Accueil > International > Ainsi, il pense que c’est fini

Irak-États-Unis

Ainsi, il pense que c’est fini

dimanche 11 mai 2003, par Robert Fisk

Ainsi, c’est la fin de la guerre en Irak. N’est ce pas ? Si quelqu’un pense que George.Bush Junior a pu faire passer cette nouvelle ’ à bord du porte-avions Abraham Lincoln la semaine dernière, il a utilisé l’expression : "les principales opérations de combat sont terminées " ’ il devrait jeter un coup d’’il au petit discours sinistre que le Secrétaire de la Défense Rumsfeld a tenu aux troupes américaines à Bagdad un jour plus tôt.

Ce discours était entrecoupé de toutes les mystifications habituelles : les "beaucoup" d’Irakiens qui se sont rassemblés pour accueillir les Américains pour "leur libération" de Bagdad ; "la marche la plus rapide sur une capitale dans l’histoire militaire contemporaine (ce que les Israéliens achevèrent en 3 jours en 1982 au Liban). Mais la phrase décisive a été glissée à la fin du discours. Les Américains, a-t-il dit, devaient encore "extirper les réseaux terroristes opérant dans ce pays".

Quoi ? Quels réseaux terroristes ? Et qui, on peut se le demander, sont derrière ces mystérieux réseaux terroristes "opérant" en Irak ? J’en ai une assez bonne idée. Ils pourraient ne pas encore exister. Toutefois, Donald Rumsfeld sait (et les Services de Renseignements américains le lui ont dit) qu’un mouvement de résistance à l’occupation Etatsunienne est en gestation en Irak. La communauté chiite, maintenant soutenue par des milliers d’Irakiens de la Brigade Badr entraînés en Iran, pense que les Etats-Unis sont en Irak pour son pétrole. Cette communauté est furieuse face traitement infligé aux citoyens d’Irak. En 3 jours, la semaine dernière, au moins 17 manifestants sunnites ont été tués, 2 d’entre eux avaient moins de 11 ans. Et elle n’est pas impressionnée par les tentatives de Washington de placer un gouvernement intérimaire pro-Américain.

Même durant la guerre, vous pouviez entendre les mêmes sentiments. Oui, nous disaient les Chiites, les Américains peuvent se débarrasser de Saddam. Personne ne doutait de sa cruauté. Mais, toujours, ce sentiment était suivi d’un désir de voir le départ des Américains. La plupart des victimes civiles des bombes anglaises et américaines étaient des Chiites, en particulier autour de Nasiriyah et Hillah. Ce qui est une autre raison pour laquelle les Américains ne sont pas arrivés à Bagdad (où un véhicule blindé a fait tomber la fameuse statue de Saddam) en étant salués par des fleurs et de la musique. Lorsque les civils Irakiens examinent les visages des troupes US, le Président Bush l’a fièrement annoncé au monde jeudi, "ils voient la force, la gentillesse et la bonne volonté". Faux, Mr Bush. Ils voient l’occupation.

Déjà, il est possible d’identifier quelques indices familiers d’une occupation en cours : une série d’incidents brutaux pour lesquels les Américains ne sont jamais, au grand jamais, responsables. Comme l’occupation israélienne de la Cisjordanie et Gaza, le meurtre de civils n’est jamais la faute des occupants. Le conducteur et le vieil homme visés et tués par les forces américaines près d’un checkpoint à Bagdad, la fillette et la jeune femme sérieusement blessée ’ tragédie dont Channel 4, la chaîne de TV britannique, a témoigné, n’ont reçu aucune excuse des Etats-Unis. Une famille a subi des tirs dans sa voiture au Sud ; des cameramans ont été tués à l’hôtel Palestine ; 15 Irakiens, incluant au moins un enfant, ont été mitraillés à Falujah.

Pour les Américains, c’est toujours de la "légitime défense". Pourtant, étrangement, peu, voire aucun, ne furent sérieusement blessés dans ces incidents. Bien sûr, il se peut qu’existent des tireurs embusqués. Mais l’évidence suggère qu’ils sont très peu. L’évidence suggère aussi que très bientôt, ils vont être beaucoup plus. Vous devez juste observer comment les Chiites irakiens admirent profondément le Hezbollah libanais pour supputer combien ils sont au fait de l’art de la guérilla. Secourus par l’Iran, ou éduqués dans les salles de torture de Saddam, ils ne vont pas prendre des ordres de l’ex-général Jay Garner, dont le voyage tout frais payé en Israël pour exprimer son admiration à la retenue de l’armée israélienne dans les Territoires Occupés Palestiniens, est bien connu en Irak. Et ils réalisent pleinement que les grandes firmes américaines se préparent à faire des millions sur le dos de leur pays dévasté.

Sans attendre qu’un gouvernement "intérim" prennent de telles décisions, l’Agence US pour le Développement International (USAID) a invité des multinationales US à faire des offres pour chaque chose allant de la reconstruction de routes à de nouveaux manuels scolaires. Une société US, Stevedoring Services of America a déjà englouti les 4.8 millions de dollars pour le contrat de la gestion du port d’Um Qasr. Des cadres américains du secteur pétrolier, beaucoup d’entre eux camarades de Georges Bush et de son administration, sont attendus pour visiter le ministère du pétrole (un des deux seuls ministères que les Américains ont miraculeusement sauvé des incendiaires) dans une semaine.

Mr Bush dit que la guerre est terminée, ou prononce des paroles du même type. Cela, alors que la résistance chiite commence à mordre les Américains en Irak. Bien entendu, Mr Rumsfeld nous aura prévenus de cela : sous la forme des fameux " réseaux terroristes " qui devront encore être combattus en Irak. Et l’Iran et sans aucun doute la Syrie seront accusés de soutenir ces "terroristes". Les Français firent de même dans leur guerre, entre 1954 et 1962, contre le FLN (Front de libération nationale) en Algérie. C’était la faute à la Tunisie. C’était la faute à l’Egypte. Ainsi soyez prêt pour la deuxième partie de la guerre en Irak, transformée en prochaine étape de "la guerre au terrorisme".

* Publié dans The Independent, 5 mai 2003
(tiré du site À l’encontre)