ANGLETERRE : RESPECT scindé en deux. Naissance de Respect Renewal.
Par Alan Thornett le lundi, 07 avril 2008
"Lorsqu’un un grand parti révolutionnaire s’intègre dans un parti pluraliste, il se doit de faire preuve d’un grand contrôle de soi". Alan Thornett de Socialist Resistance (Angleterre) à propos de Respect (Renewal). Alan Thornett est un membre dirigeant de l’International Socialist Group (Groupe Socialiste International), la section britannique de la IVème Internationale.
Le SWP dans Socialist Alliance et ensuite dans Respect
Alan Thornett : Je fais parti d’un groupe britannique appelé Socialist Resistance. Nous avons longtemps été favorables à la construction d’un large parti de gauche dans différentes régions de Grande-Bretagne. En Angleterre, nous avons été favorables à la création de quelque chose de similaire au Parti Socialiste Écossais, qui fut une initiative couronnée de succès en Écosse. Cependant, cette proposition reste difficile à réaliser en Angleterre vu que la configuration de la gauche anglaise est différente de celle d’Écosse. La différence principale réside dans l’importance du Socialist Workers Party SWP en Angleterre. Le SWP est un parti trotskyste composé de plusieurs milliers de membres et qui a une longue histoire isolationniste au sein de la gauche en Grande Bretagne et surtout en Angleterre. Le SWP a commencé à travailler avec d’autres personnes en Angleterre aux alentours de 2000 quand il a rejoint l’Alliance Socialiste, ce qui fut une première tentative de créer un large parti sur la gauche. Le rôle du Socialist Workers Party (SWP) dans l’Alliance Socialiste était assez problématique à cause de son poids numérique.
Guerre en Irak : nouvelle recomposition politique
Avec la montée du mouvement de masse contre la guerre, très important en Grande Bretagne, avec la manifestation de deux millions de personnes après le déclenchement de la guerre, il y a eu vers le début de 2004 une tentative de mettre fin à l’Alliance Socialiste dans sa forme initiale et de se tourner vers les sections radicales du mouvement anti-guerre notamment les sections musulmanes de celui-ci. On sentait qu’il était possible de rassembler les fractions socialistes et radicales de ce mouvement en une nouvelle organisation politique, large et pluraliste, qui pourrait chercher à combler le vide à gauche du Parti travailliste. La plupart des partis d’extrême gauche, y compris le SWP, ont compris que l’extrême gauche ne pouvait pas remplir ce vide à elle seule. Il y avait besoin d’un mouvement plus large que l’extrême gauche. La radicalisation contre la guerre a donc donné la possibilité de faire émerger un tel parti.
L’expulsion de George Galloway du Parti travailliste Labour a joué le rôle de catalyseur dans l’émergence de Respect. Galloway a été pendant 20 ans un parlementaire de gauche très radical sur certaines questions, notamment en matière de politique étrangère et plus particulièrement contre la guerre. Il a constamment critiqué les dirigeants du Parti qui ont pris position pour la guerre. Il les a qualifiés de chiens de guerre et les a critiqués avec fermeté, ce qui a finalement conduit à son expulsion du Parti travailliste. Cette expulsion l’a poussé à appeler à la création d’un nouveau parti de gauche large émanant du mouvement anti-guerre. Ce parti a vu le jour en janvier 2004, avec comme principales composantes George Galloway d’une part et d’autres part des personnes issues de la gauche du Parti Travailliste notamment des musulmans. Ces secteurs musulmans ne sont pas nécessairement socialistes, mais ils se sont radicalisés dans un mouvement anti-impérialiste et antiaméricain. Beaucoup d’entre eux ont rejoint le mouvement en même temps que le SWP s’est rapproché de Respect. Ceci a marqué le début de l’alliance entre George Galloway, un grand nombre de musulmans et le SWP. Ce sont là les principaux composants qui ont construit le mouvement Respect.
