Les évolutions au Brésil depuis l’élection de Lula représentent l’un des plus importants défis, et l’une des opportunités les plus grandes, auxquelles la Quatrième Internationale ait été confrontée, pour plusieurs raisons.
La victoire de Lula comme candidat du Parti des Travailleurs (PT) lors des élections présidentielles d’octobre 2002 ont exprimé le rejet de politiques néolibérales et de leurs conséquences dévastatrices par une majorité écrasante de la classe des travailleurs et des pauvres dans le cinquième pays le plus peuplé du monde. Dans le domaine strictement politique, c’était l’expression la plus avancée jusqu’à présent du mouvement mondial contre la mondialisation capitaliste - et ceci dans un pays qui fut l’hôte des trois premiers Forums Sociaux Mondiaux et accueillera le prochain en 2005. De façon paradoxale, cependant, la victoire de Lula n’était pas précédée ni suivie par des luttes sociales ou des mobilisations de masse comparables d’une manière ou d’une autre à ce qui a été vu dans les années et les mois récents dans le reste de l’Amérique Latine.
La victoire électorale du PT marque la première fois dans le monde qu’un parti large, ouvrier, se basant sur les syndicats et les mouvements sociaux, avec une histoire faite de positions de lutte de classes, anti-impérialistes et souvent anti-capitalistes, et essentiellement libre des traditions du stalinisme et de la social-démocratie, s’est approché peu ou prou de la victoire à des élections pour le gouvernement national - et ceci dans le deuxième pays le plus susceptible d’influencer les autres de l’hémisphère occidental. Avec une tradition forte et multiple de courants marxistes à son cœur, le PT est précisément le genre de parti que beaucoup d’autres sections de la QI ont essayé de construire, dans des circonstances très différentes. Mis à part les leçons négatives qui peuvent être apprises de l’expérience gouvernementale du PT, le simple fait de sa victoire électorale suggère qu’il y a urgence à ce que nous visitions à nouveau, et peut-être que nous inventions à nouveau une partie de notre arsenal stratégique pour savoir comment tirer avantage de victoires électorales de tels partis dans des circonstances relativement paisibles, pas immédiatement révolutionnaires
Pour la première fois de son histoire, la QI, via sa section brésilienne, Démocratie Socialiste (DS), était absolument au centre de ces deux processus. Quoiqu’étant une minorité dans le PT, le rôle de pivot que DS a joué dans le développement du PT, dans ses gouvernements locaux les plus radicaux, dans ses innovations programmatiques les plus audacieuses (comme le budget participatif), dans la direction des ses groupes parlementaires dans les deux chambres pendant les luttes contre les politiques néolibérales du gouvernement brésilien précédent, et dans les lutte sociales qui forment la base du soutien pour le parti - tout cela a fait de DS sans doute la section la plus capable d’influencer que la QI ait jamais eue. Son rôle central dans l’organisation des FSM à Porto Alegre a aussi aidé à mettre la QI et notre programme pour la démocratie socialiste au cœur de mouvement international pour la justice globale.
Pour toutes ces raisons, l’Internationale toute entière a le devoir de faire tout ce qu’elle peut pour soutenir nos camarades au Brésil et de les aider, non seulement à triompher des difficultés sérieuse auxquelles ils/elles sont confronté-e-s, mais aussi pour profiter des opportunités immenses qui se présentent à la gauche révolutionnaire au Brésil, quoique dans des circonstances compliquées. Il est vital que le débat initié dans la QI par son dernier CI soit conduit dans cet esprit. Ce document vise à contribuer à ce processus.
Le gouvernement Lula
Bien des caractéristiques du gouvernement Lula pouvaient être prévues, avant et immédiatement après la victoire électorale. La préférence pour les manœuvres parlementaires plutôt que la mobilisation de masse comme moyen de faire passer son programme législatif était de plus en plus clair. Résultat : des alliances de plus en plus larges avec des partis bourgeois du centre et de la droite afin d’assurer des majorités au Congrès étaient probables. La décision de respecter les accords existants avec le FMI mènerait inévitablement à une pression sur les programmes sociaux afin de financer la dette publique, extérieure et intérieure. Cependant, presque personne au Brésil n’imaginait à quel point et à quelle vitesses le gouvernement Lula s’alignerait sur le programme néolibéral.
Les priorités centrales de la première année du gouvernement Lula, et les priorités projetées pour cette année et au-delà, peuvent être lues presque mot pour mot dans les lettres d’intention successives au FMI et les accords avec la Banque Mondiale. Les réformes des retraites, la réforme fiscale, une nouvelle loi sur les faillites pour protéger les créanciers étranges, la privatisation des banques régionales qui sont encore publiques, elles relèvent toutes de cette catégorie. L ‘amendement constitutionnel proposé pour donner son autonomie à la banque centrale (dans la pratique elle l’a déjà) , ainsi que des propositions pour une réforme des syndicats et une dérégulation dramatique du marché du travail rempliraient Tony Blair et Gordon Brown de fierté. Même la conception des programmes sociaux du gouvernement Lula - avec leurs allocations " ciblées " - ressemblent à des extraits d’un manuel de la Troisième Voie ou de la Banque Mondiale. En vérité, là où les priorités diffèrent de celles énoncées dans les accords, c’est habituellement pour aller au-delà du FMI dans l’orthodoxie économique - comme pour la décision du ministre des Finances Antonio Palocci d’augmenter l’objectif du FMI pour le surplus primaire du Brésil (en gros la quantité enlevée aux dépenses publiques pour payer les banquiers) de 3,75 % à 4,25 % et d’insister pour que cet objectif soit satisfait pendant tout le mandat de quatre ans de Lula et au-delà.
Cette conversion enthousiaste aux priorités néolibérales et leurs justifications familières - les nouvelles lois du travail, flexibles, seront sans doute justifiées par le besoin de créer des emplois, tout comme les réformes des retraites étaient justifiées par le besoin de combattre les privilèges du secteur public et d’aider les pauvres - a été accompagnée par l’extension de l’arc d’alliances du gouvernement PT aussi loin que le permettent les lois de la géométrie. Au début de 2004 le principal parti bourgeois du centre, le PMDB, a été formellement introduit dans le gouvernement, alors que des pactes informels existent avec des parties ou l’intégralité des deux principaux partis qui ont constitué le gouvernement précédent, le PFL (le parti de l’oligarchie traditionnelle du Brésil et de la dictature militaire) et le PSDB (le parti des technocrates néo-libéraux). A tous les points de vue, il n’y a aujourd’hui au Brésil pas d’opposition de droite au gouvernement PT.
