1. Quelques éléments de la situation internationale
La situation internationale confirme une extension et un approfondissement de la mondialisation capitaliste. Elle est marquée par la poursuite de l’offensive des classes dominantes contre les conditions de vie de centaines de millions d’êtres humains, de travailleurs, par la systématisation des contres-réformes libérales, la place toujours plus grande de la « financiarisation » de l’économie mondiale, d’une crise écologique qui remet en cause les équilibres vitaux de la planète.
a) Cette mondialisation dessine une nouvelle configuration du marché mondial, où la concurrence s’aiguise entre l’impérialisme américain, toujours dominant mais affaibli, les puissances européennes, et l’émergence de nouvelles puissances comme la Chine et l’Inde, dont les parts dans le PIB mondial s’accroissent régulièrement. Si les États-Unis et l’Europe connaissent des taux de croissance faibles, de 2 à 3 points, la Chine et l’Inde connaissent des taux de croissance de 8 à 10 points, et d’autres pays producteurs de matières premières (le pétrole en particulier) comme la Russie ou le Venezuela, à 6 et 8 points. Ces changements socio-économiques préfigurent de nouveaux rapports de forces et de nouvelles tensions internationales.
b) Elle a des conséquences sur le plan de la politique internationale, où les intérêts d’une bourgeoisie américaine affaiblie et ceux de puissances européennes qui veulent tenir leur rang dans cette nouvelle concurrence mondiale, les font converger dans de nouveaux systèmes d’alliances, notamment face à la Chine et à la Russie. Cela n’écarte pas, loin de là, la recherche agressive de nouvelles parts de marché pour chaque bourgeoisie, mais les liens entre les États-Unis et l’Union Européenne tendent à se renforcer. Les nouvelles relations entre la France de Sarkozy et les États-Unis de Bush sont un bon exemple de cette inflexion ou changement. Chirac était contre la guerre en Irak. Sarkozy est pour. Il est même en première ligne dans la confrontation avec l’Iran. Mais plus généralement le retour prévu de la France dans l’OTAN et l’intégration de la force militaire européenne au sein du même organisme indique bien le type de réorganisation en cours.
c) Cette accentuation de la concurrence internationale combinée à une tendance de plus en plus forte à la constitution d’un marché mondial de la force de travail conduit les gouvernements et les classes patronales à créer les conditions politiques et socio-économiques pour augmenter les taux de profit, allonger le temps de travail et le temps d’exploitation, contenir voire comprimer encore la part des salaires dans la production de richesses.
d) Ces politiques ont, en particulier, une série de conséquences dans l’Europe capitaliste, où les principales bourgeoisies européennes, pour assurer leur place dans la concurrence mondiale, attaquent frontalement le « modèle social européen », en fait, les systèmes de sécurité sociale, les droits sociaux des salariés, les services publics. Cette politique est concentrée dans le nouveau « traité européen » qui reprend les grandes lignes du projet de Constitution européenne rejeté en 2005 par les peuples de France et des Pays-Bas. Elle s’en trouve renforcée par l’intégration européenne des pays de l’Est de l’Europe. Intégration qui conduit au démantèlement d’une série d’acquis sociaux et qui par là même, tire vers le bas l’ensemble des conditions de travail et de vie des classes populaires de ces pays.
e) Les États-Unis sont à la veille de nouvelles élections (fin 2008), qui peuvent déboucher sur des inflexions ou des modifications de la politique nord-américaine. Néanmoins sur la dernière longue période, l’impérialisme américain a confirmé sa politique de redéploiement stratégique politico-militaire. Il s’agit pour lui, dans une situation où l’économie américaine est de plus en plus dépendante du crédit mondial, des « actions », « obligations », « bons du trésor », détenus par des puissances comme la Chine ou le Japon, de compenser un certain affaiblissement, par une politique militaire agressive, d’occupation en Irak et en Afghanistan, de confrontation face à l’Iran, et à des degrés moindres face à la Russie et la Chine. Cette politique comporte aussi une politique de « recolonisation » de certains pays visant à maintenir voire étendre le contrôle des ressources naturelles ou de matières premières stratégiques comme le pétrole.
2. Et quelques contradictions…
Le système capitaliste domine largement toute l’activité économique et sociale de la planète. Le coût de cette domination est toujours plus grand, tant sur le plan social, qu’écologique. Il nourrit en permanence des contradictions internes et externes au système qui débouchent sur des luttes de classes et des luttes sociales au sens large, traduisant le refus des classes populaires de l’ordre néolibéral et capitaliste.
