Notre relation avec l’environnement naturel dont nous faisons partie est médiatisée par le travail social et par l’outil qui prolonge notre main. Il en découle que nous prélevons dans l’environnement des ressources, notamment des ressources énergétiques, qui sont proportionnellement supérieures à ce que prélèvent les autres espèces animales : nous prélevons des ressources non seulement pour nous alimenter mais aussi pour fabriquer des outils, des vêtements, des logements, des moyens de transport, etc. De plus, la société humaine ne se reproduit pas à l’identique, elle se développe : les outils, les techniques, les systèmes changent et la connaissance du monde évolue. « Chaque génération se hisse sur les épaules de la précédente ». Il y a donc un impact environnemental de l’espèce humaine qui tient à notre nature en tant qu’espèce et qui est lié au développement social. Se lamenter à ce propos n’a aucun sens, sauf pour les misanthropes.
Humanité, capitalisme et nature
Plutôt que de se lamenter, il s’agit d’assumer la responsabilité qui est la nôtre : celle d’une espèce qui transforme la nature et qui, si elle en détraque les mécanismes, peut mettre en danger sa propre survie. Nous n’en sommes pas à ce point-là, mais nous sommes en train de causer de très grandes catastrophes, dont des centaines de millions, voire des milliards de gens pourraient être victimes. Je dis « nous » mais, en réalité, le responsable de cette situation sans précédent est en dernière instance le mode de production capitaliste.
Ici, il faut souligner le fait que l’impact environnemental d’Homo sapiens n’est pas le même quelles que soient les sociétés. En étudiant l’histoire de l’environnement on constate que chaque mode de production a entraîné un type d’impact particulier. On constate aussi, et c’est très important, que le passage à un mode de production plus développé, permettant de nourrir plus de gens dans de meilleures conditions - en d’autres termes le « progrès » - ne va pas nécessairement de pair avec une dégradation de l’environnement. A partir d’un certain niveau de population, par exemple, les sociétés basées sur la chasse ont causé beaucoup de dégâts, de sorte que le passage à l’agriculture a probablement permis une certaine amélioration. Il n’y a pas une équation fatale du genre : plus de progrès = plus d’êtres humains = plus de destructions écologiques.
La relation humanité-nature est complexe et socialement déterminée
Le capitalisme a introduit, dans la relation entre l’humanité et la nature, un changement quantitatif évident (du fait de la dynamique d’accumulation) mais aussi un changement qualitatif qui est moins bien connu. Dans les modes de production antérieurs, à un certain stade de développement, la surpopulation relative favorisait une hausse de la productivité du travail. Parce qu’il y avait plus de bouches à nourrir, on commençait par défricher plus de forêt, puis les limites des solutions extensives stimulaient l’invention de pratiques intensives permettant de produire plus à l’hectare. La peur de la pénurie, la peur de la famine, la peur d’une surpopulation relative aiguillonnaient la hausse de la productivité du travail. Les conséquences pour l’environnement, on l’a vu, n’étaient pas toujours négatives, elles ont aussi pu être positives dans certains cas.
Avec le capitalisme, toutefois, la relation change : ce n’est plus la surpopulation relative qui entraîne l’intensification de l’agriculture, c’est l’intensification de l’agriculture qui provoque la surpopulation relative. Il y a aujourd’hui environ 830 millions d’êtres humains souffrant de famine chronique. L’immense majorité sont des ruraux, parfaitement capables de produire eux-mêmes de quoi nourrir leur famille et qui ne demandent que ça. Ils en sont empêchés parce qu’ils n’ont pas accès à la terre (problème de la réforme agraire dans les pays du Sud), et surtout parce qu’ils sont écrasés par la concurrence de l’agrobusiness. Entre un petit paysan du Sud qui ne dispose pas d’une bête de trait, n’emploie pas d’engrais et travaille avec des outils rudimentaires, d’une part, et l’agrobusiness, d’autre part, l’écart de productivité est de 1 à 300, voire de 1 à 500. Si vous libéralisez le marché, si vous mettez en concurrence ces deux types de producteurs, comme le veut l’OMC, il n’y a pas photo : ceux du Sud font faillite. La grande majorité des 830 millions d’êtres humains qui souffrent aujourd’hui de famine sont des victimes de cette intensification de l’agriculture capitaliste. En même temps, celle-ci est une des causes majeures de la dégradation de l’environnement, de l’empoisonnement par les nitrates et par les pesticides, et du déclin de la biodiversité.
