1. La résistance contre la guerre en Irak a provoqué des mobilisations de masse sans précédent, à l’échelle mondiale. L’instabilité du capitalisme mondial, la récession économique internationale, la formation d’un État supranational de l’Union Européenne, la nouvelle vague d’agression antisociale contre la classe salariale, la jeunesse, les femmes, les immigré(e)s … déboucheront sur de nouvelles mobilisations de masse et un intense processus de clarification politique au sein des mouvements ouvrier et social, et des partis de gauche. Dans les douze mois qui viennent, les classes dominantes européennes vont lancer une grande opération pour renforcer l’Union Européenne, en tant qu’État impérialiste supranational. La social-démocratie jouera à coup sûr un rôle-clé pour "convaincre" le monde du travail d’accepter les réductions des salaires, des retraites, du logement, de l’éducation, de la santé, ainsi que des attaques contre les droits démocratiques et d’asile au nom de la « compétitivité européenne ». Elle plaidera pour "défendre l’Europe", en créant une armée européenne et augmentant les dépenses militaires : un soutien fort aux capitalistes européens dans la guerre économique internationale. La Gauche anticapitaliste européenne devrait jouer un rôle de premier plan dans les mobilisations contre cette nouvelle vague néolibérale et dans la campagne pour les élections de juin 2004. Nous voulons briser la chaîne qui lie la politique néolibérale à la guerre, une guerre qui prépare une nouvelle vague d’agressions antisociales - le mécanisme qui est au cœur du capitalisme d’aujourd’hui.
2. La guerre contre l’Irak a constitué un événement historique, car il s’est agi de la première bataille planétaire entre le capitalisme global, emmené par le gouvernement américain (et ses alliés), et le nouveau mouvement social international.
Loin d’être irrationnelle ou fortuite, la nouvelle stratégie de l’impérialisme américain, axée sur « la guerre ininterrompue », est directement liée à l’essor de la mondialisation capitaliste et la nécessaire maîtrise des contradictions aggravées liées à cette évolution : extension à outrance de la sphère marchande ; dérégulation du fonctionnement économique et institutionnel, avec abrogation systématique des droits acquis du monde du travail ; concentration transnationale du capital financier et productif et sa mobilité ; hiérarchisation accrue entre États capitalistes ; aggravation sans précédent des inégalités sociales, à l’échelle planétaire, dans chaque région et chaque pays ; et donc nécessité de maîtriser les contradictions interimpérialistes aggravées et libérées depuis la disparition de l’URSS, par d’autres moyens à cause de la perte de légitimité et de contrôle de toutes les institutions qui encadrent traditionnellement les mouvements sociaux et populaires et canalisent les explosions sociales. D’où une volatilité économique et une instabilité générale. Cette extraordinaire puissance américaine, dont la suprématie est très inégale selon les plans militaire, économique, monétaire, politique, idéologique, culturelle, est à son tour un facteur d’instabilité.
3. L’opposition « surprenante » des gouvernements français et allemand (appuyée par la Belgique), essayant de bloquer le fonctionnement de l’OTAN et empêchant (avec l’aide de la Russie et de la Chine) l’initiative de Bush-Blair au Conseil de sécurité, a été trop forte, trop réfléchie et trop ample, pour être réduite à des facteurs historiques lointains, des circonstances politiciennes, ou des ambitions personnelles.
L’opposition (du secteur-clé) de l’UE est directement liée à une résurgence et un renforcement des contradictions au sein du capitalisme occidental. Certes, celles-ci restent contenues, par le dispositif impérialiste transatlantique ; la suprématie incontestée des États-Unis, et les difficultés de l’UE pour constituer son État supranational.
Mais, la stratégie américaine de plus en plus systématiquement unilatéraliste, y compris dans les rapports marchands, pèse désormais sur le lien avec l’Europe. Depuis cinq ans, les conflits économiques dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ont changé le climat. L’essor sans précédent de « l’économie transatlantique » - par l’intensité des rapports commerciaux, mais surtout par les investissements directs étrangers - a un effet contradictoire. Cette intégration transatlantique plus poussée a aussi stimulé une concurrence exacerbée, de par et d’autre de l’Atlantique, et qui se projette sur la planète.