Une série d’exemples de ces contradictions du système :
a) La crise du système financier et bancaire des États-Unis, dont la crise des « subprimes » (prêts à taux d’intérêts variables qui ruinent des millions d’Américains et mettent en faillite une série de banques et organismes financier prêteurs) confirme la fragilité de l’expansion économique actuelle. Cela prouve « l’ultra-sensibilité » du capitalisme nord-américain à la financiarisation de l’économie mondiale. Cette crise du système financier international renforce les faiblesses structurelles du développement capitaliste actuel, en particulier la faiblesse des investissements productifs, en « renchérissant » et en durcissant les taux et les conditions de l’emprunt. Cette crise de l’investissement a ses répercussions sur les taux de productivité, et en fin de compte les taux de croissance dans deux des bastions de l’économie mondiale : les États-Unis et l’Europe. La crise financière actuelle a maintenant des répercussions directes sur le ralentissement de l’activité économique aux États-Unis et sur le risque de transformation de cette crise en récession économique. Tous ces facteurs pèsent sur les marges de manœuvres des classes dominantes et des équipes au pouvoir pour gérer les rapports économiques et sociaux et peuvent déboucher sur des crises systémiques.
b) La crise écologique a pris ces dernières années de nouvelles dimensions. Les conséquences du réchauffement climatique de la planète commencent et risquent de provoquer, à terme, de nouvelles catastrophes — écologiques, sociales, humaines. Malgré tout l’effort politique et médiatique des pouvoirs en place, pour rendre compatible le fonctionnement du système capitaliste, la recherche toujours plus effrénée du profit et l’écologie, émerge une nouvelle prise de conscience que « les vies valent plus que les profits capitalistes » et que le coût du fonctionnement du système remet de plus en plus en cause les équilibres vitaux de la planète. Les révolutionnaires doivent s’emparer de cette question, décisive pour les années à venir, afin de dénoncer les effets destructeurs du capitalisme sur les problèmes écologiques, et souligner l’importance d’une économie maîtrisée et planifiée durablement en fonction des besoins sociaux et non du profit capitaliste.
c) Ces contradictions s’expriment de manière aiguë dans l’échec qu’a rencontré et que rencontre l’impérialisme américain en Irak. Les mots d’un « Nouveau Viêtnam » sont habituellement repris par les médias américains pour parler de la situation de l’armée nord-américaine dans la région. C’est un véritable enlisement politique et militaire que connaît l’administration Bush. Toute la propagande sur les objectifs de stabilisation ou de démocratisation de la région a volé en éclats. C’est une opération classique d’agression et de recolonisation d’un pays et d’une région. Le rejet de l’occupation états-unienne combinée à la résistance du peuple palestinien contre la politique d’agression et de colonisation israélienne constitue un des facteurs majeurs de déstabilisation du système impérialiste international.
d) Les conséquences socio-économiques de la mondialisation capitaliste et sa dimension armée provoque de nouvelles tensions et confrontations sociales, politiques et militaires. Sous la pression des exigences des marchés financiers, et de la pression de l’impérialisme en particulier nord-américain, et dans une situation d’absence ou de recul voire même de crise structurelle du mouvement ouvrier traditionnel ou du nationalisme bourgeois, les réactions sociales peuvent prendre la forme d’organisations, courants, clans ou groupes ethniques ou religieux dont l’orientation est globalement réactionnaire. C’est ce qui se noue autour des situations au Pakistan et en Afghanistan. C’est aussi le sort des tendances à l’éclatement d’une série d’États en Afrique.
