1. Le moment actuel de la crise
La crise mondiale continue. Elle est entrée dans sa 4éme année. Sa progression prend la forme de crises financières, crise sur les marchés de biens alimentaires ou de matières premières, crise de la dette publique, notamment en Europe. Son caractère combiné-économique, financière, sociale climatique- est confirmé. Certains, comme Krugman (économiste de la gauche du parti démocrate américain), suggère que cette Troisième Dépression ressemble à la fois à la stagnation qui commença en Europe et aux Etats-Unis dans les années 1870 – il la nomme Longue Dépression - et la stagnation des années 1930 qu’il nomme Grande Dépression. Ainsi, il écrit : « Je crains que nous soyons maintenant dans les premières étapes d’une troisième dépression. Elle ressemblera vraisemblablement plus à la Longue Dépression qu’à la beaucoup plus sévère Grande Dépression. Mais le coût – pour l’économie mondiale, et surtout pour les millions d’existences frappées par l’absence d’emplois – sera pourtant immense ».
Cette phase de « dépression » n’est pas seulement le résultat des crises financières mais celui de l’essoufflement du mode d’accumulation économique et financier des trente dernières années. Il n’y a pas, en Europe et aux USA d’équivalent de la relance de l’économie mondiale dans les années 40-50, et les politiques d’endettement généralisé ne compensent plus les limites de la croissance économique. Les classes dominantes et les gouvernements ont contenu la crise financière de 2008 qui aurait pu ravager l’économie mondiale mais le cout des interventions étatiques pour sauver les banques et la finance mondiale a aggravé la situation économique de chaque région ou pays : après les récessions de 2008 et 2009, les taux de croissance actuels et ceux prévus sur la longue durée sont de faible niveau : 3% en 2011 et 3, 5 % en 2012. Cela se décompose ainsi dans les diverses zones : 1 à 2 % en Europe, 2 à 3 % aux USA, et 6 à 7 % dans les pays dits émergents, dont 8 à 10 % pour la Chine..
Les taux de chômage des principaux pays capitalistes restent élevés, autour de chiffres officiels de 10%, en fait, beaucoup plus. La pauvreté augmente, frappant en particulier les femmes, les jeunes et les populations immigrées. Tous les discours sur la sortie de crise ou sur le fait que le « pire de la crise est derrière nous » ne cache pas l’enfoncement dans la crise et l’absence de relance de l’économie mondiale, notamment aux USA et en Europe. De ce point de vue, nous pourrions dire que la crise est surtout celle du monde occidental et que la Chine, l’Inde, et une série de pays d’Asie et d’Amérique latine ont connu ou connaissent des taux de croissance incontestables, mais ils subissent aussi la contraction du marché et du commerce mondial. Et surtout, ces pays n’ont toujours pas la capacité de relancer l’économie monde, même si les taux de croissance chinoise et indiens restent impressionnants. N’oublions pas que 42 % du PIB chinois relève de ses exportations, et qu’à moyen terme, la solidité de la croissance chinoise va dépendre de ses capacités à construire un marché intérieur, avec nouvelles infrastructures, augmentation de salaires et sécurité sociale. Nous en avons les prémisses mais ce n’est pas encore stabilisé.
La crise prend aussi la forme, notamment dans les pays sous développés ou en voie de développement, d’une explosion des prix des matières premières, affamant les populations. La révolution tunisienne est la combinaison d’une explosion sociale contre une augmentation terrible des prix alimentaires de première nécessité et le rejet de la dictature de Ben Ali. Cette double exigence sociale et démocratique est au cœur de ces mouvements. Ces mouvements contre la vie chère et pour la démocratie peuvent, aujourd’hui, connaitre une propagation dans nombre de pays arabes. Les manifestations en Algérie, en Jordanie, en Egypte ou au Yémen expriment, chacune à leur manière et en tenant compte de leurs spécificités nationales, ce mouvement de fond.
