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Mythes et mensonges sur Hiroshima et Nagasaki

mardi 24 août 2010


Par Ataulfo Riera le Jeudi, 05 Août 2010


Différentes thèses s’affrontent pour expliquer les motivations réelles du bombardement atomique d’Hiroshima et de Nagasaki (les 6 et 9 août 1945) par les Etats-Unis, les amenant ainsi à commettre un crime contre l’Humanité. La polémique ne doit pas être considérée comme une simple querelle entre historiens : au-delà de la simple question du « pourquoi ? », il y a toute l’implication qui se cache derrière la réponse. Implication très actuelle car les États-Unis sont désormais la seule superpuissance atomique capable de frapper où que ce soit dans le monde et ils se doteront bientôt, avec le système de défense anti-missile, d’un outil capable de supprimer toute dissuasion nucléaire.

La thèse officielle, celle que tous les enfants étasuniens apprennent par coeur à l’ école et qui, dernièrement encore, a été réaffirmée par le Sénat des États-Unis, explique que l’usage de la bombe atomique en 1945 a permis de précipiter la fin d’une guerre sanglante, de perdre moins d’argent et d’épargner des milliers de vies humaines. Le président Truman, qui prit la décision finale, affirma que son geste avait sauvé la vie de près de 250.000 "boys". Après la guerre, dans ses "Mémoires", ce chiffre monta à 500.000 (1). D’autres ont été jusqu’à avancer des chiffres de l’ordre de 1... à 3 millions de vies épargnées !
Selon les tenants de cette thèse, au cas où les troupes U.S auraient débarqué au Japon, les soldats nippons, fanatiques et partisans d’une guerre à outrance, auraient opposé une résistance suicidaire et jusqu’au-boutiste. De plus, les soldats japonais auraient été épaulés par des millions de civils tout autant fanatisés.

Cet argument est toujours repris actuellement par certains historiens : « Sans aucun doute (sic), la population civile défendra pied à pied le sol de la mère patrie. Les militaires lui confieront des explosifs, des pieux en bois. Tous les moyens seront bons pour tuer des ennemis ». Conclusion ? « Truman n’a pas le choix » (2). Le président Truman nous est ainsi souvent présenté comme un homme sensé, qui a pris une décision difficile mais juste. Et un historien bourgeois de nous le démontrer : "Des soldats américains mouraient par milliers chaque jour (?). L’apitoiement n’était pas de mise. Truman n’avait pas le choix. Sa décision lui a coûté". (3). Il s’agit ici de l’argument « moral » de la thèse officielle qui accorde à la bombe atomique le mérite paradoxal d’avoir sauvé des vies humaines.

Un autre argument nous dit que la bombe atomique a permis aux Japonais de comprendre la formidable capacité de destruction des États-Unis : « Nous détruirons complètement la puissance qui permet au Japon de poursuivre la guerre » menace Truman le 6 août 1945. Sachant cela, les Japonais n’auraient plus eu aucune raison de lutter. Autre élément corollaire ; la destruction d’Hiroshima et de Nagasaki, outre l’impact psychologique de l’événement, aurait permis à l’Empereur Hiro-Hito d’imposer honorablement la paix à ses chefs de guerre « jusqu’au-boutistes ».

Face à cette série de dogmes officiels, plusieurs historiens ont osé les démonter pièce par pièce. Le premier d’entre eux, Gar Alperovitz, politologue étasunien, soutient depuis 1965 que son pays a fait usage de la bombe pour faire peur à Staline, dont les « visées expansionnistes » menaçaient les intérêts (grandissants) des États-Unis dans le Sud-est asiatique et en Europe.

500.000...1.000.000 ?

L’argument des 500.000 (ou plus) vies épargnées ne tient absolument pas debout. Un rapport des stratèges militaires américains prévoyant le coût humain d’une invasion du japon (prévue pour le 1er septembre 45) contient de tout autres chiffres. Rédigé par le Chef d’ Etat-Major, le général Marshall, et daté du 18 juin 1945, il estime avec précision les pertes américaines à... 46.000 hommes au maximum. (4). Ce rapport, qui n’a seulement été rendu public qu’en 1985, était adressé au président Truman, celui-ci a donc sciemment menti.

