Jim Talib est un vétéran contre la guerre qui a servi en Irak pendant presque sept mois cette année. Récemment il a commencé à s’opposer publiquement à la guerre et à l’occupation. Derek Seidman, co-éditeur de Left Hook, a réussi à s’entretenir avec Jim Talib et lui a demandé de s’exprimer sur la guerre, l’occupation, ses expériences personnelles en Irak et sur les relations qu’entretiennent les soldats antiguerre et le mouvement antiguerre en général. (On peut joindre Jim Talib à l’adresse suivante jimtalib@yahoo.com.ns)
- Tout d’abord, pouvez-vous nous parler de votre service en Irak ? A quelle époque y étiez-vous, où étiez-vous basé et pendant combien de temps ?
J’ai été assigné auprès de la 1ère Force expéditionnaire des Marines, comme brancardier secouriste auprès d’une compagnie de mitrailleurs des marines, de février à septembre de cette année. J’ai passé le printemps et la plus grande partie de l’été basé à Camp Falloujah en Irak (que l’on appelait base opérationnelle avancée St Mere [1] sous contrôle de l’Armée jusqu’à ce que le changement de commandement n’ait lieu). J’ai été déployé en Irak pendant presque 7 mois.
- Quand et pour quelle raison vous étiez-vous engagé ?
Au départ, je me suis engagé en 1993 dans la Garde Nationale. Beaucoup de membres de ma famille en avaient fait partie et je savais que c’était la seule manière dont je pouvais payer mes études à l’université. La loi sur les GI réservistes, (reserve GI Bill) [2] ainsi que l’exonération de frais de scolarité pour les établissements d’état qui est proposé aux Gardes Nationaux dans le New Jersey, tout ça était tentant. A l’époque où je me suis engagé, j’étais loin d’imaginer - et je pense que c’était le cas de tout le monde - que nous nous retrouverions impliqués dans une occupation où près de la moitié des troupes déployées seraient des réservistes et des Gardes Nationaux (La rotation sera de 43% pour la troisième opération " Iraqi Freedom ").
Alors je me suis dit, pour un week-end par mois, c’est une bonne affaire. De plus, je voulais quitter un peu mon quartier et gagner un peu d’argent, alors je considérais comme un plus la possibilité qui m’était offerte de partir ailleurs pour l ‘entraînement et de voyager tout en étant rémunéré.
Au cours de l’hiver 2002, je suis passé de la Garde Nationale aux corps de réservistes de la Marine dont je fais toujours partie en tant que brancardier secouriste. J’ai demandé à changer et à quitter l’infanterie parce que je ne pouvais plus faire ce boulot. J’avais trop évolué au niveau personnel et politique depuis l’époque où je m’étais engagé. Je ne pouvais pas m’imaginer armé d’un fusil, dans la peau d’un occupant. Je ne voulais ni garder un poste de contrôle, ni fouiller les habitations, ni tirer sur des gens. Ca n’a pas marché comme je l’avais prévu. Comme j’étais technicien ambulancier et que j’avais de plus suivi la formation médicale de l’armée, j’aurais pu entrer dans la Marine en qualité de brancardier secouriste. Mais, peut-être à cause de mon expérience dans l’infanterie et du reste de ma formation, j’ai été immédiatement affecté dans les marines. Finalement, je me suis retrouvé non pas dans un quelconque hôpital, mais aux premières lignes de l’occupation, chargé de faire exactement ce que j’avais tâché d’éviter.
– Ca a dû vous paraître horrible, vu que ça allait à l’encontre de vos convictions, de vous retrouver comme vous l’avez dit exactement dans la situation que vou redoutiez, celle d’un occupant. Quel genre de choses, sur lesquelles on garde le silence, vous a-t-on ordonné de faire ? Dites-nous ce que vous voudriez que les gens sachent, les choses qui se sont passées, les événements dont vous avez été le témoin, les ordres que l’on vous a donnés, et parlez-nous de la situation là-bas en général.