e) L’enlisement états-unien a des conséquences internationales, et en particulier en Amérique latine. Il ne s’agit pas de sous-estimer la pression qu’exerce toujours « l’empire » sur un continent qu’il continue à considérer comme son arrière-cour. Mais il faut souligner l’affaiblissement de ses capacités d’intervention sur le continent. Sur le plan militaire, il lui est difficile d’intervenir en Irak, en Afghanistan et de préparer des interventions en Amérique latine. Le « plan Colombie » est là. Les bases militaires au Paraguay aussi. L’aide à la droite « golpiste » (putschiste) ou « libéral-autoritaire » est toujours présente. La Zone de libre échange des Amériques (ZLÉA ; ALCA en espagnol) est un échec mais les traités bilatéraux entre les États-Unis et une série de pays d’Amérique du sud ont été conclus. Bref, les États-Unis ne se désintéressent pas de l’Amérique du Sud, mais il est incontestable qu’il y a un nouveau rapport de forces entre l’impérialisme américain et une série de pays du continent latino-américain et non des moindres, en particulier deux groupes de pays. Le premier groupe, est constitué par le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay. Profitant d’une phase de développement économique et d’une capacité des gouvernements au pouvoir — Lula au Brésil, Kirchner en Argentine, Tabaré Vázquez en Uruguay — à canaliser, maîtriser, intégrer leurs mouvements de masses ou, plus exactement, des pans entiers des directions de ces mouvements de masses, en particulier les directions du Parti des travailleurs (PT) et de la Centrale unique des travailleurs (CUT) brésilienne et du péronisme politique et syndical en Argentine (même si Lula peut se situer plus à droite que Kirchner), les classes dominantes de ces pays ont conquis de nouvelles marges de manœuvre pour négocier et imposer une série d’objectifs économiques à l’impérialisme américain. Elles poursuivent, à leur propre compte et à leur manière, les politiques néolibérales, en les accompagnant d’un volet « d’assistanat social », et leur insertion dans le marché mondial, notamment par leurs politiques d’agroexportation et par leurs relations spécifiques au système financier international. Le deuxième groupe de pays, qui aujourd’hui imposent une nouvelle expérience de rupture partielle avec l’impérialisme américain, est emmené par le Venezuela, suivi de la Bolivie et de l’Équateur, le tout appuyé par Cuba. Ces pays, chacun avec leur spécificité, tentent aujourd’hui de desserrer l’étau de la dette, de reprendre la maîtrise et le contrôle de leurs ressources naturelles, d’assurer des programmes sociaux d’alimentation, de santé et d’éducation, de restaurer leur souveraineté nationale contre les pressions nord-américaine et européenne (tout particulièrement espagnole).
3. Offensive et contre-offensive au Venezuela et en Bolivie
La victoire du « non » au référendum du 2 décembre 2007 constitue un tournant dans la situation politique au Venezuela. Peu s’attendaient à la victoire du « non ». C’est une défaite de Chávez même si le processus bolivarien continue. Et c’est une défaite des forces progressistes au Venezuela et en Amérique latine. Qu’on ne s’y méprenne pas, ce n’est pas — comme l’expliquent certains courants sectaires — « une défaite de Chávez… mais une victoire des forces populaires » ! La victoire du « non » sert directement les forces de la droite, « golpiste » ou modérée. Elle leur permet de se retaper, de se réorganiser et de préparer les batailles qui viennent dans de meilleures conditions. La victoire du « non » affaiblit Chávez dans ses rapports avec l’impérialisme américain ou même avec les équipes au pouvoir en Argentine et au Brésil. La pression pour « modérer » Chávez, pour le conduire à une politique de compromissions va être plus forte… C’est la raison, pour laquelle, sans réserves ni hésitations, nous nous sommes prononcés pour le « oui » au référendum au-delà même de l’appréciation de tel ou tel article de la Constitution.
Mais il faut revenir sur les raisons qui ont conduit à la victoire du « non ». Nous partageons globalement les explications que donnent les camarades de « Marea clasista y socialista » (1). Comment Chávez a pu perdre plus de 3 millions d’électeurs — ce n’est pas rien — par rapport à la dernière consultation électorale ? Il y a certes le déchaînement des médias contre le pouvoir, les campagnes mensongères, les calomnies, bref tout l’attirail de la droite vénézuélienne, mais il y a une responsabilité propre de la direction Chávez. Cet échec vient de plus loin que du simple épisode de la Constitution. Il faut aujourd’hui un grand débat sur les raisons du « non », débat qui aidera pour définir une politique pour les semaines et les mois qui viennent. Nous avions indiqué que les modalités et certains articles de la Constitution renforceraient les « allures bonapartistes » du pouvoir de Chávez et qu’une nouvelle Constitution ne déboucherait pas sur le socialisme sans s’attaquer aux problèmes de la de la redistribution des richesses et de la propriété… Mais ce sont des phénomènes plus substantiels qui expliquent une certaine distanciation d’une partie du peuple bolivarien d’avec son président. D’abord des problèmes liés aux besoins vitaux de la population : alimentation, pouvoir d’achat, emploi, conditions de travail… Les problèmes de ravitaillement en produits alimentaires de base ont pesé considérablement.
Plus généralement, si les problèmes d’alimentation, de santé, d’éducation ont connu des progrès considérables, leur financement étant assuré par les revenus du pétrole — ce qui est tout à l’honneur du régime bolivarien —, les structures économiques et sociales du pays n’ont pas connu de changement fondamental. Les inégalités subsistent. Les revenus financiers ont progressé de plus de 40 %. Les structures de la propriété n’ont pas été modifiées. Améliorer le niveau de vie de la grande majorité de la population — salariés, travailleurs informels, paysans, fonctionnaires — c’est la première tâche pour approfondir le processus. Et si cela passe par des incursion du pouvoir politique dans la vie économique, dans les entreprises, dans les circuits d’approvisionnement et du commerce, dans le contrôle du système bancaire au service des travailleurs, dans la propriété et la distribution de la terre, il ne faudra pas hésiter même si cela implique un affrontement avec la bourgeoisie et des secteurs de l’appareil d’État, même pro-gouvernemental.
