Le Québec de la fin des années 60 est d’abord marqué par une forte progression de la lutte pour l’indépendance du Québec et par la montée de plusieurs mouvements sociaux.
Octobre 68, c’est la première grande grève générale du mouvement étudiant québécois. Les étudiantes et étudiants de 23 Collèges d’enseignement général et professionnel sont en grève. Ils sont occupés jour et nuit. Les grévistes en ont contre une éducation élitiste mal adaptée à leurs besoins et héritière des collèges classiques. Ils ne veulent pas être les rouages de cette société de consommation et de domination. En mars 1969, quelques mois après la grève, une grande manifestation de 15 000 personnes demande que l’Université McGill, ce symbole du colonialisme britannique, soit francisée et que cesse cette inégalité qui fait que les jeunes francophones n’aient pas la même possibilité d’avancement social que les jeunes diplômés anglophones de cette université anglophoned’élite. Cela débouchera sur la revendication d’une deuxième université francophone publique, gratuite et accessible. Cette revendication débouchera sur la naissance de l’Université du Québec.
Sur le front de la lutte des travailleuses et des travailleurs.
Au Québec, il y a de nombreuses grèves, longues, combatives marquées par des affrontements avec les forces de l’ordre. Un exemple, les travailleurs de l’usine Seven up à Montréal est en grève depuis l’été 1967. En 1968, les groupes indépendantistes organisent une marche de solidarité avec les travailleurs en lutte qui débouchera sur des affrontements violents. Les ouvriers de l’usine de Domtar vont l’occuper pour l’empêcher sa fermeture tout en employant les moyens nécessaires pour assurer leur autodéfense. Dans le milieu industriel alors, l’oppression nationale se vit entre les patrons anglophones et les ouvriers francophones. Cette situation stimule le désir d’une indépendance nationale.
La fin des années 60, est également le moment de l’expression d’un nouveau militantisme syndical grâce à l’organisation massive et rapide du secteur public et parapublic laissant présager le grand front commun de 1972. Les salarié-e-s des services publics mènent des luttes d’ampleur pour obtenir de meilleures conditions de vie et de travail. Le mouvement syndical ouvre une alliance avec le mouvement populaire en développant la stratégie dite du 2e front. Il s’agit d’ajouter au front de la négociation sur les lieux de travail, la lutte dans les quartiers pour de meilleurs logements, pour de mieux conditions de transport et de vie…
Dans cette même période, se développe le mouvement populaire sous la forme de la multiplication de comités de citoyens. A cette époque, Montréal connaissait un grand mouvement de modernisation de ces infrastructures. Les projets routiers et autoroutiers délogent sans vergogne les personnes les plus démunies. Les comités de citoyens vont faire de l’éducation populaire. Ils mobilisent également les citoyens et les citoyennes les plus démunies.
Le mouvement des femmes fait une apparition remarquée en octobre 1969. Au début novembre 1969, le maire Jean Drapeau interdit toute manifestation à Montréal. A cette époque, il y a beaucoup de manfestations à Montréal : des manifestations des indépendantistes, des comités de citoyens, des syndicalistes.… Les femmes seront les premières à contester cet interdit de manifestation. 200 femmes défient l’interdiction de manifester en s’enchaînant sur la place publique. Suite à cette action, le Front de libération des femmes du Québec sera créé qui aura pour slogan « la libération du Québec ne se fera pas sans celle des femmes ».
Ces quatre fronts de mobilisation convergent dans la lutte pour l’indépendance du Québec. Cette lutte s’inscrit alors dans un contexte international précis, celle des indépendances des pays coloniaux face à leur métropole. C’est également un contexte marqué par les luttes nationales en Amérique latine contre la domination impérialiste américaine.
Que veut alors dire l’indépendance du Québec ? C’est de libérer du joug anglo-canadien qui maintient les Canadiens français dans un statut de citoyen de deuxième classe en leur refusant leur droit à l’autodétermination. C’est également une indépendance pour contrer la double domination économique que vit le Québec : la domination canadienne d’une part et la domination de l’économie américaine sur le Québec d’autre part. Cette lutte nationale va être un moteur qui va propulser les mécontentements face au système capitaliste inégalitaire.
Cette lutte nationale va permettre le développement de différents partis politiques. Mentionnons le Rassemblement pour l’indépendance national (RIN). Rappelons la manifestation du 24 juin 1968 appelée par le RIN. Les indépendantistes vont manifester contre la présence de Pierre Elliott Trudeau à la tribune d’honneur du défilé de la fête nationale des Québécois, la St-Jean-Baptiste. La répression est féroce. Et les arrestations sont nombreuses.
Pierre Vallières dans son livre « Nègres blancs, d’Amérique » exprime bien le sentiment des indépendantistes de l’époque. Dans ce livre, il compare la situation des Québécois et de leur lutte à celle des Noirs américains.