En vérité, à la fin de mars 2004, l’opposition bourgeoise qui existait s’est sentie capable de se positionner à gauche du gouvernement PT. Le PFL et le PSDB, de droite, se sont joints au vieux parti populiste PDT pour publier une " liste des 13 premiers résultats du gouvernement Lula ". Elle mentionnait l’augmentation du chômage, la chute des salaires réels des travailleurs, le paiement d’environ 50 millions de dollars en intérêts sur la dette publique, le fait que les banques ont réalisé l’année dernière " leurs plus hauts profits de toute l’histoire ", et la " soumission exemplaire " au FMI, avant de vilipender l’échec total de la politique sociale du gouvernement et de s’appesantir sur un récent scandale de corruption qui a fait énormément de dommage à l’image du gouvernement.
Malgré ce tournant dramatique vers la droite, le gouvernement Lula n’a pas encore rencontré d’opposition concerté de la part des syndicats ou des mouvements sociaux. Les grèves et les protestations d’employés fédéraux au milieu de 2003, avant le premier vote sur les réformes des retraites dans la chambre basse du congrès, est le seul cas significatif de résistance sociale directe à la politique du gouvernement. L’autre seule mobilisation étendue, le mouvement des sans-terre (et dans certains cas de communautés indigènes) pour l’accès à la terre (organisé principalement mais non exclusivement par le MST), n’a pas pour le moment été dirigé contre le gouvernement en tant que tel, même s’il a certainement révélé les manquements du gouvernement dans ce domaine. Il a plutôt été dirigé contre les propriétaires terriens et les parties de l’appareil d’Etat brésilien les plus complètement sous le contrôle de cette oligarchie rurale, c’est à dire les gouvernement d’états et la police militaire et les pouvoirs judiciaires qui en dépendent directement. Le but du MST et d’autres dans ces mobilisations a été de pousser le gouvernement PT à réaliser ses promesses de réforme agraire. Pour cela il a maintenu une alliance contradictoire et parfois tendue avec des secteurs à l’intérieur du gouvernement, en particulier le ministère du Développement Agraire. (Nous y reviendrons.)
En fait peut-être l’opposition la plus concertée à l’évolution du gouvernement PT durant ses quinze premiers mois est venue de l’intérieur du PT lui-même, atteignant son expression la plus intense autour de l’expulsion d’Heloisa Helena et des autres " radicaux " en décembre. Cependant cette opposition, à l’intérieur du PT et maintenant aussi en-dehors, reste fragmentée. (Nous y reviendrons.)
Ce manque de mobilisation contre la politique du gouvernement reflète la passivité relative du mouvement social et syndical brésilien ces dernières années, et la bureaucratisation partielle de ce dernier. Mais il reflète également la façon dont les attentes envers le gouvernement Lula ont évoluées parmi les travailleurs et les pauvres brésiliens en général
Au niveau de l’opinion publique, le soutien pour le gouvernement PT a décliné substantiellement, particulièrement dans les derniers mois. Cette dernière chute est un résultat d’un scandale de corruption dans lequel est impliqué le bras droit du chef de cabinet de Lula, Jose Dirceu, (il est accusé de négocier des faveurs politiques pour des syndicats de jeux illégaux en échange de financement secret de campagnes du PT), ainsi que de l’absence du " spectacle de croissance " depuis longtemps promis par Lula. Les sondages qui devaient être publiés début avril semblaient devoir indiquer une chute dramatique d’environ dix points.
Cependant, la cote de popularité du gouvernement en février - qui flottait un peu au dessus des 50 % - ne ressemblait pas du tout à un rejet massif. Et la cote de popularité personnelle de Lula à ce moment restait haute, au dessus de 60 %. Après un an au gouvernement durant lequel le chômage et le travail des enfants avaient augmenté de façon dramatique, pendant que les revenus réels chutaient de 10 % ou plus, cela semblait une importante différence avec d’autres expériences en Amérique Latine, comme celle de De la Rua en Argentine ou Lucio Gutierrez en Equateur. Sans doute cela reflète-t-il les racines sociales beaucoup plus solides du PT, dont l’histoire comme parti de masse de la classe ouvrière organisée lui donne une plus grande crédibilité et ne peut pas être détruite si facilement. Il semblait qu’une grande majorité de la classe laborieuse brésilienne espérait et croyait encore que Lula pourrait faire le boulot. C’est probablement encore le cas, malgré les problèmes les plus récents du gouvernement. Et cet espoir, même s’il va à l’encontre de tous les faits et alors qu’il se dissout dans un désenchantement étendu, a continué d’influencer une majorité de membres du PT, et aussi une partie importante de la gauche du PT.
Dans cette situation, attacher l’étiquette de " front populaire " au gouvernement Lula peut ne pas aider beaucoup. Dans notre tradition le terme " front populaire " a été utilisé pour décrire des gouvernements formés par des partis ouvriers qui invitait des partis bourgeois au gouvernement, et qui en le faisant donné le contrôle politique à ces forces bourgeoises. La réponse traditionnelle, le mot d’ordre " Dehors les ministres bourgeois " avait comme but de faire finir la subordination du gouvernement à des priorités bourgeoises et de demander qu’il revienne à une défense des intérêts de la classe laborieuse. Mais l’inclusion de ministres bourgeois dans l’administration Lula est d’importance secondaire. La décision du gouvernement d’adopter une orientation néolibérale intégrale a été un choix délibéré du noyau dur du gouvernement - Jose Dirceu, Antonion Palocci, Luiz Dulci, Luiz Gushiken et Lula lui-même - tous des leaders historiques du PT lui-même. On pourrait se débarrasser de tous les ministres bourgeois et cela ne ferait probablement pas de différence du tout pour l’axe politique du gouvernement.
Effectivement la seule occasion où Lula a clairement changé sa politique pour ménager ses ministres bourgeois - la décision de légaliser le soja génétiquement modifié - a failli provoquer une crise majeure non seulement avec sa ministre de l’environnement mais avec une grande partie de la droite du PT qu’elle représente, dont le président du PT, Jose Genoiuo, qui avait orchestré les attaques du gouvernement contre la gauche du PT.