Ca a été une expérience éprouvante et compliquée, certains jours pires que d’autres. En tant que brancardier j’ai pu éviter de nombreuses situations que mes camarades marines soit adoraient, soit ne refusaient pas. J’ai été témoin de la détention de civils et des mauvais traitements qui leur ont été infligés ; plusieurs fois des membres de mon bataillon on tiré sur des civils, mais ça ne devrait vraiment surprendre personne après la couverture médiatique détaillée sur Abou Graïb et les récentes incursions dans Falloujah. Quelques uns de ces actes ont fait l’objet d’enquêtes mais la plupart du temps personne ne s’en est inquiété. Les affaires de ce genre étaient tellement répandues, bien que pas toujours aussi sensationnelles et moins bien documentées que les sévices perpétrés à Abou Graïb.
Un jour, alors que j’amenais un détenu à la prison, le gradé chargé des interrogatoires nous a dit de ne plus les amener. " Descendez-les " a-t-il dit. J’étais soufflé. Je n’arrivais pas à croire qu’il ait vraiment dit ça. Il ne plaisantait pas, il nous donnait une directive. Quelques jours plus tard, un groupe de Humvees est passé devant l’emplacement d’une de nos mitrailleuses, il y avait deux Irakiens morts attachés aux capots comme du gibier. Un des corps avait le crâne ouvert et de la cervelle avait commencé à frire sur le capot du véhicule. C’était un spectacle horrible, digne du Moyen Âge. Tellement de choses que j’ai vues semblaient dépasser les bornes, j’ai été témoin de très peu de respect envers les vivants, de presque aucun envers les morts et presque personne n’avait de comptes à rendre.
-Pouvez-vous décrire Falloujah ? Comment la guerre et l’occupation ont-elles affecté la ville ? Qu’y avez-vous vu ?
Mon unité n’a pas pénétré dans la ville même au cours de la brève offensive qui a été lancée au printemps après que les deux agents de sécurité états-uniens aient été pendus au pont, nous avons opéré dans les faubourgs et dans les villages situés au sud et à l’est de la ville. En dehors de cette brève incursion, peu de soldats E-U entraient dans la ville, qui était considérée comme une zone " rouge " à éviter, jusqu’aux incursions du mois dernier.
Ce que j’ai vu aux environs de la ville ressemblait beaucoup à ce que j’avais imaginé : une pauvreté extrême et une infrastructure dévastée incapable de subvenir aux besoins élémentaires de la plupart des gens. La dévastation dont j’ai été témoin était due en majeure partie aux raids états-uniens pendant la Première Guerre du Golfe et aux sanctions qui ont suivi cette dernière. Celles-ci ont duré une décennie et pendant cette période il y avait toujours des bombardements aériens. Parmi les installations qui avaient été touchées dans les années 1990 se trouvaient des centrales électriques, des écoles et des stations d’épuration des eaux qui ne constituaient pas des cibles légitimes ; la population irakienne souffre toujours des conséquences de ces actes.
-Vous avez dit que vous aviez rejoint l’armée principalement pour des raisons économiques. Est-ce que c’était le cas de beaucoup de vos collègues ? D’après vous, quelles étaient les différentes manières dont vos collègues envisageaient le service armé ?
Lorsque j’étais dans la Garde Nationale, il est certain que la plupart des gens étaient là pour pouvoir payer leurs études et c’est une véritable tragédie : il y a maintenant un tel nombre de jeunes de la classe ouvrière désireux de poursuivre leurs études déployés en Irak, au combat, pas à la fac. Avec les Marines, il en allait un peu différemment. Certainement, il y en avait quelques-uns qui avaient été séduits par le GI Bill, mais je me suis rendu compte qu’ils avaient davantage tendance à croire en ce que nous faisions et à vouloir se battre. Quelques-uns émettaient des réserves avant de partir et leur nombre allait en augmentant lorsqu’ils voyaient les terribles contradictions inhérentes à cette occupation. Mais la majorité n’était pas capable de remettre en question les idées qu’ils avaient assimilées en camp d’entraînement et à la suite de la campagne médiatique dans la période qui a précédé la guerre. Certains types croyaient dur comme fer qu’ils défendaient l’Amérique et qu’ils apportaient la démocratie. Ils obéissaient aux ordres sans poser de questions et gobaient les histoires de Démocratisation, d’ADM et de liens entre l’Irak et le 11 Septembre invoquées pour justifier cette guerre, qui se sont toutes avérées sans fondement.