Le malthusianisme à la sauce verte
Cet exemple montre bien la spécificité du lien entre la dégradation environnementale, la crise sociale et la surpopulation relative dans le capitalisme. C’est un point de départ fondamental dans la discussion sur le changement climatique. On est en effet confronté à un discours médiatique dominant qui répète à longueur de journée que le changement climatique est dû à « l’activité humaine ». Ce discours instille l’idée que nous sommes tous également responsables et que le problème, à la limite, c’est l’espèce humaine elle-même. Cela ouvre ou entrouvre la porte aux malthusiens et aux néo-malthusiens de tout poil. Malthus prétendait que la surpopulation - et non l’exploitation - était la cause de la pauvreté, qu’il ne fallait donc pas aider les pauvres, sans quoi ils auraient encore plus d’enfants et seraient encore plus pauvres. Le même genre de raisonnement abject est repris aujourd’hui par des gens qui expliquent que la surpopulation - et non la course au profit - est la cause du massacre de l’environnement, notamment du réchauffement. Le discours est emballé dans des considérations plus ou moins savantes sur la « capacité de charge de la Terre », voire sur « l’empreinte écologique », etc., mais la conclusion est la même que celle de Malthus : n’aidons pas les pauvres.
Ces néo-malthusiens sont plus nombreux qu’on le croit, et ils marquent des points chez les environnementalistes. Un exemple est l’auteur américain à succès Jared Diamond. Son best seller « Collapse » ("L’effondrement" en français) est entièrement construit autour des thèses néo-malthusiennes, très habilement mises à la sauce écologique. Or, Diamond est membre de la direction du WWF. Il est frappant de constater à quel point des écologistes sincères se laissent abuser par son discours. Dans notre pays, « Collapse » a servi de base à la lettre ouverte que les associations environnementales francophones ont adressée aux candidats lors des élections de juin 2007. Des dizaines de milliers de gens ont signé cette lettre, sans se rendre compte que sa radicalité apparente renvoyait à des positions potentiellement très dangereuses. Même des gens de gauche, des militants marxistes, y compris dans notre courant, ont cru voir dans « Collapse » une sorte de critique écologique radicale du capitalisme. Il faut être extrêmement vigilants sur ces questions et ne pas partir de l’a priori que tous ceux qui parlent de catastrophe écologique sont d’emblée du même côté que nous.
Révolution industrielle et choix technologiques capitalistes
Le changement climatique actuel n’est pas le résultat de l’activité humaine en général, et encore moins le résultat de la surpopulation. C’est un résultat de l’activité humaine capitaliste. C’est un produit du mode de production capitaliste, de sa dynamique d’accumulation illimitée, du système énergétique qui sous-tend cette dynamique et de la forme particulière que le capitalisme a donnée à l’impact de l’humanité sur la nature. Il est aisé de le démontrer.
Le changement climatique que nous connaissons est dû principalement à l’accumulation dans l’atmosphère de carbone d’origine fossile, c’est-à-dire de carbone provenant de la combustion du pétrole, du charbon ou du gaz naturel. En extrayant ces combustibles des profondeurs géologiques où ils étaient stockés et en les brûlant, on injecte dans l’atmosphère des quantités de carbone qui dépassent les capacités d’absorption par les écosystèmes. Le surplus s’accumule, ce qui réduit le rayonnement thermique de la Terre vers l’espace. Aujourd’hui, il y a saturation du cycle du carbone entre l’atmosphère et les écosystèmes. Ce mécanisme est la cause principale de l’augmentation de l’effet de serre, et par conséquent du changement climatique. Il y a donc un lien évident entre le réchauffement et la Révolution industrielle, puisque celle-ci reposait précisément sur l’utilisation du charbon comme source d’énergie.
Faut-il regretter dès lors que la Révolution industrielle ait eu lieu ?
Contrairement aux romantiques, nous ne posons pas la question en ces termes. A la suite de Marx et Engels, nous considérons que le développement des forces productives offrait des possibilités de progrès qui étaient contrecarrées et imprégnées par les rapports de production capitalistes et par la technologie capitaliste, de sorte que le progrès, parce que capitaliste, portait en lui sa propre négation. Faut-il aujourd’hui, du fait du changement climatique, conclure que les romantiques avaient raison ? Non parce que, assez vite après son décollage grâce au charbon, le capitalisme, pour des raisons de profit, a commencé à faire des choix technologiques qui, en se multipliant au fil du temps, l’ont enchaîné à l’usage des combustibles fossiles. En cours de route, d’autres solutions ont été écartées. Si elles avaient été mises en oeuvre, le développement économique aurait pu ne pas entraîner le changement climatique.
