Comité International de la IVe Internationale
Rapport sur la situation internationale
Par François Sabado*
Ce rapport présente ce qui à nos yeux constitue certains traits les plus importants de la situation internationale. Il ne reprend pas toutes les questions. Il peut être marqué par un certain européocentrisme, d’où une approche partielle de certaines questions. Il sera par ailleurs suivi d’un rapport sur les problèmes de construction de l’Internationale et les enjeux du prochain congrès mondial.
La situation internationale est marquée par la crise financière et économique qui frappe l’économie mondiale depuis la fin de l’été 2007. L’éclatement de cette crise constitue un tournant dans son cours. C’est un tournant important car il constitue un moment qui recoupe plusieurs processus et qui s’inscrit dans un changement de période historique ouvert à la fin du XXe et au début du XXIe siècle, marqué par la globalisation capitaliste et ses contradictions.
Sur la crise, nous avons travaillé sur des analyses de F. Chesnais, de E. Toussaint et du GTE de la LCR.
1. C’est un tournant dans le sens de la fin d’un cycle de l’économie américaine qui a suivi la reprise de 2003, marqué par une explosion de la consommation intérieure, un endettement massif, sur la base de taux très bas et d’abaissement des frais financiers, mécanismes qui ont débouché sur cette « bulle immobilière ». C’est ainsi qu’est mis au point le système des « subprime », des prêts à risques à taux variables consentis aux ménages les plus fragiles. C’est, avec le financement de ses déficits par les capitaux étrangers et la baisse du dollar, un des principaux mécanismes du modèle de croissance américain de 2003 à 2008… Mais quand en 2005 la Réserve Fédérale (FED, Banque centrale des États-Unis) augmente les taux directeurs de l’argent, elle détraque la machine, provoque l’insolvabilité et l’effondrement de millions de ménages endettés, qui entraîne la faillite d’importants établissements de crédit et fait vaciller le système bancaire. Car le crédit est la pièce maîtresse de cette croissance américaine. En effet, pour maintenir un profit haut et régulier, il faut une demande dynamique. Cela ne peut venir des salaires comprimés par les attaques patronales, ni des marchés internes des pays émergents suffisamment développés, ni des revenus distribués aux actionnaires dont la masse est insuffisante pour soutenir la demande. Le capitalisme contemporain trouve donc cette demande dans le crédit aux ménages. Ce processus atteint son paroxysme aux USA
2. Nous sommes confrontés non seulement à une crise financière et bancaire mais aussi à une crise de l’économie réelle. La crise des « subprimes » s’est propagée par les mécanismes propres au système financier globalisé à l’échelle mondiale. Elle a provoqué une crise de solvabilité et de liquidité qui frappe tout le système monétaire international. D’où les injections massives de capitaux dans l’économie états-unienne — plus de 168 milliards de dollars du plan de relance de l’économie adopté par le congrès — la baisse des taux d’intérêts ou au contraire de nouvelles tensions avec le refus de la BCE de baisser ses taux. Mais cette politique n’est pas suffisante pour relancer la machine...
Car les prévisions de récession de l’économie américaine se confirment peu à peu. Le secteur de l’immobilier s’est effondré aux USA. D’autres pays comme l’Espagne, l’Irlande ou l’Australie ayant utilisé les mêmes mécanismes de prêts immobiliers que les USA sont aussi frappés par la crise.
* Aux États-Unis, l’activité diminue.
* Les prévisions de croissance sont autour de 1,5 à 2 % aux États-Unis et en Europe.
* En janvier 2007, le solde de création d’emplois de l’économie américaine a été négatif. En janvier 2007, l’économie américaine a perdu 17 000 emplois.
* Dans l’immobilier et l’industrie il y a eu 27 000 et 28 000 postes détruits. Les marchés tablaient sur la création de 70 000 emplois. En France, il y a eu 300 000 emplois de créés en 2007 mais plus de 50 000 détruits dans l’Industrie.
* C’est la mise à la rue de plus de 3 millions de ménages.
* C’est l’annonce de restructurations qui provoqueront des dizaines de milliers de licenciements. Le BIT prévoit plus de 5 millions de nouveaux chômeurs.
Le coût de cette crise financière c’est, à ce stade, la perte de dizaines de milliards de dollars.