Ainsi, au même moment, pour les mêmes raisons, deux changements politiques-stratégiques ont lieu. L’impérialisme américain réoriente sa politique étrangère, suite à la disparition « du danger communiste » : de la priorité à une union étroite avec l’Europe, il passe à une réaffirmation de sa domination mondiale. Dans l’alliance maintenue avec l’Europe, les États-Unis définissent les conditions en fonction de leurs intérêts (la guerre contre l’Iraq est l’exemple le plus visible). Simultanément, l’Union Européenne est poussée, par sa dynamique économique (l’euro, l’achèvement du marché unique, l’élargissement vers l’Est), à se doter du noyau d’un appareil d’État supranational. Sans contester la suprématie américaine, l’UE vise un équilibrage qui change les rapports de force. C’est une dynamique lourde de frictions, de conflits partiels, de contradictions plus aiguës.
4. La formation d’un État supranational, support indispensable aux classes dominantes européennes, se heurte à l’influence directe de l’impérialisme américain et à l’hétérogénéité des (principaux) pays-membres de l’UE. Mais l’obstacle principal c’est l’absence d’une légitimité forte et d’une assise sociale large dans la société. Pour ériger son État semi-autoritaire et soutenir la concurrence internationale (avant tout américaine), l’UE démantèle « l’État Providence » et recolonise les pays du Tiers-Monde. Ce qui renforce la résistance des peuples, des classes ouvrières et de la jeunesse en Europe même.
L’Europe est devenue un épicentre de la confrontation sociale mondiale comme l’ont montré les énormes mobilisations antiguerre qui ont mis en difficulté plusieurs gouvernements.
Certains parmi eux ont opté pour la guerre et se sont subordonnés aux États-Unis : ils ont récolté une énorme vague de protestations et de mobilisation (Grande-Bretagne, Espagne, Italie). D’autres (France, Allemagne, Belgique) se sont positionnés « contre la guerre » et nettement différents des États-Unis : ils ont cultivé le profil d’un impérialisme pacifique, démocratique, social, humaniste, « internationaliste », soucieux d’un nouvel ordre mondial avec ses institutions et ses règles. Avec une double visée : gagner l’opinion mondiale en gagnant du terrain sur les États-Unis ; gagner leur propre opinion publique à la poursuite de la politique néolibérale.
5. Les politiques néolibérales du capitalisme global ont mené à la guerre ; la guerre mène aujourd’hui à une nouvelle vague néolibérale. En même temps, « la politique de guerre » reste à l’ordre du jour.
La gauche radicale s’oppose à cette stratégie capitaliste, impérialiste. Elle fait face à trois défis :
(1) Le mouvement antiguerre est partiellement démobilisé, depuis la fin de la guerre. Il n’a pu empêcher la guerre. Mais de par sa combativité, les énormes manifestations, et son impact dans la société bien au-delà des secteurs militants, il est devenu un facteur important dans la vie politique, même si cela ne s’est pas répercuté directement dans les élections récentes (Italie, Espagne). La situation au Moyen-Orient est très instable, spécialement en Irak. Le gouvernement d’Israël continue à faire sa guerre contre le peuple palestinien et à occuper son territoire. Les États-Unis n’ont pas abandonné leur objectif d’imposer leur contrôle sur le Moyen-Orient, menaçant les États iranien et syrien, appelant à la destruction des mouvements populaires de la résistance dans la région. La soi-disante « guerre contre le terrorisme » a débouché sur une montée massive de racisme et de menaces directes, selon les différents pays européens, contre les communautés arabes, islamiques, noires et asiatiques.
Quelque fût la position face à la guerre d’Irak des différents gouvernements de l’UE, tous se sont coalisés avec les États-Unis pour attaquer les droits démocratiques et d’asile.
Une nouvelle menace ou intervention militaire par le gouvernement Bush n’est pas à exclure. Il est important de maintenir une activité antiguerre régulière, pays par pays, et sur le continent, et de se mobiliser ponctuellement. La participation massive de la jeunesse - en fait une nouvelle génération qui s’impose à la pointe des mouvements sociaux - est un élément-clé dans le nouveau cycle de mobilisations et renforce la lutte des classes.
