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Mai rampant

Laurent Carasso.

dimanche 25 mai 2003

La manoeuvre a fait chou-blanc. La caution apportée au plan Fillon par Chérèque, 48 heures après la grève massive du 13 mai, n’a pas entamé la détermination des secteurs mobilisés ni empêché l’extension par en bas des mouvements de grève.

Ces derniers jours, au contraire, un tournant s’est produit dans le mouvement. Chaotique, rampante, la grève s’étend à travers le pays, malgré les manoeuvres syndicales, malgré les difficultés à ce que d’autres secteurs prennent nationalement le relais des enseignants.

Dans les transports, à La Poste et à France Télécom, les grèves démarrées au lendemain du 13 mai ont dû être suspendues, la CGT s’opposant le plus souvent à la reconduction. Mais la généralisation du mouvement dans les écoles a donné un nouveau souffle au mouvement et des centres des Finances, des hôpitaux, des agents de collectivités territoriales sont venus renforcer la grève reconductible. La grève de l’Education nationale vertèbre et dynamise le mouvement dans les régions. Le 19 mai a vu la grande majorité des lycées et collèges en grève et des manifestations dans tout le pays, d’une radicalité et d’une détermination sans faille. Celles du 22 et du 25 mai promettent d’être du même tonneau.

La mobilisation contre la loi Fillon défie désormais le gouvernement et se répand dans la fonction publique, renversant le climat parmi toute la population. Souvent ce sont les institutrices et professeurs des écoles qui stimulent cette lame de fond par les réunions qu’ils organisent avec les parents d’élèves, eux-mêmes salariés du public, du privé ou chômeurs, mais toujours concernés au premier chef par les attaques de la décentralisation et des retraites. De ce mouvement en extension témoignent aussi les liens interprofessionnels tissés localement, à Clermont-Ferrand (voir p. 5), à Marseille ou à Rouen (voir p. 4) où s’est mise sur pied une assemblée générale interprofessionnelle rassemblant secteurs en grève et équipes mobilisées dans les entreprises du privé.

Aujourd’hui c’est par en bas que se tisse la grève reconductible, la construction d’un mouvement de mobilisation prolongée pour le retrait de la loi Fillon, et c’est sur le dynamisme, l’esprit d’unité d’équipes locales, sur la mobilisation et la radicalisation de nombreux secteurs professionnels que se construisent l’unité syndicale et le lien entre le public et le privé. Ce mouvement avance par vagues, car spectaculairement, en dehors de l’Education nationale, il n’a pas de direction pour le construire. Les équipes CFDT en lutte agissent désormais contre l’avis de leur direction, la CGT est massivement présente dans la rue, mais elle s’est le plus souvent opposée au départ ou au maintien des grèves reconductibles dans des secteurs.

Ces avancées, ces reculs n’empêchent pas pour l’instant une extension dont les directions confédérales ne voulaient pas mais qui est en train de jouer un rôle politique de premier plan dans le pays. Le plan Fillon semblait inéluctable. Il est aujourd’hui remis en cause directement par la rue et par la grève. Même le Parti socialiste, qui s’était rallié jusque-là à la réforme libérale des retraites et à l’allongement du temps de cotisation, vient d’annoncer qu’il se prononçait pour le retrait du plan. Qu’importe la duplicité de langage, le PS indique le sens du vent et, aujourd’hui, celui-ci souffle avec force contre la réforme libérale des retraites.
L’alternative à ce plan s’affirme et se renforce, elle aussi, jour après jour. Nous sommes face à un choix de société qui touche les retraites comme il va toucher demain la réforme de la Sécurité sociale. La contre-réforme libérale veut démanteler les systèmes de redistribution et de répartition, amputant les revenus des actifs et des retraités, contraignant le recours à l’assurance privée pour les plus riches. L’alternative sociale est bien sûr que les salariés défendent des acquis sociaux vieux de 50 ans et empêchent le patronat de procéder à de nouvelles ponctions sur les richesses produites, ponctions qui iraient engraisser les actionnaires et les marchés financiers. Le défi est évidemment de construire le rapport de forces capable d’imposer ces choix face au gouvernement et au Medef.
Dans le mouvement actuel, des centaines de milliers de grévistes et de manifestants portent haut et fort une réponse sociale et politique. Ceux qui, de tous bords, avaient assimilé le 21 avril 2002 avec un virage à droite de la société en sont pour leurs frais. Quelle qu’en soit l’issue, ce mouvement pose la nécessité de construire une force politique qui soit à la hauteur des combats sociaux nécessaires face à la vague capitaliste libérale.

Les jours qui viennent vont à nouveau être déterminants pour le mouvement. Le 24 et le 25 mai, des centaines de milliers de personnes vont manifester à nouveau l’exigence du retrait du plan Fillon. La mobilisation dépasse à l’évidence les moyens matériels prévus par les syndicats pour la montée à Paris, et de nombreuses manifestations auront lieu dans les villes et les régions ce week-end.
La généralisation de la grève dans une cinquantaine d’hôpitaux (voir pages semaine) peut dans les jours qui viennent marquer un renforcement de la grève reconductible, posant, avec celle des retraites, la question non résolue des conditions de travail, des effectifs et des moyens largement insuffisants.

A la SNCF et à la RATP, un appel à la grève reconductible est désormais fixé pour le 3 juin. Il arrive certes tard pour des secteurs en grève depuis de longues semaines. Mais il va être un encouragement pour tenir et va stimuler ceux qui luttent pour élargir la grève reconductible, pour que les salariés du secteur privé qui seront présents dans la rue le 25 mai le soient aussi dans la grève.

Malgré toutes les embûches mises sur sa route, la grève reconductible peut se développer, s’élargir dans les jours qui viennent et nous pouvons créer le rapport de forces qui fera plier Raffarin.