Depuis le début des années 1980, la création de la richesse fait de moins en moins appel au travail humain grâce à la formidable révolution technologique qui a décuplé les capacités de production.
Cependant, de nos jours, cette nouvelle richesse n’est pas bien
partagée. De plus, la diminution du travail se traduit, chez les jeunes et les travailleurs moins qualifiés, par des emplois précaires et mal payés, par une mise à l’écart des emplois stables et payants. Des économistes et philosophes proposent une nouvelle avenue pour sortir de l’impasse : le temps libre.
Contrairement à ce que certains démagogues tentent de nous faire croire, cette situation n’est pas le complot d’une génération contre une autre. Elle illustre plutôt que le principe de distribution de la richesse par l’entremise du salaire relié à un emploi a maintenant atteint sa limite. Les gains de productivité sont engrangés sous forme de capital par les entreprises et leurs actionnaires, accroissant de façon importante les écarts de richesse.
Réduction du temps de travail
Certains économistes et philosophes comme René Passet et André Gorz sont parvenus à une conclusion étonnante. Selon eux, la seule façon de redistribuer la richesse, c’est de réduire de façon marquée le temps de travail. Il s’agirait en fait de travailler moins pour assurer du travail à tous. Compte tenu de nos capacités élevées de production, nous pourrions même envisager de travailler moins sans perte de revenu. Selon Passet, il serait possible de travailler deux jours et demi pour un salaire égal à celui que nous recevons pour cinq jours de travail.
De son côté, Gorz préfère effectuer le calcul sur une base annuelle afin de rendre la chose plus facile à appliquer à certains domaines. Selon lui, nous pourrions réduire de 1 600 à 1 000 le nombre d’heures que nous travaillons en moyenne par année. Mais comment les entreprises pourraient-elles augmenter autant leur masse salariale sans faire faillite ? L’idée que notre revenu doit être lié à un emploi doit être abandonnée, nous expliquent ces auteurs.
Le seul travail salarié ne suffit plus à distribuer la richesse produite, et il ne revient pas à une entreprise particulière d’effectuer cette redistribution. Seul l’État peut le faire en adoptant une politique de redistribution de la
richesse par le moyen de la fiscalité. L’appauvrissement relatif actuel provient du fait que les gains de productivité sont accumulés par les biens nantis sous forme de patrimoine familial dans des biens immobiliers de luxe ou souvent dissimulés dans des abris fiscaux.
Une utopie ?
L’idée de travailler moins pour obtenir le même revenu nous apparaît tellement utopique qu’elle nous fait rigoler. Déjà, Aristote avançait que si l’outil pouvait s’exécuter de lui-même, le maître n’aurait plus besoin d’esclaves. S’il revenait parmi nous, Aristote ne comprendrait pas pourquoi nous travaillons tant parce qu’en fait, c’est de notre époque qu’il rêvait.
Par exemple, le printemps dernier, Hydro-Québec annonçait l’installation de compteurs « intelligents » et par conséquent l’abolition de 725 postes de releveurs de compteurs. C’est exactement ce à quoi songeait Aristote : « si l’outil pouvait s’exécuter de lui-même ».
Aujourd’hui, la droite nous propose de nous serrer la ceinture et
de travailler plus. Quant à la gauche, craignant le ridicule, elle hésite à revendiquer le temps libre sans perte de revenus et à sortir de sa manche ce véritable as de pique. Et si elle osait, serait-ce la fin de l’opposition droite/gauche ? Sûrement pas. Pendant que la droite dénoncerait l’immoralité de voir des gens ne pas travailler, la gauche réclamerait que le temps libre devienne un temps de vie richement rempli pour tous