2. Une nouvelle offensive néolibérale
Dans la bataille entre le capital et le travail, la crise est un levier pour les classes dominantes qui l’utilisent pour détruire une série d’acquis et de droits sociaux. Les taux de profits ne pouvant être redressés par une production et une consommation de masse, la concurrence mondiale exigeant de baisser encore le coût du travail en Europe et aux USA, Il faut attaquer, déréguler, privatiser. Cette offensive capitaliste règle les interrogations et questions sur les choix d’un tournant keynésien pour les classes dominantes.
Ce qui est de mise, c’est l’attaque et l’attaque frontale, pas le compromis social : Peu de relance, peu de reconstruction, pas de politique de « demande », démantèlement de l’Etat social, perte de vitesse même de tous les projets de « capitalisme vert ». Après quelques semaines de panique, c’est la financiarisation de l’économie et le pouvoir des marchés financiers qui a repris le dessus. On peut même parler d’une deuxième vague de l’offensive néolibérale après celle des années 80. En tout cas, les destructions sociales menées par le patronat et les gouvernements sont aussi voire plus fortes que dans ces années là. C’est aussi au travers de l’approfondissement de la crise, qu’il faut suivre l’évolution de la situation non seulement dans les centres impérialistes mais aussi dans les pays dits « émergents ».
Cette crise peut ralentir le développement de ces derniers, car elle exige, dans certains cas, de nouveaux plans d’austérité qui frappent les classes populaires. Dés son accession au pouvoir, Dilma Roussef annonce un plan d’austérité pour le Brésil. Cette nouvelle offensive a un caractère global. Nul n’échappe à la globalisation capitaliste, à ses échanges inégaux, à son remodelage de la force de travail, à la remise en cause d’une série de droits sociaux. Celle-ci fait même pression sur les expériences progressistes de ces dernières années en Amérique latine. Les mesures du gouvernement Morales visant à augmenter les prix de l’essence étant, d’une certaine manière, une des conséquences de la pression croissante du marché mondial. Il frappe même au cœur de l’économie cubaine. Quelles seront les conséquences de la « privatisation » de tout un secteur de la force de travail cubaine- prés de 10% du salariat- sur les rapports de forces sociopolitiques à Cuba et en Amérique latine ? Mais, il n’y a pas de fatalité. L’attitude des gouvernements progressistes d’Amérique latine et de la direction cubaine vis-à-vis de la crise, constitue un test clé de l’évolution de ces courants.
Il faut s’attendre à de nouvelles luttes sociales et politiques y compris au sein des « mouvements bolivariens ». Selon leurs rapports au mouvement de masses, telle ou telle option peut dominer. De ce point de vue, les dernières hésitations de Morales en Bolivie, sur l’augmentation des prix de l’essence constitue un exemple des crises qui peuvent se développer dans ces pays. Dans une série de régions du monde, en Afrique ou en Asie, la pression de la crise économique et sociale, les offensives politiques et militaires de l’impérialisme dans une situation d’affaiblissement de l’hégémonie occidentale, l’affaissement ou l’absence d’alternative socialiste ou même nationaliste progressiste, débouchent sur des situations ou se mêlent résistance contre le néocolonialisme, oppositions entre fractions de classes dominantes, lutte entre clans bureaucratiques ou conflits ethniques- c’est le cas de la situation en Cote d’Ivoire, ou religieux. Dans une région comme celle recouvrant le Pakistan et l’Afghanistan, l’opposition aux exactions de l’impérialisme occidental se double d’une montée des forces islamistes réactionnaires qui s’attaquent aux droits des femmes et aux droits démocratiques. Dans cette conjoncture la construction de camps ou fronts qui s’opposent à l’impérialisme mais aussi aux courants religieux réactionnaires islamistes est décisif pour l’avenir.
3. Le Basculement du monde s’accentue
Car la crise accentue les changements de rapports de forces mondiaux avec la poussée des pays émergents, le recul des USA et surtout de l’Europe. Le monde occidental, surtout nord américain conserve sa puissance politique et militaire, il garde sa force économique mais il recule face à la Chine et dans ses rapports avec d’autres puissances montantes. La Chine, est déjà deuxième puissance mondiale. Elle a même conquis une première place dans des secteurs clé, comme la production d’ordinateurs. Sa force militaire et ses dépenses d’arment augmentent considérablement, visant à en faire une puissance de premier ordre, dans les années qui viennent.