Dans un certain nombre d’autres occasions, le businessman-millionnaire, vice-président, choisi par Lula dans le petit Parti Libéral bourgeois, Jose Alencar, a exprimé des positions sur la politique économique clairement à gauche des dirigeants gouvernementaux du PT.
Autrement dit, le caractère néolibéral du gouvernement Lula est le résultat d’un choix délibéré de la direction du PT. Il ne dépend pas de l’alliance avec des partis bourgeois, quoiqu’elle en ait certainement rendu la gestion plus aisée. Et bien sûr l’inclusion de ministres bourgeois est un signe en direction de la classe dirigeante brésilienne et de l’impérialisme qui leur montre que leurs intérêts seront bien garantis.
La réponse de la gauche
Il est bon de rappeler brièvement comment la direction du PT en est arrivé là, et comment la réponse de la gauche a évolué.
La direction majoritaire du PT dérive lentement vers la droite depuis que Lula a perdu de justesse sa première élection présidentielle en 1989. La gauche du PT, et particulièrement DS, a mené une lutte constante contre cette dérive droitière pendant toutes les années 90.
A la dernière conférence du PT, à Recife en décembre 2001, la répartition des forces était claire. L’ancien courant majoritaire de Lula et ses plus proches alliés connu sous le nom d’Articulation, avait attiré autour de lui les courants plus petits de la droite et du centre pour former ce qui est devenu le Camp de la Majorité, avec Jose Dirceu comme dirigeant central de cette majorité dans le PT.
A gauche, DS avait en partie dépassé Articulation de Gauche comme principal courant de gauche dans le PT. Ce dernier, dont l’origine revenait à une scission des années plus tôt dans le courant majoritaire de Lula, était de toutes façons un groupe beaucoup plus flou qui comprenait des figures historiques d’origine castriste et maoïste, ainsi que des chrétiens de gauche et certains députés alliés au Mouvement des Sans Terre (MST). Le troisième plus important courant de la gauche du PT, Force Socialiste, formé originellement à partir de plusieurs courants maoïstes et " centristes ", ainsi qu’avec plusieurs courants de gauche plus petits, ou régionaux, tendait à collaborer avec DS et Articulation de Gauche, malgré des frictions à l’occasion. Les autres courants du PT d’origine trostskyste - parmi lesquels les lambertistes (Otrabalho) et d’anciens morénistes (le CST, une scission du principal groupe moréniste, le PSTU, et plus tard le MES qui avait scissioné du CST en 20002) - tendaient à mener une existence plus séparée et isolée au sein du PT.
En dehors du PT il y avait deux forces substantielles à gauche. Le Parti Communiste du Brésil (PcdoB), à l’origine une scission marxiste du vieux PC, a eu une alliance électorale de longue date avec le PT. Il a une présence significative dans les mouvements sociaux et au parlement. Sa stratégie de recherche d’une bourgeoisie nationale avec laquelle s’allier veut dire qu’il soutient en général l’évolution de la direction du PT. (Quoique certains de ses députés aient depuis voté contre certaines des mesures néolibérales du gouvernement, la direction du PcdoB joue maintenant un rôle clé pour aider à organiser les alliances du gouvernement Lula au Congrès.) Le Parti Socialiste Unifié des Travailleurs (PSTU), qui s’est fait expulser du PT bien des années auparavant, a organisé des courants de gauche dans certains syndicats, mais n’avait pas de crédibilité électorale.
Pendant ce temps Lula lui-même, et certains de ses plus proches conseillers, s’étaient éloignés quelque peu de la vie interne du PT.
Cependant, les positions et les axes d’un programme de gouvernement adoptés par la majorité du PT à la conférence de Recife étaient encore ce que nous pourrions appeler réformiste de gauche. Ils incluaient un engagement clair à rompre avec le modèle néolibéral dominant, développer le marché interne du Brésil et donner la priorité à la satisfaction des besoins de la majorité du peuple brésilien. On parlait encore d’un référendum contre l’ALEA, et d’étendre la démocratie participative dans tout le pays. La direction du PT semblait encore promettre quelque chose de très différent de la social-démocratie européenne.
Ceci changea rapidement au début de l’année des élections. La majorité du PT dans son ensemble commença à adopter l’attitude beaucoup plus modérée qui était développée en dehors du parti par Lula et son institut de réflexion personnel, l’Institut de la Citoyenneté. D’abord l’alliance promise avec les secteurs " productifs " de la bourgeoisie brésilienne commença à prendre forme. Le terme " productif " devait indiquer les éléments sains du monde des affaires impliqués dans des formes utiles de l’industrie et de l’agriculture, en opposition implicite aux couches parasites retranchées dans le monde de la finance, de la spéculation et de grandes propriétés foncières sous-exploitées - une sorte de version moderne des vieilles thèses stalinistes sur la " bourgeoisie nationale ". En avril, le PT dans l’état de Rio Grande do Sul - dirigé par DS et qui reste une région où le parti a gardé une vie interne vigoureuse - a publié une critique pointue de la stratégie de la direction. Elle demandait une confrontation ouverte avec le modèle existant. Seule une rupture claire avec la politique néolibérale dominante, disait-elle, soutenue par de grandes mobilisations de masse, pourrait rendre possible le genre de changements dont avait besoin la vaste majorité des brésiliens. Il ne s’agissait pas de gagner les élections à tout prix, mais de gagner pour changer.
Quand cette alliance a été scellée en juillet par l’accueil du petit Parti Libéral (PL) dans la coalition électorale du PT et la désignation de l’un de ses dirigeants, le magnat du textile Jose Alencar, comme candidat au poste de vice-président aux côtés de Lula, DS mena à nouveau l’opposition. La sénatrice DS Heloisa Helena, avec le soutien total de la direction de DS, a renoncé à être candidate du PT pour le poste de Gouverneur de son état, Alagoas, en disant qu’elle ne pouvait pas être aux côtés des éléments les plus corrompus et les plus oppressifs de la classe dirigeante locale, des grands propriétaires terriens et des barons du sucre, et un certain nombre de politiciens locaux déjà mentionnés dans une enquête parlementaire sur le cri me organisé et le trafic de drogues. La résolution publiée par DS à l’époque disait clairement qu’elle ne formerait pas de telles alliances, où que ce soit. Un autre député DS, Avenzoar Arruda, d’un autre état du Nord-Est, Paraiba, refusa de rompre avec la nouvelle alliance imposée par la direction du PT. DS condamna son action et il a démissionné de la tendance.