Mais ce mouvement indépendantiste en montée va être placé devant deux orientations possibles. La première option va être un appui tactique au Parti québécois lancé le 21 avril 1968 et qui a déjà au moment de son lancement deux députés : René Levesque et François Aquin. Le Parti québécois est d’abord une scission du Parti libéral du Québec (le Mouvement souveraineté-association) va s’allier avec un petit parti indépendantiste de droite le Ralliement national pour fonder le Parti québécois. La direction Lévesque refuse de fusionner avec le RIN qu’elle considère qu’il est trop militant et trop lié aux mouvements sociaux. Le RIN décide tout de même de se dissoudre et appelle ses militants à militer individuellement dans le Parti québécois et à y défendre des positions plus progressistes. L’argument défendu est celui-ci : après l’indépendance du Québec, il sera plus facile de réaliser les revendications des mouvements sociaux.
Face à cette option, il y a une deuxième option qui va répondre à la première, celle qui dit qui faut lier indépendance et socialisme. Cette option dit que la lutte par l’indépendance doit être dirigée par et pour les mouvements sociaux et particulièrement par le mouvement ouvrier. Il faut d’abord lutter pour les mouvements populaires mais dans le cadre de la particularité nationale du Québec qui fait de l’indépendance son projet de société. Cette option sera présentée par une nébuleuse de petits groupes : Front de libération du Québec, Front de libération populaire, Comités indépendance et socialisme… Ce courant va être frappé de plein fouet durant la crise d’octobre où l’armée canadienne intervient au Québec pour appuyer la police dans la répression des mouvements sociaux et nationalistes. Cette option de socialisme et indépendance va être marginalisée par la répression et par le choix de beaucoup de militantes et de militants de l’époque de reprendre l’option du RIN et de militer dans le Parti québécois. Une bonne partie des socialistes déçus vont se retourner vers les mouvements marxistes-léninistes (ml) qui vont faire table rase de la question nationale…
Le 68 québécois. Quelle leçon pour aujourd’hui ?
Qu’est-ce qu’on peut comprendre du 68 québécois pour mieux saisir les enjeux politiques du Québec aujourd’hui ? Les mouvements de 68 étaient-ils utopistes ? Mieux vaut dire que ces mouvements portaient un projet possible mais qui n’est pas advenu. Aujourd’hui , de nouveaux mouvements sociaux reprennent ces projets de transformation sociale. En autres, l’altermondialisme qui, au Québec, a eu son moment fort avec le Sommet des Amériques. Le mouvement antiguerre, comme le mouvement contre la guerre au Vietnam à la fin des années 60, au Québec a repris énormément de vigueur particulièrement à cause de l’intervention de l’Armée canadienne en Afghanistan mais aussi avec l’invention du gouvernement Bush en Irak. Mentionnons également les grandes mobilisations des femmes contre la pauvreté. Ces nouveaux mouvements sociaux, c’est également le mouvement étudiant en 2005. Mentionnons enfin le mouvement écologiste qui marque de plus en plus qui signale la nécessité de cette dimension écologiste dans la lutte contre le capitalisme.
Ce parti peut devenir un instrument de la rupture active avec le Parti québécois qui a organisé des défaites et qui a fait vivre au peuple québécois l’expérience de la gestion néolibérale. Aujourd’hui, on a avec Québec solidaire, une alternative politique. C’est petit mais ça existe. Pour la première fois depuis des décennies, il y a une alternative politique significative à gauche du Parti québécois. Ce parti ne se construira pas à froid comme vaste projet qu’on peut élaborer entre citoyennes et citoyens honnêtes. Ce projet là va s’enraciner dans les luttes sociales du mouvement ouvrier et populaire, des femmes, des jeunes…
Il faut refaire les véritables alliances internationales avec le mouvement des Noirs aux États-Unis et ici avec les peuples autochtones qui luttent également pour leur autodétermination, une alliance avec les progressistes du Canada anglais qui luttent contre le même accord de libre-échange et contre l amondialisation. Il y a enfin de montrer que la logique des riches détruit notre planète. Cela nous dit que la nécessité d’articuler socialisme et écologie est de plus en plus pressante et urgente. Finalement, il faut renouer notre engagement pour un autre avenir. Je terminerai avec un poème de Gaston Miron :
nous te ferons, Terre de Québec
lit des résurrections
et des mille fulgurances de nos métamorphoses
de nos levains où lève le futur
de nos volontés sans concessions
les hommes entendront battre ton pouls dans l’histoire
c’est nous ondulant dans l’automne d’octobre
c’est le bruit roux de chevreuils dans la lumière
l’avenir dégagé
l’avenir engagé