Cette crise du système financier international provoque une contraction du crédit et donc un ralentissement de l’activité. La purge exigée des grandes banques — pour faire le tri entre les « titres pourris » et les « bons placements » — contribue à ralentir l’activité.
L’administration et la Banque fédérale américaine sont placées devant un dilemme redoutable : soit on relance l’économie, en baissant les taux d’intérêts, en injectant des liquidités, en aggravant les déficits et l’endettement, en amplifiant les pressions inflationnistes et à la clé on risque d’aggraver la dépréciation, voire une chute brutale du dollar — et c’est un risque réel : en 5 ans il a perdu 25 % de sa valeur et sa dépréciation augmente les risques de crise — soit on tente de réduire les déséquilibres, mais on renchérit les taux d’intérêt, soit on réduit l’endettement et cela diminue fortement l’activité, et on s’enfonce dans la récession…
3. A l’origine de cette crise, il y a, ce que Chesnais appelle une « très longue phase d’accumulation sans rupture », c’est-à-dire une accumulation de capitaux ininterrompue — sans guerre ni révolution — depuis 1950. C’est la plus longue phase de ce type de l’histoire du capitalisme. L’origine de cette financiarisation est consubstantielle au capitalisme, c’est-à-dire à l’accumulation de profits qui ne sont pas réinvestis dans la production directe de valeur et de plus-value. Des profits qui se valorisent en extériorité aux processus de production et au travers des seules transactions sur les marchés financiers. Il y a aussi deux autres secteurs en rapport avec les transactions financières qui connaissent un même type de valorisation : les fonds de pension privés et les flux liés à la rente pétrolière.
Car la production de marchandises en régime capitaliste, est sans cesse limitée par la capacité d’absorption des marchés. La production de biens et de services n’est pas assez rentable alors on investit ailleurs : Pour un dollar ou un euro investi dans la production de marchandises combien cherchent à se mettre en valeur sur les places boursières, les fonds spéculatifs, les spéculations immobilières, l’or, les transactions financières et monétaires… C’est la logique de l’accumulation du profit capitaliste et de la propriété privée du capital et des moyens de production.
Il y a aussi le tournant de la fin des années 70 avec la contre-réforme libérale ou le consensus de Washington qui a débouché sur ce que l’on appelle « la mondialisation capitaliste », c’est-à-dire une société marquée par « la domination du capital bien au- delà de la seule sphère économique », une société de marché par une explosion de la « marchandisation » et de la « financiarisation » de l’économie. Cette mondialisation n’a pu prendre sa dimension que par la réintégration dans le marché capitaliste mondial, par un processus de restauration du capitalisme, des géants comme la Russie, les anciens pays de l’Est et la Chine. Cela a profondément stimulé la croissance du capitalisme mondial mais d’un capitalisme travaillé par les contradictions liées à cette explosion du capital financier.
Mais cette dernière résulte aussi d’un certain type d’accumulation depuis une trentaine d’années, notamment par la baisse depuis plus de 20 ans de la part salariale, de la part de la production de richesses qui revient aux travailleurs. Du coup cette plus-value qui augmente plus vite que le revenu national est accaparée par une mince couche de possédants qui est à la recherche effrénée de placements de plus en plus rentables. D’où une énorme surabondance de liquidités et de capitaux financiers qui décolle de l’économie réelle et qui ont leur logique propre… Cela fonctionne jusqu’à ce que le décalage soit trop grand et là il y a la crise : c’est ce qui se passe aux États-Unis où il y a depuis les années 2000 une contradiction entre la croissance la plus lente de l’économie réelle depuis la deuxième guerre mondiale (même s’il y a eu croissance) et l’expansion la plus forte de l’économie financière. C’est la limite au modèle de croissance américain qui aujourd’hui s’essouffle voire s’épuise.
4. Mais c’est aussi un tournant dans le sens où cela fait apparaître de nouveaux rapports de forces mondiaux, de nouveaux rapports entre les États-Unis, l’Europe et les nouveaux pays comme la Chine, l’Inde, le Brésil, la Russie, l’Indonésie, l’Afrique du Sud, la Malaisie.
Les crises des années 1990 ont touché presque uniquement les dits pays en voie de développement (PED) : crise mexicaine de 1994-95, crise asiatique de 1997-1998, crise russe de 1998, crise brésilienne de 1999, crise argentine de 2001-2002… Cette fois-ci la crise explose non à la périphérie mais au centre.