Mais un autre glissement, encore plus grave, de la position de la direction du PT avait déjà commencé. Quand Morgan Stanley et d’autres banques d’investissement commencèrent à prévenir leurs clients de ne pas s’engager au Brésil au cas où Lula gagnerait, il semblait qu’un nouvel effondrement du marché venait. La " Lettre au Peuple Brésilien " de Lula (connue par la gauche comme sa Lettre aux Banquiers) faisait le maximum pour rassurer. Le FMI proposa un nouveau programme de " sauvetage " conçu précisément pour lier les mains de tout nouveau gouvernement, et Lula convint de le respecter s’il était élu. Une nouvelle alliance avait été formée, cette fois avec le capital financier international et le FMI. La scène était prête pour un gouvernement PT qui continuerait la politique macro-économique de son prédécesseur.
La contradiction partielle entre ces deux espèces d’alliance bourgeoise - ou les choix politiques qu’elles reflètent - c’est à dire celle entre la promotion des intérêts du capital " national ", productif, et de ceux du capital financier " transnational " - continue de produire des tensions à l’intérieur du gouvernement Lula, sur des questions de libre échange ou le niveau exact des taux d’interet, et même entre membres du noyau dur du PT, comme Dirceu contre Palocci. Mais ils sont tous les deux fermement à l’intérieur du cadre de l’orientation néolibérale.
Dans ce contexte, la décision de DS en novembre 2002 d’accepter une invitation à participer au gouvernement de Lula - avec Miguel Rossetto au ministère clé chargé de la réforme agraire - semble contradictoire. Si Heloisa Helena ou Avenzoar Arruda quatre mois plus tôt ne devaient pas être aux côtés de candidats du PL dans leurs états, comment serait-il juste à présent de se joindre à un gouvernement national qui comprenait non seulement le PL, mais, ce qui est beaucoup plus important, avait promis d’appliquer loyalement les termes du FMI ?
Il est vrai que la pression sur DS et la gauche PT tout entière était immense. Dans l’euphorie qui vint après l’élection, ceci vint non seulement de l’appareil du PT mais sans doute de la base aussi, qui encourageait la gauche à assumer ses " responsabilités historiques " en tant que partie intégrante du PT, et aider à faire de " notre gouvernement " un succès. L’extrême isolation de la gauche qui dénonçait déjà le gouvernement Lula comme étant un front populaire est démontrée par le score électoral du PSTU - autour de 0,5 %.
Néanmoins, d’après nous, la participation au gouvernement était une grave erreur, une erreur qui aurait probablement dû et pu être vue à l’époque. C’était une erruer rendue plus difficile à rectifier par le fait qu’elle semble n’avoir jamais été discutée de façon organisée par les membres de DS dans leur ensemble, ni auparavant à la sixième conférence de la tendance en 2001, ni après à sa septième conférence en novembre 2003 (où elle a été considérée comme un fait plutôt qu’un choix). Il y a eu effectivement une discussion à la direction de DS en novembre 2002, et un document a été adopté qui contenait des formulations quelque peu vagues et ambiguës sur une participation possible au gouvernement Lula. Cependant, ce débat ne semble pas être parvenu jusqu’à beaucoup de membres de base de DS. D’après nous il y a eu aussi un manquement de notre part, la QI, à anticiper cette situation de façon adéquate. Ceci n’aurait jamais dû être une question de " décider la ligne pour le Brésil à Paris ", ou quoi que ce soit de ce genre. Mais il n’était pas besoin d’être grand clerc pour voir que la question serait posée, et que quelle que soit la réponse donnée, elle aurait des implications énormes à la fois pour DS et pour toute l’Internationale. Il y avait évidemment besoin d’une réflexion lucide et d’une consultation sur l’un des plus importants choix auquel n’importe quelle section de la QI ait été confronté depuis des décennies, avant de le faire. Le fait qu’elle n’ait jamais eu lieu, au moins jusqu’au Congrès Mondial de février 2003, alors que Miguel était déjà en place, était un manquement dont nous sommes tous responsables, tant au Brésil qu’à l’extérieur.
Mais si participer au gouvernement était une erreur, on peut défendre l’idée selon laquelle c’était une erreur légitime - tant que le caractère du gouvernement n’était pas clair... et pouvait changer.
D’après nous, le critère pour juger une telle participation ne devrait pas être une formule abstraite, algébrique, mais un bilan concret de ses effets. Avance-t-elle ou freine-t-elle la capacité de la classe laborieuse et de ses alliés de combattre pour ses objectifs historiques ? Dans cette optique, nous prendrions comme exemple la méthode utilisé par le PRT mexicain dans les années 80 pour évaluer les alliances avec le FMLN durant le combat révolutionnaire au Salvador, en opposition à ceux qui voulaient arriver à une conclusion de trahison de classe en partant de la base de l’alliance avec des chrétiens-démocrates dissidents.
Une partie de ce bilan concret des effets de la participation au gouvernement Lula devra se confronter à certaines questions stratégiques auxquelles nous, dans la QI et de façon plus large dans la gauche révolutionnaire, n’avons clairement pas réfléchi assez ces dernières décennies - probablement parce que nous ne sommes pas assez approchés de la capture du pouvoir. C’est précisément parce que ces questions sont difficiles, et que les enjeux sont beaucoup plus importants que ceux auxquels la plupart d’entre nous sont habitués, cela vaut la peine d’insister à nouveau sur le besoin de mener tout ce débat à la fois dans la clarté, et avec l’humilité adéquate. L’intérêt d’exprimer et de débattre de nos opinions dans la QI n’est pas de donner des leçons au camarades brésiliens depuis un endroit lointain. Il est d’avoir un débat avec eux dont nous pourrions tous émerger mieux préparés à agir face aux questions auxquelles nous serons confrontés dans l’avenir.
Ces questions stratégiques sont liées à la question clé de l’approche par les révolutionnaires d’une situation où des partis larges de travailleurs ou anticapitalistes - dans lesquels nous pouvons jouer un rôle important ou pas - sont élus dans des gouvernements nationaux dans des circonstances relativement paisibles, sans que des mobilisations de masse indiquent la perspective immédiate d’une crise révolutionnaire. Il est important de réviser notre pensée sur cette question, parce qu’étant donnée notre orientation actuelle de la construction de partis anticapitalistes larges, c’est une situation à laquelle pourraient être confrontés différentes sections de la QI dans des circonstances très variées.