Vous avez entendu parler de l’effet photovoltaïque : lorsque la lumière touche certains matériaux, qu’on appelle semi-conducteurs, un électron commence à se balader, ce qui permet de générer un courant électrique. Cette découverte a été faite en 1839 par le physicien français Edmond Becquerel. Depuis bientôt deux siècles, aucun responsable capitaliste ne s’est dit qu’il y avait là, peut-être, un moyen d’assurer à tout jamais l’approvisionnement énergétique de l’humanité. Le photovoltaïque (PV) n’a jamais été une priorité pour les budgets de Recherche et Développement. Il a été mis dans un tiroir. On n’a commencé à s’y intéresser que lorsque la NASA a lancé son programme spatial. Depuis lors, de grands progrès ont été faits : l’efficience de la conversion en électricité par les cellules PV est passée de 5% à 17%. Pourtant, bien que le PV soit l’alternative par excellence aux énergies fossiles, son développement n’est toujours pas une priorité : au cours des 30 dernières années, il n’a bénéficié que de 2% des budgets de recherche des pays membres de l’AIE. Pourquoi ? Parce qu’il est beaucoup moins cher de brûler du charbon, du gaz naturel ou du pétrole. Parce que le nucléaire (50% des budgets de recherche !) cadre mieux avec l’illusion capitaliste d’une croissance illimitée, donc d’une énergie illimitée. Et parce que les combustibles fossiles et l’uranium constituent des énergies de stock : les capitalistes peuvent donc se les approprier et avoir une sorte de monopole sur la ressource. Or, ceux qui ont le monopole sur une ressource naturelle peuvent percevoir non seulement le profit moyen mais en plus un surprofit, ce qu’on appelle la rente (dans ce cas on parle de rente pétrolière ou charbonnière).
La course au profit et au surprofit (sous forme de rente) explique que le capitalisme s’est construit autour d’un système énergétique basé sur les combustibles fossiles. A cet égard, le non-développement du solaire thermique fournit un exemple encore plus frappant que le photovoltaïque. Au début du 20ème siècle, des ingénieurs - en Inde, en Egypte, aux Etats-Unis - se sont mis à inventer des machines simples, bon marché et robustes permettant d’utiliser la chaleur du Soleil pour chauffer de l’eau sanitaire, cuire les aliments, actionner des pompes d’irrigation, etc. Ces machines convenaient particulièrement bien aux pays tropicaux. Pourtant, cette filière énergétique a été abandonnée. En partie pour des raisons de profitabilité, mais aussi pour d’autres raisons telles que le manque de capitaux, l’influence des groupes exploitant les énergies fossiles et leur puissance financière (produit de la rente accumulée), sans compter la volonté d’imposer dans les colonies les mêmes technologies que dans les métropoles.
Un système énergétique structurellement gaspilleur et inefficient
Non seulement le système énergétique capitaliste s’est construit autour des énergies fossiles, qui détraquent le climat, mais en plus il emploie ces ressources d’une manière très peu efficiente, ce qui augmente encore l’impact écologique négatif de leur utilisation. Les médias nous rabattent les oreilles avec les efforts que chaque individu devrait faire pour consommer moins d’énergie : mettre des ampoules économiques, baisser le thermostat, moins employer la voiture, etc. Ce n’est pas inutile. Mais tout ce battage détourne l’attention du fait que le système énergétique est la cause d’un énorme gaspillage structurel, bien plus important que celui causé par les citoyens qui n’éteignent pas la lumière quand ils quittent une pièce. Or, la cause de cette inefficience est une fois de plus la course au profit.