Les chiffres fantaisistes du président et consorts reposaient sur l’argument que les Japonais, civils et militaires, se battraient jusqu’à la mort. Or, pour ce qui est des soldats, ce fanatisme, réel à une certaine époque du conflit, commençait à se fissurer. Alors que durant les batailles précédentes les soldats japonais se faisaient tuer sur place plutôt que de se rendre, lors de l’importante bataille d’Okinawa au mois de juin 1945, plus de 7.000 d’entre eux se sont constitué prisonniers. Du jamais vu. Suivant en cela le code d’honneur militaire japonais, bon nombre d’officiers étaient effectivement des jusqu’au-boutistes, mais une bonne partie des hommes de troupe était fatiguée des combats.

Quant aux civils, l’argument est tout simplement absurde : le peuple japonais était totalement à bout après presque 13 années de guerre (d’abord avec la Chine, puis avec les Alliés) : privations, misère, faim, souffrance et mort sous les tapis de bombes largués par les bombardiers américains (plus de 21 millions de Japonais ont été d’une façon ou d’une autre touchés par ces bombardements massifs), etc. Un tel peuple n’aspirait plus qu’à la paix et l’on peut difficilement se l’imaginer fonçant droit vers des chars étasuniens avec des "pieux en bois" (5).

La Bombe et le sacrifice d’Hiroshima et de Nagasaki ont-ils au moins permis de précipiter la fin de la guerre (d’au moins un an nous dit-on) en démontrant le potentiel destructif des États-Unis ? Rien de plus faux. Le Japon avait déjà virtuellement perdu la guerre car il était tout bonnement matériellement incapable de la poursuivre. Le potentiel militaire nippon était pratiquement détruit : 90% des bâtiments de la marine de guerre et de la flotte marchande reposait au fond l’océan, ce qui, pour une île dépourvue de ressources et de matières premières stratégiques indispensable à l’industrie de guerre, comme le pétrole par exemple, équivalait à une agonie rapide.

L’aviation quant à elle ne comportait plus qu’un petit nombre de pilotes adolescents, peu instruits (du fait du manque de carburant, l’instruction était réduite au-dessous du minimum) et désespérés. La plupart n’étaient d’ailleurs plus assignés qu’à des missions suicides "kamikazes" peu rentables militairement vu la supériorité matérielle des États-Unis.

Enfin, « La défense anti-aérienne s’était totalement effondrée » (6), ce qui explique la facilité avec laquelle des impressionnantes escadres de bombardiers US pénétraient dans le ciel nippon. Ces bombardements terroristes, aveugles et coûteux en vies humaines - c’était leur but ; celui de Tokyo du 9 mars 1945 a ainsi fait plus de 125.000 morts, soit plus de victimes directes qu’à Hiroshima ! - avaient complètement déstructuré les entreprises et la machine de guerre japonaise. Tokyo était rasée à 50%, Yokohama, le principal port du pays, à 85%, Kobe à 56%. Quarante pour-cent des ouvriers avaient abandonné leur travail pour fuir la ville et ses bombardements. Résultat, l’activité industrielle des 5 grands centres nerveux japonais était annihilée à un taux de 80% (7). Imaginer dans ces conditions que le Japon pouvait encore soutenir le conflit pendant une année ou plus relève donc de la pure fantaisie.

Une bombe sans poids

La justification de l’usage de la bombe en tant qu’argument "de poids’ pour forcer la décision du pouvoir nippon de capituler est souvent avancée. Là aussi, elle ne repose sur rien de sérieux. Dès le mois d’avril 1945 en effet, l’Empereur était persuadé qu’il fallait négocier et conclure la paix au plus vite. Durant le mois de mai, une tentative de contact entre Japonais et Américains avait eu lieu via les diplomates nippons en poste à Berne. Vu l’échec de ces démarches, la diplomatie japonaise privilégiera ensuite des négociations détournées via Moscou. Le 22 juin, alors que l’île stratégique d’Okinawa (elle était la dernière étape avant le Japon) était définitivement perdue, les démarches s’accélèrent : "l’’Empereur invita le Conseil suprême de direction de la guerre à entamer des négociations officielles de paix, si possible en utilisant les bons offices de la Russie" (8).