C’est la situation à laquelle sont confrontés les camarades de DS depuis octobre 2002. C’est une situation où la question " Que voulez-vous exactement que nous fassions ? ", posée non seulement par la direction droitière du PT mais par beaucoup de membres du PT et de sympathisants à tous les niveaux - précisément les secteurs larges que la gauche a besoin de convaincre - est très puissante. Dans des circonstances où il n’y a pas, pour le moment, des dizaines de milliers de personnes dans la rue, sans parler d’une situation pré-révolutionnaire, ce n’est pas suffisant de répondre avec une liste préparée à l’avance tirée du Programme de Transition : nationaliser les banques et le commerce extérieur, annuler la dette extérieur, etc. Nous devons pouvoir aussi répondre à des questions plus difficiles, comme " Comment éviter que le crédit international ne s’assèche, que la taux de change ne plonge, que l’économie ne s’écroule, que la nourriture et le fuel ne manquent, pendant que les médias et les forces armées accomplissent un coup d’Etat sans verser le sang (ou en en versant) et que la majorité de la population vous abandonne comme des rêveurs incompétents ? "
A notre avis les camarades de DS sont en fait allés plus loin que peut-être quiconque, dans ou en dehors de la QI, dans l’élaboration de réponses contemporaines à ces questions. Ces réponses reposent sur deux piliers :
L’examen détaillé par DS de ce qu’une politiques économique alternative pourrait signifier pour le gouvernement PT - une politique qui ne provoquerait pas nécessairement une rupture immédiate avec le cadre capitaliste, mais qui posséderait une dynamique transitoire.
Les propositions de DS pour que la démocratie participative soit étendu au niveau nationale, en utilisant des mécanismes similaires à ceux des budgets participatifs locaux afin de faire bouger le contrôle politique - en incluant les politiques économiques alternatives mentionnées ci-dessus - en dehors du Congrès et de l’exécutif et de le placer dans les mains de la population, en bâtissant ainsi le genre de légitimité requise pour réaliser avec succès la rupture qui suivrait inévitablement.
Malheureusement DS dans son ensemble semble avoir été quelque peu timide dans la lutte effective pour ces alternatives, et d’après nous, cela est fondamentalement une conséquence - ou un écho - de leur décision de participer au gouvernement et également d’obéir à la " discipline " de la majorité du parti au parlement (en votant pour la réforme des retraites et d’autre mesures néolibérales, tout en donnant des arguments contre elles).
En dernière analyse, tout bilan concret des effets de la participation à ce gouvernement repose sur un bilan concret de la direction qu’il prend. D’après nous il est à présent tout à fait clair que l’orientation fondamentale du gouvernement Lula ne va PAS changer. Il peut y a voir des tournants tactiques ça et là, un peu plus ou un peu moins d’attention donnée à la création d’emplois, à des questions sociales ou à l’intégration latino-américaine, mais la loyauté sous-jacente aux règles macro-économiques dictées par le capital internationale ne changera pas.
En vérité, même sir le gouvernement voulait changer, ce qui n’est pas le cas, il ne pourrait pas. La " stabilité " qu’il prétend avoir accomplie disparaîtrait du jour au lendemain. Comme l’a dit le camarade Joao Machado, apparemment en plaisantant (mais peut-être pas), les seules conditions dans lesquelles le gouvernement changerait d’orientation serait celles d’une immense révolte dans les rues qui forcerait Lula à fuir à Miami.
Cette vision de la trajectoire du gouvernement n’est pas seulement la nôtre. Elle est répétée sans fin aux niveaux les plus hauts de la Maison Blanche, de la Réserve Fédérale et de leurs équivalents européens, par le FMI, la Banque Mondiale, la Banque Inter-Américaine de Développement, par les principaux acteurs du marché à New York, Tokyo, Londres et Francfort, par des commentateurs de première importance dans le Wall Street Journal, The Economist et le reste de la presse financière internationale, sans parler des principaux chefs des affaires et de la banque au Brésil, et bien sûr par le ministres des finances du gouvernement lui-même. Se pourrait-il que les représentants les mieux informés de l’ordre mondial néolibéral se soient complètement mépris sur leurs propres intérêts ? Est-il possible qu’ils n’aient pas pu remarquer que le gouvernement de Brasilia est en fait en train de préparer " une transition vers un nouveau paradigme ", une transition qui mènerait la neuvième économie du monde à un choc frontal avec les bases même de la domination impérialiste ?
Néanmoin, il semble qu’une partie importante de la direction de DS continue à juger qu’il est possible de pousser le gouvernement Lula, ou certains de ses composants clés, à changer d’orientation, et qu’y avoir Miguel est important pour cela. Cela semblait être le sens donné dans le rapport principal de conférence à la formule centrale utilisée dans le document de la septième conférence de DS, le besoin " de disputer l’orientation du PT et du gouvernement ", " de l’intérieur des mouvements sociaux, de l’intérieur du PT, du parlement, et de l’intérieur du gouvernement lui-même ". La première partie de cette formule est profondément ambiguë. Il est clair que " disputer l’orientation prise par le PT et le gouvernement " veut dire des choses très différentes pour différents membres de DS, même si ces différences n’ont pas été exprimées dans un débat clairement documenté. Certains membres clés de la majorité de DS semblent soutenir l’argument avancé par un certain nombre de dirigeants de la majorité du PT, selon lequel ce qui est en question est " une période de transition ", le gouvernement prépare les conditions pour un " nouveau modèle " ou " nouveau paradigme ", et donc la querelle porte simplement sur comment et quand exactement cette transition sera réalisée. Beaucoup d’autres membres de DS veulent clairement une querelle beaucoup plus énergique, ouverte et radicale avec le gouvernement. Et quelques-uns, autour d’Heloisa Helena à la suite de son expulsion en décembre, ont déjà abandonné le PT en tant qu’organisation (Mais pas nécessairement ses membres et ses sympathisants) et opté pour un nouveau parti.
Il est certainement vrai, comme le disent beaucoup de dirigeants de DS, que la réforme agraire est une tâche stratégique absolument centrale de la lutte révolutionnaire au Brésil, et que toute occasion d’y contribuer, en alliance avec le Mouvement des Sans-Terre (MST), doit être saisie. Mais nous avons besoin de faire un bilan très franc pour savoir si c’est vraiment cela qui s’est passé dans les quinze derniers mois de travail de Miguel au ministère du développement agraire.
