Ces derniers mois ont été lourd en décès d’intellectuels de gauche : Daniel Bensaïd, Howard Zinn, Michel Freitag...
Quelques mots plus particulièrement sur Daniel militant et philosophe anticapitaliste, membre du NPA, organisation en lien avec notre collectif.
De nombreux messages ont circulé au Québec suite à sa mort et ont exprimé la solidarité de toute une série de groupes de gauche et de personnes à l’attention de ses proches.
Il était venu à deux reprises dans notre pays de froidure, la dernière fois, en 2008. 40 ans après, cet ancien animateur du mai 68 français, campait avec fière allure et finesse la permanence de cet esprit de révolte contre la société bourgeoise.
Un intellectuel-militant qui n’en restait pas à l’évocation mélancolique des révoltes passées. Il en pistait les traces dans les luttes actuelles. Il en décortiquait les bifurcations stratégiques. Il se penchait sur la mémoire des vaincus avec la fièvre des retournements du destin.
Il avait des phrases incroyables à ce sujet dans ’’Moi, La Révolution’’ (Remembrances d’une Bicentenaire Indigne, Collection Au vif du sujet, Gallimard, 1989 )
’’Les vaincus ont toujours une mémoire. Elle est leur seule chance d’échapper au cortège triomphal des vainqueurs, de faire mentir, ne fût-ce qu’une fois, une unique mais bonne et décisive fois, le destin de leurs défaites répétées.
Ils savent que, si l’ennemi gagne encore, ils sont menacés de la répétition éternelle de leur défaite et de leur supplice.
La mémoire seule peut inverser les signes, échanger le haut et le bas, et sauver le passé. Tant qu’elle brûle, le dernier mot n’est jamais dit ; la défaite peut toujours être métamorphosée en victoire.
La mémoire engage.
Elle réclame justice. Elle promet des résurrections.’’
C’est pourquoi, du même souffle, nous évoquons la mémoire de Nabila Djahnine, membre du Parti Socialiste des travailleurs (PST), asssassinée il y a 15 ans en Algérie. Voici une très émouvante contribution de notre camarade Chawki Salhi, porte parole du PST.
Il y a quinze ans Nabila Djahnine était assassinée
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Tiré du site du Parti Socialiste des travailleurs
15 février 2010
Présidente de l’association féminine Tighri Ntmettouth de Tizi ouzou, Nabila Djahnine est assassinée dans la matinée du 15 février 1995. Elle avait 29 ans.
Elle est ssue d’une famille populaire de Bejaïa, qui lui a enseigné l’ouverture d’esprit et l’a mise en contact avec le monde militant. Elle se radicalise très vite quand la vague obscurantiste qui submerge le pays menace d’emprisonner sa propre vie. Elle rejoint le PST vers la fin des années 80.
Etudiante à Tizi ouzou, elle contribue à la fondation du Syndicat national des étudiants algériens qui s’était constitué après la grande grève générale de 87
Elle prend une part active au travail de construction du deuxième séminaire du Mouvement Culturel Berbère, en 1989, qui fit émerger le MCB comme acteur essentiel de l’ouverture politique.
Membre de la commission femmes de son parti, elle est parmi les membres fondatrices de l’AEF (association pour l’émancipation de la femme) et construit l’association de Tizi ouzou, Tighri ntmettouth (le cri de la femme) qui essayait de faire parvenir le message de l’émancipation jusqu’aux villages les plus enclavés sans déserter les étudiantes de Mdouha ou les travailleuses.
Membre de la direction de ville de Tizi ouzou, elle n’hésitait pas à faire face à une société particulièrement conservatrice.
Elue à la direction du PST en mai 1991, elle s’investit activement dans les débats consécutifs à la victoire électorale du FIS et se retire de son parti au courant de l’année 92 pour se consacrer à son activité féministe locale et à son travail d’architecte.
