Le gouvernement de Lula fait son apparition sur une scène marquée par l’hégémonie politique nord-américaine et par le néolibéralisme en tant qu’idéologie et politique économique prédominante. C’est dans ce contexte que s’insère le gouvernement du PT (Parti des travailleurs), qui était mis au défi de sortir du modèle néolibéral ayant dévasté le Brésil.
Dans cette optique, la première année du gouvernement Lula doit être jugée négativement. La politique économique héritée du gouvernement antérieur a été non seulement poursuivie mais également approfondie.
Le prix payé pour cette orientation : l’objectif central que s’assignait [au cours de la campagne électorale, et encore plus dans les programmes de référence] le gouvernement Lula ’ la priorité au social ’ n’a pas été atteint. Au contraire, si du côté des indicateurs financiers il y a eu une amélioration générale, tous les indicateurs sociaux, quant à eux, se détériorent. On peut résumer cette trajectoire en disant que le gouvernement actuel a assumé l’administration de la crise héritée [des deux mandats de Fernando Henrique Cardoso 1995-2002], qu’il n’est pas parvenu à la surmonter positivement, et qu’il a donné suite aux orientations prises par le gouvernement antérieur, gouvernement dont les options suivaient fidèlement les directives du FMI.
Ainsi, au cours de sa première année 2003, le gouvernement Lula s’est révélé être très conservateur : conservateur pour ce qui a trait à la politique économique ; conservateur aussi à l’occasion de deux réformes adoptées - celle sur les retraites [qui élargit la voie en faveur des fonds de pension privés] et celle sur la fiscalité ; conservateur enfin jusque dans les discours de Lula lui-même, qui se sont trouvés être démobilisateurs, critiques à l’égard des mouvements sociaux et qui n’ont fait aucune mention du capital financier et du néolibéralisme.
Comment a-t-il été possible que le PT, un parti né du syndicalisme de base, des mouvements sociaux et de la lutte contre le néolibéralisme ait pu jouer ce rôle ?
De l’ancien PT au New PT
Depuis 1994 particulièrement, le PT est passé par un processus de transformation de sa composition interne et de sa relation avec les mouvements sociaux et avec les institutions [le Brésil est un Etat fédéral et le PT a conquis des positions importantes dans des municipalités de millions d’habitants, dans les Etats dont l’appareil est imposant et dans les institutions parlementaires nationales ; à cela s’ajoute la participation à la gestion de fonds de pension et d’autres organes économiques], ainsi que par la redéfinition des thèmes centraux pour la stratégie du parti. Cela a été le résultat d’un bilan tiré par la direction du PT au moment de la défaite à l’élection présidentielle de 1998 contre Fernando Henrique Cardoso, campagne au cours de laquelle le thème de la réforme de la fiscalité était devenu le centre du débat au détriment de la priorité aux politiques sociales prônée par le PT [Cardoso mettra en place un dur plan d’austérité pour la période 1999-2001, étayé sur les projections et propositions du FMI].
Le plus significatif a cependant été l’intégration du PT dans l’institutionnalité, celle-ci gagnant même en importance en tant que scène privilégiée d’activité du parti, au détriment de la relation de ce dernier avec les mouvements sociaux. Parallèlement, Lula a centré son activité sur l’’ Instituto da Cidadania ’ (Institut de la Citoyenneté), se distanciant par là même de la vie interne du PT. Simultanément, le parti subissait un changement de sa composition interne : des données du dernier Congrès national du PT, qui a eu lieu en décembre 2001 à Recife, indiquent qu’environ trois quarts des délégués présents n’étaient pas liés à la base de mouvements sociaux.
Mais la transformation politique et idéologique principale a eu lieu au cours de la campagne présidentielle de 2002. Au début, l’alliance avec des secteurs de la grande industrie révélait le rôle prédominant que devait jouer l’entrepreneur productif, la figure socio-économique liée au marché intérieur, comme c’était le cas de José Alencar, un grand industriel du textile [actuel vice-président du Brésil]. Mais au cours de la campagne, alors que s’est produite une forte attaque spéculative contre le real [sortie de capitaux], liée directement à la possibilité de la victoire électorale de Lula et au moment où ce dernier ne parvenait pas à dépasser le seuil historique, dans les intentions de votes, des 30% en faveur du PT, il a édicté une Charte pour les Brésiliens. Dans cette dernière, il promettait de respecter les engagements pris par le gouvernement de FHC. Et il adoptait un discours de marketing politique sur la ligne : ’ Votez Lulinha, pour la paix et l’amour ’ [le diminutif inho-inha est un suffixe très largement utilisé au Brésil qui a en général une connotation d’affection].
Ce nouveau profil politico-médiatique donnait l’impression que le gouvernement Lula s’engagerait dans le sens d’une reprise du développement et d’une priorité accordée au social, alors que ces deux objectifs étaient rendus non viables par les critères de l’équipe économique [du PT proto-gouvernemental et de ses alliés] qui poursuivait des objectifs encore plus exigeants que ceux du FMI. Son gouvernement se trouve alors confronté au défi de la quadrature du cercle : reprendre le développement, redistribuer la richesse, créer des emplois et résoudre les graves problèmes sociaux du Brésil sans pour autant sortir du modèle néolibéral.
En prenant en compte le bilan de cette première année, quelles perspectives peut-on entrevoir pour l’année qui vient ? La perspective est la poursuite de la politique actuelle, avec de légers changements, selon que l’évolution de la production agricole et industrielle [au sein de laquelle quelques secteurs sont déterminants, car la structure de l’économie est de plus en plus dépendante des exportations] sera moins mauvaise que celle de la production actuelle qui côtoie la cote zéro. Cela définira alors la configuration définitive au gouvernement Lula en tant qu’administrateur de l’hégémonie du capital financier et le conduira à l’échec, aussi bien en tant que gouvernement de gauche qu’en tant que continuateur des politiques ’ épuisées d’ailleurs ’ du gouvernement FHC.
Le bilan esquissé ici permet un diagnostic définitivement négatif du mandat du PT à la présidence de la république. (27.12.2003)
* Emir Sader est professeur à l’Université de Sao Paulo (USP) et à l’Université de l’Etat de Rio de Janeiro (UERJ), ainsi que coordinateur au Laboratoire des Politiques Publiques de cette même université. Il est également l’auteur, entre autres, de ’ La vengeance de l’Histoire ’ (Ed. Boitempo) et de ’XXe siècle : une biographie non autorisée ’ (Ed. Fondation Perseu Abramo).