La deuxième raison fondamentale de l’éloignement d’une partie du peuple, c’est le constat — fait par nombre d’observateurs — d’un processus de bureaucratisation d’un secteur gouvernemental qui se sert du pouvoir au lieu de le servir. Ainsi, ici et là, ont été dénoncés des phénomènes de corruption. De même, on a vu se développer une politique de confrontation avec des mouvements sociaux et des syndicats, notamment à partir du ministère du travail. Tout cela a éloigné du pouvoir une série de secteurs, qui n’ont pas pour autant rompu avec la révolution bolivarienne. Aujourd’hui, il faut renouer avec ces secteurs, les remobiliser pour approfondir le processus. Aussi la deuxième tâche, c’est d’approfondir la mobilisation et la démocratisation du processus bolivarien. Plus de pouvoir au peuple, plus de pouvoir aux organismes de la révolution, aux assemblées populaires dans les quartiers, aux élus syndicaux de base dans les entreprises, dans les communes. Il faut élargir le processus de cogestion et de gestion des entreprises, assurer un congrès unitaire et démocratique du mouvement syndical de l’UNT. Le contenu social et démocratique de la révolution est d’autant plus important, que si le processus va se confronter toujours à un « secteur putschiste », il va aussi être attaqué par des manœuvres plus politiciennes. Il lui faudra répondre non seulement « au coups de fouet de la contre-révolution qui font avancer la révolution » — fameuse phrase de Trotsky que Chávez reprend régulièrement — mais aussi à des « avances » et « propositions malhonnêtes » qui viseront à dévitaliser le processus révolutionnaire, le marginaliser pour enfin le détruire… La situation risque donc de se compliquer.
Chávez est à la croisée des chemins : ou il cède aux pressions pour modérer le processus… et il perdra l’appui de secteurs importants de sa base sociale et politique, ou il avance, renoue avec les secteurs les plus combatifs, satisfait les revendications populaires fondamentales et le processus révolutionnaire bolivarien s’approfondira. Et cela aura des répercussions dans toute l’Amérique latine.
La crise s’accélère aussi en Bolivie, où le vote de la nouvelle constitution défendue par Evo Morales et la grande majorité de la population, ouvrière, paysanne, indienne, n’est pas reconnu par la droite et les « classes riches blanches » concentrées à Santa Cruz et dans les provinces de l’Ouest, dont 4 régions viennent de proclamer leur autonomie. Les révolutionnaires sont aux côtés du MAS d’Evo Morales pour l’application de cette constitution et la satisfaction des besoins vitaux des populations les plus pauvres de Bolivie.
Mais le pays clé, c’est le Venezuela. S’il y avait une défaite du processus bolivarien, cela aura des répercussions immédiates en Bolivie et en Équateur, sans compter Cuba. Une dégradation globale du rapport de forces, favoriserait à Cuba les partisans d’une « voie à la chinoise » — combinaison du maintien au pouvoir du Parti communiste cubain et développement du capitalisme. Mais nous en sommes encore loin, l’étape décisive, c’est la relance du processus bolivarien combinée à l’approfondissement des expériences bolivienne et équatorienne.
4. Et L’Europe…
La situation européenne est au centre de l’accélération des politiques néolibérales. Un des objectifs clé des classes dominantes à l’échelle internationale et en Europe — au moment où les pressions du marché mondial poussent de plus en plus à l’unification d’un marché de la force de travail, à tirer les salaires vers le bas, à démanteler progressivement des systèmes de Sécurité sociale, à liquider les services publics — c’est d’en finir avec le « modèle social européen ». Le rouleau compresseur des politiques néolibérales avance régulièrement. Mais il provoque tout aussi régulièrement des résistances sociales. Le monde du travail, et au-delà la majorité de la population, en Europe est profondément attaché à une série d’acquis sociaux. En France les idéologues du gouvernement Sarkozy l’ont ouvertement déclaré : il faut détruire le programme du Conseil National de la Résistance (CNR) de 1945 et toutes les conquêtes sociales qui ont été obtenues depuis. Sarkozy déclare « vouloir réformer plus que Margaret Thatcher »… Il marque une série de points, notamment en appliquant sa contre-réforme des pensions et des retraites des régimes spéciaux (pour les cheminots, électriciens, gaziers…) mais il n’a pas encore battu le mouvement ouvrier. Le sentiment des travailleurs, notamment après les grèves de cheminots, n’est pas à la défaite. Il n’y a pas eu de défaite majeure du mouvement ouvrier en Europe du type « mineurs anglais » des années 1980, des luttes importantes et des confrontations majeures sont encore devant nous... mais il faut faire 3 remarques :
* Les luttes sont défensives. Elles n’arrivent pas à bloquer et encore moins à inverser le cours des contre-réformes. Elles se présentent sous la forme d’explosions ou de luttes partielles. Elles peuvent déstabiliser les régimes en place… mais cela n’arrête pas le processus de contre-réforme.
