Chemins divergents
Ces dernières années, la gauche radicale a connu des fortunes très diverses. Le cas le plus important du côté négatif est celui du Partito della Rifondazione Comunista en Italie. Le parti de Gênes et de Florence vira brutalement à droite à partir de 2004 et participa au gouvernement de coalition de centre-gauche de Romano Prodi, qui fut brièvement au pouvoir en 2006-8. Les députés et les sénateurs du PRC ont voté pour le programme économique néolibéral de Prodi et pour la participation de troupes italiennes à l’occupation de l’Afghanistan ainsi qu’à la mission de « maintien de la paix » de l’ONU au Liban. Ils en furent punis aux élections générales d’avril 2008 où ils perdirent tous leurs sièges parlementaires.
La gauche radicale a connu des revers ailleurs. En Grande-Bretagne le Scottish Socialist Party puis Respect scissionnèrent : quand les fragments rivaux se sont présentés les uns contre les autres, les deux côtés subirent une prévisible éclipse électorale [1]. Lors des élections générales au Danemark en novembre 2007, l’Alliance Rouge-Verte a perdu deux des six sièges qu’elle occupait.
Heureusement, il y a des expériences plus positives. La plus passionnante d’entre elles est l’initiative prise par la Ligue communiste révolutionnaire de lancer un nouveau parti anticapitaliste. En Allemagne, Die Linke, constituée officiellement en parti en juin 2007 et qui résulte d’une convergence entre des sociaux-démocrates dissidents à l’ouest de l’Allemagne et le Parti du socialisme démocratique (PDS), l’héritier de l’ancien parti au pouvoir en Allemagne de l’Est, continue de mener des incursions électorales dans la base du Parti social-démocrate allemand (SPD).
Et même en Italie, le pays qui a vu l’effondrement le plus catastrophique de la gauche radicale, la tendance n’est pas uniformément négative. En réaction à l’éclipse électorale, le congrès national du PRC, quand il s’est réuni en juillet 2008, est allé vers la gauche. Bertinotti et ses alliés ont été défaits par une coalition de courants de gauche menée par Paolo Ferrero. Les délégués, élus par des assemblées auxquelles ont participé 40 000 membres, ont voté un document appelant à « un tournant à gauche » et déclarant la fin de « la collaboration organique avec le Parti Démocrate [de centre-gauche] au gouvernement ».
La primauté de la politique
Néanmoins, le sentiment de participer à un mouvement général vers l’avant qui prévalait il y a quelques années a été remplacé par une divergence marquée. Quel est la cause de ce changement ? Pour répondre à cette question nous devons comprendre les forces motrices de la montée de la gauche radicale, en particulier en Europe. Deux coordonnées objectives principales étaient en œuvre. D’abord, l’émergence d’une résistance de masse au néolibéralisme et à la guerre, qui a débuté avec les grèves dans le secteur public en France en 1995 mais est montée en puissance après Seattle. Deuxièmement, l’expérience du social-libéralisme : des gouvernements sociaux-démocrates amenés au pouvoir dans toute l’Europe dans la deuxième moitié des années 1990 par l’opposition populaire au néolibéralisme ont appliqué des politiques néolibérales et, dans certains cas – le « New Labour » sous Tony Blair en Grande-Bretagne et la coalition Rouge/Verte menée par Gerhard Schröder en Allemagne –, sont allés plus loin que ne l’avaient osé leurs prédécesseurs conservateurs.
Le déplacement vers la droite des principales forces social-démocrates a ouvert un espace à sa gauche. De plus, la renaissance des résistances a créé une pression pour occuper cet espace. Différentes formations politiques, d’origines et d’histoires très diverses, se sont donné pour tâche d’essayer de l’occuper. En général, elles ne l’ont pas fait sur un programme explicitement révolutionnaire. Dans certains cas, cela a correspondu à une décision tactique d’organisations d’extrême-gauche pour attirer des alliés et une audience plus large, mais tout aussi souvent, c’était la conséquence du fait que beaucoup des dirigeants des nouvelles formations étaient eux-mêmes réformistes, cherchant souvent à restaurer une social-démocratie plus « authentique », qui avait été corrompue, pensaient-ils, par les semblables de Blair et de Schröder.