- D’après votre expérience, que pouvez-vous nous dire de la résistance armée à l’occupation ?
Eh bien... elle est certainement mieux organisée que ce que l’on avait cru tout d’abord. Cela ne fait plus de doute pour quiconque, maintenant, même pour l’Américain moyen. Les incursions dans Falloujah ces dernières semaines ont permis de mettre au jour une infrastructure solide et [la résistance] a réussi à rebondir après les incursions en lançant une série d’attaques bien coordonnées dans d’autres endroits. Et encore, ce ne sont là que les attaques rapportées dans les journaux. Toutes les nuits, les insurgés se livrent à de nombreuses attaques dont on ne parle pas aux informations.
Au cours de nos deux premiers mois en Irak, notre base s’est fait attaquer toutes les nuits au moyen de tirs indirects, souvent de roquettes de 120mm. Je ne sais pas si vous en avez déjà vu, ça mesure environ 1,80m et c’est assez dur à cacher. Le fait qu’ils réussissent à assurer l’achat, le stockage et le transport de ces pièces d’artillerie, les connaissances que nécessite l’improvisation d’un lance-roquettes, tout ceci devrait nous ouvrir les yeux : nous ne nous battons pas contre une poignée d’adolescents arabes chaussés de sandales et armés d’AK-47. Ils nous tiraient dessus avec 4 ou 5 de ces engins à la fois, 3 ou 4 fois par nuit, et en plus ces attaques étaient parfois coordonnées avec des tirs de mortier. Ils nous attaquaient constamment, quasi impunément. Ce n’est pas là le travail d’amateurs.
Et encore, il ne s’agit là que d’une seule base opérationnelle avancée, il y a plein de petites bases partout en Irak et beaucoup d’entre elles subissent des attaques encore plus fréquentes et plus féroces. Il ne faut pas oublier non plus les engins explosifs improvisés, les bombes posées au bord des routes, qui sont partout. On en entend parler que lorsqu’elles font des victimes, mais il en existe bien davantage qui manquent leur objectif ou que les équipes de démineurs font exploser. On entendait ces " détonations contrôlées " toute la journée. La fabrication et la mise en place de tant d’engins explosifs improvisés requiert l’organisation d’une opération logistique et ainsi qu’une formation technique.
- Revenons aux soldats qui devaient être envoyés en Irak. Vous avez dit que la plupart n’étaient pas capables de remettre en question les idées qui leur avaient été inculquées en camp d’entraînement. Comment se passe cet endoctrinement dans les camps d’entraînement intensif ? Quel effet est-ce que cela produit sur une nouvelle recrue ?
En camp d’entraînement intensif, tout comme pendant l’entraînement militaire de base par lequel je suis passé, on vous apprend à obéir aux ordres, à agir selon les ordres des chefs sans réfléchir ni poser de questions.
