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Déclaration de la CSQ, pour le 8 mars 2003, Journée internationale des femmes

FEMMES SOLIDAIRES / MONDE ÉGALITAIRE

Petit manifeste de tous les jours...

dimanche 9 mars 2003

Une vie de femme est un laboratoire en constante activité, dans le corps comme dans l’esprit. Un monde revu et corrigé par les femmes est aussi un laboratoire en constante activité, dans les rapports humains comme dans la contestation des structures, dans les émotions comme dans la critique des institutions, dans les comportements comme dans la réécriture des codes. Mais il ne faut jamais perdre de vue qu’aucune revendication venant des femmes n’a été, n’est et ne sera jamais une demande normale, une bataille facile. Toutes les victoires des femmes ont été remportées à l’arrachée, du droit de vote à l’équité salariale, en passant par les congés de maternité et le droit à l’avortement. Des revendications qui, pour nous, visaient à corriger des injustices flagrantes étaient et sont souvent perçues par nos dirigeants et par une grande partie de l’autre moitié de l’Humanité - même à l’intérieur des syndicats - comme des bouleversements majeurs, des attentes exagérées impossibles à combler sans mener le monde directement à la banqueroute. Il a fallu et il faudra toujours alerter, crier longtemps, prouver cent fois la même chose, travailler d’arrache-pied, descendre dans la rue avec nos chansons et nos pancartes, lutter pas à pas et hausser le ton, pendant des années, voire des décennies, pour obtenir ce qui, au bout du compte, n’est que justice, dignité, équité et liberté.

Pourquoi est-ce toujours si long et difficile d’accorder aux femmes justice, dignité, équité et liberté ? Parce que ce monde a été construit sans notre consentement. Par conséquent, la moindre de nos demandes ébranle encore la structure de tout l’édifice. Mais il est vrai que ce qui est en jeu depuis 40 ans est colossal : c’est rien de moins que

la reconstruction du monde, pour y ajouter nos propres matériaux et nos propres couleurs, en exigeant de tenir compte de notre vision de l’architecture, de notre regard particulier, de notre sensibilité, de nos besoins et de nos compétences. Nous avons allumé la lumière depuis la nuit des temps. Nous avons réécrit l’histoire, dénoncé les injustices, démasqué les violences et le mépris. À notre corps défendant, nous avons dû souvent nommer l’innommable. Mais nous sommes en train de réussir ce qui a semblé impensable et impossible pendant des siècles. La constance de l’ample mouvement des femmes et la révolution pacifique qu’elles ont accomplie ont déjà considérablement amélioré le monde. La conscience aiguisée des femmes et la solidarité qu’elles ont patiemment érigée en réseau ont réussi à bâtir un monde plus égalitaire. C’est cette même conscience, cette même constance et cette même solidarité à toute épreuve qui le rendront encore plus égalitaire. Parce qu’il le faut. Parce que le travail n’est pas terminé. Parce qu’il faut continuer, coûte que coûte, la belle ouvrage de réparation des sociétés et de l’Histoire. Parce que le travail quotidien, les revendications et les actions des femmes prennent en compte et entraînent dans leur mouvement et leur évolution tous les êtres humains. Parce que la compassion des femmes et leur profond désir d’égalité ont valeur de civilisation. Parce que d’autres forces que les nôtres, occultes et destructrices, tentent de s’approprier le monde pour en faire un terrain de jeux régi par leurs seules règles. Parce que les femmes ne permettront jamais que des acquis gagnés de haute lutte soient piétinés par des adorateurs du profit ou un quelconque dieu misogyne et vengeur. Parce que le monde ne peut absolument pas se permettre de revenir en arrière sans se mettre en danger. Une question perverse et insidieuse circule en ce moment dans les médias, liée à l’échec scolaire et au décrochage d’un grand nombre de garçons, et même au fort taux de suicide chez les jeunes hommes. Pire encore, elle circule de façon très culpabilisante dans la tête des femmes : est-ce que nous en avons trop fait ? est-ce que nous sommes allées trop loin ? La réponse tient en un seul mot : NON. Les femmes ont toujours été les championnes toutes catégories de la culpabilité. Il ne faut pas se laisser faire, il ne faut pas laisser mettre en doute la qualité de tout le travail que nous avons accompli. Il est permis de réfléchir et de se poser des questions comme celle-ci : peut-on faire mieux encore et différemment ? Mais de grâce, ne tombons pas dans le piège. C’est la meilleure façon de nous obliger à faire des compromis inacceptables et à reculer sur l’évolution que nous avons obtenue pour toutes et pour tous. Ce ne sont pas les femmes qui sont allées trop loin. Ce sont les hommes qui ont fait du surplace et qui ne se sont pas occupés de leurs propres affaires, qui ne se sont pas intéressés à leur propre condition. Dans les années 1970 et 1980, il y avait 99,9 % de femmes dans les colloques sur la condition féminine, et plus de 90 % de femmes dans les conférences... sur la condition masculine !