L’émergence de cette gauche radicale a marqué un développement extrêmement important et positif. Elle a représenté une opportunité pour refonder la gauche sur une base principielle plus forte que ce qui avait dominé durant l’âge d’or des partis sociaux-démocrates et staliniens. Mais, tout en étant un pas en avant, ceci a engendré ses propres problèmes. Le champ politique a sa logique spécifique, qui assujettit à ses dangers et à ses contingences tous ceux qui tentent de s’y attaquer.
Après une période initiale d’avancées, bornée en gros par les années 1998 et 2005, les différentes formations de la gauche radicale ont été confrontées à la question de comment continuer dans un environnement moins favorable – par exemple, parce que la vague d’opposition de masse à la guerre en Irak refluait. Un problème similaire s’est posé au mouvement altermondialiste, qui n’a pas réussi à le traiter de manière efficace et a par conséquent subi un déclin significatif.
La réponse des formations de la gauche radicale a été, bien sûr, conditionnée par les pensées politiques qui y dominaient. Pour deux figures-clés – Fausto Bertinotti en Italie et George Galloway en Angleterre – celles-ci étaient celles d’un réformisme qui commençait à aller à droite. Bertinotti a réagi au déclin des forums sociaux, qui s’étaient étendus en Italie après Gênes et qui avaient mené les mobilisations pour Florence et les manifestations contre la guerre, en se tournant de nouveau vers le centre-gauche, avec les désastreuses conséquences notées ci-dessus.
Dans le cas de Galloway et de son entourage, le déclin du mouvement anti-guerre depuis le sommet atteint en 2003 s’est combiné au pessimisme quant à la capacité des travailleurs organisés de résister de manière efficace aux attaques du New Labour et du patronat, pour amener la conclusion que, pour aller de l’avant, Respect devait nouer des alliances avec des notables musulmans locaux qui pourraient faire gagner des voix. Mais ce raisonnement – et la scission qu’il a produit dans Respect – se superposait à une réconciliation croissante entre Galloway lui-même et le New Labour. Ceci se refléta d’abord dans son soutien à la campagne de réélection de Ken Livingstone comme maire de Londres, qui connut l’échec, puis quand il vint en aide au gouvernement assiégé de Gordon Brown lors de l’élection partielle de Glasgow-est en juillet de cette année, où une candidate blairiste fut défaite par un transfert massif de voix au bénéfice du Scottish National Party.
Ailleurs les politiques ont lieux fonctionné, pour le moment. Dans un contexte de désarroi général de la gauche française, la majorité de la direction de la LCR a pris l’initiative – avec la candidature d’Olivier Besancenot au premier tour de l’élection présidentielle français en avril 2007, puis en capitalisant sur son succès relatif pour lancer le NPA.
Die Linke est une organisation beaucoup plus solidement réformiste que tout ce que la LCR peut envisager. Cependant, elle est définie par la lutte entre deux tendances – une droite, puissante à la fois numériquement et dans l’appareil, constituée notamment de l’ex-direction du PDS, et un courant réformiste de gauche groupé autour de la figure d’Oskar Lafontaine, qui a comme projet de reconstituer la social-démocratie allemande sur une base plus à gauche.
Quel genre de parti ?
Les avancées récentes de Die Linke et de la LCR montrent que les coordonnées objectives responsables de la montée initiale de la gauche radicale restent en place. Mais les expériences du PRC et de Respect soulignent les dangers politiques auxquels ces formations sont confrontées. Comment faire face à ces dangers ? La réponse de la LCR est particulièrement intéressante. Elle est influencée par les exemples négatifs de gouvernements de centre-gauche, non seulement en Italie, mais en France même et au Brésil.
Sa détermination à éviter toute répétition d’une situation où la gauche radicale pourrait être intégrée dans un gouvernement de coalition social-libéral, a structuré l’attitude de la majorité de la LCR envers la tentative de faire des collectifs qui avaient mené la campagne pour le Non à la Constitution Européenne en 2005 le terrain de lancement d’une candidature unitaire « antilibérale » lors de la campagne présidentielle de 2007. Le scepticisme de la LCR envers le projet de candidature unitaire antilibérale a amené à une attitude négative et parfois ultimatiste envers les collectifs, ce qui causa son isolement temporaire. Mais la politique de la Ligue fut au moins partiellement justifiée par le comportement de José Bové lors de la campagne présidentielle.