Pour commencer, il faut être clair sur ce dont il est question. La réforme agraire, elle aussi, peut vouloir dire des choses très différentes. La réforme agraire a bien sûr été le point de départ pour un développement capitaliste rapide et dépendant dans plusieurs pays d’Asie orientale dans les années 1960 et 1970. La Banque Mondiale a adopté un modèle de réforme agraire à base de marché comme une partie de son package néolibérale - c’est ce que le gouvernement brésilien précédent voulait appliquer. La réforme agraire peut même être un instrument de contre-insurrection - c’est maintenant l’un des composants clés de la version révisée du Plan Colombie qui est débattue par les Démocrates et les Républicains à Wahington.
Pour que la réforme agraire possède une dynamique révolutionnaire, ou transitoire, aujourd’hui au Brésil, nous suggérons qu’elle devrait comporter deux caractéristiques. Tout d’abord, elle devrait au moins commencer à changer le mode d’accumulation dans la campagne brésilienne. En d’autres mots elle a besoin de poser la base d’une réelle alternative à l’agribusiness dirigé vers l’exportation qui forme et détruit les vies et l’environnement dans tout le pays actuellement. Ceci est présent en germe dans les formes collectives, durables de production développées par le MST sur ses installations et ses occupations. Deuxièmement, elle a besoin d’exproprier des quantités suffisantes de terres de qualité suffisante pour commencer à changer la structure sous-jacente de la propriété foncière. La plupart des historiens brésiliens, qu’ils soient marxistes ou non-marxistes, s’accordent pour dire que c’est la concentration de la propriété foncière (la seconde plus forte du monde) qui est la racine de l’inégalité extrême au Brésil (également l’un des deux ou trois cas les plus extrêmes du monde). Beaucoup attribuent aussi à la structure de la propriété foncière les origines des formes particulièrement dispersées de pouvoir d’Etat du Brésil, qui à leur tour ont été une source fondamentale de la résilience de la classe dominante. Pour cette raison, attaquer vraiment la structure de la propriété foncière voudrait dire saper vraiment la base de la domination de classe.
Sur le premier point, le groupe de camarades et de sympathisants de DS qui travaillent avec Miguel au ministère du développement agraire semblent avoir commencé un travail très sérieux. L’insistance dans leur Plan National de Réforme Agraire, ou PNRA (lancé après d’éprouvants retards en novembre 2003), sur la " qualité " tout comme la " quantité " des exploitations, qui inclue une série de services et de soutiens, pointe précisément dans cette direction. Une grande question reste cependant. Même s’ils réussissent à l’appliquer, comment ce modèle de réforme agraire s’accordera-t-il au pacte du gouvernement avec l’agribusiness et la classe des propriétaires fonciers, consacré dans la priorité donnée au commerce libre des produits agricoles, le soja génétiquement modifié, et caetera, sans même parler de sa confiance aux partis des propriétaires fonciers au Congrès ?
Sur le second point, les problèmes sont encore plus grands. L’engagement absolu à opérer dans le respect de la constitution brésilienne actuelle signifie que seuls certains types de terres peuvent être exproprié, et ceci seulement contre une compensation correspondant aux prix du marché. Ceci signifie qu’une véritable attaque sur la structure de la propriété foncière coûterait terriblement cher. C’est la raison fondamentale pour laquelle seul un nombre minuscule de familles s’est vu attribuer des terres en 2003. C’est pour cela que le PNRA de Miguel a dû reculer par rapport à l’objectif du MST de l’attribution de terres à un million de familles pendant ce gouvernement, et pour cela aussi que même pour atteindre le nombre de 550 000, le Plan a dû faire appel en partie à des mécanismes de marché pour l’acquisition de terres très similaires à ceux promus par la Banque Mondiale sous le gouvernement précédent. C’est également pour cela qu’il n’y a pas encore de signes concrets de quand ou comment le gouvernement fournira l’argent nécessaire au Plan auquel il a acquiescé. La vérité est bien sûr que le type de réforme agraire dont a besoin le Brésil, et sans doute celle pour laquelle combat Miguel, ne peut pas être accomplie à moins que le gouvernement ne rompe avec son orientation néolibérale générale.
Malgré les frustrations, le MST a adopté une approche tactique - il donne des signes d’amitié envers le gouvernement tout en continuant des occupations de terres afin de pousser le gouvernement à bouger plus loin et plus vite. Dans cette situation, il n’est pas surprenant que le MST ait voulu conserver Miguel Rossetto à son poste. Evidemment ils préféreraient un ministre qu’ils croient être de leur camp, même si sa capacité d’action est sévèrement restreinte. Cependant, il en faut sûrement plus pour justifier qu’un révolutionnaire reste à un tel poste ? Et même cette attitude du MST est peut-être en train de changer. Comme la frustration montait devant le manque de résultats réels, le MST a annoncé une vague massive d’occupations pour Avril et au-delà. Si le gouvernement ne se ressaisissait pas, ils ont indiqué qu’ils pourraient bientôt demander aussi la tête du ministre.
Il ne s’agit pas seulement de Miguel Rossetto, même si sa situation est évidemment la plus en vue. Il y a une douzaine ou plus de camarades de DS dans des postes politiques dans le gouvernement, et pas seulement au ministère du développement agraire. Il y a parmi eux des camarades de premier plan qui travaillent comme assistants politiques au chef du secrétariat général de Lula, Luiz Dulci, et même à l’ultra-libéral ministre des finances Antonio Palocci.
Sans doute, derrière des portes fermées, ces camarades " disputent-ils l’orientation du gouvernement " comme il est mentionné dans la résolution politique de DS.
Mais même si l’on croit que le gouvernement Lula pourrait changer d’orientation - et nous ne le croyons pas - la présence de Miguel et des autres au gouvernement rendrait-elle cela plus probable ? Nous ne sommes pas convaincus. Eux-mêmes, cela peut peut-être se comprendre, n’ont pas eu la capacité d’adopter en public les critiques mêmes les moins sévères des mesures gouvernementales. Il est vrai que la responsabilité collective du gouvernement ne fonctionne pas au Brésil comme dans d’autres pays. Personne au Brésil n’attend de Miguel Rosseto qu’il aille défendre les mesures du ministère des finances à la télévision. Mais d’après nous il y a vraiment des indices importants selon lesquels la présence de ces camarades au gouvernement a aidé à empêcher DS de disputer de son orientation de façon plus franche et radicale.