* Ces luttes sont inégales en Europe, selon les pays. Le niveau de luttes de classes reste assez haut en France — on parle « d’exception française » en Europe — et aussi en Italie, où à la fin des années 1990 et au début années 2000, il y a eu une combinaison de journées de grève générale du mouvement syndical et un fort mouvement altermondialisation et antiguerre. Récemment, il y a eu une grève importante des cheminots en Allemagne, même si c’est une grève qui n’a pas reçu de solidarité des autres syndicats et d’une partie importante de la gauche syndicale. En Espagne ou au Portugal le niveau des luttes sociales reste très bas. Dans les pays du Nord de l’Europe, malgré des attaques assez fortes, la situation est sous contrôle des gouvernements et des directions du mouvement syndical ; le niveau des luttes est assez bas.
* Dans les pays, où il y a un certain niveau de luttes, il faut souligner une situation contradictoire : il y a un réel décalage entre le niveau de lutte et le niveau de conscience. Il peut y avoir des luttes ou explosions partielles mais il n’y a pas de croissance organique d’une vague de luttes de classes — niveau global de luttes, augmentation des effectifs syndicaux, des partis ouvriers, ou de courants politiques luttes de classes ou révolutionnaires — comme à la fin des années 1960 ou 1970 en Europe, particulièrement en Europe du Sud. Du coup, les luttes ont des difficultés à trouver une traduction politique en termes de luttes de classes.
5. Deux choix à gauche !
Dans la conjoncture internationale actuelle, la gauche, le mouvement ouvrier, les mouvements sociaux sont confrontés à deux grandes orientations face à la globalisation capitaliste : une orientation d’adaptation au capitalisme libéral et une autre — la nôtre — une ligne de résistance, de lutte, de combat anticapitaliste. Nous avons, en France, une formule pour parler de cette situation : « Il y a deux gauches », disons-nous. Bien entendu, il y a dans la réalité plusieurs variétés de « gauche », mais nous sommes vraiment confrontés à deux choix fondamentaux : accepter ou refuser cette mondialisation capitaliste !
a) La grande majorité des directions traditionnelles du mouvement ouvrier — social-démocratie, ex- ou post-stalinisme, verts — ou dans certains pays en voie de développement le nationalisme bourgeois, ont choisi l’adaptation. C’est le résultat de tout un processus d’intégration dans les institutions et dans le système capitaliste. Mais ce processus d’intégration dans la globalisation capitaliste actuelle conduit à des changements qualitatifs, à des changements structurels, de toutes ces formations politiques. Les exigences de la mondialisation capitaliste sont telles que les marges de manœuvres pour construire des compromis sociaux entre classes dominantes et mouvements réformistes se sont considérablement réduites. Les grands groupes économiques, les marchés financiers, les sommets de l’État somment les directions réformistes d’accepter le cadre dicté par la recherche de profits maximums, par une financiarisation accrue de l’économie mondiale. Du coup la social-démocratie se transforme en social-libéralisme. D’une social-démocratie qui, face à la lutte de classes, échangea son soutien à l’ordre capitaliste contre des améliorations sociales, on est passé à des partis socialistes qui sont devenus des « partis réformistes sans réformes » jusqu’à devenir les « partis des contre-réformes libérales ». En Europe, l’Union européenne fourni le cadre de collaboration entre la démocratie chrétienne et la social-démocratie, pour déployer les contre-réformes sur les pensions et retraites, la liquidation des systèmes de sécurité sociale et des services publics. Cela n’écarte pas une savante combinaison de programme d’assistance des plus pauvres — un système de revenus minimum, le programme « faim zéro » au Brésil… — et de contre-réformes qui attaquent le noyau dur des droits et conquêtes sociales ouvrières.