Les femmes ne sont pas le problème du monde, la cause de son déséquilibre, loin s’en faut. Elles en ont plutôt été et sont encore, dans bien des cas, les premières victimes. À ce titre, elles sont aussi les inspiratrices d’un monde différent.

La puissance vitale de la transmission

C’est tout cela qu’il faut transmettre aux femmes et aux hommes plus jeunes, qui prennent trop souvent pour acquis ce qui a été gagné parce qu’ils ne savent pas que les femmes arrivent de si loin, soit du silence imposé et de la grande noirceur ; parce qu’ils croient qu’il n’y a plus rien à gagner et que l’égalité entre les hommes et les femmes est définitivement acquise ; parce qu’ils ne savent pas que les victoires des femmes sont trop souvent fragiles et loin d’être à l’abri des reculs. Il suffit qu’arrive au pouvoir un adepte du « tout-à-la-privatisation », avec une mentalité de « tout-à-l’égout », pour voir se réinstaller l’arbitraire et l’exploitation, qui n’attendent qu’un signe de la droite pour revenir en force.

D’urgence, nous devons multiplier les ponts entre les générations, vers les plus jeunes, mais aussi vers les plus vieux. Il n’y en aura jamais trop. Ces ponts amoureux ne coûtent rien d’autre que du temps gagné à parler, à écouter et à agir ensemble. Il faut utiliser l’énergie de la transmission comme l’un des plus formidables atouts que nous ayons jamais eus en main. Combien de précieuses expertises a-t-on jetées jusqu’à présent, sans transmission aucune, avec les mises à la retraire massives ? Notre société ne fonctionne pas de façon écologique, et ce, dans tous les secteurs. On travaille rarement dans le sens d’un développement durable. On pratique la politique du « sursaut », passant d’une situation à l’autre sans transition ou faisant des réformes de façon sauvage, sans laisser aux gens le temps minimal de digérer le changement. Même quand une réforme est bonne, elle est souvent irrespectueuse envers les personnes. Le monde a changé. Nous ne pouvons plus découper le réel en belles tranches bien nettes, faciles à contrôler. La vie est devenue beaucoup plus complexe qu’au temps de nos grands-parents. Tout est intimement lié, voire indissociable. Par exemple, la précarisation de l’emploi, qui ramène comme un boomerang l’arbitraire dans les relations de travail, a des incidences sur la santé des travailleurs et des travailleuses, sur le climat de travail, sur l’exercice de la citoyenneté, sur le temps des loisirs, sur le budget et la vie des familles, sur la vie tout court. Avec la prolifération du travail autonome et l’explosion des horaires et des cadres de travail, il est prouvé que nous travaillons plus d’heures en 2003 qu’en 1970. Quel temps nous reste-t-il alors pour ce qui compte le plus dans nos vies, nos amours, nos enfants, nos passions, voire notre quête spirituelle ? Bientôt, faudra-t-il ajouter le temps de vivre, le temps de ne rien faire, le rapport avec la nature, la création artistique, la lecture ou la simple contemplation de la beauté du monde à la liste de nos revendications ?

Rive gauche : les réconfortantes victoires

Les plus jeunes ont parfois du mal à croire les histoires de l’ancien monde agonisant que nous leur racontons. En effet, le chemin parcouru est à peine croyable. Au Québec, nous venons de loin, à la fois comme société et comme femmes dans cette société. En moins de 40 ans, le Québec est devenu un autre pays, et les femmes y ont pris collectivement une place qu’elles n’avaient jamais occupée auparavant dans notre histoire.

