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La crise gouvernementale canadienne est enracinée dans la lutte du Québec pour l’indépendance

Par Roger Annis et John Riddell

lundi 28 novembre 2005

Sans partager toutes les formulations de cet article, ce dernier a l’avantage de bien définir les tâches des socialistes canadien-anglais face au Québec et à sa lutte pour l’indépendance. (Réd. La gauche)

Les révélations de la commission d’enquête du gouvernement fédéral présidée par le juge John Gomery ont profondément secoué la stabilité de la politique capitaliste au Canada. Car elles ont placé, encore une fois, l’indépendance du Québec au centre de la politique de ce pays.

La commission Gomery a été créée autour des élections fédérales de 2004 pour enquêter sur les pratiques du gouvernement libéral en ce qui a trait au programme des commandites dont le but était de saborder la volonté démocratique du peuple du Québec et de faire la promotion du rôle du gouvernement du Canada dans la vie sociale et économique du Québec. L’ainsi nommé programme des commandites était, en fait, déjà appliqué peu avant le référendum de 1995 sur la souveraineté nationale. Les forces pro-souverainistes ont perdu ce vote par moins d’un pour cent ; cela a créé une panique dans les conseils d’administration des entreprises à travers le Canada et dans les coulisses du pouvoir à Ottawa. Le programme des commandites s’est rapidement développé.

La commission d’enquête a révélé que des centaines de millions de dollars avaient été dépensés. Certains montants servaient à la promotion d’événements culturels ou sportifs et d’autres et visaient à soutenir des gestes politiques du Parti libéral lui-même, parfois en violation des lois du Québec limitant le rôle de la haute finance dans le soutien aux partis politiques et lors de différentes activités. D’importantes sommes d’argent ont été simplement volées ou se sont retrouvées dans les poches des entreprises qui obtenaient des contrats ou dans les mains d’éléments criminels liés au Parti libéral du Canada.

Cela a provoqué le colère et l’indignation au Québec. La diffusion journalière des auditions de la commission a attiré des centaines de milliers de téléspectateurs. Les Québécois auront été offensés par l’idée que leur allégeance politique pouvait être achetée par de l’argent fédéral utilisé par des politiciens peu scrupuleux et par des hommes d’affaires comme ceux qui ont défilé devant la commission.

Le dirigeant du Parti libéral du Canada, Paul Martin, espérait qu’avec la fin des audiences de la commission et la publication du rapport, l’attention du pays sur le scandale aurait diminué. Mais Martin a échoué à obtenir un gouvernement majoritaire en 2004 et les révélations ont été plus dommageables qu’il l’aurait souhaité.

Le gouvernement minoritaire libéral a pu s’agripper au pouvoir grâce au soutien du Nouveau parti démocratique et au désistement de la multimillionnaire Belinda Stronach, membre de la droite de l’opposition conservatrice. Mais les faits révélés par la commission Gomerey ont montré la corruption du Parti libéral et cela a miné la confiance dans ce parti. Le soutien au PLC au Québec est tombé très bas alors que l’action gouvernementale a paradoxalement affaibli les Conservateurs frappés par des divisions internes.

La subversion fédérale de la démocratie

La corruption est endémique dans la politique capitaliste, ce qui a été trouvé par la commission Gomery n’est pas une grande surprise. Le dilemme auquel fait face les fédéralistes c’est que la corruption est le mode de gouvernance qu’ils utilisent de plus en plus pour assurer leur domination sur le Québec et que le soutien au système fédéral a diminué depuis les vingt-cinq dernières années.

Dans un article du 23 mai 2005, le Globe and Mail, Réal Séguin a décrit un aspect des efforts déployés depuis des décennies par le gouvernement fédéral visant à détruire le mouvement pour l’indépendance du Québec. L’article débute ainsi : « Des années avant le référendum de 1980 au Québec, l’ancien premier ministre Pierre Elliott Trudeau a affirmé brutalement : « Un des moyens pour contrebalancer l’attraction du séparatisme, c’est d’utiliser au bon moment des quantités énormes d’énergies et d’argent au service du nationalisme canadien. » Pour M. Trudeau et pour les libéraux fédéraux tous les moyens sont justifiés pour préserver l’unité nationale. »

Il décrit comment Jean Chrétien, premier ministre du Canada de 1993 à 2004 a porté la corruption à de nouveaux sommets.