RESPECT : deux visions s’affrontent
Ce mouvement a rapidement pris de l’ampleur entre 2004 et 2005. Respect comptait 5500 membres dès sa première année d’existence. Cependant, il s’est vite heurté à des problèmes politiques internes à propos de son propre développement. D’abord, il y avait un débat au sein de Respect pour savoir ce que le mouvement devait être et quelle était sa nature politique. Deux visions distinctes se sont dégagées : tout d’abord la vision que nous représentions avec d’autres socialistes, que Respect devait être un parti politique développant sa propre culture politique, avec ses propres publications et sa propre identité politique. Mais George Galloway et le SWP ont tenu une autre position, à savoir que Respect devait être une alliance électorale plus floue. Pour le SWP, le fonctionnement en alliance leur permettait de ne rien changer à leur parti, de telle façon que l’on pouvait être membre de Respect pour son engagement anti-guerre tout en étant fidèle à la politique du SWP et en vendant the Socialist Worker, le journal du SWP.
Pour nous, Respect devait être un vrai parti avec un vrai développement et une vraie vie politique interne capable de défendre ses propres politiques et de mettre en place de véritables structures de prise de décisions. Nous savions que Respect avait pris la forme d’une large coalition dans laquelle dominait le SWP. En effet, c’est ce dernier qui prenait toutes les décisions ou qui décidait si ces dernières devaient être mises en œuvre. Nous savions que d’autres membres n’allaient pas rester dans de telles conditions. Ils ne resteraient que si on leurs laissait un espace d’action et s’ils pouvaient influer sur la vie du mouvement. Si leurs opinions étaient prises en considérations, ils resteraient, mais s’ils avaient le sentiment d’être inutiles parce que le SWP décidait de tout, ils ne resteraient pas. Le SWP a résisté à toutes les tentatives de rendre le mouvement pluraliste et a refusé toutes les propositions de céder sa position dominante au sein du mouvement. Le nombre d’adhérents au mouvement a diminué de 5500 à 2000 membres entre 2005 et la moitié de l’année dernière. George Galloway et le SWP ont tous les deux estimé que les adhésions importaient peu.
RESPECT scindé en deux. Naissance de Respect Renewal.
Durant l’été 2007, il y eut une évolution importante de la situation. Galloway a changé son point de vue pour plusieurs raisons. Il y avait l’enjeu des élections législatives qu’il espérait remporter. Quand il a analysé la situation au sein de Respect, il s’est rendu compte que, sans membres, ce dernier n’était pas en mesure de se battre aux élections législatives. Il a alors envoyé une lettre au Conseil National de Respect reprenant un certain nombre de revendications pour lesquelles nous avions mené notre campagne, à savoir : plus de pluralité à la tête du mouvement, plus de démocratie dans le système, construire une structure du parti plus solide afin qu’elle puisse fonctionner entre les élections. Pour le SWP, la coalition doit être mise en avant uniquement au moment des élections. Mais bien évidemment quand vous ne la mettez pas en priorité entre les élections, vous aurez des problèmes pendant les élections. C’est le problème que Galloway a identifié. Il a demandé des changements et le SWP a carrément pris sa lettre - qui était en fait très prudente dans son contenu (elle demandait seulement la moitié de ce que l’on revendiquait) - comme une déclaration de guerre contre le SWP. Ce dernier a ensuite convoqué une réunion de ses membres dès la réception de cette lettre, à la fin du mois d’août de l’année dernière. Au cours de cette réunion, Le SWP a déclaré qu’il s’agissait d’une déclaration de guerre de la part de Galloway et il a commencé à le diaboliser et à l’attaquer sur tous les sujets.