Mais les Japonais mettaient tous leurs espoirs de paix sur les Russes sans se douter qu’à la Conférence inter-alliés de Yalta, Moscou avait promis aux Alliés occidentaux de déclarer la guerre au Japon six mois après la défaite nazie en Europe. Misant ainsi toutes leurs cartes sur Moscou, la douche froide de l’invasion de la Mandchourie occupée par l’Armée rouge le 9 août 1945 fut le véritable coup de grâce qui amena les Japonais à la reddition, et non la destruction d’Hiroshima et de Nagasaki qui, pour terrible qu’elle fut, ne provoqua pas autant de victimes ni de destructions que les bombardements classiques décrits plus haut.

Les autorités étasuniennes savaient parfaitement tout cela. Un rapport secret des services spéciaux américains (découvert en 1988) qui relate les discussions au sein du pouvoir nippon, nous apprend que "les recherches montrent que [au sein du cabinet japonais] il fut peu question de l’usage de la bombe atomique par les États-Unis lors des discussions menant à la décision d’arrêter les combats. [sans l’usage de la bombe], les Japonais auraient capitulés après l’entrée en guerre de l’URSS" (9).

Un autre fait est à mettre en lumière avec ce qui précède. Si les États-Unis tenaient tant à précipiter la fin de la guerre et répugnaient à employer la Bombe, pourquoi diable dans leur ultimatum adressé aux Japonais le 26 juillet 1945 n’est-il fait nulle part mention du futur statut de l’Empereur en cas de reddition ? Lors de la rédaction de ce document (au cours de la conférence inter-alliés à Potsdam), plusieurs conseillers du président ont fait remarquer à ce dernier l’importance de cette question : les Japonais étaient prêts à se rendre à condition que les États-Unis donnent la garantie que l’Empereur, considéré comme un demi-dieu, puisse rester sur le trône. Après débat, Truman et Byrnes, son bras droit, ont finalement décidé en pleine connaissance de cause de ne pas faire mention du statut de l’Empereur dans l’ultimatum... Les Japonais, pour qui la chute de l’Empereur constituait le déshonneur suprême, repoussèrent donc sans surprise ce dernier.

Mais le 10 août, lorsque les Japonais offrent officiellement leur reddition tout en demandant que Hiro-Hito et la monarchie soient maintenues, les États-Unis accepteront sans sourciller à cette demande. On peut donc se demander pourquoi il ne l’ont pas mentionné 15 jours plus tôt, ce qui leur aurait permis d’éviter d’utiliser la Bombe et de sacrifier inutilement des centaines de milliers vies humaines. La réponse est évidente, Truman et Cie savaient pertinemment que les Japonais refuseraient l’ultimatum de Potsdam et qu’ils auraient là l’occasion et la justification « morale » d’employer la bombe atomique. En vérité, comme on le verra plus loin, la plus crainte de Truman à cette époque n’était pas d’employer la bombe atomique, mais bien tout au contraire de ne pas avoir le temps ni l’occasion de le faire !

Il faut par ailleurs connaître certaines de ses déclarations pour se faire une idée du personnage tel qu’il fut, loin de cette fable d’un « homme torturé par une décision difficile qui lui a coûté ». Lorsqu’il apprit le succès du bombardement d’Hiroshima, Truman déclara joyeusement à ses proches : « Les gars, on leur à balancé un concombre de 20.000 tonnes sur la gueule !" (10). On est loin ici de la phrase "historique", grave et pesée que l’on pourrait attendre d’un homme sensé qui a pris un décision aussi terrible pour l’humanité. Peu de temps après, à un journaliste qui lui demande "Quel a été votre plus grand remord dans votre vie ? ", Truman répondra : "Ne pas m’être marié plus tôt" ! (11) On voit là combien lui aura "coûté" son choix.

Pour conclure...