Tout le monde comprend ça et ce type d’entraînement est nécessaire si l’on veut qu’une force armée soit en mesure de réaliser ses objectifs, mais ça devient vraiment problématique lorsqu’il s’agit de situations compliquées telles une occupation et une guérilla. La présence de civils sur le champ de bataille rend les choses difficiles pour un soldat qui essaie de " tuer l’ennemi " : il a du mal à décider quand il faut tirer et quand il ne faut pas. Ce n’est pas aussi clair et net que ce qu’on vous a fait croire pendant l’entraînement et les jeunes recrues sans expérience, endoctrinées de frais, se retrouvent immergées là-dedans, et il est fréquent que l’ineptie et les conséquences de leurs actes ne leur apparaissent qu’une fois qu’il est trop tard. Il est peu probable que les soldats les plus récemment arrivés et les plus jeunes aient assez d’assurance et de recul pour désobéir à un ordre contestable, comme de tirer sur des civils. Le fait que de telles directives émanent souvent du haut commandement, ainsi que nous l’avons appris récemment dans les reportages sur Falloujah des " médias embarqués " rend la chose encore plus problématique. De plus, il faut se souvenir que même si un soldat reçoit un ordre en violation manifeste des conventions de Genève, de la règle militaire ou de ses propres principes personnels ou religieux, il est très difficile de protester contre un ordre ou de lui désobéir. Tout d’abord, il est possible et même hautement probable que vous soyez puni par la loi militaire, même si vous êtes dans votre droit. Bien que l’armée dispose d’un système juridique, les différends sont souvent réglés à l’échelon le plus bas, la plupart du temps vous serez jugé et condamné par le commandant de votre propre compagnie qui en général voit d’abord son propre intérêt. Ensuite, si vous protestez, vous vous désolidarisez du groupe, vous vous posez en individu et vous vous retournez contre l’équipe. Ca peut paraître insignifiant à la plupart des gens, mais lorsque vous avez côtoyé des gens à l’entraînement, souvent pendant des années, que vous vous êtes battus et que vous avez affronté la mort ensemble, ce n’est pas insignifiant. Les gens de votre unité sont souvent tout ce que vous possédez, votre seule raison de continuer, alors commettre un acte qui sera sûrement pris comme une trahison n’est pas quelque chose que la plupart sont prêts à faire. Il n’existe pas de processus fiable qui garantisse la protection des protestataires et l’ouverture d’une enquête. Et dans les camps d’entraînement intensif et pendant l’entraînement de base, on ne prépare pas les recrues à dénoncer les injustices, mais à se comporter en coéquipier, et il est plus que probable que c’est ce rôle qu’ils joueront lorsqu’ils seront confrontés à de telles situations... même si leurs actes les remplissent de remords pour le reste de leur existence.
- Pour quelle raison avez-vous décidé de vous opposer à la guerre et à l’occupation ? En quoi vos activités ont-elles consisté et l’armée risque-t-elle de vous faire subir les conséquences de votre prise de position ?
J’avais conscience de la fausseté des raisons invoquées pour entrer en guerre même avant mon départ, et je m’en étais ouvert à ma famille et à mes amis. Lorsque j’ai constaté de mes propres yeux les effets de l’occupation et que j’ai ressenti moi-même ses contradictions, le sort en a été jeté ; j’ai su qu’il faudrait que je fasse entendre ma voix. Mais en fait, il m’a fallu quelques mois pour vraiment comprendre la situation et pour que les choses soient suffisamment claires dans mon esprit pour que je puisse en parler, au début c’était dur.
Je me suis mis à assister à des rassemblements anti-guerre, muni d’une pancarte qui disait " Vétéran de la guerre d’Irak contre la guerre " ; je me contentais d’être là. C’était super parce que ça me permettait d’être vu et de faire passer mon message, sans avoir à raconter quoi que ce soit aux gens ; pendant à peu près un mois je n’en ai absolument parlé à personne sauf à mes amis proches. Peu à peu, je me suis mis à participer à plus de meetings et j’ai fait la connaissance de personnes qui m’ont aidé à me familiariser avec le domaine des actions anti-guerre. Je me suis également affilié au mouvement Veterans For Peace (" Vétérans Pour la Paix "). Ces derniers temps, j’ai beaucoup écrit sur ce que je pense de l’occupation et je me suis engagé à faire des interventions sur le coût de la guerre, ma propre expérience et les raisons pour lesquelles nous devons continuer à renforcer le mouvement contre l’occupation.