La crise est telle dans le système financier du Nord qu’on assiste à une fuite des capitaux vers des Bourses de valeur de pays comme l’Inde, la Chine, le Brésil. Les pays du Nord sont contraints à accepter le sauvetage de leurs institutions financières par les « fonds de richesses souverains » (Sovereign Wealth Funds) du Sud.
Ces mouvements de capitaux traduisent aussi sous une forme financière des changements dans l’économie réelle :
* Des changements dans la répartition du PIB mondial, au cours des dix années qui viennent de s’écouler, selon toutes les prévisions, la part du PIB chinois dans le PIB mondial aura doublé, passant de 6 % à 12 %. Certes, les statistiques sur la Chine ne sont pas fiables : en décembre 2007, la Banque Mondiale a reconnu que le PIB de la Chine en parité de pouvoir d’achat (pour rendre équivalent ce qu’on peut acheter avec une même somme donnée) était surévalué. En 2005 le PIB n’aurait pas été de 8 819 milliards de dollars mais de 5 333. Cela a une conséquence majeure sur le nombre de pauvres de plusieurs dizaines de millions mais ces écarts entre tel ou tel chiffre ne remettent pas en cause la tendance générale du développement de l’économie chinoise, tendance qui change les équilibres et les rapports de forces de l’économie mondiale.
* La hausse des taux de croissance, l’augmentation de la production de biens et de services, les changements dans la division mondiale du travail, eux sont manifestes. La Chine, « atelier ou usine » du monde a profité de tout un mouvement de délocalisation et relocalisation d’une partie de l’appareil productif mondial, en particulier américain et d’une sous-traitance massive. Cette réorganisation a produit, en même temps, un renforcement propre du capitalisme chinois. C’est la 3e ou 4e puissance mondiale. C’est déjà la troisième puissance exportatrice mondiale, après l’Allemagne et les États-Unis. C’est la deuxième puissance en production des technologies de l’information. Si la part de la consommation reste faible, il y a une augmentation impressionnante des investissements productifs en capital fixe notamment dans les infrastructures et secteurs-clé de l’économie, avec des risques de « surchauffe » même, plus de 25 % d’augmentation.
* C’est le premier pays receveur des investissements directs de capital étranger (IDE). Et il y a une question à étudier et à clarifier : quelle est la part dans les investissements étrangers en Chine, du capital de la diaspora chinoise de Hong Kong, de Taïwan, du capital sino-américain…, qui en fusionnant avec le capital autochtone peuvent donner une force considérable au capital chinois tout entier. Les taux de croissance de la Chine et de l’Inde tournent autour de 8 % à 9 %, alors qu’aux États-Unis et en Europe ils tournent autour de 1,5 % à 2 %. La Chine exportatrice de produits manufacturés a accumulé des réserves de change en quantité impressionnante : son stock s’élevait en décembre 2007 à plus de 1 400 milliards de dollars. Elle a un marché de 250 à 300 millions d’habitants.
Le poids économique en PIB du groupe Chine, Inde, Russie et Brésil est potentiellement équivalent à celui des États-Unis — je dis potentiellement car c’est le poids de « quatre économies nationales » et pas d’une seule économie avec un seul État. Les réserves accumulées par les pays asiatiques et les pays pétroliers sont considérables. Fin 2007, les PED détiennent ensemble plus de 4 600 milliards de dollars comme réserve de change tandis que les pays industrialisés détiennent moins du tiers. Les excédents commerciaux et ces réserves de devises des pays asiatiques ont été placés en bons du trésor, en actions, en obligations privées aux États-Unis. Ce sont eux qui financent en fait les déficits nord-américains.
5. Alors, bien entendu, il ne faut pas sous-estimer la dépendance de ces nouveaux géants de l’économie mondiale de l’économie américaine. Celle-ci continue à jouer le rôle de locomotive de l’économie mondiale. Plus de 25 % de PIB mondial, sans oublier l’Europe, qui avec ses 27 pays, tourne autour de 25 % à 30 %. Le marché américain reste un des principaux marchés de la production chinoise. Plus de 35 % du PIB chinois dépend de ses exportations, même si certains experts expliquent que la sensibilité de l’économie chinoise aux exportations diminue. Le marché interne chinois n’a pas de capacités suffisantes pour absorber la production chinoise. Une récession d’ampleur outre-Atlantique aurait inévitablement des conséquences sur l’activité mondiale et sur la Chine, même si c’est limité. Mais ce qui pèse le plus sur la Chine, ce sont d’énormes inégalités, des tensions brutales entre la campagne et les villes, une pauvreté qui certes se réduit mais qui est toujours très importante, de plusieurs centaines de millions d’habitants. Les statistiques de la pauvreté ont tendance à la sous-estimer.
