Les chiffres tombent, chaque jour plus terribles : 150 000 morts, des millions de personnes sinistrées, déplacées, sans abri, soumises à de violentes intempéries, isolées, privées d’eau potable et de nourriture... Le décompte des victimes du raz-de-marée n’est pas terminé que, déjà, le danger d’épidémies menace des populations très affaiblies. Le bilan ultime du cataclysme ne sera probablement jamais connu. L’ampleur du drame a suscité, en France et dans bien d’autres pays, un grand élan de solidarité qui devra se poursuivre dans la durée. Il ne suffira, en effet, pas de répondre aux premières urgences. Des communautés entières ont été frappées, parfois décimées, leurs moyens d’existence détruits. Un tissu social devra être retissé, une infrastructure économique reconstituée. Quant aux leçons du désastre, trop souvent amères mais aussi positives, elles devront bien être tirées. Une nouvelle fois. La menace était connue. L’archipel indonésien borde une ligne de tremblements de terre. La question n’était pas de savoir si un tsunami allait se produire un jour, mais quand. Ainsi, des scientifiques avaient proposé de placer au moins deux détecteurs de raz-de-marée dans l’océan Indien, comme il en existe déjà dans le Pacifique, dont l’un près de l’Indonésie, là où tout a commencé. Un tel détecteur ne coûte que 250 000 dollars. Une somme dérisoire : les États-Unis dépensent chaque jour 1,5 milliard de dollars pour alimenter leur machine de guerre. Pourtant, le programme d’alerte au raz-de-marée n’a pu être mis en oeuvre, faute de financement. Le tsunami s’est déployé en cercles concentriques pendant des dizaines de minutes ou plusieurs heures avant de heurter les côtes. Prévenues, les populations n’auraient eu besoin que de très peu de temps pour se mettre à l’abri des vagues déferlantes. Mais toute la chaîne d’alerte a fait faillite. Les premiers observatoires à avoir perçu la menace, aux États-Unis, auraient envoyé... des e-mails pour informer les gouvernements de la région. Radios et télévisions nationales (ou CNN, pourquoi pas...) n’ont pu être utilisées à temps pour lancer l’alerte.
Signe des temps capitalistes, les Bourses n’ont pas bronché ; elles se portent même bien en ce début d’année nouvelle. Peut-être rêvent-elles déjà des profits que la reconstruction des infrastructures détruites permettra aux multinationales d’engranger... La lumière, au milieu de ces ténèbres boursières, c’est la façon dont les populations locales, les associations et les mouvements populaires se sont immédiatement mobilisés pour porter secours aux victimes du cataclysme. Plus d’un reporter en a témoigné. Cette aide locale, populaire, associative s’est bien souvent organisée dans les heures qui ont suivi le drame, ou le lendemain même. Des jours avant que les premiers représentants de l’État ou les premières missions internationales n’arrivent. Elles ont agi dans le plus grand dénuement, manquant de masques ou de gants pour protéger leurs volontaires de la maladie. Mais avec efficacité. Les États ne doivent pas fuir leurs responsabilités. Sous la pression de l’opinion, à Washington et en Europe notamment, le montant des financements annoncés augmente, mais il reste dérisoire au regard des besoins. L’aide publique doit être radicalement augmentée. Elle doit aussi être soumise aux mêmes devoirs de transparence que ce qui est exigé des associations. On vient en effet d’apprendre, à l’occasion du présent drame, que les fonds promis hier, urbi et orbi, par Washington en faveur de l’Iran, frappée par un terrible tremblement de terre, n’avaient en réalité jamais été déboursés... Jacques Chirac envisage pour sa part un moratoire, un rééchelonnement du paiement de la dette des pays sinistrés, ou sa réduction. Aucune demi-mesure n’est pourtant acceptable. La dette grève toute possibilité de reconstruction : elle s’élève à plus de 300 milliards de dollars pour le Sri Lanka, l’Inde, l’Indonésie, la Thaïlande et la Malaisie, cinq des pays les plus touchés. Le Club de Paris, où se retrouvent les pays créanciers, se réunira le 12 janvier. À l’occasion de cette réunion, il nous faut absolument obtenir l’annulation de la dette des pays sinistrés. L’élan de solidarité, en Europe notamment, est considérable. Il doit maintenant se prolonger, tant il est vrai qu’il faudra des mois pour surmonter les conséquences du cataclysme. Dans cette perspective, le rôle des organisations populaires, progressistes, est particulièrement important. Enracinées localement et indépendantes, elles contribuent non seulement à assurer les secours immédiats, mais à redonner vie au tissu social. Pourtant, ce ne sont pas elles qui bénéficient des aides officielles, elles sont souvent tenues en suspicion par les autorités, menacées de répression. C’est à nous, aux syndicats et aux mouvements sociaux, aux associations et aux ONG de les épauler, aussi efficacement que possible. C’est en particulier à cela que nous nous attacherons dans les semaines à venir.