On oublie trop souvent que le nouveau monde a commencé à se construire dès le début du XXe siècle, grâce aux révoltes des ouvriers et des ouvrières, les nouveaux esclaves des débuts de l’ère industrielle, qui se sont vite organisés en syndicats. Le mouvement syndical a toujours rassemblé autour de lui l’ensemble des forces progressistes. Les conditions de travail se sont améliorées, les salaires ont augmenté. Les esclaves sont devenus des travailleurs et des travailleuses, et chaque victoire syndicale, petite ou grande, a toujours fini par profiter à l’ensemble de la société. On oublie que des mesures de haute civilisation comme l’assurance-maladie gratuite et universelle ont été pensées et promues par le mouvement syndical, qui a dû lutter également dans l’arène politique pour faire valoir ses idées.

Aujourd’hui, le mouvement syndical est l’un des derniers boucliers qui résiste aux violentes attaques des tenants du néolibéralisme qui, pour cette raison, voudraient bien voir disparaître le syndicalisme. Ce dernier est encore impliqué dans toutes les luttes de société, que ce soit la sauvegarde de l’environnement, la réforme du mode de scrutin, le soutien à la création d’emplois ou le projet d’un Québec souverain. Parmi les pionnières du féminisme, plusieurs ont commencé à militer dans les syndicats, avant la création d’un mouvement des femmes plus organisé, à la fin des années 1960, avant la fondation de la Fédération des femmes du Québec en 1965, avant la création du Conseil du statut de la femme en 1973, et avant l’apparition des comités de condition féminine, au début des années 1970. C’est pourquoi les femmes qui militent dans les syndicats parlent à la fois comme travailleuses et membres d’un syndicat, avec des revendications spécifiques, puis comme femmes et comme membres actifs d’une société, avec des revendications plus larges, qui concernent tout le monde. Depuis la Marche mondiale des femmes de l’an 2000, elles parlent également comme citoyennes du monde, puisque le réseau des femmes est en train de s’étendre à toute la planète. Il faut se souvenir en détails de cette belle histoire toujours en mouvement, et la transmettre aux plus jeunes. Il faut se souvenir de tout ce que nous avons gagné, développé et payé collectivement depuis 40 ans.

• Malgré ses imperfections, que serions-nous aujourd’hui sans notre réseau public, gratuit et accessible de santé, qui a entraîné la création d’emplois de qualité pour les femmes, ainsi que le développement de lieux de soins en région ? Les femmes ont pu y obtenir des services spécifiques comme l’avortement, le planning et l’humanisation des naissances ; et la précieuse intégration des sages femmes aux équipes médicales est en train de se faire, lentement, mais sûrement.

• Nous nous sommes donné un réseau public, gratuit et accessible d’éducation, qui lui aussi a provoqué la création d’emplois de qualité pour les femmes, ainsi que le développement de lieux de formation en région, comme les écoles techniques, les cégeps et les universités.

• L’arrivée massive des femmes sur le marché du travail a entraîné l’obtention de congés de maternité, de congés de paternité, de congés parentaux et de services de garde à 5 $, entre autres gains. Toutes ces victoires ont notamment permis aux hommes d’être des pères et de sortir enfin de leur seul rôle de pourvoyeurs.

• Peu à peu, nous avons obtenu plus de démocratie. Il est apparu nécessaire d’assurer la présence des travailleuses et des travailleurs, des citoyennes et des citoyens, dans certains lieux décisionnels comme les garderies, les conseils d’administration des établissements en santé et services sociaux, les conseils d’établissement des écoles, etc. À tous les niveaux, des efforts ont été faits pour que les femmes y soient davantage représentées. Les conseils locaux de développement (CLD) ont même mis sur pied des programmes d’accès à l’égalité.

• Dans le monde du travail, les syndicats ont fini par être reconnus officiellement pour ce qu’ils ont toujours été : des acteurs sociaux incontournables. Les femmes se sont battues et ont obtenu un accès accru à des postes de responsabilité, ainsi que des choix de carrière plus diversifiés. Avec l’accès aux métiers qu’on appelle encore « non traditionnels », il est peu de métiers aujourd’hui qu’une femme ne peut pratiquer. Mais l’une des batailles les plus ardues fut celle de l’équité salariale. Et parce qu’elle fut longue et difficile, elle apparaît, avec la criminalisation des agressions sexuelles et de la violence envers les femmes, comme l’une des plus grandes victoires de la dernière décennie.

