Par dizaines de milliers, venus de tous les horizons, les Chiliens honorent Salvador Allende. À l’époque, la construction d’une nouvelle société semblait à leur portée. Aujourd’hui, un socialiste est de nouveau président. Mais, cette fois, pour servir les multinationales...
Au Chili, en 1980, une Constitution avait été adoptée, prévoyant une série de dispositions censées assurer une transition entre la dictature et la démocratie. À partir de1982, l’opposition commençait de s’organiser, stimulée par la réactivation des mobilisations populaires, les protestas. La confiance de la classe dominante dans le régime se trouvait profondément ébranlée. Pour gagner le plébiscite, l’opposition se réorganisait, ce qui aboutissait à la formation de la coalition gouvernementale aujourd’hui aux affaires.
Un nouveau Parti socialiste avait vu le jour. Avec le Parti pour la démocratie (PPD), il devenait la colonne vertébrale d’une coalition, baptisée Concertation. Lors du scrutin de 1989, le PS acceptait de s’effacer au profit du courant démocrate-chrétien, dans le but de rendre la Concertation acceptable pour la droite, le patronat et la dictature. Ces derniers soupçonnaient alors - à tort - le PS d’être encore un parti de gauche... C’est donc sous le leadership de la démocratie-chrétienne que la Concertation obtenait des élites dirigeantes quelques concessions mineures, en contrepartie de quoi elle s’engageait à respecter l’intégralité du modèle économique ultralibéral imposé par les Etats-Unis.
En d’autres termes, elle se résignait au bilan laissé par la dictature. De grands groupes avaient connu un enrichissement fulgurant, généreusement arrosés grâce à la dette extérieure du pays. La dénationalisation des principaux conglomérats économiques créés sous l’Unité populaire (voire avant) avaient, dans le même temps, servi à financer ladite dette. Le système de sécurité sociale avait été démantelé. Le service national de santé avait licencié plus de la moitié de son personnel. La retraite par répartition s’était vue éliminée au bénéfice des fonds de pension. Un système d’éducation à deux vitesses s’était installé, l’école publique se trouvant municipalisée.
Au total, 40 % de la population vivaient en état de pauvreté, la malnutrition se développait (70 % des enfants en âge d’être scolarisés ne mangeaient pas à leur faim au début des années 1980). Des maladies éradiquées réapparaissaient. Fléau jusqu’alors inconnu, la prostitution infantile venait souligner l’extrême détresse des classes populaires.
C’est dans ces conditions que se déroulèrent les élections générales de 1989. Les possédants savaient alors n’avoir rien à en redouter. Les forces armées s’étaient vues garantir leur autonomie administrative et financière. Le système électoral avait été conçu de telle manière que, même si elle l’avait voulu, la Concertation ne pouvait espérer la moindre modification du cadre institutionnel et de la politique économique. La gestion de son candidat, P. Aylwin, était donc toute tracée, dès lors qu’il remporta la consultation.
Ultérieurement récompensés pour leur sagesse, les socialistes finirent par trouver le chemin du pouvoir. Leur porte-drapeau, Ricardo Lagos, devint le troisième président de la "transition". Il entreprit immédiatement d’appliquer scrupuleusement les accords passés entre la Concertation et la dictature, consolida le modèle économique néolibéral, enclencha de nouvelles privatisations et multiplia les concessions au capital financier international.
C’est dans ce contexte que le pays rend hommage à Salvador Allende, dans un foisonnement d’initiatives. Une journée de grève et de protestation s’est même déroulée le 13 août. Signe des temps, le gouvernement du socialiste libéral Lagos a déployé un impressionnant dispositif de sécurité. De nouveau, Santiago a été occupée par les forces de répression.
Même s’il est trop tôt pour en mesurer toutes les conséquences, cette grève devient un repère important du paysage politique et social chilien. Les revendications expriment un rejet radical du néolibéralisme. Elles soulignent également ce qui sépare un socialiste d’un autre. Les critiques que nous pouvons adresser à Salvador Allende (voir pages pleins feux) ne sauraient nous faire oublier qu’il ne lança jamais les forces de l’ordre contre les travailleurs...
Rouge 2030 11/09/2003