Chacun le sent bien, dans la logique de guerre enclenchée contre l’Irak, nous approchons de l’heure de vérité. Les illusions se dissipent : la résolution 1441 du Conseil de sécurité de l’ONU aura seulement permis à George W. Bush de déployer dans le Golfe une armada sans précédent depuis douze ans. Condoleeza Rice, conseillère spéciale de la Maison Blanche, ne prend même plus de gants pour exprimer sa volonté d’agression : "Les Etats-Unis ont le droit d’agir en légitime défense contre l’Irak, avec ou sans le mandat de l’ONU." Qu’importe que les inspecteurs dépêchés à Bagdad par les Nations unies n’aient pu rapporter l’ombre d’une preuve des dangers que représenterait ce pays pour la sécurité du monde... Qu’importe que Colin Powell n’ait pu présenter, le 5 février devant l’ONU, qu’une communication laborieuse basée sur les supputations de la CIA...
Qui peut encore douter que cette attitude belliqueuse ne vise à conforter que la suprématie impériale de la première puissance de la planète ? Qui ne voit qu’elle a pour première motivation le contrôle des fabuleuses richesses pétrolières de l’Irak (les plus importantes prouvées au monde après celles de l’Arabie saoudite) ? Qui n’entend ces appels pressants à la guerre, émanant des marchés financiers et reflétant les calculs de quelques géants multinationaux qui savent pertinemment qu’un conflit serait pour eux synonyme de profits encore plus colossaux ?
Au passage, soucieux de faire prévaloir leurs vues au plus vite, les Etats-Unis n’auront pas hésité à affronter brutalement les pays désireux de conserver un soupçon d’indépendance à leur endroit, au premier rang desquels la France et l’Allemagne, à présent rejoints par la Russie et la Chine. Ceux-là devinent en effet à quel point une offensive contre l’Irak pourrait déstabiliser toute la région, nourrir les desseins du plus fanatique des terrorismes, favoriser la récession qui pointe à l’horizon. Ils redoutent manifestement de devoir entrer en conflit avec des opinions massivement hostiles au choix des armes. Ils savent aussi que l’un des objectifs majeurs de l’offensive actuelle des Etats-Unis consiste à briser toute velléité d’affirmation d’impérialismes concurrents sur la scène internationale. Plus précisément, le vieux projet de construction d’une Europe puissance, défendu par l’axe Paris-Berlin, semble devenu la bête noire des dirigeants d’outre-Atlantique. La pression de ces derniers n’est ainsi pas sans expliquer que la Grande-Bretagne, l’Espagne, l’Italie, ou encore certains candidats est-européens à l’entrée dans l’Union européenne aient publiquement choisi de manifester leur allégeance au docteur Folamour de Washington. A terme, c’est donc bien une redistribution générale des cartes, une redéfinition des hiérarchies de dépendance sur le globe que cette guerre annonce.
La confrontation politique en cours se sera notamment traduite par la "rupture de silence" (assimilable à un veto) que France et Allemagne auront opposée, à l’Otan, à la demande des Etats Unis d’un renforcement du dispositif guerrier à la frontière irakienne. Cela laisserait-il augurer d’une opposition définitive de ces pays à l’aventure ? Rien n’est moins sûr. Les dirigeants français n’ont jamais exclu le recours à la force. Ils n’ont jamais voulu annoncer qu’ils refuseraient tout engagement militaire, y compris en faisant usage de leur droit de veto à l’ONU. Leur alliance actuelle avec Vladimir Poutine, authentique criminel de guerre en Tchétchénie, en dit long sur le cynisme de leur posture. Au Conseil de sécurité, Dominique de Villepin se sera d’ailleurs montré des plus complaisants envers les provocations de Colin Powell. Quant au "plan franco-allemand", volontiers présenté comme une alternative à la stratégie de Washington, il aboutit à mettre Bagdad sous tutelle, sous prétexte de "durcissement" des inspections onusiennes.
Affirmons-le une fois encore : la mobilisation populaire représente l’unique moyen efficace de conjurer la catastrophe. Ce 15 février sera, pour cette raison, un tournant décisif : partout, des millions d’hommes et de femmes vont sortir la "question irakienne" du cadre feutré des négociations diplomatiques. Ils vont dire qu’un autre monde est possible. Un monde de paix, où l’on désarme tous ceux qui menacent aujourd’hui la planète de plusieurs holocaustes nucléaires, sans oublier les pays de l’Otan qui totalisent à eux seuls les deux tiers des dépenses militaires planétaires. Un monde de démocratie, où l’on aide les opposants à se libérer eux-mêmes des dictatures - il en existe qui se battent aujourd’hui, en Irak, contre la guerre et contre Saddam au nom des libertés - plutôt que d’écraser les populations sous les bombes. Un monde de droit, où l’on restaure dans leur souveraineté nationale des peuples spoliés, comme les Palestiniens ou les Kurdes. Un monde aussi d’où soient bannies les guerres coloniales, comme celle que la France livre en Côte-d’Ivoire.
A l’unisson de cette démonstration de fraternité entre les peuples, nous devons être des centaines de milliers à manifester ici...
Christian Picquet.
(tiré de Rouge)