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Déclaration finale du IIIe Sommet des peuples de l’Amérique

samedi 5 novembre 2005

dimanche 6 novembre 2005

Nous, déléguées et délégués d’organisations sociales de toutes les régions du continent, du Canada à la Patagonie, travailleurs et travailleuses, paysans, autochtones, jeunes et vieux, de toutes les races, femmes et hommes de dignité, nous sommes donné rendez-vous ici, à Mar del Plata, Argentine, pour faire entendre la voix de tous les peuples de notre Amérique, exclue par les puissants. Comme ce fut le cas précédemment au Chili et au Québec, nous nous trouvons à nouveau face au Sommet des Amériques qui réunit les chefs d’État du continent, à l’exclusion de Cuba, parce que même si les discours officiels continuent de lancer de beaux mots sur la démocratie et la lutte contre la pauvreté, les peuples continuent d’être exclus de la prise de décisions sur nos destinées. De plus, nous nous rencontrons ici, au sein du IIIe Sommet des peuples, pour consolider notre résistance face aux calammités orquestrées par l’empire du Nord et poursuivre la construction d’alternatives. Jour après jour nous démontrons qu’il est possible de changer le cours de l’histoire et nous nous engageons à avancer plus loin dans cette direction.

En 2001, lors du sommet officiel de Québec, alors qu’encore l’absolue majorité des gouvernements s’inclinaient aveuglément devant l’orthodoxie néo-libérale et les diktats de Washington, avec l’honorable exception du Venezuela, les États-Unis ont réussi à ce que soit fixée au 1er janvier 2005 l’échéance ultime d’entrée en vigueur de son nouveau projet de domination intitulé Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA) et que le Quatrième Sommet des Amériques viendrait sceller en Argentine les négociations de ce projet pervers. Mais c’est sans ZLÉA que nous avons franchi l’année 2005 et le sommet officiel d’Argentine se réalise finalement avec la paralysie des négociations sur la ZLÉA. Aujourd’hui nous sommes aussi ici pour célébrer cette impasse !

Cependant, force est de constater que les États-Unis poursuivent sans relâche leur stratégie d’imposer leur hégémonie sur le continent par l’entremise de traités de libre-échange bilatéraux ou régionaux, comme le démontrent l’approbation par quelques voix de l’accord avec l’Amérique centrale, ou encore le traité qu’ils tentent actuellement d’imposer aux pays andins. De plus, Washington a entrepris récemment de développer le Partenariat pour la Sécurité et la Prospérité de l’Amérique du Nord (PSP). Malgré l’évidence incontestable des conséquences désastreuses de l’application durant plus de dix ans de l’ALÉNA, ce projet d’intégration en profondeur (ALÉNA plus) prétend imposer la politique de « sécurité » des États-Unis à toute la région.

Le gouvernement des États-Unis ne se contente toutefois pas d’avancer ses pièces sur l’échiquier de son projet de domination du continent. Il persiste à les insérer dans un cadre hégémonique unique et n’a pas renoncé au projet de ZLÉA. Aussi, aux côtés de gouvernements qui lui sont inconditionnels, il vient à Mar del Plata avec la prétension de ressusciter le cadavre de la ZLÉA alors que nos populations ont clairement exprimé le rejet d’une telle intégration subordonnée aux États-Unis.

Si sa stratégie en faveur des grandes firmes nord-américaines s’est accompagnée d’une militarisation exponentielle du continent et de l’implantation de bases militaires étatsuniennes, le génocide George W. Bush maintenant arrive au sommet de Mar del Plata avec la prétension d’élever à un niveau d’engagement continental sa politique de sécurité au nom de la lutte au terrorisme, alors que la meilleure façon de l’éliminer serait de renverser sa politique interventionniste et colonialiste.

La déclaration officielle qui a été soumise aux discussions des gouvernements révèle la menace réelle d’une possible adoption des pires intentions des États-Unis, même si elles arrivaient à être nuancées. Cette déclaration regorge de mots vides et de propositions démagogiques pour combattre la pauvreté et générer du travail décent. Les offres qui sont lancées perpétuent un modèle qui a fait de notre continent l’un des plus misérables et injustes, avec une distribution de la richesse la pire au monde.

Il s’agit d’un modèle qui bénéficie à une minorité, qui détériore les conditions de travail, qui approfondit la migration, la destruction des communautés autochtones, la détérioriation de l’environnement, la privatisation de la sécurité sociale et de l’éducation, l’application de normes qui protègent les intérêts des grandes entreprises au dépens des droits des citoyens, comme c’est le cas dans le domaine de la propriété intellectuelle.

Au-delà de la ZLÉA, on persiste à aller de l’avant avec la Ronde de Doha afin d’attribuer plus de pouvoirs à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et imposer aux pays les moins développés des règles économiques inéquitables qui donnent préséance à l’agenda des grandes corporations. On continue de favoriser le saccage de nos biens naturels, de nos ressources énergétiques ; on privatise la distribution et commercialisation de l’eau potable ; on stimule l’appropriation et la privatisation de nos réserves aquifères et hydrographiques, en convertissant le droit humain d’un accès à l’eau en une marchandise d’intérêt pour les transnationales.

