Le coeur du débat était de faire un constat soit de renforcement du capitalisme dans les années 90 soit de son affaiblissement sous le poids de ses propres contradictions en combinaison avec une remontée de la lutte sociale. Presque tous étaient d’accord pour faire un constat de renforcement du capitalisme jusqu’à la fin de 1995. Plusieurs invoquaient d’ailleurs l’atmosphère lugubre du dernier congrès mondial qui s’était tenu juste avant la riposte française de novembre-décembre 95.
Cependant, certains invoquaient la chute de l’URSS (1989-1991) et de son glacis comme un événement stratégiquement positif pour le prolétariat, ce qui ferait de la décennie 90 une décennie tout à fait différente de la décennie 80 qui fut certainement une décennie de renforcement du capitalisme culminant avec la chute du Mur de Berlin. Avec le rapporteur (Livio Maïtan), la plupart semblait penser que si ça le sera à terme, la conjoncture dans laquelle cette chute s’est produite a plutôt davantage renforcé le capitalisme. Plusieurs de rappeler la signification des ambiguïtés de Solidarsnoc comme point tournant annonciateur que l’implosion du système soviétique allait bénéficier au capitalisme.
Le débat le plus important fut de savoir si le tournant de la fin 1995 et tout ce qui s’ensuivit jusqu’aux événements de Seattle et après ne signifiait pas un affaiblissement du capitalisme. Plusieurs d’ailleurs pensaient que le débat aurait dû porter sur les deux textes, situation internationale et les résistances, en même temps, ce qui aurait conduit à une appréciation plus positive de la période.
Ceux et celles qui pensaient que nous sommes entrés dans une période de montées des luttes sociales qui ont commencé à affaiblir stratégiquement le capitalisme invoquaient non seulement les événements français de 1995 mais Seattle et ses suites qu’avait annoncé l’insurrection zapatiste de janvier 1994. De faire remarquer aussi une montée des luttes dans pas mal de pays dépendants en Amérique latine mais aussi en Asie du Pacifique, même en Chine. De noter les plus récents événements dont le renversement populaire de Milosevic et la nouvelle intifada palestinienne.
Attention aux illusions d’optique et aux conclusions hâtives de répondre le rapporteur avec le soutien de la majorité. Il faut être rigoureux dans l’analyse. Une montée des luttes, tout à fait réelle, ne signifie pas que nécessairement que le capitalisme recule même si ses contradictions se multiplient, celles-ci étant d’ailleurs le substrat matériel de cette montée qui à son tour accentue les contradictions. Mais cet enchaînement vertueux pourrait tout aussi bien se casser sous l’effet d’une contre-offensive capitaliste.
Les crises mexicaine, asiatique, russe et brésilienne ont été surmonté justement sur le dos des peuples même s’il en est sorti des forces nouvelles comme par exemple en Indonésie et en Corée. Les révoltes paysannes et ouvrières éparses se multiplient certes en Chine mais la direction chinoise maintient le cap sur l’approfondissement des réformes de marché mais qui ne sont pas définitivement irréversibles, contrairement à l’ex-URSS où pourtant la consolidation d’un capitalisme " normal " n’est pas un acquis. Les réformes de marché continuent leur avancée dans le sous-continent indien mais à travers un envenimant ethnique et religieux et un lourd contentieux Inde-Pakistan maintenant nucléarisé.
Le régime de parti unique mexicain est en voie d’être brisé mais au bénéfice de la droite. Le PRI est en crise mais le PRD qui a perdu devra aussi se redéfinir. Les Zapatistes ont disparu des radars. Au Brésil, le PT se consolide dans le réformisme et la CUT dans la bureaucratie mais il y a le Rio Grande do Sul et l’émergence du MST prémisse, peut-être, avec la CONAI équatorienne d’un nouveau type d’organisation politico-social prenant la relève des organisations politico-militaires d’antan. Justement, celles-ci sont en voie avancée de social-démocratisation, mais pas les FARC et ELP colombiennes qui ont créé une situation de double pouvoir territorial, et en général la gauche institutionnelle s’ossifie d’où déception à propos du Forum de Sao Paulo. Mais il y a l’espérance du Forum de Porto Alegre en janvier.
L’Union européenne néolibérale avance mais c’est en s’embourbant dans sa pré-crise monétaire et dans un imbroglio institutionnel parce que surtout les peuples ne sont pas d’accord et que les bourgeoisies nationales se querellent. Reste qu’au cœur de l’Europe néolibéral, l’Allemagne, les réformes néolibérales procèdent sans trop de résistance, l’attention étant portée contre l’extrême-droite. En France, où les résistances sont parmi les plus fortes, la gauche plurielle a perverti les 35 heures contre le prolétariat et veut mettre sur pied des fonds de pension à l’anglo-saxonne.