L’érosion du soutien au Parti libéral du Canada

Le Parti libéral, tant le PLC que le PLQ, sont des bases du système fédéral canadien. Ce parti a lancé la révolution tranquille dans les années 1960. La modernisation des institutions sociales et politiques de la gouvernance était devenu nécessaire pour combattre la montée du nationalisme québécois. Le Parti libéral a cherché à résister à la montée du mouvement indépendantiste durant les années 60 et 70. Aujourd’hui, c’est le seul parti fédéraliste capable de faire élire des représentants au Parlement canadien et le PLQ est le seul parti fédéraliste provincial capable de s’opposer au Parti québécois qui est pro-indépendantiste.

Le Parti libéral du Canada a été affaibli de façon significative en 1982 quand le gouvernement Trudeau a imposé la nouvelle constitution canadienne contre l’avis du gouvernement du Québec de cette époque. Cette constitution nie à la fois l’existence du Québec comme nation et les droits qui pourraien découler de ce statut national .

En 1992, le gouvernement de Parti conservateur à Ottawa a essayé de réparer les dommages de 1982 avec l’Accord dit du lac Meech qui voulait transférer des pouvoirs constitutionnels modestes à tous les gouvernements provinciaux. Pour ce faire, il a reçu l’aide du Parti libéral du Québec de Robert Bourassa qui soutenait l’Accord du lac Meech, mais le Parti libéral du Canada était opposé et a joué un rôle important pour qu’il soit rejeté.

Avec le déclin de leur principal parti au Québec, les capitalistes canadiens font face à des difficultés croissantes dans la mise en place d’un gouvernement fédéral ayant une représentation significative en provenance du Québec. Les Conservateurs n’ont pas bénéficié du désarroi du gouvernement Martin. La seule alternative gouvernementale au Parti libéral à Ottawa pourrait être une coalition du Parti conservateur et du Bloc québécois, le parti pro souverainiste qui a obtenu 54 des 75 sièges aux élections fédérales de 2004 mais cette perspective ne plaît guère à la classe dirigeante au Canada.

En dépit de tous les gains faits par les Québécois et Québécoises durant les quarante dernières années, l’oppression nationale se maintient. Cela est démontré par les inégalités économiques des Québécois (salaires plus bas, taux de chômage plus élevé ...) et par-dessus tout par les attaques croissantes de l’État fédéral contre le droit du Québec à l’autodétermination. Ottawa a adopté une loi— la loi sur la clarté— qui l’autorise à ignorer les résultats d’un futur référendum sur la souveraineté du Québec. Les dirigeants du gouvernement libéral ont proposé différents scénarios sur l’utilisation de l’autorité fédérale pour contrer l’indépendance du Québec y compris l’intervention militaire.

L’alliance NPD-Parti libéral du Canada

La faiblesse du gouvernement libéral à Ottawa aurait pu à être l’occasion pour le Nouveau parti démocratique de faire des gains parmi les travailleurs et travailleuses. La campagne du NPD aurait du chercher à mettre fin aux coupures importantes dans le niveau de vie et aux reculs des droits démocratiques que les différents gouvernements du Parti libéral ont imposé. Il aurait pu avancer la nécessité d’une politique étrangère alternative qui cherche des alliances avec les peuples d’autres pays, une politique visant à s’opposer au cours militaire des pouvoirs impérialistes. Et pour ce qui a trait à l’actuel crise à Ottawa et il aurait du soutenir les aspirations des Québécoises et des Québécois à l’indépendance ou à la souveraineté. Au Parlement, le Nouveau parti démocratique aurait pu trouver un terrain d’entente sur cette question avec le Bloc québécois. Bien que le Bloc soit un parti pro-capitaliste, il défend que la souveraineté du Québec est dans l’intérêt des travailleurs de tout le pays. Et il propose des réformes sociales qui ne sont pas plus timides que celles proposées par le Nouveau parti démocratique. "Un bloc avec le Bloc" aurait — permis au pour la première fois de son histoire au NPD de se poser comme une alternative gouvernementale crédible.