La présence de la Chine dans le monde connait une véritable expansion : grands chantiers en Afrique et en Amérique latine ; exploitation à grande échelle des territoires pour la production de matières premières et de produits alimentaires ; achat de la dette des pays « en difficulté » en Europe-Grèce, Portugal et Espagne.
On doit aussi mettre en rapport ce développement avec la croissance des autres pays dits émergents -l’Inde ou le Brésil- et les pays d’Asie et d’Amérique latine sur les quels rejaillissent cette croissance.
Il faut, dans ce cadre, que les camarades d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique fassent le point sur la situation dans leur région. On ne peut par exemple séparer le bilan du « Lulisme » de la nouvelle place du Brésil dans le monde, de ses capacités à développer les marchés financiers mais aussi sa politique d’assistanat qui a obtenu des résultats. Dans ce nouvel équilibre mondial, les USA déclinent mais garde leur puissance politico-militaire, leur énorme marché et « leur dollar » : C’est l’Europe qui recule .Certains parlent même de la crise de l’eurocentrisme qui dominait le monde depuis 1492-date de découverte de l’Amérique-. Un des éléments marquants, de la période historique actuelle, et de la crise, c’est l’affaiblissement structurel de l’Europe.
4. La crise en Europe
Malgré sa puissance économique, sociale, technologique et ses richesses accumulées, l’Europe est le maillon faible de la globalisation capitaliste, dans le sens où elle est prise en tenaille entre les USA et la montée des pays émergents. L’achat d’une partie des dettes publiques grecques, portugaises et espagnoles par la Chine est, effectivement, plus que symboliques. Dans la compétition mondiale actuelle, les classes dominantes en Europe, sont convaincues que « le modèle social européen » est un handicap majeur dans la concurrence avec les USA et la Chine. Il faut détruire acquis et conquêtes sociales obtenues ces dernières décennies .De plus, du point de vue conjoncturel, la crise bancaire continue mais elle est passée des banques aux Etats avec une crise de la dette publique qui résulte de décennies de politiques fiscales inégalitaires et de la prise en charge publique de la crise financière et bancaire.
Le déficit public est passé de 2 à 6, 5 % dans la zone Euro, et de 2, 8 à 11% aux USA. Les dettes publiques ente 2008 et 2009 sont passées de 69, 4 à 78, 7 % du PIB dans la zone euro et de 62 à 83 %, de 2007 à 2009 aux USA. Les Etats sont, maintenant en première ligne de la crise, et il est intéressant de voir les différences entre les USA et L’Europe pour répondre à la crise : relance monétaire et budgétaire aux USA avec le rachat de bons du trésor-cela représente 600 milliards de dollars injectés dans l’économie américaine – c’est le « quantitative easing » de la FED qui n’est qu’une manière particulière de faire fonctionner la « planche à billets »- mais politiques d’austérité récessives en Europe qui étouffent toute reprise de la croissance. Cette différence tient au rôle que continue à avoir le dollar comme « monnaie du monde », à la différence de l’Euro. Elle exprime aussi les positions des uns et des autres dans les rapports de forces globaux à l’échelle mondiale. Indiquons seulement, aucune de ces politiques n’arrivent à relancer la machine capitaliste.
Il faut ajouter que la spécificité de crise en Europe résulte du type de construction de l’Union européenne : une entité dominée par les marchés, au contenu politique inachevé, sans démocratie, sans participation populaire, sans unité politique et économique. Cette construction loin de protéger contre la crise est la base de nouvelles tensions et contradictions entre Etats européens. La construction néolibérale loin de coordonner les politiques économiques poussent « les dynamiques divergentes » de l’ économie européenne, divergences entre les dynamiques industrielles (Allemagne ) et financières (anglaises), entre groupes économiques et financiers allemands, français, anglais, entre économies hautement développées –ex marché commun- et moyennement développées –sud et est de l’Europe-.
