Le fond de scène de la campagne est la perte de confiance de la population envers les partis politiques si ce n’est les institutions parlementaires.
On déplore le bas taux de participation des élections de 2000, en particulier de la jeunesse, mais on tient les élections bien après la fin de l’année scolaire, ce qui n’aide en rien à la mobilisation électorale de la jeunesse étudiante.
On jure que le scandale des commandites et autres gaspillages (armes à feu, Ressources humaines) relèvent du passé mais le PLC manipule l’enquête parlementaire de sorte à ne pas incriminer les politiciens responsables sauf le bouc émissaire Gagliano. De même, le PLC refuse de rembourser l’argent sale comme il l’avait promis.
Le gouvernement ontarien renie ses promesses électorales de gel des impôts et d’effacement du déficit. (Il ne faut pas, cependant, automatiquement interpréter comme conservateur l’électorat ontarien. Il constate simplement qu’il aurait été possible à la fois de réinvestir dans la santé, etc. et d’effacer le déficit non pas en haussant les impôts du peuple mais ceux des riches et des compagnies notamment en s’attaquant aux paradis fiscaux. L’augmentation du vote pour le PC est un vote de protestation pour le parti le plus à même de battre les Libéraux.)
Par rapport à l’élection de 2000, tout l’échiquier politique se déplace à gauche amenant les partis politiques à gauchir leurs promesses électorales par rapport à leurs prises de position d’il n’y a pas si longtemps. Ce cynisme renforce encore plus la perte de confiance dans les partis politiques.
Le PLQ, en contraste avec le discours du trône ne parle plus de remboursement de la dette publique mais de santé, de logement social et de garderies pour lesquels aucune somme supplémentaire n’était pourtant prévue dans le budget 2004-05. Pour se différencier du conservatisme social du PC, il veut faire oublier qu’il manquait lui-même d’enthousiasme pour la reconnaissance des mariages gais et que lui aussi était d’accord avec les votes libres sachant fort bien que plusieurs députés libéraux en profiteraient pour afficher leur propre conservatisme social.
Modérant son radicalisme fiscal d’antan, le PC parle de ramener la structure fiscale canadienne à celle des ÉU... seulement lors d’un second terme, autant dire aux Calendes grecques, sans compter ses efforts héroïques mais vains de cacher son conservatisme social sexiste et homophobe.
Le Bloc est contraint à faire de la surenchère de gauche pour faire compétition au NPD... mais envisage sereinement une collaboration informelle avec un gouvernement PC minoritaire au nom des intérêts du Québec. Lesquels ? Ceux de Québec Inc. ou du peuple québécois ?
Le NPD apparemment beurre socialement épais, davantage que le seul rappel du rabais d’impôt sur les entreprises de la contre-réforme de 2000, seul engagement fiscal au départ. Sauf que 60 milliards $ sur 5 ans n’effacerait que le quart du déficit social fédéral depuis 1993. En réalité le NPD ne se situe, comme à son habitude, qu’un peu plus à gauche du PLC. En termes de promesses électorales, le NPD a cependant l’habitude de les renier en grande une fois au pouvoir comme cela fut le cas notamment en Ontario et en Colombie britannique, ce qui a amené leurs électorats respectifs à presque faire disparaître de la scène politique les partis provinciaux NPD. Le rejet électoraliste " à la Jean Lapierre " de la loi de la clarté, " parce qu’on n’en plus besoin actuellement " n’empêche pas le NPD de diaboliser le Bloc - pourquoi pas aussi le PLC et le PC ? De plus, contrairement au chef du PC par rapport à son porte-parole sur le bilinguisme, le chef du NPD ne sanctionne pas le porte-parole du NPD en Chambre qui a vanté il y a encore quelques mois la loi sur la clarté et qui contredit son chef sur ce sujet en pleine campagne électorale.