Prenons l’exemple de la production d’électricité. Elle se fait de façon centralisée : on construit des centrales où on brûle du charbon, du gaz naturel ou du pétrole, cela fait tourner des turbines et on produit du courant qui est mis sur le réseau pour être vendu aux particuliers et aux entreprises. Le transport de l’électricité implique des pertes (l’effet Joule). L’énergie dégagée sous forme de chaleur n’est généralement pas récupérée, mais simplement dissipée dans le milieu. Du point de vue énergétique, ce système est d’autant plus absurde que deux tiers du courant sert simplement, en fin de compte, à satisfaire des besoins domestiques, tels que chauffer de l’eau à 60°. Si ces besoins étaient satisfaits sur une base locale par des installations de cogénération, càd. de production combinée d’électricité et de chaleur, le rendement énergétique global serait supérieur de 40% à ce qu’il est aujourd’hui. Le système actuel implique donc un gaspillage structurel de 40%, et un surcroît correspondant d’émissions de gaz à effet de serre.
Cette situation fournit un exemple éloquent de la contradiction croissante entre la rationalité partielle et l’irrationalité globale dans le capitalisme. En soi, la cogénération n’est nullement anticapitaliste, c’est simplement une alternative rationnelle globale. Le problème du point de vue capitaliste est que cette alternative rationnelle implique une décentralisation de la production électrique, des équipements collectifs pour l’utilisation locale de la chaleur par les particuliers (réseaux de chaleur) et une planification économique intersectorielle pour que cette chaleur puisse être employée par des industries qui emploient des températures modérées (l’industrie agro-alimentaire par exemple). Spontanément, ce n’est pas la direction que le capitalisme a prise. La production centralisée d’électricité va dans le sens de la centralisation et de la concentration du capital. En développant des installations de plus en plus gigantesques, notamment nucléaires, elle s’inscrit dans la dynamique d’une offre d’énergie sans cesse croissante, qui sous-tend la dynamique de croissance illimitée du capital. La production centralisée permet aussi plus facilement aux grandes compagnies énergétiques d’avoir un monopole sur le marché, donc d’imposer les prix et de percevoir un surprofit en plus du profit moyen. Enfin, sur le plan politique, cette centralisation technique est aussi un élément de contrôle social et de centralisation de ce contrôle. Quant à la planification économique, elle est moins que jamais d’actualité dans le cadre du néolibéralisme. Le système est globalement irrationnel, mais pour rattraper la sauce, on demande aux utilisateurs d’installer des boilers labellisés « Energy Plus » : c’est la rationalité partielle.
Le défi de la stabilisation du climat
Peut-on arrêter le changement climatique ? En théorie, oui, le problème est même relativement simple. L’énergie solaire qui atteint la surface de la terre égale dix mille fois la consommation énergétique mondiale. On ne peut pas utiliser tout ce potentiel, mais les technologies dont on dispose actuellement permettent d’en utiliser un millième, ce qui est encore bien suffisant pour assurer les besoins énergétiques de tout le monde. En pratique, il y a d’énormes problèmes de mise en œuvre - il ne faut pas faire comme si la mutation énergétique nécessaire pouvait s’opérer en un tournemain. Mais le plus grand problème n’est pas technologique. Le plus grand problème est la loi du profit, c’est-à-dire que c’est un problème social, économique, un problème lié au mode de production capitaliste lui-même.
Le protocole de Kyoto prévoit de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 5,2 % à l’échelle mondiale au niveau des pays développés uniquement, dans la période d’engagement entre 2008 et 2012. Par rapport à ce qu’il faudrait faire, c’est absolument dérisoire. Pour comprendre ce qu’il faudrait faire, il faut savoir que les gaz à effet de serre ont une certaine durée de vie dans l’atmosphère. Le CO² par exemple a une durée de vie de 150 ans environ, et le méthane de 30 ans. Il ne suffit pas donc pas de stabiliser les émissions pour stabiliser le climat. Si on veut stabiliser le climat, il faut réduire radicalement les émissions.
De combien faut-il les réduire ? Cela dépend de l’objectif que l’on se fixe en termes de stabilisation. Pour éviter que la température moyenne du globe augmente de plus de 2°C, il faudrait, semble-t-il, réduire les émissions au niveau mondial d’à peu près 80 % d’ici 2050. Mais attention : il y a déjà un choix politique derrière ce chiffre-là. Les habitants des îles du Pacifique, ces beaux petits atolls avec un lagon bleu, comme Tuvalu dont le point culminant est 4 mètres au dessus du niveau de la mer, sont déjà victimes de l’augmentation du niveau de la mer résultant de la dilatation thermique de l’océan. Chaque fois qu’il y a une marée exceptionnelle, ou une marée exceptionnelle combinée à une tempête, ils sont inondés. Pour les 11.396 habitants de Tuvalu, il ne suffira sans doute pas de réduire les émissions de 80 % d’ici 2050. Il faudrait les réduire de 90-95 %, d’ici 2040. Pour cela, vous pouvez éteindre la lumière tout de suite et rentrer à pied à la maison. Le chiffre de 80% d’ici 2050 n’est pas le résultat de la science avec un grand S mais d’un jugement sur ce qui est faisable et dans quel délai.