C’est pour éloigner ce type de danger que la LCR insiste pour que le nouveau parti soit anticapitaliste, et non simplement opposé au néolibéralisme. Il doit être un « un parti pour la transformation révolutionnaire de la société », mais cependant pas un parti révolutionnaire au sens spécifique où on l’a entendu dans la tradition marxiste classique. Dans cette tradition, particulièrement du fait des expériences de la révolution russe d’octobre 1917 et des premières années de l’Internationale Communiste (1919-24), il est compris que la révolution socialiste doit prendre une forme particulière, où jouent un rôle des grèves de masse, le développement d’un double pouvoir où s’opposent des institutions de la démocratie ouvrière et l’Etat capitaliste, une insurrection armée pour résoudre la crise en établissant la domination des conseils ouvriers, et, en fil rouge, l’émergence d’un parti révolutionnaire soutenu par la majorité de la classe ouvrière.
D’après la LCR, le NPA ne devrait pas s’engager sur cette compréhension spécifique de la révolution, mais simplement sur la nécessité d’une « rupture avec le capitalisme ». Si cette notion peut paraître vague, sa signification politique se trouve dans ce qu’elle exclut : plus spécifiquement, comme le défend avec raison la Ligue, il ne suffit pas de s’opposer au néolibéralisme en tant qu’ensemble de mesures, il faut s’opposer au capitalisme en tant que système. Ne pas faire cette distinction peut mener à la participation dans des gouvernements de centre-gauche dans l’espoir (généralement, l’illusion) qu’ils mettront en œuvre une politique plus bénigne.
La conception que la LCR a du NPA est louable à beaucoup d’égards. L’expérience politique du vingtième siècle montre clairement que, dans les pays capitalistes avancés, il est impossible de construire un parti révolutionnaire de masse sans briser l’hégémonie de la social-démocratie sur la classe ouvrière organisée. A l’époque de la révolution russe, il a été possible pour un grand nombre de partis communistes européens de commencer à le faire en scissionnant les partis sociaux-démocrates et en gagnant un nombre substantiel de travailleurs auparavant réformistes directement au programme révolutionnaire de l’Internationale Communiste. Octobre 1917 exerçait un immense pouvoir d’attraction dans le monde entier pour quiconque voulait combattre les patrons et l’impérialisme.
Hélas, à cause de l’expérience du stalinisme, c’est le contraire qui est vrai aujourd’hui. Le social-libéralisme est repoussant pour beaucoup de travailleurs aujourd’hui, mais, en premier lieu, ce qu’ils recherchent est une version plus authentique du réformisme que leurs partis traditionnels leur promettaient autrefois. Par conséquent, si les formations de la gauche radicale doivent être habitables pour ces réfugiés de la social-démocratie, leurs programmes doivent laisser ouvertes les conceptions stratégiques spécifiques élaborées par les marxistes révolutionnaires.
Cependant, la navigation entre le Scylla de l’opportunisme et le Charybde du sectarisme n’est jamais chose aisée. D’un côté, tracer la frontière entre l’antilibéralisme et l’anticapitalisme n’est pas forcément simple. Etant donné que, ainsi que la LCR le formulerait, l’anticapitalisme a « des délimitations stratégiques incomplètes » – c’est-à-dire qu’il laisse ouverte la question de comment la « rupture avec le capitalisme » sera accomplie –, il y a beaucoup de place pour le débat sur les étapes concrètes nécessaires. Il y a des stratégies réformistes de gauche, parfaitement respectables pour accomplir une rupture avec le capitalisme, dont on peut supposer qu’elles auront le droit à la parole dans ces débats. Mais ces stratégies se confondent avec des propositions qui visent le néolibéralisme plutôt que le capitalisme lui-même.