Mais il y a une nouvelle donne de l’économie mondiale qui conduit à poser les problèmes d’analyse de la crise économique mondiale en intégrant les puissances émergentes.
Toute une part des réponses sur l’issue de la crise actuelle réside dans les rapports Asie-États-Unis-Europe… .
* Soit la crise financière actuelle révèle un processus de suraccumulation et de surproduction dans toutes les économies asiatiques — Chine, Japon, Corée, Taïwan, Inde… qui marque un ralentissement général de la demande mondiale et alors cela peut déboucher sur une crise générale de type 1929… Les limites du marché interne chinois, une poussée de l’inflation, qui tourne autour de 6 % à 7 %, l’augmentation des inégalités, l’explosion de poches de pauvreté notamment à la campagne, les problèmes de crise alimentaire, la dictature du Parti communiste chinois (PCC) qui empêchent une certaine flexibilité des structures pèsent plutôt sur l’explosion de la crise… mais il y a aussi l’autre hypothèse
* Soit la contraction de la demande extérieure est compensée par une augmentation de la demande interne et de nouvelles capacités d’absorption de la production chinoise par le marché interne et il y a là de nouvelles possibilités de relance de la machine économique. Le seul remède à la surproduction chinoise serait une réorientation de l’activité économique d’une croissance pour les exportations à une croissance plus autocentrée… Si c’était le cas, la combinaison des mécanismes « anti-crise » aux États-Unis et en Europe et des nouvelles capacités asiatiques pourrait contenir la crise…
Il faut dans tous les cas, étudier et encore étudier ce qui se passe en Chine, surtout que nous manquons de connaissances internes, et que les traditions et l’implantation de notre courant international se concentrent surtout dans une série de pays européens et latino-américains. Le travail sur l’Asie doit devenir une priorité.
6. L’économie-monde change d’axe. Mais ces processus économiques traduisent des changements de panorama de la politique mondiale des changements de rapports de forces.
a) Cette nouvelle phase de la globalisation capitaliste s’inscrit dans le temps long dans des rapports de forces qui se sont globalement détériorés pour le monde du travail. Le rouleau compresseur libéral mis en route à la fin des années 1970, combiné à la réintégration de la Russie, des pays de l’Est et de la Chine dans le marché mondial, ont donné de nouvelles capacités d’initiative aux classes dominantes. Les contre-réformes libérales, les déréglementations des rapports sociaux combinées à l’introduction des nouvelles technologies vont par la flexibilité et la précarité transformer les formes de l’exploitation capitaliste. Il y a augmentation considérable de la mise en concurrence directe des travailleurs dans le cadre d’un processus de constitution d’un marché mondial de la force de travail.
b) De plus, avec le changement de l’économie mondiale, il y a aussi de nouveaux rapports de forces entre le capital et le travail. Du point de vue des rapports de forces sociaux globaux, cette réorientation du monde se fait dans des pays où le mouvement ouvrier indépendant sous des formes syndicales ou politiques est structurellement faible. Les USA connaissent l’existence de syndicats mais ils n’ont jamais connu l’existence de partis ouvriers de masses. Les destructions du stalinisme ont broyé ce qui pouvait subsister ou émerger de formes de mouvement ouvrier indépendant en Russie et dans les ex-Pays de l’Est. En Chine comme en Inde, il y a intégration de dizaines de millions d’êtres humains dans le salariat mais à cette étape sans représentations. La dictature du PCC a empêché jusqu’à ce jour le développement d’organisations ouvrières indépendantes, même si les conflits et explosions sociales se multiplient en Chine indiquant des formes embryonnaires associatives ou syndicales. Pour l’Inde, la situation est plus complexe car il y a dans de nombreux États des organisations d’obédience ex-communiste prorusse ou prochinoise…
L’existence et le développement d’organisations sociales indépendantes en Asie, en Chine et Inde en particulier seront décisives pour les rapports de forces socio-politiques mondiaux. Les réanimations politiques partielles dans une série de Pays de l’Est — dont le renouveau syndical, des grèves dures menées par une nouvelle génération ouvrière et la renaissance d’une gauche politique, en particulier en Pologne et en Russie, ainsi que les luttes syndicales en Slovénie — doivent être suivies attentivement.