Pour imposer ces politiques, l’empire et ses complices comptent sur le chantage que permet la dette extérieure, laquelle empêche le développement de nos peuples, violant tous nos droits humains. La déclaration des Présidents n’offre aucune avenue alternative concrète, comme le seraient l’annulation et le non paiement de la dette illégitime, la restitution de ce qui a été encaissé de trop, et le remboursement des dettes historiques, sociales et écologiques à l’endroit des peuples de notre Amérique.

Nous, les délégué-e-s des divers peuples de l’Amérique, sommes venus ici non seulement pour dénoncer mais aussi pour démontrer que nous résistons aux politiques de l’empire et ses alliés. Nous construisons des alternatives populaires, fort de la solidarité et l’unité de nos peuples ; nous construisons un tissu social de bas en haut, à partir de l’autonomie et la diversité de nos mouvements, afin d’atteindre une société d’inclusion, juste et digne.

D’une seule voix, réunis au sein du IIIe Sommet des peuples de l’Amérique, nous déclarons :

1) Les négociations visant la création d’une Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA) doivent être SUSPENDUES IMMÉDIATEMENT ET DÉFINITIVEMENT, ainsi que tout traité de libre-échange bilatéral ou régional. Nous endossons la résistance des peuples andins et du Costa Rica contre le Traité de Libre-Échange, celle des peuples des Caraïbes pour que les EPAs (Economic Partnership Agreement) ne signifient pas une nouvelle ère de colonialisme déguisé, ainsi que la lutte des peuples d’Amérique du Nord, du Chili et d’Amérique centrale pour renverser les accords de cette nature qui les oppriment.

2) Tout accord entre les nations doit être fondé sur les principes du respect des droits humains, la dimension sociale, le respect de la souveraineté, la complémentariété, la coopération, la solidarité, la prise en compte des assymétries économiques afin de favoriser les pays moins développés.

3) Nous nous engageons à favoriser et mettre de l’avant des processus alternatifs d’intégration régionale, comme peut l’être l’Alternative bolivarienne des Amériques (ALBA).

4) Nous assumons les conclusions et actions issues des forums, ateliers et rencontres qui se sont tenues pendant le Sommet et nous nous engageons à continuer de consolider notre processus de construction d’alternatives.

5) Il est incontournable d’annuler la dette extérieure illégitime, injuste et impayable du Sud, de façon immédiate et sans condition. Nous nous assumons comme créditeurs et exigeons le paiement de la dette sociale, écologique et historique envers nos peuples.

6) Nous assumons la lutte de nos peuples pour la répartition équitable de la richesse, avec travail digne et justice sociale, en vue de l’élimination de la pauvreté, le chômage et l’exclusion sociale.

7) Nous endossons la promotion d’une diversification de la production, la protection des semences originaires que nous considérons patrimoine des peuples au service de l’humanité, la souveraineté alimentaire des peuples, l’agriculture durable et une réforme agraire intégrale.

8) Nous rejetons de façon énergique la militarisation du continent dont l’empire du Nord fait la promotion. Nous dénonçons la doctrine de la supposée coopération pour la sécurité hémisphérique que nous considérons comme un mécanisme de répression des luttes populaires. Nous rejetons la présence de troupes des États-Unis sur notre continent, nous ne voulons ni bases ni enclaves militaires. Nous condamnons le terrorisme mondial d’État de l’Administration Bush, qui prétend mettre à sang la rebellion légitime de nos peuples. Nous nous engageons à défendre notre souveraineté dans la région de la Triple Frontière, coeur des ressources aquifères guaraní. En ce sens, nous exigeons le retrait des troupes étatsuniennes de la République du Paraguay.

9) Nous condamnons l’immoralité du gouvernement des États-Unis qui, pendant qu’il parle de combattre le terrorisme, protège le terroriste Posada Carriles et détient en prison cinq militants patriotes cubains. Nous exigeons leur libération immédiate !

10) Nous répudions la présence de George W. Bush en ces dignes terres latino-américaines, principal promoteur de la guerre dans le monde et de la doctrine néo-libérale qui affecte même les intérêts de son propre peuple. D’ici nous transmettons un message de solidarité aux femmes et aux hommes étatsuniens qui, dans leur dignité, sentent de la honte à l’endroit de leur gouvernement que condamne l’humanité, et qui le résistent contre vents et marées.

Après Québec, nous avons construit une grande campagne et consultation populaire continentales contre la ZLÉA, y nous avons réussi à l’arrêter. Aujourd’hui, face aux prétensions de ressusciter les négociations de la ZLÉA et y ajouter les objectifs militaristes des États-Unis, au sein de ce IIIe Sommet des peuples des Amériques nous assumons l’engagement de redoubler notre résistance, de consolider notre unité dans la diversité, et de convoquer à une nouvelle mobilisation continentale, plus importante encore, pour enterrer la ZLÉA à jamais. Fort de cet effort, nous nous engageons à construire simultanément notre alternative d’une Amérique juste, libre et solidaire.

Mar del Plata, Argentine, ce vendredi, 4 novembre 2005