De l’autre côté, même si la LCR a entièrement raison de s’opposer par principe à une participation dans un gouvernement de centre-gauche, elle ne peut pas considérer comme allant de soi que tous ceux qui sont attirés par le NPA auront la même attitude. Au contraire, beaucoup d’entre eux peuvent vouloir voir Besancenot au gouvernement. 18 % des sondés lors d’une enquête en août 2008 ont déclaré que le PS devrait s’entendre avec lui. [2].
Le rôle des révolutionnaires
Le problème sous-jacent ici est que c’est la brèche dans le réformisme qui a ouvert un espace à la gauche radicale : comment dès lors essaie-t-elle d’attirer ceux qui viennent d’une tradition réformiste tout en évitant les trahisons du réformisme – trahisons récapitulées de façon hautement concentrée par la trajectoire de Bertinotti ? La solution de la LCR à ce problème semble être d’installer une sorte de verrou programmatique – l’engagement sur l’anticapitalisme et l’opposition aux gouvernements de centre-gauche. Mais il est peu probable que cela fonctionne : plus le NPA connaîtra de succès, plus il sera probable qu’il subisse des pressions et des tentations réformistes.
Alors qu’il commençait à s’engager dans le processus de regroupement à gauche au début de la décennie actuelle, le Socialist Workers Party proposa sa propre conception de la nature des nouvelles formations de gauche radicale. Elle a été formulé par John Rees ainsi : « La meilleure manière de considérer la Socialist Alliance (le précurseur de Respect) est donc comme un front unique d’un type particulier appliqué au champ électoral. Il cherche à unir des militants réformistes de gauche et des révolutionnaires dans une campagne commune autour d’un programme minimum » [3]. Il est extrêmement heureux que nous ayons refusé de liquider le SWP, car dans ce cas la crise de Respect aurait mené, non seulement à l’éclipse électorale temporaire de la gauche radicale en Grande-Bretagne, mais à une fragmentation et un affaiblissement beaucoup plus profonds de la gauche socialiste organisée.
L’idée que le NPA devrait être conçu comme un front unique d’un type particulier a été récemment critiquée par l’un de ses principaux architectes, François Sabado :écemment critiquée par l’un de ses principaux architectes, François Sabado :
« Il n’y a pas de continuité linéaire entre le front unique et le parti, comme le ‘‘politique’’ n’est pas la simple continuation du social. Il y a des éléments de continuité mais aussi de discontinuité, des spécificités, liés justement à la lutte politique (...) C’est de ce point de vue qu’il n’est pas correct de considérer le nouveau parti comme un cadre de front unique. Il y a alors une tendance à sous-estimer les délimitations nécessaires, à ne considérer le NPA que comme une alliance ou un cadre unitaire – même d’un type particulier – et donc à sous-estimer sa propre construction comme un cadre ou une médiation pour construire les directions révolutionnaires de demain. Il y a le risque, si nous considérons le NPA comme un cadre de front unique, de ne lui faire mener que des batailles de front unique. Par exemple, nous ne conditionnons pas l’unité d’action de tout le mouvement ouvrier et social à un accord sur la question gouvernementale ; mais est-ce une raison pour que le NPA ne mène pas voire relativise une bataille sur la question du gouvernement ? Non, nous ne le croyons pas. Le NPA fait de la question gouvernementale – refus de la participation à des gouvernements de collaboration de classes – une délimitation de son combat politique. Cela montre, à l’évidence sur cette question, mais nous pouvons aussi en évoquer d’autres, que le NPA n’est pas un cadre de front unique. Ce n’est pas parce que nous voulons le construire comme une confluence d’expériences et de militants que nous devons perdre de vue que ce parti est un des maillons décisifs d’une alternative politique globale et d’une accumulation des cadres lutte de classe et même révolutionnaires pour les crises futures. » [4]
Sabado a raison sur deux questions importantes. D’abord, le succès dans la construction de la gauche radicale aujourd’hui est un pas en avant, et non un pas qui éloignerait de la construction de partis révolutionnaires de masse. Deuxièmement, le fait que des formations de la gauche radicale interviennent dans le champ politique forme leur caractère. Même si leur structure organisationnelle est celle d’une coalition, comme c’était le cas pour Respect, elles doivent définir leur identité politique globale au moyen d’un programme, et fonctionner de bien des manières comme un parti politique conventionnel, particulièrement quand elles sont engagées dans une activité électorale.