La même approche doit être utilisée pour juger de la décision de DS de respecter la discipline de parti quand les groupes parlementaires du PT se sont accordés pour prendre une position commune sur les questions clés du projet politique du gouvernement, dont la plus connue est celle de la loi sur la réformes des retraites. Bien sûr nous comprenons que le choix de rompre avec une tradition de loyauté de pari - pour laquelle nous avons nous-mêmes lutté il y a deux décennies, afin d’empêcher que le nouveau Parti des Travailleurs soit déraillé par des carriéristes parlementaires droitiers - est un choix particulièrement difficile pour DS, dont on peut dire qu’il a été le courant le plus loyal que le PT ait eu depuis le début. Nous sommes également conscients que DS et ses parlementaires ont pris part aux mobilisations contre les réformes, et ont formellement fait connaître leur opposition à côté de leur vote. Cependant, deux choses doivent être dites là-dessus - une par principe et l’autre par pur pragmatisme.
La première est qu’aucun type de loyauté envers quelque formation partidaire que ce soit ne doit pouvoir permettre de justifier une attaque sur la classe en tant que telle. Aucune responsabilité collective ne peut être acceptée pour le programme néolibéral du gouvernement Lula.
La seconde est qu’une telle approche produira probablement l’effet contraire à celui recherché. Elle donne un message confus à la base militante du PT et aux mouvements sociaux sur la position de DS. Elle doit rendre moins probable le succès de la tendance en tant que pôle d’attraction pour tous ceux dans et autour du PT qui veulent réellement un changement d’orientation. Dans le cas des réformes des retraites, elle a mené à une division la publique qui soit de l’image de DS. (Pendant que quatre membres de la chambre basse de DS et un sénateur DS, soutenus par la direction, votaient pour, Heloisa Helena votait contre au sénat, et deux membres de la chambre basse de DS s’abstenaient, dont l’un votait contre en deuxième lecture. Parmi les six autres membres de la chambre basse qui étaient sur la liste DS sans être membres de DS, deux ont voté pour alors que quatre s’abstenaient, la division globale des élus identifiés à DS étant par conséquent 6/6. L’un des derniers, Joao Alfredo de Ceara, a depuis rejoint la tendance et a continué de prendre une position plus ouvertement critique au parlement.) Le même motif s’est maintenant répété sur la question de la constitution d’une enquête parlementaire sur les récentes accusations de corruption. La direction de DS, après quelques retards, a soutenu la direction du PT pour s’opposer à une enquête, tandis qu’Heloisa Helena a mené la campagne pour, avec le camarade Walter Pinheiro dans la chambre basse qui soutient également publiquement une enquète et quelques autre élus DS qui prennent des positions intermédiaires.
Nous ne pouvons pas examiner ici en détail la politique étrangère du gouvernement Lula - encore un domaine où une partie de la direction de DS semble voir des signes exagérément positifs.
Il suffira de dire que d’après nous les contradictions qui y existent ne sont pas des contradictions entre différents projets de classe, mais entre les projets de différentes fractions de la classe dominante brésilienne et de l’appareil d’Etat. Les mesures les plus positives - par exemple vers une plus grande intégration latino-américaine, ou dans l’encouragement l’émergence du G20 à Cancun, en opposition aux projets de l’Union Européenne et des Etats-Unis d’Amérique à l’OMC - reflètent une orientation ancienne du ministère des affaires étrangères brésilien, Itamaraty. Celle-ci reflète à son tour l’orientation des sections les plus nationalistes de la bourgeoisie brésilienne (et même des forces armées brésiliennes), qui sont par exemple très hostiles à une Zone de Libre-Echange des Amériques dans les termes de Washington. Cependant, les limites de cette contradiction avec Washington sont en train de se clarifier. Alors que l’envoi assez tôt de tankers brésiliens a aidé Hugo Chavez à survivre à la grève du pétrole au Venezuela à la fin 2002, le Groupe d’Amis du Venezuela créé ensuite par Brasilia s’est rapidement soumis aux demandes du Département d’Etat des Etats-Unis. L’intervention du gouvernement Lula en Bolivie en octobre a aidé à assurer la survie de l’ordre constitutionnel confronté à une insurrection populaire. Et l’intention du gouvernement brésilien de prendre la tête d’une force de maintien de la paix de l’ONU en Haïti risque de mettre l’administration PT à la tête d’une intervention illégitime et impérialiste.
Ce qui aura peut-être des conséquences à plus long terme, il est devenu de plus en plus clair que ce que le gouvernement PT veut en négociant sur l’OMC, la Zone de Libre Echange des Amériques et MERCOSUR, n’est pas la fin du programme libre-échangiste du néolibéralisme, mais un libre-échange à " nos " conditions plutôt que les " leurs ". Il est bien sûr d’une importance vitale que nous développions une compréhension commune de ces questions via la QI, parce que cela affecte directement le travail de toutes les sections dans le FSM et le mouvement de la justice globale plus largement.
La QI devra être particulièrement claire sur cette question pour le prochain Forum Social Mondial à Porto Alegre en janvier 2005. Il y a une division de plus en plus claire dans le mouvement international entre ceux qui veulent une rupture avec les politiques néolibérales et ceux qui pensent qu’un arrangement est possible. Le gouvernement Lula est évidemment du mauvais côté de cette division. Nous ne souhaitons aucunement diviser le mouvement large là-dessus. Mais nous avons tout à gagner à combattre pour l’aile radicale pour assurer et maintenir son hégémonie dans le mouvement large. Si Lula ose se montrer à Porto Alegre, l’aile radicale devrait évidemment mobiliser pour s’opposer à ce qu’il représente et l’isoler. Et même s’il ne vient pas (comme à Mumbai, même s’il avait projeté une visite d’Etat qui coïncide avec le FSM), il serait absolument inacceptable que des camarades de DS, maire de Porto Alegre, ministre du développement agraire ou quoi que ce soit, apparaissent au FSM pour y excuser diplomatiquement la politique du gouvernement Lula.
Options auxquelles la gauche est maintenant confrontée
Il y a maintenant, en gros, trois camps dans la gauche socialiste brésilienne. Ils correspondent à différents types de réponse à l’évolution du gouvernement PT. La difficulté pour DS, et indirectement pour la QI, est que les trois positions sont représentées à l’intérieur de la section brésilienne elle-même.