c) Mais malgré ces reculs et changements, le capitalisme globalisé ne parvient pas à stabiliser la situation mondiale. Il n’y a pas de nouvel ordre mondial :
* D’abord, pour des raisons liées aux contradictions internes de la mondialisation capitaliste, notamment les limites du mode d’accumulation capitaliste financier, les risques de guerres…
* Ensuite par des résistances sociales chroniques, depuis des luttes de classes élémentaires, des explosions ou émeutes contre la vie chère, mouvements pour le contrôle des ressources naturelles, rebellions démocratiques.
* Enfin des crises politiques. Des crises de directions bourgeoises combinées à des crises de représentation politique, à droite et à gauche, quand ce ne sont pas des crises institutionnelles qui apparaissent au grand jour. Le rejet de Bush, l’impuissance de la grande coalition en Allemagne, le carnaval italien ou les frasques de Sarkozy témoignent de ces phénomènes, et ce dans les centres impérialistes.
7. Ces nouvelles configurations ont des conséquences sur le plan de la politique internationale, où les intérêts d’une bourgeoisie nord-américaine affaiblie et ceux de puissances européennes qui veulent tenir leur rang dans cette nouvelle concurrence mondiale, les font converger dans de nouveaux systèmes d’alliances, notamment face à la Chine et à la Russie. Cela n’écarte pas, loin de là, la recherche agressive de nouvelles parts de marché pour chaque bourgeoisie, et le développement de tensions protectionnistes dans l’économie mondiale mais les liens politiques entre les États-Unis et l’Union Européenne tendent à se renforcer. Les nouvelles relations entre la France de Sarkozy et les États-Unis de Bush sont un bon exemple de cette inflexion ou changement. Chirac était contre la guerre en Irak. Sarkozy est pour. Il est même en première ligne dans la confrontation avec l’Iran. Mais plus généralement le retour prévu de la France dans l’OTAN et l’intégration de la force militaire européenne au sein du même organisme indique bien le type de réorganisation en cours.
Les États-Unis sont à la veille de nouvelles élections (fin 2008), qui peuvent déboucher sur des inflexions ou des modifications de la politique nord-américaine. La grande question de politique américaine et internationale sera de savoir s’il y a ou pas retrait des troupes américaines en Irak ?
Le plus probable, c’est la continuation de l’occupation, et ce pour des raisons de fond. Sur la dernière longue période, l’impérialisme états-unien a confirmé sa politique de redéploiement stratégique politico-militaire. Comme E. Mandel l’indiquait déjà il y a plus d’une vingtaine d’années, il est confronté à une contradiction, à l’asymétrie entre la tendance déclinante de l’économie et de la monnaie américaines et l’hégémonie de son appareil politico-militaire, appuyé sur une place centrale de l’armement dans son économie. Ces tendances lourdes relativisent les nuances ou différences entre Clinton, Obama, et même Mac Cain, même si le tour que prend la campagne électorale américaine exprime d’une certaine manière l’usure du système politique américain. Mais sur le fond des intérêts et de la politique des classes dominantes aux États-Unis, il s’agit de compenser un certain affaiblissement économique par une politique militaire agressive, d’occupation en Irak et en Afghanistan, de confrontation face à l’Iran, et à des degrés moindres face à la Russie et la Chine. Cette politique comporte aussi une politique de « recolonisation » de certains pays visant à maintenir voire étendre le contrôle des ressources naturelles ou de matières premières stratégiques comme le pétrole.
Mais la supériorité militaire ne signifie pas automatiquement victoire militaire. Les termes d’un « Nouveau Viêt Nam » sont habituellement repris par les médias américains pour parler de la situation de l’armée nord-américaine dans la région. C’est un véritable enlisement politique et militaire que connaît l’administration Bush. Les États-Unis ne gagnent pas la guerre, ni en Irak, ni en Afghanistan. Israël n’a pas gagné la guerre contre les Libanais et le Hezbollah. Ils ne peuvent répéter un « scénario irakien » en Iran. Les tensions entre la Russie qui se réarme et les États-Unis pèsent aussi sur les rapports mondiaux. Enfin apparaissent des zones entières de conflits comme au Pakistan, en Afghanistan ou dans certaines régions d’Afrique, zones qui sont « sans contrôle ».Cela crée des facteurs d’incertitudes et d’inconnues de situation internationale, avec des risques de guerre sans précédents. Du point de vue militaire, même si les USA restent « le numéro un », après un ordre mondial unipolaire, émergent des éléments d’un rapport de forces multipolaires.