Les incroyables résultats électoraux des ÉU annoncent peut-être une crise politico-constitutionnelle mais elles montrent une consolidation de la droite tout en créant de minces espoirs à gauche. Au Canada, les élections montrent des partis qui font plutôt une campagne à gauche de leur programme et de leur idéologie mais qui résultera sans doute en un échiquier politique tout aussi à droite qu’avant sinon davantage.
Le capitalisme avance toujours à petits pas dans son projet néolibéral, en mettant à l’écart ses secteurs traditionnels tiers-mondistes qui s’accrochent ou des bureaucrates de l’Est incapables de se reconvertir, en arbitrant des conflits inter-impérialistes de plus en plus durs à la hauteur de luttes de marché de plus en plus âpres, en s’imposant à des peuples qui y croient de moins en moins mais tout en essayant de garder un mode de fonctionnement démocratique formel qui légitime l’inacceptable et facilite les arbitrages.
Même les grands ténors bourgeois s’angoissent. De dire Greenspan que cite le rapporteur : " Les gens sont de plus en plus préoccupés par la distribution de la richesse et par les effets de la concurrence sur la civilisation. " Et tous de se croiser les doigts devant l’éminence d’une crise majeure en souhaitant qu’elle ne soit qu’un " soft landing ". Les récents événements palestiniens et états-uniens, qui peuvent en être les déclencheurs, ne font rien pour calmer les esprits. La situation est instable, pour dire le moins.
Cette instabilité n’est pas sans rapport avec les effets sur le prolétariat des caractéristiques structurelless du capitalisme néolibéral. D’une part le prolétariat a tendance à s’atomiser à cause de l’individualisation du travail et de la marchandisation du temps libre. Ses couches supérieures tendent à s’intégrer au capital tant par le consumérisme financé par une combinaison de relatifs bons salaires et du crédit que, de plus en plus, par la financiarisation des pensions qui pousse l’intégration jusqu’au coeur de la reproduction du capital au point de faire participer ces couches à l’exploitation des couches les plus faibles. C’est là la méthode du capitalisme néolibéral pour se doter d’une base sociale. Mais elle dépend de l’empilement continuel d’une montagne de dettes et du gonflement sans fin de la bulle spéculative.
D’autre part, cependant, les nouvelles méthodes de production nécessitent l’élévation du niveau culturel du prolétariat de même que la généralisation du capitalisme fait du prolétariat la classe démographiquement la plus nombreuse par rapport à la petite bourgeoisie. Même la paysannerie, relativement de moins en moins nombreuse, se prolétarise directement et indirectement. Ce prolétariat, nombreux et plus instruit, est mieux en mesure de défendre les acquis de nationalisations, de services publics et de programmes sociaux de l’âge d’or d’après la Deuxième guerre. Il est aussi mieux en mesure de comprendre les dangers de catastrophe sociale et écologique du système de libre-échange et de s’organiser pour y résister.
Avec le développement des contradictions de ce système dans les années 90 s’est généralisé une attitude de rejet du néolibéralisme par la majorité de la population jusqu’au centre de l’impérialisme. Le libre-échangisme est en voie de perdre sa légitimité populaire d’où de fortes tensions au niveau des institutions de la démocratie bourgeoise. Ce rejet se combine à un début de mobilisation des couches exclues que ce soit les peuples des pays dépendants, en particulier le paysannat et la jeunesse, ou les femmes, les jeunes et les minorités dans les pays impérialistes. Reste la mobilisation à grande échelle du prolétariat organisé qui commence cependant à bouger, davantage en France, en Corée et dans quelques autres pays qu’ailleurs. Le gel salarial, l’abaissement des conditions de travail, la dégradation des services publics et la fragilité grandissante de la financiarisation commencent à faire effet.
Mais le système de libre-échange progresse quand même comme dans la mélasse au mois de janvier. Il n’y a pas de perspective de stabilisation du projet néolibéral, tant s’en faut. Il lui faudrait un taux d’accumulation du capital supposant une reconquête rapide et une restructuration des secteurs publics tant des pays impérialistes que de ceux des pays dépendants, anciens et nouveaux, au profit du capital impérialiste. Cela suppose des défaites stratégiques et profondes des prolétariats et des couches et peuples opprimés qui devraient en accepter les conséquences dures en termes de croissance de la misère, des inégalités, des exclusions, de catastrophes écologiques et de guerres.
Or il n’y a pas de telles défaites en perspective, comme en Italie au début des années 20, comme en Chine à la fin des années 20, comme en Allemagne en 1933 ou en Espagne à la fin des années 30. Même les sérieux reculs des années 80 en Grande-Bretagne et aux ÉU commencent à être surmontés, tout comme certaines défaites des mouvements de libérations nationales des années 50 et 60 en Asie du Pacifique. Les conditions objectives pour le développement d’une résistance mondiale commencent à apparaître. En va-t-il de même pour les conditions subjectives ?
Suite au prochain rapport que j’essaierai de faire d’ici vendredi soir, en espérant que cette contribution fournisse un cadre adéquat à notre rencontre de samedi soir.