• Du côté de l’État, nous nous sommes donné une véritable fonction publique, protégée des aléas des changements de gouvernement et du patronage. Du même coup, nous nous sommes donné un État fondé sur le droit, avec un objectif de répartition de la richesse, ainsi qu’un filet de sécurité sociale pour protéger les plus démunis d’entre nous.

• Nous avons assisté à l’émergence d’une véritable culture québécoise originale et puissante, qui est devenue le cœur et le corps de notre identité. En littérature, en théâtre, en arts visuels, en danse, en cinéma, en chanson, en design, les artistes du Québec occupent une place importante, chez nous et sur la scène internationale. En conséquence, le réseau des infrastructures culturelles (salles, bibliothèques), s’est considérablement développé, et nous avons vu se multiplier et se consolider de nombreux emplois dans le secteur culturel.

• Le Québec s’est doté d’une Politique globale et intégrée de l’eau à la fin de novembre 2002, une grande victoire des comités de citoyennes et de citoyens de tout le Québec, des intellectuels et des artistes qui se sont mobilisés, appuyés par un grand nombre d’organisations syndicales, écologistes et communautaires. Tous ces gains et toutes ces victoires sont formidables. Nous vivons en effet dans un monde différent et un peu plus égalitaire qu’avant. MAIS...

Rive droite : dérives actuelles et appréhendées Du pain (et des roses) sur la planche... ... du côté de la maternité et de la famille

• On a beau pleurer sur la dénatalité au Québec, aucun gouvernement n’arrive à mettre sur pied une véritable politique familiale qui donnerait aux jeunes le goût et la facilité d’avoir des enfants, et des mesures réelles de conciliation travail/famille tardent à s’instaurer. Pire encore, il y a de moins en moins de reconnaissance sociale de la maternité, vue comme un choix personnel et un frein au développement des entreprises et à l’efficacité du travail au quotidien. Plus de 500 plaintes logées chaque année à la Commission des normes du travail concernent la maternité. À cause des modifications à la Loi de l’assuranceemploi, 40 % des travailleuses n’ont plus droit à un congé de maternité.

•Il nous faut une véritable politique familiale, incluant des mesures d’harmonisation du travail qui tiennent compte des responsabilités familiales. •Il faut créer un véritable régime québécois d’assurance parentale accessible à toutes les travailleuses, quel que soit leur statut. •Il nous faut des places en garderie en nombre suffisant, et offrir aux parents de nouveaux modèles de services de garde qui répondent aux besoins d’un monde du travail de moins en moins uniforme.

• Le virage ambulatoire coince les femmes entre leurs parents vieillissants, leurs frères et sœurs en difficulté, et leurs enfants. Et un enfant malade n’est pas nécessairement mineur ! Aujourd’hui, les familles sont beaucoup plus petites et plus dispersées qu’auparavant. Quand un frère ou une sœur voire un neveu ou une nièce est malade ou en difficulté, les femmes se retrouvent souvent seules à s’en occuper. De plus, beaucoup de gens vivent seuls. Quand un malheur arrive à une personne seule, tout son réseau se met en branle pour lui venir en aide. En général, il est formé d’une nuée de conjointes, sœurs, mères, amies, qu’on appelle avec candeur les aidants naturels, uniquement au masculin. Tous ces réseaux font épargner beaucoup d’argent à l’État, sans jamais être comptabilisés nulle part.

•Il faut faire reconnaître l’ensemble de nos responsabilités familiales : parents, enfants, conjoints et, en conséquence, faire accepter l’idée de congés familiaux.

• La croissance inquiétante de la judiciarisation des rapports parents-enfants confirme cruellement la perte de liens qu’on observe dans tous les autres secteurs de la société.

• Avec une tragique constance, des femmes continuent de se faire battre ou tuer par des hommes qu’elles aiment ou qu’elles ont aimés.

... du côté de l’éducation

• Les contrats établis entre des entreprises privées et des maisons d’enseignements (écoles, cégeps, universités), encouragent une marchandisation et une vision utilitariste à court terme de l’éducation. On voit se développer des écoles à projets particuliers qui excluent souvent les élèves en difficultés d’apprentissage.

•Il faut résister à l’instauration de bons de l’éducation dont l’approche favorise les écoles privées et les élèves les plus performants, au détriment des petites écoles et des élèves ayant des difficultés.