À date aucun parti politique ne soulève comme enjeu prioritaire de leurs campagnes, même pas comme enjeu secondaire, les questions stratégiques du libre-échange (ALÉNA, ZLÉA, ACGS) et celui de la guerre contre le terrorisme. Tous les partis les considèrent comme un cadre incontournable sauf à le modifier à la marge, à droite ou à gauche.
Pourtant aucun changement de cap à gauche n’est possible sans au moins contrôler la circulation des capitaux et réguler celle des marchandises et des services.
Les investissements sociaux supplémentaires se feront alors, s’ils se font, dans le sens du renforcement du marché et non des services publics. Il y aura donc partenariats publics-privés qui ouvriront la porte à la santé et aux garderies à deux vitesses (Le premier ministre a fait son annonce des investissements en garderie, déjà fait dans le livre rouge de 1993,... dans une garderie privée.)
L’acceptation de la guerre contre le terrorisme ne peut que conduire à des dépenses supplémentaires pour la défense et la sécurité. Le PC est ici plus transparent que le NPD.
Comme résultat il faut s’attendre soit à un PLC majoritaire mais affaibli encore plus à droite que le PLC de Chrétien, soit à un PLC ou à un PC minoritaire, lui-même une refonte de l’ex Alliance-Reform. En cas de gouvernement minoritaire, toute collaboration PLC-NPD ou PC-Bloc ne pourrait être qu’informelle, très instable et éphémère à moins que le NPD ou le Bloc ne veulent se suicider politiquement pour pouvoir goûter momentanément au pouvoir même indirectement, ce qui est toujours possible. Le PLC de Martin n’est pas le PLC gauchisant de Trudeau qui rendait possible une alliance informelle NPD-PLC momentanément stable. On voit mal les bases d’une alliance durable entre un parti souverainiste s’affichant " progressiste " avec un parti soi-disant " décentralisateur " mais sans dire trop comment par ailleurs ultra-chauvin et ultra-droitier. Cette instabilité d’alliances formelles ou informelles contre nature, si elle ne résulte pas en une nouvelle élection hâtive qui pourrait cependant tout aussi bien cristallisé l’instabilité au lieu de la résoudre, pourrait conduire à une " grande alliance " formelle ou informelle entre le PC et le PLC qui chercheront un appui réciproque, même si ce n’est que sous forme de votes libres.
Les groupes sociaux québécois qui ont annoncé une intervention dans la campagne le font sur des points particuliers pertinents mais qui souvent jouent le jeu d’un parti en particulier. Par exemple, les centrales syndicales et les groupes contre le chômage mettent l’emphase sur une campagne médiatique sur l’assurance-emploi, ce qui bénéficie au Bloc. La gauche sociale québécoise reste prisonnière de son alliance avec le bloc nationaliste.
La prédominance des nationalismes, respectivement canadien et québécois, dans les mouvements sociaux canadien et québécois met en relief l’absence abyssale d’une gauche antinéolibérale pan-canadienne capable d’intervenir significativement dans le processus électoral fédéral. En découle un manque de pression sur les partis pour que soient soulevés les questions stratégiques cruciales du néolibéralisme guerrier et de la question nationale québécoise sauf de temps à autre comme épouvantail à moineaux. En résultera un Parlement plus à droite malgré un électorat qui a tendance à aller plus à gauche. Il en va ainsi car à ne pas proposer de remettre en question le cadre général du néolibéralisme guerrier et de la constitution canadienne, l’électorat est amené dans le cul-de-sac du rejet du très discrédité parti au pouvoir en faveur du parti de l’alternance... encore plus à droite. Pire, la crainte d’un gouvernement PC amène plusieurs groupes pan-canadiens à se laisser tenter par une orientation " anybody but Harper " faisant ainsi le jeu du PLC. C’est là la conséquence ultime de l’absence d’une alternative politique programmatique et organisationnelle, même de toute perspective en ce sens, ce qui ramène tout au niveau de la tactique du moindre mal.
Marc Bonhomme, 9 juin 2004