L’Euro recouvre effectivement des pays au niveau de développement et de productivité différents. Et loin de constituer un instrument pour une coordination économique de la dite « zone euro », il sert aujourd’hui d’instrument pour discipliner les économies et les peuples au service des plus forts. Ce qui conduit à des tensions entre l’Allemagne ou les pays à modèle proche et les autres, avec une pression devenue insoutenable pour l’Espagne, le Portugal, la Grèce. A cette étape, les gouvernements de la zone euro ont crée des mécanismes d’assistance en contrepartie de réformes structurelles néo libérales radicales, notamment avec la création d’un « fonds européen de stabilisation » en 2013 pour les pays en difficultés, fond de 750 milliards. Cela suffira t-il à soutenir les dettes des pays les plus en difficultés ? Déjà nombre d’entreprises, de marchés financiers, de fonds de pension, parient sur l’incapacité des pays du Sud de l’Europe à tenir le coup face à une nouvelle offensive spéculative des marchés financiers.
La concurrence entre les économies de la zone euro conjuguée à l’absence de politiques communes économiques, industrielles fiscales, sociales sera t- elle contenue ou n’aggravera-t elle pas la crise ? Ces tensions se traduisent notamment sur le plan monétaire, mais derrière la monnaie, il ya la volonté des classes dominantes et des marchés financiers à faire payer la crise aux peuples et aux travailleurs.
5. La guerre sociale en Europe
Du coup, c’est une véritable « guerre sociale » qui est à l’œuvre aujourd’hui en Europe : gel voire baisse nominale des salaires des fonctionnaires, réduction drastique des budgets sociaux et publiques, destruction de pans entiers de l’Etat social, allongement de la durée du travail -réformes des retraites, remises en cause des 35 heures- , suppression de millions de postes de fonctionnaires, attaques et privatisations de la sécurité sociale, de la santé, des écoles –explosion des frais d’inscription en GB-.
Dernier exemple en date de ces attaques, c’est le référendum à l’usine de FIAT Mirafiori à Turin, où les résultats d’approbation des propositions de la direction ouvrent la voie à la liquidation des conventions collectives, non seulement dans la métallurgie mais dans tous les secteurs et branches professionnelles. Les conventions collectives nationales de branches ou secteurs sont totalement remises en cause. Elles s’effacent devant le contrat de travail « négocié » entre le salarié et le patron d’entreprise. La politique de la direction de la FIAT impose aussi l’aggravation des conditions de travail : équipes, travail de nuit, chasse à l’absentéisme, gel des salaires… La direction de Fiat annonce clairement qu’elle ne négociera pas avec les syndicats qui refusent de se soumettre : c’est la fin annoncée du recours à l’idéologie du « dialogue social ».
Ce type d’attaques tend à se généraliser dans toute l’Europe. Combiné à la politiques de lutte contre les déficits, il aggravent non seulement les conditions de travail et de vie de millions de gens mais il limite de plus en plus la demande finale, avec pour conséquence de corseter la croissance et de provoquer de nouvelles récessions. Ce n’est pas le nième plan d’austérité, l’objectif est de réduire dans les années qui viennent le pouvoir d’achat des salariés, de 15 à 20 %. Le démantèlement de l’Etat providence ou de ce qui reste va connaitre un coup d’accélérateur sans précédent.
6. La droite en Europe
La différence de cette offensive, liée à la crise historique et systémique que connait le capitalisme, avec celle des années 80, ce sont les conséquences déstabilisatrices pour l’ensemble du système, de ses classes dominantes, de ses partis, de ses institutions. Tous les partis dominants mais mêmes les autres sont déstabilisés par les décennies de contre réformes néolibérales et la crise du système. Les crises de représentation politiques, la crise historique du socialisme, les phénomènes d’abstention populaire, le sentiment de corruption des élites politiques : tout cela concourt à nourrir la crise générale de la politique.
A droite, les contre réformes sociales néolibérales sapent les bases sociales des partis traditionnels, du coup, ces derniers recherchent cette base en déployant des politiques autoritaires, racistes, populistes, s’attaquant aux immigrés, aux « roms », aux musulmans. Elles accentuent leurs cours réactionnaires comme le parti républicain aux USA. Des tendances au « bonapartisme people » avec Sarkozy ou Berlusconi traduisent une instabilité certaine. Des mouvements populistes ou néo fascistes gagnent du terrain, en Suède, aux Pays bas, en France, en Hongrie. Dans toutes les dernières élections en Europe, la droite et l’extrême droite augmentent leurs scores électoraux.