• Les filles sont encore peu nombreuses en sciences. La menace de fermer certains programmes ou cégeps en région les affecterait davantage, puisqu’elles se retrouvent majoritairement du côté des sciences humaines, des secteurs de plus en plus considérés comme « non rentables ».

•Il faut favoriser l’accès à des programmes nationaux, notamment dans les sciences humaines et dans les sciences de la vie, dans les cégeps et les universités, accessibles partout au Québec. •Il faut faciliter l’intégration des filles aux métiers non traditionnels. •Il faut que la réussite scolaire des filles se traduise par leur réussite sociale.

• Malgré la scolarisation obligatoire, il y a encore plus d’un million d’analphabètes au Québec. Pourtant, la Politique de l’éducation des adultes et de la formation continue ne prévoit augmenter que de 5000 le nombre de places disponibles en alphabétisation des adultes d’ici 2007.

•Il faut augmenter de manière significative l’objectif d’alphabétisation prévu à la Politique de l’éducation des adultes et de la formation continue .

... du côté de la santé • Menaces de voir s’installer un régime de santé à deux vitesses, avec l’instauration d’un régime privé, accessible uniquement aux personnes qui en ont les moyens.

• Coupures budgétaires dans tous les services.

• Pressions pour rentabiliser les services de santé, comme en éducation. Même si un service public ne peut pas être rentable au sens de l’entreprise privée, on voit tout de même s’installer une gestion de type entrepreneurial dans les services publics, soit une recherche de réduction de coûts au détriment de l’accès aux services.

• Il faut lutter contre toutes les formes de privatisation. • Il faut développer un vrai programme de soins à domicile. • Il nous faut un réseau de lieux plus accueillants et plus chaleureux pour recevoir les gens en fin de vie.

... du côté du travail

• Dans les années 1970, les gens se définissaient autant par leur travail que par leurs loisirs, leurs passions, leurs causes, leur militantisme ou le bénévolat qu’ils pratiquaient. Mais tout cela est remis en question. Il est prouvé qu’on passe plus d’heures à travailler aujourd’hui que dans les années 1970. On peut donc difficilement s’identifier à plus que son travail. De plus, l’augmentation du travail autonome, précaire, à contrat ou à temps partiel, à horaires irréguliers, avec des exigences de flexibilité difficiles à concilier avec une vie normale, accentue encore cette tendance lourde. Cette précarisation de l’emploi, qui touche surtout les femmes et les jeunes, provoque souvent un désengagement politique, social et parfois même familial, puisqu’il ne reste plus de temps pour vivre en dehors du travail et de la gestion de la vie quotidienne.

•Il faut lutter contre toutes les formes pernicieuses de la mondialisation - précarisation de l’emploi, désyndicalisation, etc. - en développant, plus que jamais, la solidarité dans les milieux de travail.

•Il faut lutter contre le fossé social qui est en train de se creuser entre emplois réguliers protégés et emplois précaires non protégés.

• Augmentation de la sous-traitance, qui échappe aux conventions collectives et aux normes du travail et menace le droit d’association.

• Difficulté à se faire reconnaître un statut de salariées dans certaines catégories de travail, comme chez les intervenantes en milieu familial.

• Introduction massive des nouvelles technologies de l’information et des communications, qui accélèrent le rythme et déshumanisent le travail.

• Détérioration générale des conditions de travail, qui entraîne une augmentation importante des problèmes de santé mentale et des cas d’épuisement professionnel.

En matière de santé et sécurité au travail, il faut :

•l’application à tous les milieux de travail de l’ensemble de la règlementation en santé et sécurité du travail ; •que la prévention en santé mentale soit incluse dans le mandat de la CSST ; •la reconnaissance des maladies professionnelles spécifiques aux emplois féminins (maux de dos des couturières, tunnels carpiens des secrétaires, etc.) ; •que l’Institut de recherche sur la santé et sécurité au travail accorde des subventions de recherches pour comprendre la spécificité des emplois féminins. ... du côté de l’État et des institutions

• Menace d’un État fondé sur le « gros bon sens », ce qui signifie en réduire la taille et déréglementer à qui mieux mieux pour ne pas nuire aux entreprises privées.

• Là où l’État se retire, ce sont les femmes qui prennent le relais. Toutes les coupures dans les services publics retombent sur le dos des femmes, comme bénévoles, comme travailleuses et comme utilisatrices de services.