Après le meurtre de la jeune Katia Bengana, lycéenne de Meftah, tuée le 28 février1994 pour avoir refusé le diktat vestimentaire des intégristes, le lâche assassinat de Nabila a eu un impact considérable parmi celles qui n’avaient pas déserté l’Algérie dangereuse des années 90,
Car elle était de celles qui ont continué à vivre, à circuler, à travailler, à militer refusant d’abandonner les espaces que les femmes avaient conquis dans une Algérie qui restait dominée par le conservatisme patriarcal,
Elle était de celles qui avaient continué à rêver à haute voix d’un avenir meilleur qui bannisse l’oppression des femmes mais qui abolisse aussi l’exploitation sociale et l’oppression politique.
A Katia, à Nabila, à ses adorables parents tous deux morts de tristesse quelques mois après leur fille, et à celles qui ont résisté et tenu à leurs valeurs malgré la peur, nous disons merci pour la part de notre liberté que vous avez préservée. Nous leur devons aussi de continuer le combat contre l’oppression.
Nabila tighri inem naslat, ton cri nous l’avons entendu.
Chawki Salhi
EXTRAIT de Moi, La Révolution (Remembrances d’une Bicentenaire Indigne), Collection Au vif du sujet, Gallimard, 1989.
Les femmes ont une mémoire. Séculairement entretenue et secrètement veillée, comme une flamme précieuse et chancelante. Te souviens-tu de Madame Legros, la petite mercière, pas romanesque pour deux sous, avec son nom de voisine de palier. Son opiniâtreté a pourtant miné les fondations de la Bastille bien avant le 14 Juillet. Sans elle, le prisonnier Latude aurait pu tomber dans l’oubli officiel. Mais cette femme de mémoire, l’a adopté. Avec ses cabas et ses paniers sous le bras, elle s’est entê¬tée, elle a frappé à toutes les portes, elle est allée seule à pied à Versailles, des années avant les femmes du 6 octobre, simple¬ment pour exiger réparation du tort fait à un inconnu. Il y avait, dans l’obstination de sa mémoire, l’annonce d’autres acharnements féminins : ceux des folles de la place de Mai en Argentine, ceux des mères de disparus mexicains. Contre les apaisements et les effacements officiels, elles refusent d’aban¬donner le passé à l’oubli.
Le peuple a une mémoire. Tenace et têtue. La mémoire des récits répétés et ressassés, de génération en génération, l’été, à la fraîche, quand on sort les chaises de paille sur le pas des portes pour causer ; ou l’hiver, autour de la table, en pétrissant les mies de pain d’un repas qui s’éteint doucement, en vidant la dernière bouteille. La mémoire des paysans de Cuautla : depuis plus de soixante-dix ans, ils refusent à l’Etat mexicain le transfert à la capitale des cendres d’Emiliano Zapata ; depuis plus de soixante-dix ans, ils montent la garde autour de sa statue équestre, sur la place du village, et viennent bivouaquer autour de lui, des montagnes environnantes, chaque fois que le gou¬vernement prétend récupérer la dépouille de leur chef. Ils savent que cette entrée dans un Panthéon où cohabiteraient vainqueurs et vaincus, assassins et victimes, serait une seconde mort.
Les vaincus ont toujours une mémoire. Elle est leur seule chance d’échapper au cortège triomphal des vainqueurs, de faire mentir, ne fût-ce qu’une fois, une unique mais bonne et décisive fois, le destin de leurs défaites répétées. Ils savent que, si l’ennemi gagne encore, ils sont menacés de la répétition éter¬nelle de leur défaite et de leur supplice. La mémoire seule peut inverser les signes, échanger le haut et le bas, et sauver le passé. Tant qu’elle brûle, le dernier mot n’est jamais dit ; la défaite peut toujours être métamorphosée en victoire.
La mémoire engage.
Elle réclame justice. Elle promet des résurrections.
J’attends depuis longtemps le baiser qui me réveillera.
Et la bonne nouvelle, dont les mots s’effacent instantanément sur les lèvres du messager qui les prononce. Et l’instant fragile d’une reconnaissance qui est une retrouvaille.