7. La sociale démocratie confirme son évolution sociale libérale
A gauche, la crise n’a pas provoqué de « sursaut keynésien ». La présence d’un président socialiste à la tête du FMI exprime le degré d’intégration de la sociale démocratie dans les institutions de la globalisation capitaliste. Différence avec les années 30, il n’ ya pas de tournant à gauche de la social démocratie. Le choix social libéral est confirmé. Les politiques de Papandréou, Zapatero, Socratès le démontrent. Les grandes orientations du PSE, au niveau européen, les confortent et montrent qu’au-delà des positionnements tactiques de chaque PS dans l’opposition contre la droite, la social-démocratie s’est bien transmutée en social-libéralisme.
Même s’il y a des différences entre la gauche et la droite, la sociale démocratie, relayée par l’évolution des appareils syndicaux, a délibérément choisi l’adaptation aux modes dominants de la gestion de la crise. Il faut aussi noter l’évolution des grandes formations vertes ou écologistes sur des orientations de plus en plus marquées par le centre gauche.
8. Les résistances sociales et les limites dans leur traduction politique
L’élément le plus notable de ces derniers mois, ce sont les luttes de résistances aux plans d’austérité. Les journées de grèves générales se sont succédé en Grèce, au Portugal, en Espagne, en France. En France, près de 3 millions de personnes ont manifesté et participé à des mouvements de grève huit fois en deux mois… les grèves espagnoles et portugaises ont une ampleur historique. Une de nos tâches est d’ailleurs d’analyser les formes, le contenu et la dynamique de ses conflits. En Grande Bretagne et en Italie, les manifestations étudiantes montrent le degré d’explosivité des luttes sociales. En Allemagne des mobilisations écologistes et citoyennes impressionnantes ont eu lieu contre le nucléaire. La crise va continuer. Les attaques vont redoubler.
Il y aura luttes, résistances, et explosions sociales, qui vont aussi se répéter, selon les particularités nationales. Au cœur de ces mouvements sociaux, il y a la défense d’acquis sociaux- emploi, sécurité sociale, retraites, salaires, services publics- qui sont frontalement remis en cause mais aussi des dynamiques politiques anti-gouvernementales stimulées par la pratique, le style, l’arrogance gouvernementales ou des chefs de la droite. L’accumulation de ces expériences, le degré de combinaison entre crise sociale et crise politique, le niveau d’auto-organisation des luttes peuvent constituer des points tournant de la situation.
S’il y a une nouvelle situation sociale en Europe où la révolte des peuples gronde. Il faut aussi enregistrer deux faits politiques majeurs :
a. Les luttes, même les plus massives, ne débouchent pas à cette étape sur des reculs partiels des classes dominantes ou des victoires pour les travailleurs et leurs organisations. Nous n’arrivons pas à bloquer l’offensive capitaliste et encore moins à inverser la tendance. Ce que nous pouvons constater, c’est que, si la contre réforme libérale continue à marquer des points, les travailleurs qui ont fait les grèves et manifestations en Grèce, en France, au Portugal, en Espagne, les étudiants qui ont manifesté en Grande Bretagne, n’ont pas le sentiment d’avoir enregistré de défaites majeures. Ils sentent confusément qu’il y aura d’autres batailles.
b. Le deuxième fait politique, à souligner, c’est, dans les pays où il y a lutte sociale d’une certaine ampleur, le décalage existant, entre la combativité sociale et sa traduction politique. Il faut considérer les spécificités de la situation dans chaque pays. Dans certains pays le niveau de lutte social est faible. Mais dans les pays où il y a mobilisation sociale, il n y a pas l’équivalent sur le plan de la force syndicale et politique : Il n’y a pas de croissance organique des syndicats, des partis, de courants de gauche dans les mouvements sociaux. Combien de membres, d’adhérents ? Il peut y avoir ici et là des mouvements d’adhésion vers les syndicats ou les partis de gauche mais il y a, par exemple, une différence entre les années 30 et la situation actuelle.Dans les années 30 la crise et les résistances sociales provoquaient, par exemple, la croissance en centaines de milliers de membres, des syndicats, des PS, des PC, des mouvements à gauche dans la social-démocratie ou de courants révolutionnaires extérieures à la gauche traditionnelle. L’évolution social libérale rend de plus en plus « imperméable » les partis socialistes aux montées de la lutte de classes.