Le NPD aurait pus aussi utiliser l’affaiblissement du gouvernement fédéral pour aider le combat des Premières nations pour leur souveraineté et pour l’amélioration radicale des programmes sociaux. Les Autochtones sont les plus pauvres parmi les pauvres au Canada et doivent vivre dans des situations économiques et sociales désastreuses.

Au lieu de cela, le NPD a choisi de s’allier avec les Libéraux en échange de promesses de quatre milliards de dollars pour les dépenses favorisant les programmes sociaux. Ce parti a soutenu le budget du gouvernement libéral minoritaire et lui a permis de rester en place.

Nombre de personnes ont perçu les promesses de dépenses faites au NPD comme un gain significatif. Mais le plus important dans ce budget, c’est son engagement à accroître les dépenses militaires. Alors que les dépenses sociales pourront être abandonnées dans l’avenir par les libéraux comme ils l’ont déjà fait dans le passé.

En s’alliant avec les Libéraux, les dirigeants du NPD ont encore une fois participé au maintien de l’oppression nationale du Québec. Cette prise de position, plus que toutes autres, a démontré la non-pertinence de ce parti pour le Québec et son statut de minoritaire perpétuel dans la politique fédérale.

L’unité dans la lutte est nécessaire

Au début et au milieu des années soixante-dix, une montée puissante des luttes syndicales s’est produite au Québec. Les centrale syndicales ont adopté des manifestes soutenant l’indépendance et le socialisme. Ces prises de position ont obtenu un large soutien dans les autres organisations syndicales au Canada. Plusieurs syndicats pan canadiens ont pris des positions soutenant le droit à l’autodétermination du Québec. Une forte minorité du Nouveau parti démocratique a fait de même.

La leçon de cette période est que l’unité de la classe ouvrière au Canada devient plus facile quand les luttes s’approfondissent des deux côtés de la rivière Outaouais et que le soutien au droit à l’autodétermination du Québec doit être une composante nécessaire de cette unité. L’oppression du Québec est centrale et importante pour la classe dirigeante canadienne et c’est la responsabilité du mouvement ouvrier tout entier d’être partie prenante de cette lutte contre cette oppression.

Aujourd’hui, une partie importante de cette lutte est, simplement, de dire la vérité sur la lutte du Québec et de rendre audible la voie de la jeunesse, des travailleuses et des travailleurs du Québec au Canada. Il y a eu des grèves massives du mouvement étudiant québécois opposé aux coupures dans l’éducation et des luttes de syndicats contre les coupures des programmes sociaux et contre les coupures d’emplois. Ces luttes -comme celles d’autres mouvements progressistes au Québec- ont fait face à une conspiration du silence de la part des médias hors Québec. Nous devons agir pour rompre ce mur du silence.

L’indépendance du Québec peut se réaliser alors que le Canada restera un pays capitaliste. Ou l’indépendance peut être arrachée comme une partie de la victoire des travailleurs et des travailleuses de tout le Canada sur les dirigeants capitalistes. Dans les deux cas, les victoires des Québécois et Québécoises dans le lutte pour la libération nationale vont affaiblir les capitalistes et renforcer l’unité potentielle des travailleurs et des travailleuses de tout le pays. La défense du droit du Québec à l’autodétermination est le premier devoir des travailleurs et travailleuses du reste du pays. Aussi longtemps que le Québec restera prisonnier de la confédération canadienne l’objectif du mouvement ouvrier devra être de mener une lutte pour un gouvernement des travailleurs et travailleuses à Ottawa qui garantira le droit du Québec à l’indépendance si tel devait être son choix.

L’établissement d’un gouvernement des travailleuses, travailleurs et des cultivateur-e-s à Ottawa serait un pas dans le processus de libération économique et social. Le soutien actif au droit du Québec et des autres nationalités opprimées au Canada à l’autodétermination est une des conditions essentielles à la poursuite de cet objectif.

Socialist Voice, 8 juin 2005

(Traduction La Gauche)