En ce qui concerne d’éventuelles suites, il n’y en a pas eu pour l’instant. D’après ce que j’ai cru comprendre, le personnel de l’armée a le droit, même en " service actif ", de se livrer aux activités militantes sociales ou politiques de son choix, tant qu’il ne le fait pas en uniforme. J’ai désormais retrouvé mon " statut de réserviste " alors ça pose encore moins de problèmes. En fait, je mets souvent le haut de mon uniforme de camouflage pour le désert pour que les gens comprennent bien d’où je viens. Ca contribue à déstabiliser les stratèges en chambre impérialistes qui passent en voiture devant les rassemblements anti-guerre - et comme je ne porte pas l’uniforme entier l’armée ne peut pas faire grand chose.
- Etes-vous en relation avec d’autres soldats anti-guerre qui, tout comme vous, éprouvent le besoin de manifester leur désaccord ? Si de nombreux soldats ayant servi en Irak se rassemblaient contre la guerre et contre l’occupation, un tel mouvement servirait énormément la cause de ceux qui essayent de mettre fin à la guerre. A votre avis, quelles sont les chances pour qu’un tel mouvement voie le jour ?
J’ai fait la connaissance de plusieurs vétérans d’Irak qui sont contre la guerre, mais ils ne sont pas tous prêts à en parler avec des gens qui n’ont pas été là-bas et certains d’entre eux ont l’impression de ne pas être encore capables d’exprimer clairement leurs sentiments. Il s’agit là d’un processus qui ne se déroule pas de la même manière pour tout le monde. Certains soldats sont prêts à opérer un complet revirement, à remettre en question toutes les notions de loyauté et de patriotisme qu’ils ont ingurgitées même s’ils étaient opposés à la guerre, mais ce n’est pas là chose facile lorsque vous avez participé à l’occupation. En tant que vétérans nous y sommes directement mêlés : l’occupation de l’Irak fait partie de notre histoire individuelle et celle-ci est souvent douloureuse, entachée de deuil, de désillusion et de culpabilité. Il n’est pas facile de démêler tout cela, puis de remettre en question la conception " commune " qui considère qu’un patriote, c’est quelqu’un qui soutient aveuglément son gouvernement. Ce n’est pas facile, mais c’est nécessaire. Je crois que nous avons le devoir de dire la vérité, par respect envers tous ceux qui sont morts là-bas.
A mon avis, un mouvement sérieux contre l’occupation doit certainement inclure les vétérans, ceux qui ont vu les choses de leurs propres yeux. Nous avons notre part de responsabilité car c’est nous qui nous avons mis en œuvre la mauvaise politique extérieure de notre pays. Mais je ne crois pas que la faute repose exclusivement, ni même principalement, sur nos épaules.
La dernière fois que j’ai assisté à un rassemblement du samedi, une des responsables est venue me voir et m’a remercié de ma présence : elle a ajouté que j’étais, concrètement, l’ultime justification de leur rassemblement... Je pense que ce n’est pas faux. Je crois vraiment que nous autres, vétérans, conférons une espèce de crédibilité au mouvement anti-guerre, mais nous n’avons pas à constituer son avant-garde. Je pense qu’il y a dans ce pays beaucoup de gens qui " ne sont pas d’accord " avec la guerre en Irak, mais à ce qu’il me semble, ils tiennent trop à leur petit confort et font très peu ou même rien du tout pour mettre fin à la guerre. Je pense que le potentiel est énorme - et peut-être pouvons-nous servir de catalyseurs - mais ce sont les masses, les Américains dans leur petite tranquillité et leur petit confort qui décideront ou non d’opter pour la lutte.
- Ainsi que vous l’avez souligné, les soldats qui ont été en Irak et qui se joignent au mouvement antiguerre peuvent jouer un rôle important, cependant le risque existe qu’on les idéalise. Et donc voici ma dernière question : comment les gens qui militent contre la guerre devraient-ils considérer les soldats antiguerre ? Que pouvons -nous faire pour établir des relations saines et que peut faire le mouvement antiguerre afin que les soldats qui souhaiteraient faire quelque chose contre la guerre et l’occupation se sentent davantage les bienvenus ?
