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Pour l’écosocialisme

mardi 10 mars 2009, par Raoul Marc JENNAR

Parmi les participants au processus de création du nouveau parti provisoirement baptisé NPA, certains développent un concept peu connu : l’écosocialisme. De quoi s’agit-il ?

A partir de cette vérité que le capitalisme exploite à la fois les humains et la terre, toute alternative doit concilier la satisfaction des besoins sociaux avec les impératifs écologiques. Aussi, pas plus qu’on ne peut être anticapitaliste sans être écologiste, il n’est pas possible de se dire écologiste et se taire sur le capitalisme. « On ne peut pas comprendre la crise écologique qui se profile à l’horizon – et qui est en même temps une crise de civilisation – sans examiner les conséquences catastrophiques pour la nature de la logique prédatrice et destructrice du capital. De même, on ne peut envisager une alternative radicale à l’accumulation infinie de marchandises qui est au cœur du « productivisme » capitaliste sans discuter du projet socialiste d’une nouvelle civilisation » observent Jean-Marie Harribey et Michael Löwy [1]

Même les marxistes du NPA relisent Marx à l’aune de cette vérité et retrouvent dans Le Capital des phrases comme « Le travail n’est donc pas l’unique source des valeurs d’usage (…), de la richesse matérielle. Il en est le père et la terre, la mère [2] » [2] ou encore « La production capitaliste ne développe donc la technique et le processus de production sociale qu’en épuisant les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur. » [3] Ils font le constat lucide que « La montée de la pensée écologiste n’aurait pas été possible sans le terrible vide théorique et politique qui s’est formé du côté des marxistes (…) ; le retard très important de l’analyse marxiste plonge ses racines dans la lecture uniquement productiviste de Marx et d’Engels qui a été faite pendant des décennies » [4]

Ernest Mandel, militant de la IVe Internationale, avait lui aussi intégré la dimension écologique : « Une lutte efficace contre la pollution, une défense systématique de l’environnement, une recherche constante de produits de substitution aux ressources naturelles rares, une stricte économie dans l’emploi de celles-ci, réclame donc que les décisions d’investissement et de choix des techniques de production soient arrachées aux intérêts privés et transférées à la collectivité qui les opère démocratiquement ». [5]

Intégrer les acquis de l’écologie dans la démarche socialiste, tel est l’objectif poursuivi par les écosocialistes du NPA [6]. Il s’agit donc de concilier besoins sociaux et impératifs écologiques.

Les besoins sociaux ne se limitent pas à des besoins vitaux. Les besoins sociaux répondent aux attentes communes les plus légitimes et constituent en fait des droits collectifs : le droit à l’eau potable, le droit à une alimentation saine et suffisante, le droit à vivre dans un environnement qui ne soit pas nocif, le droit à la santé, le droit au logement, le droit à l’éducation et à la culture, le droit au travail, le droit à la sécurité, le droit aux loisirs, le droit à un minimum d’existence, le droit à un salaire minimum garanti, le droit à une allocation de chômage, le droit à une allocation de retraite, l’accès aux moyens de transport, l’accès à la transmission de messages (poste, téléphone, Internet,…). Certains de ces droits ont été, en tout ou partie, consacrés dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. D’autres ne le sont pas encore. Pratiquement aucun ne l’est dans les textes européens. Tous restent largement théoriques tant leur mise en œuvre est incompatible avec les exigences du capitalisme.

La satisfaction écologique des besoins sociaux réclame une mutation révolutionnaire : passer d’un système économique fondé sur la valeur d’échange à un système basé sur la valeur d’usage. Car, c’est bien le coût collectif de telle pratique ou de tel bien qui n’est jamais pris en compte. Or, il s’agit du coût que paie la majorité de la population pour que puissent prospérer les profits d’une minorité. Quel est le coût d’une économie où l’échange conditionne l’emploi pour celui qui le perd, pour sa famille, pour son environnement social ? Quel est le coût social et humain d’une économie où les règles du marché l’emportent sur les droits des gens ? Quel est le coût social et humain des délocalisations, des fusions-acquisitions, des restructurations ?

