interne. Externe parce que les 30 milliards de dollars promis par le FMI s’ajoutent au stock de la dette et élèvent les montants à rembourser. De même, les montants à rembourser pour la dette interne augmentent proportionnellement à l’augmentation du taux d’intérêt. Et ces montants à rembourser, faramineux, doivent être soustraits au Trésor public.
Autrement dit, même si une réforme des impôts permettait de faire payer les riches et d’augmenter ainsi les recettes publiques, les sommes fournies par cette réforme repartiraient immédiatement en remboursement de la dette, ce qui empêcherait automatiquement l’augmentation de dépenses sociales. De toute manière, le FMI n’a jamais accepté une réforme des impôts permettant d’augmenter significativement des prélèvements sur le revenu et le patrimoine des riches. Donc, là aussi, il y a contradiction entre les accords du FMI et la volonté éventuelle de réaliser une réforme progressiste des impôts.
Sous la pression conjuguée des mouvements sociaux, de l’aile gauche du PT et d’autres secteurs de la société civile telle la conférence nationale des évêques qui est nettement progressiste, Lula, confronté aux effets pervers de son engagement à respecter les accords de ses prédécesseurs avec le FMI, pourrait annoncer dans les mois qui viennent, à l’occasion de prochaines négociations avec le Fonds, qu’il n’est pas en mesure de satisfaire aux conditions qui lui sont imposées sous peine de ne pas pouvoir mener à bien son objectif d’éradication de la faim et les autres mesures prioritaires. Il serait pleinement en droit de le faire. S’il ne prend pas cette orientation, le risque est grand de voir sa crédibilité s’effondrer aux yeux des couches populaires. Et, ce qui n’arrangerait rien, les concessions qu’il fait au grand capital ne protégeront pas le Brésil d’une augmentation de la fuite des capitaux et des attaques spéculatives contre le real.
Pourquoi les sceptiques de Wall Street sontils devenus franchement optimistes ?
C’est le titre d’un long commentaire du Financial Times du 8 avril 2003. Il y a seulement six mois, on craignait que le Brésil, l’économie sudaméricaine la plus importante, dérive inexorablement vers les récifs du défaut de paiement de la dette et de la banqueroute financière. Le contraire est arrivé : le Brésil est hautement apprécié àWall Street. Les traiders et les investisseurs qui, l’année passée, gardaient leurs distances, se lancent aujourd’hui dans l’achat d’actions et de titres de la dette brésilienne.
(..) "Ils ont pris un départ impressionnant et ils ont gagné la première bataille de la confiance" concède Maurice Goldstein, économiste à l’Institute for International Economics à Washington, "ils ont prouvé que les pessimistes et les sceptiques comme moi avaient tort".
Pourquoi cela estil arrivé ? Un changement rapide dans la politique du Parti des Travailleurs (PT) au pouvoir constitue une des raisons principales. Ayant voté en décembre 2001 pour une "rupture" avec le modèle économique néolibéral" introduit par l’exprésident Fernando Henrique Cardoso, le parti s’est déplacé vers le centre du champ politique à une vitesse étonnante. Déjà avant la campagne électorale d’octobre 2002, la direction du PT s’était engagée à rembourser la dette et à maintenir des mesures favorables à une inflation faible. (...)
A la fin de l’année passée, Luiz Inacio Lula da Silva, élu président, a déclaré s’en tenir aux objectifs budgétaires fixés avec le FMI en août 2002. Il a tenu parole. Dans certains domaines, le gouvernement a même été plus austère que son prédécesseur augmentant l’objectif du surplus budgétaire primaire le portant de 3,75% à 4,25% du PIB. Henrique Mireilles, président de la Banque centrale désigné par Mr Lula da Silva, alors qu’il avait été précédemment le dirigeant de la Banque Boston, a augmenté le taux d’intérêt de manière à combattre les pressions inflationnistes provoquées par la dévaluation de l’année passée. Mr Lula da Silva a adopté l’essentiel de l’agenda réformateur de son prédécesseur, Mr Cardoso, et il est en train d’accélérer la réforme des impôts et du système des pensions. "L’apprentissage a été rapide" déclare Octavio de Barros, économiste en chef de la Banque Bilbao Viscaya Argenteria (BBVA banque espagnole).
Extraits de la page entière consacrée par le Financial Times aux cent premiers jours de la présidence de Lula.
Selon l’opinion de Joao Pedro Stédile, principal dirigeant du Mouvement des Sans Terre (MST), "La patience du peuple brésilien ne dure que 90 jours. Pas plus. Le peuple a voté pour le changement mais l’élite brésilienne ne veut pas abandonner les rênes de l’économie. Le peuple brésilien commence à se mettre en mouvement : il met sous pression le gouvernement pour qu’au moins celuici donne le signal du changement. Certes, actuellement, peu de secteurs sociaux se mobilisent mais les signaux sont donnés par le MST, les petits producteurs, les métallurgistes de Sac Paulo, la CONTAG (Confédération nationale des travailleurs de l’agriculture). ( ... )
Le gouvernement se tourne principalement vers les marchés. Il a donné peu de signaux en direction du peuple : le plan "Fome zero" (Faim Zéro) et le voyage à Piaui (au début de sa présidence, Lula a emmené ses ministres visiter les quartiers les plus pauvres de cette ville du Nordeste brésilien, NDLR). Malheureusement, le plan "Fome zero" en est resté jusqu’ici à la phase de la propagande. Il est nécessaire que soit réalisé ce qui a été prévu par le plan. La grande inconnue, c’est le rythme que va adopter le palais présidentiel. Seratil le même que celui de la rue ? ( ... )"
Extraits d’une interview publiée par Jornal do Brasit, le 29 mars 2003.
(Tiré de la revue : "Les autres voix de la planète", revue du CADTM, no. 20, 2è trimestre 2003.)