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Que va-t-il ressortir du nouveau désordre international ?

lundi 21 avril 2003, par Eric Toussaint

Par Arnaud Zacharie. Porte-parole d’ATTAC-Belgique et coauteur de « Mise à nu des marchés financiers » (Vista/Syllepse, 2002)

Il y a des moments dans l’histoire où l’humanité se trouve à la croisée des chemins. Nous sommes sans doute en train de vivre un tel moment.

Suite à une ère de prospérité que d’aucuns annonçaient comme éternelle durant le double mandat de Bill Clinton aux Etats-Unis, les élections à suspense de novembre 2000 offrent les clés de la Maison Blanche au républicain George W. Bush. Très vite, les difficultés s’annoncent dans le ciel présidentiel. D’abord, l’espoir engendré par la nouvelle économie s’effondre à la Bourse du Nasdaq et le pays plonge, sur fond de scandales financiers, dans une grave crise économique. Ensuite, les attentats du 11 septembre 2001 frappent de plein fouet un pays qui n’ avait même pas été inquiété sur ses terres durant la seconde guerre mondiale. Ces événements sont politiquement d’autant plus catastrophiques pour George W. Bush qu’il est lui-même inquiété par les scandales boursiers et qu’il est accusé d’avoir pris à la légère la menace terroriste.

C’est alors qu’entrent sur le devant de la scène les « faucons » de son administration, issus des moral value conservatives. On a déjà tant dit et tant écrit sur la guerre « antiterroriste » en Afghanistan et en Irak, sur les desseins de l’administration Bush dans le Moyen-Orient, sur les enjeux pétroliers et le nombre de Saoudiens parmi les auteurs des attentats. On a également beaucoup parlé des mesures souvent plus spectaculaires qu’efficaces envers les « patrons voyous », du paquet de cadeaux fiscaux, de la politique de baisse des taux d’intérêt de la Réserve fédérale des Etats-Unis, de l’explosion des dépenses militaires et sécuritaires ou des contrats offerts aux firmes américaines pour la reconstruction des « Etats voyous ». Quoi qu’il en soit, il est évident que toutes ces mesures ont pour but de relever un difficile défi politique intérieur, déjà partiellement remporté lors des Midterms, à savoir renverser le cauchemar boursier et terroriste d’hier en un nouveau rêve américain et remporter les prochaines élections présidentielles qui auront lieu dans dix-huit mois.

Le problème est que les visées politiques de l’administration Bush, à la tête de l’unique superpuissance mondiale, ont de graves répercussions sur le reste du monde, non seulement sur le Moyen et le Proche-Orient, mais aussi sur l’Union européenne et l’ensemble des Nations unies. Il est symptomatique de constater avec quelle impertinence le conseiller Richard Pearle tourne en dérision la mort de l’ONU, avec quelle dérision le chef du Pentagone Donald Rumsfeld raille la « vieille Europe » et avec quelle agressivité George W. Bush annonce que « ceux qui ne seront pas avec nous seront contre nous ». La guerre préventive étant déclarée et la Charte des Nations unies tremblant sur ses bases, l’administration Bush n’hésite pas à également placer des peaux de banane plus sournoises sous les pieds de l’Union européenne. Ebranlée politiquement par la désormais célèbre « Lettre des Huit », l’Union européenne va sans doute devoir subir une grave déconvenue économique. En effet, alors que nombre d’observateurs européens se félicitent de la hausse de l’euro, qui a en fait pour origine la baisse du dollar, l’« euro fort » risque bien de devenir la pire des choses pour les exportations et l’économie européenne, notamment en Allemagne où une récession, qui n’épargnerait personne sur le vieux continent, n’a été évitée en 2002 que grâce à un « euro faible ».

Quoi qu’il en soit, l’horizon européen semble bien trouble alors que l ’Union s’apprête à entamer une étape cruciale de sa construction avec son élargissement à l’Est. Dans un article publié dans La Libre Entreprise du 7 décembre 2002, je soulignais avec quelle légèreté les gouvernements analysaient la crise économique, tablant sur des projections de croissance de plus de 2% pour 2003. Moins de deux mois plus tard, les projections étaient déjà revues à la baisse, la fourchette de 1 à 1,8% de croissance retenue par la Commission étant susceptible de se transformer à terme en stagnation, voire en récession. Les marges budgétaires s’annoncent donc des plus minces, ce qui annonce en Belgique une belle foire d’empoigne lors de la négociation de la prochaine déclaration gouvernementale, mais aussi des difficultés pour les Quinze à faire face au défi financier de l’ élargissement. L’argument d’une reprise économique vigoureuse une fois les incertitudes de la guerre en Irak disparues ne tient pas, puisque l’administration Bush semble n’envisager cette guerre que comme une étape dans un plan beaucoup plus vaste. Sans parler des terroristes qui naîtront sur les cendres du dictateur Saddam, de l’exacerbation des fondamentalismes religieux et des conflits identitaires, du chaos généré par un monde régi par le concept de « guerre préventive », voire d’une nouvelle bipolarité avec les « Axes du Bien et du Mal » remplaçant les deux blocs de la guerre froide.

L’avenir semble bien sombre. Et pourtant, des crises majeures de l’ humanité sont souvent ressorties des solutions ambitieuses. Rappelons-nous que sur les cendres du krach boursier de 1929, de la Grande Dépression des années trente et de la seconde guerre mondiale, sont nés le système de coopération monétaire internationale de Bretton Woods, le système de sécurité collective de l’ONU et l’ébauche de l’ actuelle Union européenne. La guerre diplomatique mondiale et la guerre préventive unilatérale que nous avons actuellement sous les yeux peuvent provoquer le choc nécessaire aux futures grandes ouvres politiques internationales. D’abord par la constitution d’une Europe politique, entamée si nécessaire par un premier peloton d’Etats membres, pas seulement obsédée par la nécessité de construire un contre-poids face aux Etats-Unis, mais aussi et surtout déterminée à davantage mutualiser ses forces et à se donner les moyens fiscaux et sociaux d’opérer des relances économiques concertées. Ensuite par le rétablissement et la démocratisation du système des Nations unies, en lui assignant de nouvelles missions adaptées aux nouveaux enjeux internationaux et en lui donnant les moyens de ses ambitions - parmi lesquelles la résorption de la fracture Nord-Sud, l’éradication planétaire des armes de destruction massive et la constitution d’un véritable espace démocratique mondial. Enfin, en tirant les leçons du « laisser-faire » financier de ces vingt dernières années et en établissant de nouvelles régulations financières internationales.

Certes, un tel scénario paraît de la science-fiction face au nouveau désordre international actuel. Mais n’oublions pas que l’ administration Bush n’est pas éternelle et que son pari politique n’ est pas gagné d’avance, que la construction européenne a souvent accouché d’étapes cruciales dans la douleur et, surtout, que l’opinion publique internationale a prouvé, notamment le 15 février 2003, qu’ elle était prête. C’est ce qu’Edgar Morin appelle la « mondialisation des consciences », qui dans le vieux continent ont bien pris soin de largement s’européaniser au passage. Entre un monde régi par la force et un monde régi par la loi, les citoyens du monde semblent avoir choisi. Puissent les gouvernements du monde les entendre et être à leur hauteur.