•Il faut faire une analyse différenciée, selon les sexes, pour connaître l’impact réel de toutes les coupures de services sur les conditions de vie des femmes.

• Menace du retour au favoritisme dans la fonction publique.

• Montée de la sous-traitance.

•Il faut préserver à tout prix une fonction publique indépendante et forte. •Il faut démocratiser les services publics en préconisant une représentation accrue des citoyennes et citoyens.

• Perte de l’expertise au profit du secteur privé. L’expertise des fonctionnaires, payée à prix d’or par les fonds publics, a été jetée de façon désinvolte lors des milliers de mises à la retraite effectuées dans la poursuite effrénée du déficit zéro.

• Menace de réduction des compétences du Tribunal des droits de la personne. Son affaiblissement aurait un impact direct sur les réclamations que peuvent y faire les salariées victimes de conditions arbitraires dans le secteur du travail précaire, et dans les cas de harcèlement discriminatoire.

•Il faut que les femmes s’impliquent dans les institutions démocratiques pour bâtir un appareil d’État qui nous convienne. •iI faut que le mouvement des femmes s’implique activement dans la réforme du mode de scrutin, parce qu’il n’y a qu’avec un système de type proportionnel qu’elles pourront un jour avoir un poids significatif en politique.

... du côté de la culture

• Tendance à investir uniquement dans le béton (construction et rénovation de salles de spectacles, de bibliothèques). Quand on arrive au véritable cœur du sujet, soit la promotion de la culture d’ici et l’aide à la création, il n’y a plus d’argent.

•Il faut instaurer une véritable politique de lecture et une promotion spécifique de la littérature et des arts de chez nous auprès de la population québécoise.

• Les groupes féministes s’occupent peu ou pas du tout de culture, entraînés eux aussi dans le pragmatisme dominant.

Il nous faut : •retrouver la défense et la promotion des femmes artistes et de leurs œuvres parmi nos revendications ; •cesser de voir la culture comme un luxe, accessible seulement aux plus riches ; •affirmer que culture et éducation sont indissociables. ... du côté de l’environnement

• Tendance à déréglementer tout azimut, neutralisant ainsi des institutions démocratiques comme le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Le ministère de l’Environnement transgresse même ses lois fondatrices, véritable écran de protection vital contre la mentalité du profit rapide et les dangers de la déréglementation, en donnant aux industries la responsabilité d’appliquer elles-mêmes les normes environnementales. Les budgets et le personnel du ministère ont été sévèrement coupés, minant ainsi ses pouvoirs. Au lieu de traiter l’environnement comme un enjeu vital de ce siècle, on l’évacue avec le reste dans les égouts de l’économisme à tout crin.

•Il faut amener nos gouvernants à inscrire l’environnement dans la liste de nos grandes priorités, avec la santé et l’éducation. •Il faut sauvegarder le BAPE à tout prix et lui donner les moyens de son mandat. ... du côté du vivant

• Les groupes féministes devraient se préoccuper de plus en plus de la manipulation du vivant, qui profite d’un vide juridique inquiétant pour se propager à la vitesse des semences modifiées génétiquement par la compagnie Monsanto. Plus qu’à une manipulation du vivant, c’est à une véritable appropriation du vivant à laquelle on assiste sans trop réagir. Pourtant, les femmes, qui jusque-là étaient les seules à pouvoir donner la vie, devraient être concernées au premier chef par la défense de ce territoire qu’on leur enlève en douce.

• À la fin de 2002, trois femmes étaient enceintes de clones.

•Dans ce secteur crucial, tout reste encore à réfléchir, à discuter, à remettre en question et à accomplir.

Tant qu’il y aura des femmes...

Nous sommes arrivées exactement au confluent d’un ancien et d’un nouveau monde. L’ancien monde est en sévère perte d’équilibre : il n’a plus les moyens, ni la force, ni la possibilité d’ignorer les femmes. Mais cet ancien monde patriarcal ne veut pas mourir. Il ne se laissera pas remplacer sans de féroces sursauts, qu’on voit tristement en ce moment sur les planchers des Bourses, dans les officines des multinationales, qui se veulent plus puissantes que les États, et dans des dizaines de pays où la condition et les droits des femmes sont en train de reculer de mille ans. Mais le nouveau monde n’est pas encore prêt à nous faire une place égalitaire.