Mais ce à quoi la formule du front unique d’un type particulier correspond, c’est l’hétérogénéité politique caractéristique de la gauche radicale contemporaine. Il n’y a pas que la question de l’histoire spécifique de différentes formations : la forme particulière prise par la crise de la social-démocratie aujourd’hui a créé les conditions d’une convergence d’éléments de la gauche réformiste et de la gauche révolutionnaire en opposition au social-libéralisme. Le fait que cette convergence politique n’est que partielle, et en particulier qu’elle n’abolit pas le choix entre réforme et révolution, demande des structures organisationnelles qui, si elles ne sont pas explicitement celles d’une coalition, donne cependant aux différents courants de l’espace pour respirer et pour coexister. Mais elle contribue aussi à expliquer la base programmatique que Sabado cherche à donner au NPA, et qui est essentiellement contre le social-libéralisme plutôt que contre le réformisme en général.
Il est très important de ne pas prendre peur devant les ambiguïtés politiques inhérentes à la gauche radicale contemporaine. Tout révolutionnaire digne de ce nom doit se jeter avec enthousiasme dans la construction de ces formations. Mais ceci ne change pas le fait que ces ambiguïtés peuvent mener à une répétition du genre de désastres qu’ont connu le PRC et Respect. De manière plus positive, si le NPA est vraiment ce que Sabado appelle « une accumulation des cadres lutte de classe et même révolutionnaires pour les crises futures », alors ceci ne se produira pas de manière automatique. Cela demandera un effort considérable pour former dans la tradition marxiste révolutionnaire les nouveaux militants gagnés au NPA et aux autres formations de même type. Mais qui s’occupera de cette tâche ? Une certaine formation politique peut avoir lieu au sein du parti lui-même. Mais ceci ne peut se faire qu’à l’intérieur de limites bien définies ; sans quoi les révolutionnaires dans le NPA pourront être avec quelque raison accusés de violer l’ouverture politique du parti, et de chercher à exploiter ses structures pour imposer leur propre politique.
Il est juste de construire la gauche radicale sur une base large et ouverte, mais dans les formations qui en résultent, les socialistes révolutionnaires doivent s’organiser et défendre leur propre politique. Chacune des deux parties de cette phrase mérite d’être soulignée à sa juste valeur. Il est erroné d’essayer de définir les délimitations des partis de la gauche radicale de manière trop étroite. Mais, tout en construisant sur une base large et ouverte, les socialistes révolutionnaires doivent maintenir leur propre identité politique et organisationnelle. La forme précise que ceci peut revêtir variera naturellement – parfois une organisation indépendante au sein d’une coalition, comme pour le SWP au sein de la Socialist Alliance et de Respect, parfois un courant dans une organisation plus grande. Une identité socialiste révolutionnaire dans le cadre de la gauche radicale large est nécessaire, non pour des raisons d’étroite loyauté sectaire, mais parce que la théorie et la politique du marxisme révolutionnaire ont un rôle à jouer.
Elles ont un rôle à jouer parce qu’elles offrent une compréhension de la logique du capitalisme en tant que système, et parce qu’elles récapitulent les expériences révolutionnaires accumulées des deux derniers siècles. Bien sûr, la pertinence d’une telle tradition pour le présent n’est pas quelque chose qui va de soi. Au contraire, elle doit être démontrée en pratique, et ceci veut toujours dire un processus de sélection, d’interprétation et de développement créatif de la tradition. Mais, à cause de l’importance de la pratique, les révolutionnaires doivent conserver la capacité de prendre leurs propres initiatives. En d’autres termes, ils doivent conserver leur identité au sein de la gauche radicale large, non comme club de débat théorique mais, quelles que soient les circonstances, comme organisation interventionniste.
Bien sûr, la présence de révolutionnaires organisés peut être une source de tensions dans une formation de gauche radicale. Ils peuvent être stigmatisés et dénoncés par la droite dans le parti. Ceci peut être une question particulière si les révolutionnaires possèdent un poids relativement substantiel, comme pour le SWP au sein de Respect, et comme l’ex-LCR en aura un dans le NPA. Les éléments d’extrême-gauche qui ont scissionné avec Galloway ont tenté de justifier leurs actions en accusant le SWP de chercher à dominer Respect. C’était le contraire de notre intention : nous aurions été très heureux d’être une force relativement plus petite au sein d’une coalition beaucoup plus grande de la gauche radicale.
