Frederic Leplat, syndicaliste anglais et membre de la coalition Stop the War, nous a accordé un entretien sur la situation politique en Grande-Bretagne et sur le mouvement antiguerre.
- Comment analyses-tu la politique du gouvernement Blair au sujet de l’Irak ?
Frederic Leplat - Blair est souvent décrit en Grande-Bretagne comme le "caniche" de Bush, dont l’administration s’est servie du 11 Septembre pour faire pression sur tous les Etats, pour qu’ils soutiennent la guerre sans limites "contre le terrorisme" et les "Etats voyous", ainsi que son projet néolibéral.
Blair est d’accord avec ce projet. Il est l’un des plus ardents défenseurs de la privatisation et du libre-marché. Mais il y a aussi en Grande-Bretagne des intérêts économiques et stratégiques qui coïncident avec ceux des Etats-Unis. Les compagnies pétrolières britanniques BP et Shell veulent pouvoir revenir au Moyen-Orient. De plus, le centre financier de Londres a aussi un intérêt direct à ce que le monde s’aligne derrière la politique néolibérale des Etats-Unis.
Mais la situation n’est pas simple pour Blair qui, malgré tous ses efforts, n’a pas réussi à faire basculer l’opinion publique en faveur de la guerre.
- Quelles vont être les conséquences de la politique menée par Blair ?
F. Leplat - Les sondages ont révélé qu’une majorité de Britanniques est contre la guerre même dans le cas où elle ait le soutien de l’ONU.
Blair est isolé d’une manière sans précédent. Non seulement nous avons vu, le 15 février, la plus grande manifestation de l’histoire de la Grande-Bretagne, avec près de deux millions de participants, mais quelques jours après, il y a eu la plus grande révolte de députés membres du même parti que celui du chef du gouvernement. Pour une guerre sans le soutien de l’ONU, Blair ne peut compter que sur le soutien des députés du parti conservateur.
Evidemment une crise se développe dans le Parti travailliste. Des dizaines de milliers d’adhérents pourraient démissionner. Mais il y a aussi une crise politique monumentale qui s’ouvre dans la société britannique. Le gouvernement de Blair a perdu toute crédibilité et ni lui ni le Parlement ne représente le désir de la population d’éviter la guerre contre l’Irak. A la manifestation du 15 février, tous les orateurs qui demandaient que Blair quitte le gouvernement étaient applaudis vigoureusement.
Par conséquent, la coalition Stop the War organise, mercredi 12 mars, une assemblée populaire contre la guerre, avec 3 000 délégués d’organisations pacifistes, syndicales, politiques, sociales et religieuses. Cette assemblée contrastera avec le Parlement qui siège de l’autre côté de la rue où elle se tiendra, mais dont les députés ne représentent pas l’opinion populaire.
– Le mouvement contre la guerre est particulièrement important en Grande-Bretagne. Peux-tu nous indiquer comment s’est con-struite la mobilisation ?
F. Leplat - La coalition Stop the War avait été lancée au lendemain de l’attaque du 11 Septembre pour s’opposer à la guerre contre l’Afghanistan, mais aussi pour une paix juste en Palestine et contre le racisme. Un de nos alliés principaux est le CND, la Campagne pour le désarmement nucléaire. Né dans les années 1960, il avait aussi organisé des manifestations dans les années 1980 contre le stationnement des missiles nucléaires étatsuniens en Grande-Bretagne. Il y a donc un mouvement "pacifiste" qui existe depuis longtemps en Grande-Bretagne.
Les Britanniques originaires du continent indien et des pays arabes sont aussi très investis dans le mouvement antiguerre. Ils suivent de près les actions de l’impérialisme dans leurs pays d’origine. De plus, beaucoup d’entre eux sont musulmans et le gouvernement de Blair, comme celui de Bush, tient un discours qui a ouvert la porte a la presse raciste, qui assimile tout musulman à un intégriste et tout intégriste a un terroriste. Presque tous les syndicats ont aussi pris une position contre la guerre, même si certains accepteraient une guerre ayant le soutien de l’ONU. Il faut aussi mentionner les étudiants et lycéens, très mobilisés, le 5 février notamment.
- Quelles sont les prochaines échéances du mouvement, notamment si la guerre éclate ?
F. Leplat - Nous avons notre assemblée populaire contre la guerre mercredi. Nous nous préparons aussi à organiser des manifestations dans le centre de toutes les villes de Grande-Bretagne le soir du premier jour de la guerre. Il y a aura des manifestations nationales à Londres et à Glasgow le premier samedi qui suivra. Nous continueront à développer des sections locales de la coalition Stop the War dans les plus petits recoins de Grande-Bretagne. Blair est sur la défensive à cause des mobilisations de masse organisées par la coalition. Nous pouvons encore lui faire réaliser que s’il soutient les Etats-Unis dans une guerre contre l’Irak, il le payera politiquement très cher ; et le retrait de la Grande-Bretagne pourrait effrayer Bush.
Propos recueillis par François Duval.
Rouge 2008 13/03/2003
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Grande-Bretagne
A la niche le caniche !
dimanche 16 mars 2003