Mais nous n’avons pas non plus de croissance massive qualitative des syndicats. Nous aurions pu, alors, attendre le développement des courants ou partis à l’extérieur des organisations de la gauche traditionnelle. Nous n’enregistrons pas, à cette étape, de progression notable. Aujourd’hui, en France, après une mobilisation sociale exceptionnelle… on aurait pu s’attendre à ce que le PS présente pour la prochaine élection une candidate ou un candidat à « l’allure » plus social-démocrate. Eh bien, non, le candidat du PS à l’élection présidentielle de 2012 risque d’être Strauss–Kahn, président du FMI, un des représentants les plus à droite de la social démocratie internationale !!!
On peut être prudent en disant que nous sommes au début de la crise, que la durée de la crise provoquera des mouvements combinés de crise sociale et politique, des événements qui bloqueront tel ou tel plan d’austérité, qui permettront des victoires partielles, et pourront inverser les tendances lourdes de la situation… Mais pour le moment, les obstacles qu’il faut surmonter pour gagner restent difficilement franchissables.
Les effets de la crise historique du mouvement ouvrier du siècle dernier se font toujours sentir. La construction d’une conscience socialiste révolutionnaire a besoin de nouvelles expériences pour s’affirmer. Force est de constater que le niveau des luttes actuelles, même, si il augmente, en réaction aux attaques des classes dominantes et des gouvernants, n’a pas de dynamique politique suffisamment forte pour inverser les décennies de contre réformes libérales et créer les bases d’une contre offensive globale et d’un nouveau projet socialiste révolutionnaire. Du coup, les processus de construction de partis de la gauche radicale ou de partis anticapitalistes, en Europe, rencontrent une série de difficultés.
9. Eléments de discussion sur nos tâches.
Dans ces conditions quelles sont nos tâches La réponse dépend du diagnostic que l’on porte sur la crise qui a éclaté en 2007 ? S’agit-il d’une péripétie financière analogue à toutes celles que le capitalisme a connues dans le passé, suivies de récessions temporaires ? Ou bien s’agit-il d’une crise systémique à deux niveaux : une crise systémique parce que le régime d’accumulation financière développé depuis plus une bonne trentaine d’années est à bout de souffle, et une crise systémique parce que le capitalisme mondial rencontre une limite liée à la finitude de la planète et des ressources naturelles. Si on retient la seconde hypothèse, on ne peut se contenter de politiques de relance par la demande et par plus de régulation dans le système financier, il faut une réorganisation radicale de l’économie tournée vers les besoins sociaux , une reconversion écologique de l’industrie et de l’agriculture, des services publics non marchands de qualité, bref il faut une rupture avec la logique capitaliste, la propriété privée du capital et le système actuel de distribution des richesses.
Il faut donc un plan qui conjugue revendications immédiates et anticapitalistes contre la crise. Ce ne sont pas les travailleurs qui doivent payer la crise mais les capitalistes : défense des acquis, des revendications, des droits sociaux, taxation des transactions financières, annulation des dettes publiques. Ce plan peut être financé en s’attaquant aux profits bancaires, financiers et à ceux des grands groupes capitalistes. Ce programme doit s’accompagner de la « collectivisation-socialisation » de tout le système bancaire à l’échelle européenne sous le contrôle des usagers. Ce qui veut dire au travers de la nationalisation ou socialisation publique du secteur bancaire, poser la question de l’incursion dans la propriété du capital. Cette question de la propriété doit être aussi posée au travers de la lutte contre les privatisations et la création de grands secteurs publics sous contrôle des travailleurs et des usagers dans les secteurs clé de l’économie. Elle est aussi posée au travers de la question écologique et de la nécessaire réorganisation et planification écologique sur le moyen et long terme. La dimension écologique, prend une place de plus en plus importante, d’autant que l’actualité est marquée par des catastrophes naturelles qui se succèdent aux quatre coins de la planète, et ce à des rythmes de plus en plus fréquents : inondations, chaos climatiques, glissements de terrains doit prendre une place de plus en plus importante dans notre activité. Toutes les propositions de réorganisations sociales et écologiques de la production, réorganisation de l’espace urbain, des transports, de l’énergie au service des besoins des travailleurs et des peuples doivent être soulignées dans notre agitation.