Mais c’est sur le plan politique que ces choix sont les plus manifestes : dans l’évolution de la social-démocratie européenne vers « une troisième voie » entre la droite et la gauche, dans l’appel — maintenant en Italie ou en France — à transformer les partis socialistes historiques en partis démocrates à l’américaine… C’est aussi ce à quoi nous avons assisté au Brésil, où le Parti des travailleurs (PT) a parcouru en seulement une quinzaine d’années le parcours de près d’un siècle de la social-démocratie historique : d’un parti de classe, le PT s’est transformé en parti social-libéral. Cette évolution n’exclut pas, encore une fois, des politiques d’assistanat qui fournissent une base sociale à ces partis, dans certains secteurs de la population. C’est le cas de Lula, au Brésil, qui reste populaire avec son programme de « Bourses famille ».
Cette évolution social-libérale relève d’une tendance générale. Dans une série de pays ce n’est pas un processus achevé. Les classes dominantes ont besoin, d’ailleurs, dans un système politique d’alternance de « pouvoir choisir entre la droite et la gauche ». Ces formations social-libérales ne sont donc pas des partis bourgeois comme les autres. Il reste des différences entre la droite et la gauche, surtout dans le ressenti de secteurs populaires, mais globalement la social-démocratie et ses alliés connaissent, partout, ce processus d’intégration dans la mondialisation capitaliste et un mouvement « vers la droite ».
b) A l’autre pôle de la gauche, il y a les forces qui refusent la globalisation capitaliste, résistent et défendent une orientation anticapitaliste. Alors bien sûr, il y a des forces qui refusent l’ultra-libéralisme, rejettent ses caractères excessifs ou outranciers en espérant un capitalisme à visage humain. Il y a aussi, en Amérique latine, le retour à des projets « néodéveloppementistes » — des projets bourgeois nationalistes qui prétendent desserrer l’étau de la domination impérialiste… Mais en général ce qui manque à ces forces, c’est la capacité et la volonté de rompre vraiment avec toute la logique néolibérale, logique qui se confond avec celle du système capitaliste, et surtout la détermination de s’affronter avec les classes dominantes pour répondre aux aspirations populaires. Ce qui conduit en général des formations politiques — comme le PT ou le Péronisme, chacun à sa manière — à s’adapter au capitalisme libéral même si, dans l’opposition, elles peuvent se réclamer de l’anti-libéralisme. Et c’est là qu’il y a, à ce jour, la différence majeure, entre d’une part Lula, Kirchner, Tabaré Vázquez et, d’autre part, Chávez, Morales, et Corréa. Les premiers se sont moulés dans la logique néolibérale en l’accompagnant de « programmes sociaux » pour les plus pauvres. Ils constituent les partenaires loyaux des marchés financiers. Le groupe des trois derniers n’a pas hésité à s’affronter aux classes dominantes et à l’impérialisme américain pour appliquer leur programme de réformes, cela même si ces réformes restent partielles.
Mais pour rompre de manière conséquente avec le libéralisme, il faut rompre avec le capitalisme.
6. Pour de nouveaux partis anticapitalistes…
C’est le programme des partis et des formations politiques que nous voulons construire. Un programme d’action ou de transition anticapitaliste qui défende les revendications immédiates (salaires, emploi, services publics, distribution de la terre, contrôle des ressources naturelles…), démocratiques (problèmes de la souveraineté populaire et nationale dans les pays dominés) et transitoires, qui débouchent sur la nécessité d’une autre distribution des richesses et d’une remise en cause de la propriété capitaliste de l’économie.
La mise en œuvre de ces programme exige des gouvernements au service des travailleurs appuyés sur la mobilisation et l’auto-activité des classes populaires.
Cette bataille — et c’est aujourd’hui une bataille centrale — implique le rejet de toute participation ou soutien à des gouvernements sociaux-libéraux de gestion des affaires de l’État et de l’économie capitaliste. Vous l’avez chèrement payé au Brésil avec la participation de Démocratie socialiste (2) au gouvernement Lula, mais sachez que votre épreuve nous a servi et que nous avons tiré tous les enseignements de l’expérience brésilienne pour rejeter en France, en Italie, au Portugal, en Espagne tout soutien ou participation à des gouvernements sociaux libéraux.
Ainsi la question de la participation ou non à ce type de gouvernement est, de nouveau, devenue une question cardinale de la stratégie de pouvoir en Europe comme dans les principaux pays d’Amérique latine.
Ce sont ces références qui constituent la base des partis anticapitalistes qui se construisent — comme le Bloco de Esquerda (Bloc de gauche) au Portugal, que vous connaissez depuis plusieurs années — ou vont se construire dans les mois et années qui viennent en Europe, plus précisément en France et en Italie, chacun avec leurs spécificités.
D’une certaine manière, ce sont des correspondants de votre PSOL.