(2) Après la guerre, la « question sociale » est désormais au centre de la bataille politique, par l’offensive de la part des gouvernements et des patrons au niveau des entreprises. Dans la continuité de sa politique, l’UE poursuit « l’Agenda de Lisbonne » en attaquant directement sur trois points :
(a) Le démantèlement du système des retraites et sa privatisation (partielle) en transférant les sommes énormes que contient la sécurité sociale sous contrôle public. Cela est en rapport direct avec l’autre priorité de l’UE : unifier et développer le marché financier au service du Grand Capital ;
(b) La soi-disante « réforme du marché du travail » pour déréguler les droits (embauche, licenciements, temps de travail, salaire, revenu de remplacement. Il s’agit de briser le socle commun qui a fait la cohésion de la classe ouvrière. L’Allemagne est aujourd’hui en point de mire.
(c) Désormais les patrons pensent avoir le rapport de force pour imposer des licenciements en masse, réduire de manière draconienne les salaires, augmenter les cadences, aggraver l’exploitation du travail.
Ainsi, la classe salariale a massivement riposté par des manifestations et des mobilisations, ainsi que des grèves générales parmi les plus fortes depuis des décennies en France, en Italie, en Autriche, en Allemagne, en Espagne, au Portugal… Il s’agit d’une véritable « européanisation » de la lutte de classe : des luttes quasi simultanées autour des mêmes problèmes avançant les mêmes objectifs et les mêmes solutions, utilisant les mêmes formes de mobilisations. Ce qui est à l’ordre du jour, ce sont des luttes européennes, des coordinations organisées européennes, des grèves générales européennes, bref : la constitution d’une force syndicale européenne, active et militante, que les appareils bureaucratiques des confédérations nationales et de la CES bloquent à cause de leur subordination à « l’Agenda de Lisbonne », adopté en mars 2000, au Sommet de l’UE.
(3) On ne peut plus esquiver la nécessité d’une alternative européenne face à la tentative des bourgeoisies d’avancer vers le noyau d’un État supranational impérialiste.
La gauche radicale européenne est en retard dans la discussion et l’élaboration. Plusieurs secteurs du nouveau mouvement social européen, qui s’organise dans le Forum social européen (FSE), n’affrontent pas les institutions de l’UE, par incompréhension, réticence, ou ignorance, alors que l’UE impose ses décisions : plus de 60 % des lois nationales émanent de l’UE ; la force armée européenne commence à agir ; la Banque centrale européenne (BCE) encadre, souverainement, la politique monétaire, les lois (« directives ») européennes qui supplantent la législation nationale…
La tenue de la Convention, l’élaboration d’une Constitution et la Conférence intergouvernementale exigent de notre part une riposte politique plus systématique et plus coordonnée, ainsi qu’une alternative anticapitaliste européenne.
6. L’UE va se servir des élections européennes de juin 2004 pour mener une gigantesque opération politique-médiatique-publicitaire, allant du pôle nord jusqu’à la Méditerranée, de l’Atlantique aux frontières russes. Elle veut conquérir une base populaire et une légitimité forte, indispensable pour neutraliser le mouvement social et syndical qui se redresse, et de l’aligner derrière l’Europe-Puissance, impérialiste.
Déjà, la social-démocratie européenne s’est mise aux ordres de « l’esprit de Lisbonne » : d’abord renforcer le capitalisme européen (face à « la menace américaine ») et accepter une nouvelle austérité, pour ensuite relancer le progrès social... L’UE deviendrait l’alternative aux USA : pacifique, sociale, humaniste, « internationale »… Cette « nouvelle » idéologie sert à retrouver une stabilité politique dans l’ancrage de l’État/UE.
Mais la crise historique, existentielle, des PS est irréversible. Cela n’exclut pas des remontées momentanées purement électorales, mais sans une véritable reconstruction sur le plan idéologique, programmatique, politique ou organisationnel. Par ailleurs, le processus est très inégal de pays en pays, quant à l’ampleur, la profondeur, le tempo, comme cela s’est passé tout au long de leurs histoires.
7. La GACE participera aux batailles sociales, politiques et électorales comme courant autonome, radical, anticapitaliste.