La rupture est devenue inévitable. En novembre 2007, deux conférences ont été tenues. Une que l’on pourrait appeler Respect-SWP et l’autre Respect-Renewal. Nous sommes dans Respect-Renewal, ainsi que George Galloway, la majorité des élus au niveau local et des membres musulmans de Respect. La nouvelle organisation Respect – Renewal a été lancée en novembre dernier. Depuis cette date, notre tâche, plus ou moins réussie, a été de la consolider. Ce n’est pas encore une organisation nationale, même si elle a quelques grandes bases telle que l’Est londonien, au sein de la communauté bengali, Birmingham au sein de la communauté pakistanaise et d’autres bases plus petites dans des endroits sans concentrations ethniques, tels que Bristol. Mais notre tâche aujourd’hui consiste à fonder d’autres bases extérieures à celles déjà existantes afin que Respect devienne une vraie organisation nationale et un véritable parti.
Bien que la rupture soit, dans un sens une défaite, les personnes qui font partie du renouvellement de Respect ne le ressentent pas ainsi, mais plutôt comme une libération. Ils sentent que pour la première fois ils ont un certain contrôle et qu’il n’y a pas d’autres partis qui tirent les ficelles. De ce fait il y a là un haut niveau moral même si cela reste précaire car à long terme, l’avenir de l’organisation reste incertain. Pour construire son avenir à long terme, l’organisation a besoin de se tourner vers les autres sections de la gauche qui n’ont pas encore participé au mouvement, à savoir des organisations telles que le Parti communiste de Grande Bretagne qui a longtemps hésité à prendre part au mouvement Respect, mais aussi les syndicats. Car ce qui est derrière tout ce mouvement c’est la crise de la représentation des travailleurs puisque le Parti travailliste en Grande Bretagne ne peut plus être considéré aujourd’hui comme un représentant des travailleurs, ni même comme un mauvais ou imparfait représentant comme il le fut dans le passé. La gauche à l’intérieur du Parti travailliste est morte. George Galloway est le symbole du temps où la gauche était forte au sein du parti travailliste. Il reste quelques parlementaires de gauche et la majorité d’entre eux ne survivra pas aux prochaines élections. C’est vraiment ce qui permet de créer un espace à gauche. Le débat en Grande Bretagne, qui a duré 60 ans, sur le fait de fonctionner oui ou non à l’intérieur du Parti travailliste n’est absolument plus à l’ordre du jour. Plus personne argumente aujourd’hui pour cela. Donc, la question aujourd’hui n’est pas d’être à l’intérieur ou à l’extérieur du Parti travailliste mais plutôt de savoir ce que vous pouvez faire à l’extérieur du parti.
Scottish Socialist Party comme modèle
Nous avons toujours considéré le Scottish Socialist Party comme un modèle. Le Militant Labour écossais est la force motrice du Scottish Socialist Party. Leur approche est différente de celle du SWP. Militant Labour ne veut pas dominer le SSP, contrairement au SWP dans Respect. Il ne se réunit pas avant les réunions pour donner des consignes de vote. C’était leur politique et ils l’ont bien menée. En revanche, le SWP s’organise toujours en tant que faction et il fonctionne par centralisme démocratique dans Respect. Si vous alliez à une conférence de Respect avec 500 délégués dont 300 appartenant au SWP, les doigts des 300 se levaient sur tout en n’importe quoi. "Changer le programme ?" 300 n’étaient pas d’accord. Il devenait impossible de fonctionner comme cela. La vrai grande leçon à retenir de cette comparaison avec le Scottish Socialist Party est que lorsqu’un grand parti révolutionnaire s’intègre dans un parti pluraliste, il se doit de faire preuve d’un grand contrôle de soi et de mettre consciemment des limites à son influence, car s’il ne le fait pas, personne ne restera. Notes : Le "Socialist Workers Party" SWP est la plus importante organisation de la gauche révolutionnaire en Grande-Bretagne. Il fait partie de la Tendance socialiste internationale, un regroupement issu de la IVe Internationale en 1948, dont la particularité consistait à analyser l’URSS comme un « capitalisme d’État », une théorisation de son fondateur Tony Cliff.
Interview : Chris Den Hond
Traduction de l’anglais : Thouraya Ben Youssef