Quelles furent donc les véritables raisons qui motivèrent Truman et sa clique ? Plusieurs facteurs entrent en compte (12) et la thèse d’Alperovitz en apporte plusieurs. Mais elle est insuffisante quant à sa conclusion. Pour Alperovitz, les étasuniens jugeaient que les rapports de forces, à l’heure d’un nouveau partage impérialiste du monde, étaient par trop favorables à l’URSS et qu’il fallait stopper "l’expansionnisme" soviétique. La possession (et la démonstration pratique) d’une arme de destruction sans équivalent était donc un atout important aux mains des Etats-Unis non pas pour terminer la Seconde guerre mondiale mais bien pour entrer de plein pieds dans ce qui allait devenir la Guerre froide en menant une politique de « refoulement » de « l’expansionnisme rouge ». C’est effectivement à la conférence de Potsdam que les étasuniens vont commencer à modifier sensiblement leur ligne de conduite par rapport à l’« Oncle Joe » comme la presse américaine appelait Staline. Et c’est justement à ce moment que Truman - qui sait depuis peu que la bombe atomique est opérationnelle - en rédigeant un ultimatum inacceptable pour les Japonais, décidait d’employer la bombe comme un atout stratégique majeur face à Moscou.

Mais l’explication donnée par Alperovitz d’une réaction motivée par « l’ expansionnisme soviétique » est plus qu’à nuancer car elle sous-entend une volonté de la part des Soviétiques de dominer et d’envahir la planète. Ce qui, lorsque l’on connaît la pratique et la nature du régime stalinien, est entièrement faux. La bureaucratie soviétique se contentait en fait de créer un glacis stratégique protecteur autour de ses frontières et sabotait par contre toute possibilité révolutionnaire en dehors de ce glacis stratégique géographiquement circonscrit - au sein duquel d’ailleurs il s’agissait avant tout de modifier les régimes sociaux et politique de manière bureaucratique, et non par le biais d’authentiques révolutions. A la fin de la guerre, les Partis communistes staliniens, aux ordres de Moscou, ont ainsi, en France, en Italie et dans plusieurs pays coloniaux, étouffés les germes ou la marche en avant de la révolution. Rappelons également que Staline s’opposa avec véhémence à la révolution chinoise de Mao.

"La politique dite de refoulement (qui provoquera directement la guerre de Corée et du Vietnam) n’est pas une réplique à une prétendue politique d’expansion de Staline, mais bien le signe de la volonté des États-Unis de dominer le monde" (13). Le véritable expansionnisme était étasunien et non soviétique. La bombe atomique (et son usage sur Hiroshima et Nagasaki) était une arme politique (et elle ne peut l’être vu sa nature), c’était une arme au service de l’impérialisme étasunien afin de s’assurer le statut d’une superpuissance mondiale sans partage.

Article publié dans La Gauche en août 2000

Notes :

(I) Frédéric Clairmont, "Manière de voir" n° 12 du "Monde Diplomatique".

(2) André Kaspi, "Fallait-il bombarder Hiroshima ?", "L ’Histoire" n° 188, mai 1995.

(3) André Kaspi, op. cit.

(4) Vincent Jauvert, "Le Nouvel Observateur" 13-19 juillet.

(5) "... les civils japonais n’en pouvaient plus. En l’espace de 5 mois, la 21e escadre de bombardiers avait transformé la vie quotidienne du Japon en une âpre lutte pour simplement survivre (..). Les attaques aériennes américaines répétées s’étaient concentrées sur les quartiers ouvriers (..) huit millions de personnes étaient désormais sans abri. " William Craig, "La Chute du Japon", Ed. Laffont, pages 178-179.

(6) F. Clairmont, op. cit.

(7) Éric Peter, "La Brèche", août 1985. I -(8) W. Craig, op. cit, page 65.

(9) F. Clairmont, op. cit.

(10) "La Nueva Espana", 6 août 1995.

(11) "La Nueva Espana", 6 ’août 1995.

(12) Un de ces facteurs, pas très souvent cité, est celui du racisme des dirigeants américains envers les Japonais. Il suffit de voir les films de cette époque (et même par après) : les Japonais y sont tous montrés sous des traits cruels, fanatiques, capables des pires atrocités sans sourciller, bref, inhumains. Le président Roosevelt pensait le plus sérieusement du monde que la "cruauté" des Japonais était due aux petites dimensions de leur crâne ! Enfin, Byrnes, le bras droit du président Truman, qui lui conseilla ardemment d’utiliser la bombe, était un politicien raciste et anti-communiste notoire

(13) Éric Peter, op. cit.