D’abord il y a la position de ce qui semble être la majorité de la direction de DS telle qu’elle est résumée ci-dessus. Cette position est partagée par l’autre principal courant dans la gauche du PT, Articulation de Gauche. Son fondement est le besoin de pousser au changement de politique du gouvernement Lula, particulièrement sa politique économique. Elle semble reposer sur la présupposition - encore que cela ne soit jamais réellement exprimé - qu’il reste " notre " gouvernement, un gouvernement qui peut être sauvé, il suffirait que la mainmise des néolibéraux du ministère des finances soit défaite. En fait ces derniers mois il semble y avoir eu une convergence de plus en plus forte entre DS et Articulation de Gauche autour de cette attitude, avec un certain nombre d’initiatives communes appelant à un changement dans la politique économique du gouvernement. Cette position argue de ce qu’un échec du gouvernement Lula serait une défaite sérieuse pour tout le mouvement populaire au Brésil et sera certainement suivie par quelque chose de pire. Elle dit que le combat de la gauche doit s’adresser à l’ensemble du PT, que la gauche doit chercher à reconstruire comme parti socialiste. Elle exclut toute considération d’une division avec le PT a un point quelconque du futur envisageable. D’après nous il y a u réel danger que cette position mène non seulement à des tactiques incertaines, mais à une véritable adaptation programmatique. La suggestion apparente par une figure de premier plan de DS qu’un type d’accord de libre échange des Amériques peut être acceptable ou même nécessaire, semble donner de la consistance à cette peur.
A l’autre extrême se trouve le mouvement pour un nouveau parti. Quoiqu’encore petit, il a fait des progrès significatifs depuis son lancement au début de l’année. Il a tenu une série de meetings d’un millier de personnes environ dans les capitales d’états dans tout le pays avant sa première conférence prévue au milieu de l’année. Il a attiré un groupe petit mais important d’intellectuels et d’autres figures historiques du PT, qui ont publiquement rompu avec le parti après l’expulsion d’Heloisa Helena et des trois autres députés " radicaux " en décembre, ainsi que des dirigeants syndicaux du secteur public. Et bien sûr il a attiré Heloisa elle-même, qui est devenue la figure de proue de facto du mouvement et pourrait se retrouver candidate contre Lula aux élection présidentielles de 2006 si le nouveau parti réussit à se faire enregistrer. Cependant la participation directe d’autres camarades DS reste très petite, probablement seulement quelques douzianes. Le gros des courants organisés qui construisent le nouveau parti viennent encore de différents secteurs de la vieille tradition moreniste. Il est clair que c’est là une limite importante. Quoique cela puisse ou pas être maintenant une nécessité objective, le mouvement n’est pas encore assez large pour fournir un pôle d’attraction alternatif convaincant. Le fait que la principale organisation d’extrême-gauche en-dehors du PT, le PSTU, ne l’a pas encore rejoint parce qu’il n’avait pas apprécié n’avoir pas été réellement consulté sur la constitution du mouvement, montre qu’il y a un réel danger que ce mouvement suive la gauche révolutionnaire argentine, consumé par des querelles entre des fragments multiples de la gauche trotskyste.
La chose qui est peut-être la plus importante de toutes, mais aussi la plus difficile à évaluer, est la masse largement silencieuse des militants, on peut dire des membres de DS aussi , qui tombent entre ces deux positions - ceux qui ne sont pas encore tout à fait prêts à quitter le PT, mais qui veulent lutter réellement contre l’orientation pris par le gouvernement Lula. Par définition c’est un camp large. Il inclue des militants DS qui partagent le gros des position d’Heloisa et du nouveau parti, mais qui, suivant des réalités locales différentes, n’envisageraient pas de quitter le PT avant les élections municipales d’octobre. Mais il inclut aussi beaucoup de ceux dans DS, y compris probablement des membres clés de la direction, qui pensent qu’il y a encore beaucoup à faire dans le PT, et que c’est ici que l’alternative au néolibéralisme du gouvernement a besoin d’être construite. Différentes versions de cette position semblent être partagées par Force Socialiste - dont les deux membres de la chambre basse se sont abstenus sur la réforme des retraites et qui se sont souvent joint au parlementaires " dissidents " de DS pour s’opposer à la majorité du PT - et par d’autres courants dans le PT comme le MUS (Mouvement de l’Unité Socialiste), une scission importante du MES qui mène le mouvement pour un nouveau parti.
Il n’y a pas de doute : c’est une situation difficile pour notre section brésilienne, qui mérite tout notre soutien dans sa confrontation avec elle. Cependant, d’après nous, la situation est loin d’être désespérée. Au contraire, si on l’approche avec créativité et délicatesse, la situation peut encore fournir une opportunité immense pour que DS devienne l’axe central de la recomposition de la gauche brésilienne, et un pôle d’attraction pour le gros de la classe laborieuse et des pauvres brésiliens à un tournant crucial de leur histoire. D’après nous, intentionnellement ou pas, cela pourrait très bien comporter une sorte de tactique de combinaison de fait, avec une partie de la gauche révolutionnaire en-dehors du PT, et une partie à l’intérieur. Le truc sera d’articuler les deux, pour que les deux côtés dialoguent réellement et se " combinent " de façon constructive.
Comment est-ce que cela peut advenir ? Est-ce que cela peut advenir ? Cela dépendra des choix tactiques que seul les camarades du Brésil peuvent faire. Cependant notre opinion est qu’aucun choix tactique ne réussira si DS ne fait pas une séparation claire et publique entre ce pourquoi elle lutte, et ce que fait le gouvernement Lula. Ceci veut dire, à tout le moins, que nos camarades ne votent pas des réformes néolibérales et se préparent à s’extirper de postes au gouvernement, d’une façon et à un moment qui donne le maximum de chances de succès à la construction d’une alternative de gauche large.
Si ceci ne se fait pas, il semble clair que DS ne deviendra pas un pôle d’attraction pour l’immense masse des membres et sympathisants du PT qui sont profondément déçus de " leur " gouvernement. Cela deviendra aussi un problème pour l’ensemble de la QI, particulièrement dans le mouvement de la justice globale, et rendrait de plus en plus difficile pour les camarades et les sections d’autres pays de justifier ou même défendre les actions de DS quand elles sont attaquées par d’autres dans la gauche internationale.