* En France, vous savez que la LCR a obtenu de bons résultats aux dernières élections présidentielles, avec près d’1,5 million de voix. Mais la LCR a surtout un porte-parole, Olivier Besancenot, qui est un jeune facteur, et qui, régulièrement se porte aux côtés des travailleurs en lutte ou en grève, notamment dans la dernière grève des cheminots. Cela lui a donné depuis plusieurs mois, une grande popularité. La place politique d’Olivier, le courant de sympathie qu’il suscite, dépasse même largement ceux de la LCR.
Cela vient après une série d’événements depuis une douzaine d’années, où se sont produites des résistances sociales, des expériences politiques contre les contre-réformes libérales, des débats sur le type d’alternative politique qui ont créé des conditions pour construire un nouveau parti.
Ce parti sera un parti anticapitaliste, féministe, écologiste, internationaliste. Il situera son combat dans les traditions révolutionnaires du mouvement ouvrier. Au centre du projet, il y a des références politiques clé : lutte de classes, unité d’action des travailleurs et de leurs organisations, indépendance vis-à-vis des institutions centrales de l’État capitaliste, démocratie socialiste. Ainsi, si ce nouveau parti a des délimitations programmatiques et stratégiques anticapitalistes dans la perspective de conquête du pouvoir par les travailleurs, il laissera, ouvertes, toute une série de questions sur le type de révolution du XXIème siècle, ses formes et ses contenus. Mais ancré dans les luttes de classes, il subordonnera ses positions électorales et institutionnelles au développement des mobilisations sociales et à l’auto-activité du mouvement de masse. L’objectif de ce nouveau parti est de rassembler, des militants, courants provenant d’origine diverses — communistes, socialistes, syndicalistes, libertaires, révolutionnaires — sur la base d’un programme qui soit la « compréhension commune des événements et des tâches » et non sur la base de références idéologiques ou historiques générales. Notre objectif n’est pas non plus de réunir les seuls révolutionnaires, c’est d’essayer de construire une nouvelle représentation politique des travailleurs et de la jeunesse, même si celle-ci n’est que partielle et ne constitue qu’un premier pas dans une réorganisation d’ensemble du mouvement ouvrier. Ainsi tout en gardant les liens de la LCR avec la IVe Internationale, ce nouveau parti ne sera pas un parti « trotskiste ». Il essaiera de fusionner, comme nous l’avons dit plus haut, le meilleur de toutes les traditions révolutionnaires.
En Italie, à partir d’histoires et d’expériences différentes, tout un secteur de Refondation communiste d’Italie, vient de rompre avec ce parti pour lancer la construction d’un nouveau parti anticapitaliste. Après toute une période politique, où la direction de Refondation communiste avait déployé une politique de rejet du néolibéralisme et d’intégration et d’impulsion du mouvement altermondialiste — orientation que nous avons appuyée —, ce parti soutient et participe, aujourd’hui, au gouvernement Prodi (ancien président de la très libérale Union européenne). En participant au gouvernement Prodi, Refondation Communiste a soutenu tous les programmes d’austérité néolibéraux, une réforme des pensions, et surtout l’envoi de troupes italiennes aux côtés des troupes états-uniennes en Afghanistan. Dans ces conditions, les camarades de la IVe Internationale, mais aussi d’autres courants, des syndicalistes de gauche, des animateurs des centres sociaux et du mouvement antiguerre, ont décidé d’engager un processus de constitution d’un nouveau parti anticapitaliste… C’est donc sur la base d’un combat contre la droite et le patronat italien mais aussi en rupture avec le social-libéralisme qui a emporté Refondation communiste d’Italie que nous participons à la construction d’un nouveau parti, représenté aujourd’hui par le mouvement Sinistra Critica (Gauche critique).
Pour conclure : nous avons commencé la discussion sur de nouveau partis anticapitalistes dès le début des années 1990, en prenant en compte la fin de toute une période historique — le court siècle qui a commencé avec la guerre de 1914-1918 et s’est terminé par l’effondrement de l’URSS en 1991 — et l’annonce d’une nouvelle période historique marquée par la mondialisation capitaliste, l’évolution social-libérale du mouvement ouvrier, le déclin définitif du stalinisme et par la nouvelle vagues de résistances sociales.
Aujourd’hui, sur la base de résistances sociales et d’expériences politiques, notamment de gestion gouvernementale social-libérale, commencent à se confirmer les contours de nouvelles formations anticapitalistes.
PSOL, Bloco de Esquerda, Sinistra critica, Nouveau parti anticapitaliste en France, voilà l’horizon pour les mois et années qui viennent. C’est un défi majeur pour les révolutionnaires.