En Europe, ce plan doit avoir une dimension continentale. La réponse à la crise n’est pas le protectionnisme nationaliste et la sortie de l’Euro. Cela conduirait à une concurrence exacerbée entre pays d’Europe et à de nouvelles attaques contre les peuples pour que les pays les plus en difficultés tiennent le coup, sans compter le développement de mouvements chauvins et xénophobes. Il faut donc une réponse européenne, sociale, démocratique et écologiste, mais une réponse européenne qui rompt avec les politiques et institutions européennes. Dans ce sens, sauver l’Euro ou l’Union Européenne ne peut servir d’alibi pour redoubler d’attaques et de plans d’austérité contre les peuples. Notre réponse doit partir de la défense des droits et des revendications des travailleurs et des peuples dans chaque pays et au niveau de l’Europe. Cela passe par le refus de toute politique d’austérité. Il faut ensuite, une coordinations des politiques et des luttes des peuples en Europe pour construire une réponse européenne, internationaliste qui donne la priorité à l’harmonisation de ces droits sociaux par le haut, à la coordination et à la coopération pour aider les peuples les plus frappés par la crise, à une politique qui fassent payer les capitalistes et les banquiers au travers d’une politique fiscale et sociale au profit des peuples, à de grands services publics européens et notamment bancaire.
Dans un plan d’action anticapitaliste, la question des droits et revendications démocratiques revêt un caractère important, notamment dans la défense des libertés démocratiques et la défense des immigrés et des sans papiers. Dans les pays confrontés à des dictatures, cela doit conduire, notamment dans le cadre des mouvements de fond ou révolutions démocratiques qui secouent le monde arabe, à combiner revendications sociales, auto-organisation et revendications démocratiques. En Tunisie, nous soutenons les exigences démocratiques, de démantèlement de la dictature et de toutes ses institutions, de dissolution du RCD et de tous les appareils de répression, le rejet du gouvernement ghannouchi, la formation d’un gouvernement provisoire sans représentant du régime, et des élections libres à une assemblée constituante. La lutte conte la vie chère, pour les besoins vitaux de la population comme l’expropriation des propriétés du clan Ben Ali peuvent conduire à combiner pratiquement question sociale et démocratique et à poser le contrôle de ces administrations ou entreprises par l’autoorganisation populaire. En même temps, les anticapitalistes doivent appuyer, organiser et coordonner les embryons d’auto-organisation en cours dans la lutte contre la vie chère et la protection de la population.
Ces objectifs ne peuvent être atteints que par la mobilisation sociale et politique des millions de travailleurs et de citoyens et une confrontation avec les classes dominantes et les gouvernements.
Plus généralement, notre orientation doit stimuler et orienter les mobilisations doit en combinant, luttes sociales, syndicales, écologistes, unité d’action sociale, syndicale et politique de toutes les forces de gauche, proposition et animation d’expériences d’auto-organisation sociale. Nous devons appuyer toutes les propositions de campagnes européennes sur l’annulation de la dette ou sur l’emploi au travers de coordination d’association et de syndicats.
Sur le plan politique, les batailles unitaires doivent s’accompagner de la recherche systématique de l’indépendance vis-à-vis de la social-démocratie, notamment au travers des politiques électorales dans les grandes villes, régions, parlement et gouvernement. La crise confirme le caractère indispensable d’une alternative politique globale au social libéralisme et aux partis de la gauche traditionnelle. Enfin, il faut favoriser l’unité et alliances anticapitalistes en favorisant toutes les initiatives de coordination anticapitalistes au niveau des secteurs, luttes ou partis.