Les pays riches devraient s’entendre sur un moratoire sur la dette des pays ravagés.
Ce geste reporte le problème à plus tard, analyse un partisan de l’annulation.
Outre les montants conséquents d’aide dégagés pour les pays sinistrés aux quatre coins du monde, une autre forme de soutien devrait être décidée tout prochainement : un moratoire sur la dette des pays concernés. L’Allemagne et la France ont été les deux premiers pays à mettre le sujet sur la table. En inaugurant sa présidence du G 8, mardi, Londres s’est prononcé en faveur d’un "moratoire immédiat", alors que les Etats-Unis s’étaient déclarés intéressés par l’idée, sans plus. L’Indonésie a déjà insisté pour que cela se fasse "sans conditions".
"Ce n’est pas suffisant, analyse Eric Toussaint, président du Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde. Il faut à tout prix que les autorités publiques de ces pays puissent dégager des marges financières pour faire face à l’urgence, mais aussi pour réaliser des investissements structurels." Selon lui, une annulation pure et simple serait d’autant moins incongrue que l’on en a déjà décidé pour moins que ça. "Les pays industrialisés ne sont pas prêts à le faire suite à une telle tragédie, mais ils n’hésitent pas à le décider pour raison stratégique." Ce fut le cas, dit-il, pour l’Egypte de Moubarak avant la première guerre du Golfe. Pour la Pologne lorsqu’elle a décidé de quitter le pacte de Varsovie. Ou encore pour le Pakistan avant l’intervention en Afghanistan.
"Sept à neuf fois..."
Mais la voie prise semble bel et bien celle d’un moratoire, même si certaines sources diplomatiques persistent à évoquer l’éventualité d’une annulation partielle. "Dans le cas d’un moratoire, il convient aussi de savoir si l’on gèle les intérêts ou non, s’inquiète Eric Toussaint. Cela doit être dit explicitement !" Faute de quoi, la charge risque d’être plus lourde encore. Or, insiste-t-il, les différents pays concernés ont déjà remboursé "de sept à neuf fois le montant qu’ils devaient au début de la crise de la dette des années 1980". "Pour pouvoir rembourser d’anciennes dettes, ces pays prélèvent des budgets considérables, ajoute-t-il. C’est un cercle vicieux dont il est impossible de se sortir." La Banque mondiale et le Fonds monétaire international, figurant parmi les créanciers importants, en profitent, en outre, pour imposer des politiques d’austérité coercitives.
Parmi les zones ravagées par les tsunamis, l’Indonésie a le plus souffert. Ce pays est -aussi- celui qui avait été le plus affecté par la crise économique ayant affecté l’Asie du Sud-Est en 1997. Sa dette publique extérieure s’élève à 80 milliards de dollars, dont 52 milliards dûs à des créanciers publics et 20 milliards aux organisations internationales. Si l’on ajoute les créances privées, on atteint le chiffre, cité par le FMI, de 130 milliards. L’Inde, pour sa part, est également fort endettée : 85 milliards de dollars dont 50 milliards à des créanciers publics et 31 aux organisations internationales.
Quant au Sri Lanka, sa dette publique extérieure ne s’élève "que" à 8 milliards de dollars. "Mais c’est le pays qui est le plus sous la coupe du FMI et de la Banque mondiale", explique le président belge du Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde. Deux des productions nationales -le riz et le thé- sont menacées par les contraintes imposant une ouverture des marchés. Comme ce fut le cas ailleurs, le pays est fragilisé par les tristement célèbres politiques "d’ajustement structurel".
Club de Paris ? "Prétexte"
Concrètement, la perspective d’un moratoire sur la dette figurera au menu du sommet élargi de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean) à Jakarta, puis de la conférence des pays donateurs avant une réunion du Club de Paris, qui réunit les principaux Etats créanciers dans le monde, le 12 janvier. "C’est un groupe informel dont l’avis n’est absolument pas nécessaire pour décider d’un moratoire sur la dette voire d’une annulation, explique Eric Toussaint. Les Etats qui veulent faire un geste peuvent le décider par eux-mêmes. En outre, la dette irakienne va se retrouver, par volonté américaine, au menu d’un marchandage cynique."
Quant au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale, tous deux ont annoncé une "assistance d’urgence" et une augmentation "très substantielle" de la contribution initiale. "Cela reste de l’aide soumise à des contraintes politiques, conclut Eric Toussaint. Quel que soit le contexte dramatique, ces institutions veulent garder la mainmise."
© La Libre Belgique 2005