Le problème était que malgré l’énorme bouleversement politique autour de la participation de la Grande-Bretagne à l’invasion de l’Irak, Galloway a été la seule figure dirigeante du parti travailliste prête à rompre avec lui sur cette question. Ceci a signifié qu’il y avait une instabilité structurelle inhérente à Respect depuis le début. La coalition était dominée par deux forces – Galloway et le SWP. Cela ne posait pas de problème tant qu’ils travaillaient ensemble en harmonie. Mais il était fort probable qu’un conflit entre une organisation révolutionnaire et un politicien réformiste se développerait tôt ou tard, et qu’une fois survenu, il n’y aurait pas d’autres forces assez puissantes pour le contenir.
Ce déséquilibre structurel est une conséquence de la forme particulière prise par le déclin de la social-démocratie aujourd’hui. La base sociale du réformisme se rétrécit, non pas du fait de scissions organisationnelles, mais par un processus graduel de désaffection. Ceci ne change pas le fait qu’il y a un espace que la gauche radicale peut occuper, mais cela prendra probablement la forme d’un processus à assez long terme d’interventions électorales et d’autres campagnes qui attireront graduellement des électeurs et des militants. Et l’érosion de l’ancienne base sociale réformiste donne à l’extrême-droite une occasion de s’adresser aux membres de la classe ouvrière qui se sentent privés de droits et de représentation, comme le montrent de manière très crue les forces racistes hideuses déchaînées par la victoire de Berlusconi et de ses alliés en Italie. D’où l’importance du cas de Die Linke, où une vraie fissure s’est creusée dans le monolithe du SPD.
C’est une des raisons pour lesquelles il serait imprudent de prétendre que le réformisme est en train de chanter son chant du cygne, comme la LCR le sous-entend parfois, par exemple quand elle déclare : « la social-démocratie est en train d’achever sa mutation. Après avoir expliqué que le socialisme pouvait se construire pas à pas dans le cadre des institutions de l’Etat capitaliste, elle accepte désormais sa conversion au capitalisme, aux politiques néolibérales. » [5] Ceci semble supposer une tendance unilinéaire pour les partis sociaux-démocrates à se transformer en partis simplement capitalistes comme les Démocrates aux Etats-Unis. En cela, c’est une erreur.
Le réformisme ne peut pas être identifié simplement à des organisations spécifiques, il naît de la tendance des travailleurs, tant qu’ils manquent de confiance dans leur capacité de renverser le capitalisme, à limiter leurs luttes à la conquête d’améliorations dans le cadre du système existant. Cette tendance trouve une expression politique malgré le développement du social-libéralisme.
Il est important de comprendre ceci pour des raisons politiques immédiates. Le pouvoir d’attraction des politiques réformistes signifie qu’il n’y a pas de baguette magique qui puisse exclure son influence des nouvelles formations de la gauche radicale. C’est précisément pour cette raison que les révolutionnaires doivent maintenir leur identité au sein de ces formations. La gauche radicale doit être ouverte aux réformistes si elle veut réaliser pleinement son potentiel, mais les exemples de Bertinotti et de Galloway devraient servir de rappel que les réformistes de gauche peuvent aller vers la droite comme ils peuvent aller vers la gauche.
Il est important de garder ceci en tête dans le cas de Die Linke. Lafontaine a été un pilier de la gauche, mais, s’il devait décider que le moment est venu de faire affaire avec le SPD, il est tout à fait capable de s’y affronter brutalement. Mais la préservation par les révolutionnaires de leur autonomie politique et organisationnelle ne devrait pas être vue comme une forme d’attitude défensive sectaire. Au contraire, cette autonomie devrait nous donner la confiance nécessaire pour construire hardiment la gauche radicale sur la base la plus large et la plus dynamique – tout en préservant un instrument qui sera nécessaire pour mener les batailles politiques que tout succès réel amènera.
Alex Callinicos
* Traduction Sylvestre Jaffard