La valeur d’usage ne conditionne jamais les choix économiques. Quel est le coût pour la santé des gens et pour la collectivité de l’usage de pesticides, d’organismes génétiquement modifiés, de matériaux comme l’amiante, des cadences de travail dans les ateliers, du stress dans les bureaux, des navettes quotidiennes ? Quel est le coût pour l’ensemble des contribuables et pour l’environnement d’une politique qui favorise la voiture et le camion ? Quel est le coût pour les consommateurs et pour l’environnement, de la fabrication d’appareils d’usage courant (ex : appareils électroménagers) dont l’existence est limitée ? Le système actuel ignore le coût des usages qu’il fait des ressources et des écosystèmes. Il n’y aura pas d’arrêt aux nuisances, à l’exploitation du vivant, à la dégradation de la biodiversité et à l’épuisement des ressources naturelles si on ne donne pas la priorité à la valeur d’usage.

Le capitalisme est un système essentiellement productiviste. Il n’y aura pas de sortie du productivisme sans sortie du capitalisme, car la dynamique du capitalisme pousse à produire pour maximiser les profits.

Aujourd’hui, ceux qui décident de ce qui est produit choisissent ce qui est consommé. Une critique du mode de consommation se réduit à de l’incantation et ne conduit qu’à une impasse si elle n’implique pas une critique du mode de production. Une éthique individuelle de la consommation est nécessaire, certes. Elle n’est pas suffisante. Il n’y aura pas de transformation des modes de consommation sans contrôle de la production.

La satisfaction écologique des besoins sociaux est un objectif qui remet radicalement en cause le système capitaliste. Aucune solution n’est durable si elle se contente d’aménager ce système. Celui-ci ne cherche pas à concilier besoins sociaux et impératifs écologiques. Il n’a cure ni des uns, ni des autres. Il s’efforce de réduire les contraintes que représentent les uns et les autres en faisant le minimum de concessions lorsqu’il y est forcé. En se hâtant de reprendre ce qu’il a été obligé de céder. C’est ce que nous donne à voir la révolution néo-libérale à l’œuvre depuis le milieu des années quatre-vingts par laquelle le capitalisme reprend ce qu’il a dû céder en 1936, en 1945, en 1968. C’est ce qu’on observe avec les entreprises actives dans le secteur de la pollution. Comme l’observait justement Agnès Bertrand, « quand on profite de la pollution d’un côté et de la dépollution de l’autre, on n’a pas intérêt à réduire la pollution ». Aménager le capitalisme n’apporte que des solutions incomplètes, insatisfaisantes et provisoires. Le système capitaliste actuel ne peut réguler, et encore moins surmonter, les crises qu’il a engendrées. [7]

Pour modifier la nature du capitalisme, il faut s’attaquer aux piliers sur lesquels il se fonde : conception absolue du droit de propriété, logique de la rentabilité, du profit et de l’accumulation, trinôme production-consommation-croissance, primat du marché, du libre échange et de la libre concurrence, statut du travail et fonction du salaire, libre exploitation du vivant humain, animal et végétal et des ressources naturelles non renouvelables. Aussi longtemps que les remèdes aux méfaits sociaux et écologiques du capitalisme se limiteront à des dispositions qui ne remettent pas en cause ces piliers, l’exploitation des humains et de la nature continuera d’une manière ou d’une autre.

Pour certains, le socialisme intègre la préoccupation écologique. Or, le socialisme, associé pendant deux siècles au scientisme et au productivisme, ne rend pas automatiquement compte de la dimension écologique. Il s’est appuyé sur un véritable culte du progrès scientifique censé, quasi mécaniquement, contribuer au bonheur de l’humanité. L’écologie n’est pas une catégorie parmi d’autres dans la liste d’objectifs à poursuivre. C’est un concept transversal qui incorpore tous les éléments constitutifs de la planète, y compris les humains. La seule référence au socialisme ne peut donc suffire à intégrer cette dimension globale. Il est préférable, pour signifier la double révolution sociale et écologique, de parler d’écosocialisme.

Raoul Marc JENNAR
Militant antiglobalisation
Participant au processus NPA

JENNAR Raoul Marc