Le début du troisième millénaire est crucial. Tout peut encore basculer d’un côté ou de l’autre. Mais une grande majorité de femmes est résolument dans le camp du nouveau monde. Si nous mettons tout notre poids de groupe majoritaire dans la balance, avec notre conscience, notre force de travail et notre amour de la vie, appuyées par l’ensemble des forces progressistes en croissance et par les jeunes qui se battent désespérément pour l’avenir, nous ferons basculer inévitablement l’ancien monde vers le nouveau. Irréversiblement, nous lui donnerons naissance comme nous savons si bien le faire.

Les femmes ont encore beaucoup à donner. Nous pouvons aider notre société... ...à sortir des pièges de l’obsession de la matérialité et de la consommation, qui sont devenus les seuls indices du bonheur et de la qualité de vie ; ...à sortir des organigrammes informatisés des technocrates sans connaissance du terrain ; ...à sortir les nouveaux esclaves de l’ère des communications, du retour en force de la précarité dans le monde du travail, précarité dans laquelle le côté noir de la mondialisation veut les enfermer, sans protection, sans déférence et sans respect ; ...à sortir les femmes et leurs enfants des statistiques sur la pauvreté ; ...à sortir les jeunes et les vieux des statistiques sur le suicide ; ...à sortir les malades des couloirs de l’urgence et de la souffrance sur liste d’attente ; ...à sortir des couloirs de la mort trop de vieux qui y rôdent, sans souvenirs et sans considération, sans amour et sans dignité.

Une vision économiste de la société suppose l’absence de règles et de limites. Une vision écologiste de la société suppose le lien et la limite. Dans les deux cas, le préfixe « éco » veut pourtant dire « maison ». Dans notre époque tourmentée, il y a au moins une bonne nouvelle à répandre comme une semence de vie : les femmes sont une espèce en voie d’apparition complète qui ne se laissera plus jamais effacer de l’écosystème de la planète. Nous avons une très bonne idée du type de maison dans laquelle nous voulons vivre, et nous avons l’intention d’en être les responsables à parts égales, dans ce nouveau monde dont nous aurons été les mères porteuses et les sages-femmes.

La mondialisation de l’intolérable

Pendant que nous réfléchissons à tout ce qu’il reste à faire chez nous, nous n’oublions jamais que, en 2003, des femmes se font encore lapider ou exécuter pour adultère ; que des centaines de milliers d’enfants naissent chaque année des viols subis par des femmes utilisées comme trophées de guerre ou comme canal de purification ethnique ; qu’on pratique encore le commerce des femmes et des enfants, chair fraîche ou esclave, pour le trafic d’organes, le trafic sexuel ou le cheap labor  ; que dans 83 pays, l’homosexualité est punie par l’emprisonnement ou la peine de mort ; que sur un milliard d’analphabètes, 650 millions sont des femmes ; que les femmes, qui forment plus de la moitié du monde, ne reçoivent que 10 % des revenus ; que seulement un pour cent des femmes possèdent des terres, alors qu’elles composent 40 % de la main-d’œuvre agricole.

En 2003, le sort qu’on réserve à des centaines de millions de femmes et à leurs enfants est la honte de l’Humanité. Pendant que nous parlons ici, aujourd’hui, haut et fort, librement, des centaines de millions de femmes, sur la même terre que nous, à la même époque que nous, sont les plus pauvres parmi les pauvres, des oubliées de l’Histoire, sans voix, écrasées par le mariage et par la religion, à la fois victimes de guerres fratricides et de la guerre qui s’exerce expressément contre elles. Les droits que nous avons obtenus de haute lutte en Occident, des centaines de millions de femmes se battent encore pour les avoir, ou les voient reculer ou disparaître dans des dizaines de pays : droit à l’éducation, au travail, à la libre circulation, à la santé, au pain et à l’eau, à la contraception, à l’avortement, aux recours juridiques, au divorce, aux loisirs, d’être ce qu’elles sont.

Nous avons beau brandir les droits de la personne, encore faut-il être considérée comme une personne pour en bénéficier. Il faut beaucoup de courage, un courage que nous, femmes d’Amérique du Nord, n’avons jamais eu besoin d’avoir, un courage que nous ne pouvons même pas imaginer, pour défendre ses droits quand on risque sa vie pour exister et ne plus vivre à genoux. Toutes les femmes de la terre ont le droit de vivre dignement, sans violence. Le droit de vivre comme des femmes.