La réponse néolibérale est en train de se dessiner
Face à ce défi, que va faire le système capitaliste ? Quelque chose est en train de changer. Des dirigeants impérialistes prennent conscience de la gravité et de la réalité du problème du changement climatique. Tony Blair est réellement inquiet. La classe dominante britannique aujourd’hui est réellement inquiète. Quand Angela Merkel, au G8, dit qu’il faut réduire les émissions de 50 % d’ici 2050, ce n’est pas que du bluff, elle est physicienne, elle connaît le dossier. La position d’un Bush qui refuse obstinément (comme Clinton avant lui) tout engagement sur des réductions chiffrées liées à un calendrier est devenue minoritaire, même dans la bourgeoisie américaine. Il y a plusieurs centaines de villes aux Etats-Unis qui, indépendamment des comédies de Bush et de l’administration américaine, ont décidé d’appliquer les normes de Kyoto, la Californie est en pointe et le groupement professionnel des producteurs d’électricité vient de se prononcer, il y a quelques mois, pour le contingentement des émissions.
Il ne faut pas croire que l’impérialisme et le capitalisme vont continuer à ne rien faire - ou presque rien - contre le changement climatique, que cela va être une apocalypse, une catastrophe formidable d’où jaillira la révolution. Ils vont faire quelque chose. Mais quoi ? A quel rythme ? Comment ? Et quelles vont être les conséquences écologiques, sociales et politiques ? Telles sont les questions clés. Le rapport de Nicholas Stern pour le gouvernement britannique, en octobre 2006, donne des indications sur les réponses que le système pourrait mettre en place. On peut résumer l’affaire en cinq points.
Premièrement, ils vont prendre de gros risques en choisissant un scénario de stabilisation climatique qui implique une concentration atmosphérique en CO2 dangereusement élevée. Au lieu de 450ppmv, qui est le niveau recommandé par de plus en plus de spécialistes, Stern propose 550ppmv. Il sait qu’il y a dans ce cas plus de 50% de risque de dépasser les 2°C de hausse par rapport à l’époque pré-industrielle, mais il mise néanmoins sur ce chiffre, qui permet, selon ses calculs, de réduire par trois le coût des mesures à prendre. Ceci suffit à montrer que, pour ces gens, la défense des profits capitalistes passe vraiment avant tout.
Deuxièmement, ils vont phaser la transition sur plusieurs décennies, en repoussant le plus loin possible les mesures les plus structurelles, celles qui touchent à la production énergétique et aux systèmes de transports dans les pays développés. Pour que ce report soit possible, ils devront aller encore plus loin qu’aujourd’hui dans l’amalgame entre la réduction des émissions et l’augmentation des absorptions de carbone par les forêts, sans quoi ils n’auront pas assez de réductions à comptabiliser. Ils pourraient par exemple décider que non seulement de nouvelles plantations d’arbres mais aussi des investissements visant à sauver la forêt tropicale seraient générateurs de droits de polluer. Ceci ira inévitablement de pair avec une vague d’appropriation privée des ressources naturelles, sur le dos des populations indigènes qui vivent de la forêt.
Troisièmement, ils devront étendre radicalement ce qu’on appelle les mécanisme flexibles de Kyoto, en particulier le « Mécanisme de Développement Propre » (MDP) et l’échange de droits de polluer. Le MDP permet à un pays développé d’acquérir des droits de polluer en réalisant un investissement qui réduit les émissions ou qui augmente les absorptions de carbone dans un pays du Sud. Ce MDP donne lieu à des fraudes très importantes. Au moins 20% des droits de polluer acquis par le MDP ne correspondent à aucune réduction (sans compter que les absorptions par les forêts ne sont pas des réductions structurelles). Dans le cadre de Kyoto, le MDP en général et la plantation d’arbres en particulier sont soumis à certaines limitations. Stern propose de les supprimer. Ainsi, dans le cadre du phasage des mesures, le développement du Sud deviendrait un gigantesque marché pour les technologies « propres » du Nord, Ce marché multiplierait par quarante la masse de droits de polluer par rapport à aujourd’hui, ce qui donnerait encore un peu de bois de rallonge pour retarder les adaptations structurelles au Nord. Mais cela multiplierait aussi par 40 la fraude et les profits de ceux qui font commerce de vendre des droits de polluer.
