Retrait des troupes espagnoles d’Irak
Premiers tests
Deux semaines après la tragédie du 11 mars, les Espagnols attendent de leur nouveau gouvernement une rupture claire avec la politique d’Aznar.
Après les "quatre jours de mars" les plus intenses de l’histoire récente de l’Espagne et les grandes manifestations qui ont parcouru la majeure partie des villes, le sentiment de soulagement d’avoir expulsé le Parti populaire (PP) du gouvernement se développe dans l’ensemble du pays malgré la persistance des effets traumatisants de la tragédie du 11 mars à Madrid.
Un sentiment qui pourrait se voir terni si nous ne parvenons pas à éviter que l’attribution de la responsabilité du massacre à un groupe intégriste musulman soit le prétexte à une vague de xénophobie et si la mobilisation citoyenne ne se maintient pas.
La promesse de Zapatero de retirer les troupes espagnoles d’Irak avant juin en l’absence d’un mandat précis de l’ONU est déjà au centre des débats. Promesse qui a provoqué une réaction virulente des "Faucons" étatsuniens qui n’ont pas hésité à la qualifier de "capitulation devant Ben Laden" en menant une contre-offensive diplomatique en règle. L’exigence de respect de cet engagement avec ou sans mandat de l’ONU étaient au centre des manifestations de samedi 20 mars. Premier test donc pour le gouvernement : dans quelle mesure va-t-il répondre aux espoirs de changements affirmés dans ces élections ?
Autre défi important, la reconnaissance de la réalité plurinationale de l’Etat espagnol, notamment la nécessité d’ouvrir une voie au dialogue pour une solution démocratique dans le conflit basque, après les nouvelles dispositions manifestées par ETA. Les scores du Parti nationaliste basque, les progrès réalisés par la gauche républicaine de Catalogne, la représentation d’Izquierda unida et d’autres forces au sein du nouveau Parlement vont contraindre Zapatero à aborder le débat sur l’opportunité d’une réforme constitutionnelle qui permette de répondre aux exigences d’autodétermination et d’autonomie formulées par les différents peuples de l’Etat espagnol. Il lui faudra s’affranchir du poids d’un secteur important de son propre parti, réticent à avancer sur cette voie ; comme des pressions qui lui viendront d’un PP qui continue à disposer d’une représentation institutionnelle et de soutiens médiatiques et économiques importants.
La grande contradiction du nouveau gouvernement réside par dessus tout dans l’impossibilité de concilier ses promesses sur la plan de sa politique sociale, de la lutte contre la "bulle immobilière" et de la défense de la qualité des services publics avec le respect d’une politique économique et fiscale néolibérale, qu’elle soit nationale ou européenne.
La présence probable de Pedro Solves, commissaire européen fanatique du Pacte de stabilité, à la tête du ministère de l’Economie n’augure rien de bon. Nous verrons si les syndicats auront la volonté et la capacité de contraindre à un changement de cap dans les prochaines années.
L’annulation du plan hydrologique antiécologique - lequel avait provoqué les mobilisations populaires de protestation en Aragon et en Catalogne -, celle des lois éducatives qui restaurent le traitement privilégié de la religion dans les écoles et organisent la dégradation de l’enseignement public et le changement dans la politique informative de l’audiovisuel publics seraient les mesures qui pourraient permettre au nouveau gouvernement de gagner quelques marques de confiance d’électeurs qui, dans leur majorité, se sont limités à "prêter" leur vote au PSOE dans le seul but de se libérer d’Aznar et de son parti.
Pour toutes ces raisons, maintenir la mobilisation citoyenne et renforcer une gauche anticapitaliste et alternative est un double objectif auquel la gauche radicale et nationaliste devra s’atteler. Sous peine de se convertir en simple force subalterne du nouveau gouvernement.
De Madrid, Jaime Pastor
traduit par Pauline Terminière
Rouge 2057 25/03/2004