Il faudra beaucoup d’audace et de flexibilité tactique pour construire des partis anticapitalistes larges, s’appuyant sur la combativité des travailleurs et de la jeunesse, sur les leçons politiques tirées des dernières expériences où diverses orientations — allant du social-libéralisme à l’anticapitalisme — se sont confrontées. Mais il faut aussi connaître les limites dans lesquelles nous allons construire ces partis. Car il y a de gros décalages entre la place politique que nous occupons et la réalité politico-organisationnelle de nos forces. Que cela soit en France (entre la popularité d’Olivier Besancenot et la réalité de la LCR) ou au Brésil (entre la popularité de Heloísa Helena et la réalité du PSOL), il y a de réels décalages entre la popularité de nos porte-parole et nos organisations.
Bien sûr Heloísa ou Olivier s’appuient sur des phénomènes réels — de combativité et de conscience — dans la société, mais s’ils occupent une telle place politique c’est autant, sinon plus, le résultat du « mouvement vers la droite » de la gauche traditionnelle (PS ou PT) qui laisse de larges espaces à gauche, que comme expression d’un mouvement de croissance organique de remontée des luttes de classes. Ils occupent un espace laissé libre par le « mouvement à droite » des appareils réformistes.
Cet espace d’ailleurs n’est pas automatiquement occupé par des forces anticapitalistes. Ainsi en Allemagne, c’est un parti réformiste de gauche — Die Linke — produit de la fusion des ex-staliniens du PDS et d’une aile gauche de la social-démocratie avec Oscar Lafontaine, qui occupe cet espace et qui envisage de participer à une coalition gouvernementale social-libérale avec la SPD et les Verts. Car, nous ne sommes pas confrontés à un haut niveau de luttes, à l’augmentation du nombre de syndiqués, à celui des effectifs des partis de gauche ou à l’émergence de courants « luttes de classe » syndicaux ou politiques.
Nous voulons construire des partis anticapitalistes mais des centaines de sympathisant(e)s et de militant(e)s ne viennent vers nous, que parce que nous sommes la gauche qui lutte, celle qui ne lâche rien, celle qui est vraiment de gauche. Ils ne viennent pas vers nous sur des positions anticapitalistes et encore moins révolutionnaires. C’est une situation inédite et il faut, bien entendu, prendre ce phénomène en positif. Mais dans un contexte où le niveau d’activité des masses n’est pas au plus haut, les pressions électorales, médiatiques, et dans certaines situations, les pressions institutionnelles peuvent être très fortes. Cela doit nous inviter à mettre l’accent sur ce qui doit être le centre de gravité des partis que nous voulons construire, à savoir la lutte de classes et leur caractère anticapitaliste et révolutionnaire : par l’intégration dans les luttes courantes des travailleurs, les liens aux mouvements sociaux, l’équilibre entre notre travail électoral et la place décisive de notre intervention sociale, le contrôle de nos élus, la formation politique de nos membres.
Encore une fois, c’est un énorme défi, pour les révolutionnaires mais c’est la meilleure façon de répondre à la nouvelle période historique que nous vivons…
Notes
1. Marea Clasista y Socialista (Marée classiste et socialiste) est un regroupement de militants de la gauche révolutionnaire, dont des dirigeants syndicaux de l’UNT et des militants ayant commencé la construction du Parti Révolution et Socialisme, qui ont décidé de rejoindre le Parti socialiste unifié lancé à l’initiative de Chávez. Inprecor a publié le point de vue de ce courant dans son n° 532/533 de novembre-décembre 2007.
2. Démocratie socialiste (DS), tendance constitutive du Parti des travailleurs au Brésil regroupant les militants qui s’identifiaient à la IVe Internationale, avait pris la décision de soutenir la participation d’un de ses dirigeants, Miguel Rosseto, au gouvernement Lula en qualité de ministre chargé de la réforme agraire. La politique menée par le gouvernement Lula a rapidement conduit à des tensions au sein de la gauche du PT et en particulier de la DS, dont une des dirigeantes, la sénatrice Heloísa Helena, a été expulsée du PT par la direction pour s’être opposée aux contre-réformes de ce gouvernement. Heloísa Helena ainsi que les député(e)s exclus du PT et des secteurs importants de la gauche du PT (dont une minorité de la DS) ont décidé alors de construire un nouveau parti, le Parti Socialisme et Liberté (PSOL). Enlace regroupe au sein du PSOL, entre autres, des militants qui ont rompu avec la DS restée pro-gouvernementale. Inprecor a largement rendu compte du débat qui a opposé la direction de la DS à sa minorité et à la majorité de la IVe Internationale, dont le n° 526/527 d’avril-mai 2007 a présenté un récapitulatif.