Quatrièmement, ils vont continuer à jouer aux apprentis-sorciers technologiques en développant les agrocarburants, les OGM, le nucléaire et peut-être d’autres technologies dangereuses. Je ne m’étendrai pas là-dessus ici, mais il faut savoir que tous ces choix sont complètement irrationnels. Ils s’inscrivent dans la continuation des choix irrationnels qui ont conduit au système énergétique actuel. Comme ceux-ci, ils ne sont motivés que par des impératifs de profit. L’exemple des agrocarburants est tellement flagrant que de nombreuses protestations s’élèvent et percent dans les médias. La bataille contre le nucléaire se heurte à plus d’obstacles, car le lobby de l’atome est très puissant et joue à fond sur le mythe d’une technologie « zéro carbone ».
Cinquièmement, pour que leur stratégie fonctionne, il faut évidemment que le capital y trouve un intérêt et que la facture soit payée par le monde du travail ainsi que par les exploités en général. Ce double objectif, ils vont tenter de l’atteindre par des mécanismes de marché, notamment en donnant au carbone un prix mondial reflétant plus ou moins les coûts futurs des dégâts climatiques. Dans le monde d’aujourd’hui, où l’idéologie néolibérale règne sans partage, cette idée de donner un tel prix au carbone est plutôt bien accueillie par de nombreux environnementalistes. Je n’aborderai pas ici le problème théorique inextricable de l’évaluation du coût des dégâts futurs, surtout quand ces dégâts affectent des choses qui n’ont pas de prix (en termes marxistes, elles n’en ont pas), comme la vie humaine et les écosystèmes. Indépendamment de cet aspect, il est évident qu’un prix mondial du carbone reflétant le coût des dégâts futurs revient à répercuter la facture à 100% sur les pays du Sud, au prorata de ce qu’ils achètent, alors qu’ils ne sont responsables que de 25% du changement climatique. Par ailleurs, ce prix du carbone pourrait par exemple servir à établir une taxe sur le carbone. Comme par hasard, les propositions qui circulent consistent à utiliser le produit de cette taxe pour réduire les cotisations patronales à la sécurité sociale. Et là, il y a évidemment un piège extrêmement redoutable pour le mouvement ouvrier et pour notre protection sociale, parce que, si la taxe carbone aboutit à « dé-carboniser l’économie », à un certain moment, il n’y aura plus assez de rentrées pour la sécurité sociale.
Notre rôle
Ce que nous avons à dire, dans le mouvement pour le climat, est extrêmement important. Il faut discuter des lignes d’intervention : un programme, des activités, des mots d’ordre qui soient basés sur une analyse de classe, sur une analyse de la responsabilité du capitalisme dans ce qui est en train de se passer. Sur cette base, il faut tenter de trouver des ouvertures dans le mouvement ouvrier. C’est important parce qu’il se développe aujourd’hui ce que j’appelle une espèce de « climat de panique » dans lequel on évoque une apocalypse, une catastrophe finale due à l’activité humaine, à la présence de l’homme sur terre. Ce climat de panique est en train de gagner une influence dans le mouvement environnemental et dans les grandes associations.
Cela les met dans une situation où tout ce qui est proposé par les gouvernements et les patrons, du moment que c’est au nom de la lutte pour l’environnement ou le sauvetage du climat, est accueilli à bras ouvert. Et cela les met dans une situation où on voit les associations environnementales dire « On peut lutter contre le changement climatique parce que cela ouvre de nouveaux marchés ». Ils essaient de démarcher auprès des entreprises pour les convaincre que c’est cela qu’elles doivent faire, en escamotant complètement les dimensions sociales. Or ces dimensions sociales sont absolument décisives. On ne sauvera pas le climat contre la majorité des gens sur la planète. Il faut donc combiner une lutte pour le climat et une lutte pour l’amélioration des conditions de vie de la majorité, c’est une condition de succès et nous avons un rôle clé à jouer à ce niveau.
Daniel Tanuro
Transcription : Claude Gany
Source : LCR Belgique www.lcr-lagauche.be