(1) Elle ne perd pas de vue deux facteurs qui constituent des leviers pour occuper un espace beaucoup plus vaste :
– D’abord, on est entré dans une étape de clarification politique de très grande ampleur et profondeur. Le processus de radicalisation des dernières années commence à déplacer les frontières politiques et électorales. Ce ne sont pas tant les partis traditionnels qui bougent, que leurs électorats. A côté de la guerre, ce sont les questions sociales de la vie quotidienne du monde du travail qui motivent les ruptures. La politique néolibérale et militariste de la social-démocratie a engendré une prise de conscience massive. Les PS et d’autres partis de gauche qui ont participé à de tels gouvernements, ont généralement payé le prix fort !
– Deuxièmement, les énormes mobilisations du mouvement altermondialiste (« no global », « pour la justice globale ») et les soulèvement populaires contre la guerre ont été initiés, organisés et orientés par des forces de la gauche radicale - sociale et politique
– en dehors et contre les appareils centraux du mouvement ouvrier traditionnel. Après avoir essayé, au début, de les attaquer, voire les criminaliser, ils essayent maintenant de s’y insérer afin de gagner en influence. Cela ouvre la voie à des fronts uniques larges qui élargissent le terrain d’action et l’influence politique de la gauche radicale.
Tout cela motive la GACE pour être dans la rue et dans les luttes. Elle sera aussi présente, partout, dans la campagne des élections européennes de 2004. Cette bataille offre une grande opportunité pour mobiliser l’énorme énergie et l’engagement des mouvements sociaux sur le terrain politique, et pour polariser la clarification politique face aux forces réformistes social-libérales.
(2) Nous voulons, en premier lieu, développer notre propre identité politique et plate-forme, qui nous démarque clairement, sur la base des expériences politiques et sociales des 15, 20 dernières années :
– lutte contre la guerre impérialiste, donc aussi contre l’armée et la militarisation de l’UE, sortie immédiate de l’OTAN ;
– contre la politique social-libérale, contre la participation à de tels gouvernements ;
– contre la soi-disante « politique antiterroriste » qui attaque les libertés démocratiques et politiques (ainsi, l’État espagnol a mis hors-la-loi un parti, Batasuna, qui était légal et massivement présent dans les institutions élues de l’État), et criminalise les luttes et les mouvements, singulièrement les immigrés et les allochtones ;
– contre le projet de Constitution de l’UE, foncièrement antisocial, antidémocratique et militariste, au service du Grand Capital.
On ne changera pas cette dynamique néolibérale par des petites mesures, car elle fait désormais système. Il faut changer radicalement de priorités : les besoins sociaux de la masse de la population avant les profits du Grand Capital.
Notre programme alternatif est aussi simple, facile et clair à définir que celui des patrons : pour chacun et chacune, un emploi plein et stable, un salaire décent, un revenu de remplacement viable (en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de pension) ; la réduction radicale du travail sans perte de salaire, sans augmentation des cadences, avec embauche compensatoire ; droit à un logement, une éducation et une formation, des soins de santé, l’accès à des moyens de transport public - tout cela de qualité.
Ces droits politiques et sociaux s’appliqueront à tous les travailleurs/euses autochtones et allochtones. Leurs mises en œuvre nécessite : une extension radicale des services publics ; une refonte du budget de l’État (dont la fiscalité) qui augmente radicalement les budgets sociaux ; une redistribution radicale des revenus du Capital vers le Travail. A cette fin, toutes les mesures anticapitalistes devraient être prises afin de contrôler et, si nécessaire, exproprier la propriété privée et y substituer la propriété publique et sociale. Une autre Europe est possible : sociale, démocratique, égalitaire, écologique, internationaliste - une Europe socialiste !
(3) La GACE ne se contentera pas d’un simple acte de présence. Elle cherchera, selon les pays, à nouer des alliances ou à former des blocs électoraux pour battre la social-démocratie et sa politique néolibérale, et les partis de gauche qui s’y rallient.
(4) La GACE organisera une campagne active et dynamique avec un profil politique élevé en faveur d’une alternative anticapitaliste, socialiste. La GACE publiera son « Manifeste » européen à la 7e Conférence, qui se tiendra à Paris, en novembre 2003. La GACE soutient l’initiative annoncée par le Parti de la refondation communiste (PRC, Italie), d’une « Convention pour une Europe alternative ».