Je crois que le véritable danger, ce n’est pas que les gens idéalisent les vétérans, mais qu’ils se lavent les mains de toute responsabilité et qu’ils s’en remettent aux vétérans pour les guider et pour agir. A mon sens, il est crucial que les gens (les non-vétérans) assument leur part de responsabilité par rapport à ce qui se passe en Irak : que vous ayez voté ou non pour notre président actuel vous vous rendez complice de la politique de cette administration par votre silence et votre inertie. Jour après jour, c’est votre absence de réaction qui les mandate pour poursuivre l’occupation. Il est très important d’établir des relations avec les membres de l’armée qui sont opposés à la guerre et cette démarche reçoit toute mon approbation, mais de nombreuses personnes qui organisent actuellement le mouvement ne font pas ça très bien. De nombreux militants du mouvement antiguerre me paraissent plutôt dogmatiques : ils veulent à tout prix imposer leurs analyses et leur vision des choses. Je généralise, bien entendu, mais je ne pense pas être injuste, or c’est un point très important.
Ce n’est pas avec du bourrage de crâne politique que vous allez inciter les gens à travailler à vos côtés, surtout ceux qui conservent des conceptions du patriotisme et du nationalisme que vous, vous taxez de " chauvinisme " et qui vous semblent intolérables.
Si vous trouvez un soldat qui est contre la guerre, il faut qu’au début vous vous contentiez de ce dénominateur commun, il faut que vous donniez aux gens le temps d’affiner leur compréhension. Il n’est pas toujours facile d’admettre que votre pays a un passé violent et un présent impérialiste. Lorsque vous rencontrez des soldats, informez-les de cet état de faits, d’accord, mais votre tâche la plus importante doit consister à leur permettre de s’habituer à ces idées et à admettre qu’eux aussi ont été utilisés dans le cadre de ce type de politique - il est possible que cela leur prenne longtemps et certains d’entre eux ne pourront jamais accepter complètement cette réalité.
Il est important que votre organisation soit ouverte et accessible, que vous soyez visibles, que vous vous fassiez connaître afin que les soldats de retour d’Irak puissent vous trouver et se joindre à vous. Je suis tombé par hasard sur l’orga antiguerre du coin. Et n’oubliez pas, surtout lors des premiers contacts avec un vétéran, ne le mettez pas mal à l’aise en lui demandant de parler en public, ou en essayant de savoir s’il " a participé à beaucoup de combats " ou s’il " a tué des gens ". Il est possible que la personne en face de qui vous vous trouvez n’ait quitté le champ de bataille que quelques semaines auparavant, qu’elle ait besoin de temps afin de digérer ce qu’elle a vécu, et qu’elle ne revienne pas travailler avec vous si vous la harcelez.
Je retourne voir les gens de mon organisation antiguerre et je continue à travailler avec eux, semaine après semaine, je leur ai promis que je m’exprimerai en public contre la guerre et que je parlerai de ma propre expérience. C’est en grande partie dû au fait qu’ils se sont montrés accessibles et qu’ils n’ont rien exigé de moi, leur message contre l’occupation était clair mais ils soutenaient les soldats, c’étaient des gens sincères et simples. Ils ont prouvé leur capacités organisationnelles, leur constance, ils ont montré que l’on pouvait compter sur eux et ils ont réussi à persuader de nombreux vétérans à leur prêter main forte. Et, bien que l’élaboration d’un mouvement soit un processus long et laborieux, dépendant de la dynamique locale, il me semble vraiment que les gens qui désirent s’organiser et agir contre l’occupation devraient prendre en compte une partie de ces éléments.
L’ adresse de Left Hook
www.lefthook.org/Interviews/SeidmanTalib112904.html
– La traductrice C.F. Karaguezian pour Le Grand Soir
– La source :http://www.legrandsoir.info/article.php3 ?id_article=2057
– Les notes :
[1] St Mere vient de Ste Mère Eglise, village normand libéré dans la nuit du 5 au 6 juin 1944 par la 82ème Division Aéroportée des Etats-Unis.
[2] Le Reserve GI Bill garantit des revenus aux jeunes qui ont achevé leurs études secondaires dès le moment où, ayant terminé leur entraînement, ils sont affectés à un corps de réservistes.