8. C’est aussi dans ce cadre, qu’il faut prendre en compte des nouveaux phénomènes sociaux et politiques qui ne prennent pas la forme de contradictions ou de polarisations de classes et qui marquent ou qui vont marquer l’évolution de la situation mondiale que je ne développerai pas mais qui ont des conséquences majeures :
a) La crise écologique et les conséquences du réchauffement climatique de la planète commencent et risquent de provoquer, à terme, de nouvelles catastrophes — écologiques, sociales, humaines. Nous venons de tenir dans ces murs un séminaire d’élaboration sur la question climatique…
b) L’existence d’organisations, courants, clans ou groupes religieux, qu’il faut, bien sûr, analyser dans leurs spécificités mais il y a là une tendance générale. Il peut y avoir des courants religieux progressistes mais la majorité de ces courants est globalement réactionnaire. C’est ce qui se noue autour des situations au Pakistan et en Afghanistan. A noter que la remontée des phénomènes religieux frappe aussi les pays du centre : remise en cause de la laïcité par Sarkozy, montée des évangélistes aux États-Unis…
c) Il faut aussi tenir compte des tendances à l’éclatement d’une série d’États en Afrique mais aussi du rebondissements d’autres crise comme celle des Balkans.
9. L’enlisement états-unien a des conséquences internationales, et en particulier en Amérique latine. Il ne s’agit pas de sous-estimer la pression qu’exerce toujours « l’empire » sur un continent qu’il continue à considérer comme son arrière-cour, ce que rappelle encore l’agression de la Colombie contre le Venezuela et l’Équateur. De même il faut intégrer les conséquences possibles d’une crise économique internationale sur le continent latino-américain avec une détérioration des positions latino-américaines notamment dans l’agroexportation et certaines matières premières. Positions détériorées qui renforceraient la pression du Nord. Il faut même indiquer, dans la conjoncture actuelle, la capacité d’initiative de la droite proaméricaine sur le continent en particulier avec son avant-garde : le régime colombien d’Urribe. Le « plan Colombie » est là, d’autant que la défaite de Chavez au référendum du 2 décembre redonne certaines capacités d’initiative à l’impérialisme US, comme l’indique la tentative de congélation des avoirs de PVDSA, mais aussi les bases militaires au Paraguay. L’aide à la droite « golpiste » (putschiste) en Bolivie ou « libérale-autoritaire » au Pérou ou au Mexique est toujours présente. La Zone de libre échange des Amériques (ZLÉA ; ALCA en espagnol) est un échec mais les traités bilatéraux entre les États-Unis et une série de pays d’Amérique du sud ont été conclus. Mais, malgré ces manœuvres et les inflexions de ces dernières semaines dans la conjoncture latino-américaine au compte des USA, de la Colombie, et des forces de la droite la plus réactionnaire, il faut souligner l’affaiblissement des capacités d’intervention de l’impérialisme nord-américain sur le continent. Sur le plan militaire, il lui est difficile d’intervenir en Irak, en Afghanistan et de préparer des interventions en Amérique latine, et si les États-Unis maintiennent la pression sur l’Amérique du Sud, il est incontestable qu’il y a un nouveau rapport de forces entre l’impérialisme américain et une série de pays du continent latino-américain et non des moindres, en particulier en faveur de deux groupes de pays.
Le premier groupe, est constitué par le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay. Profitant d’une phase de développement économique et d’une capacité des gouvernements au pouvoir — Lula au Brésil, Kirchner en Argentine, Tabaré Vázquez en Uruguay — à canaliser, maîtriser, intégrer leurs mouvements de masses ou, plus exactement, des pans entiers de leurs directions, en particulier celles du Parti des travailleurs (PT) et de la Centrale unique des travailleurs (CUT) brésilienne ainsi que du péronisme politique et syndical en Argentine (même si Lula peut se situer plus à droite que Kirchner), les classes dominantes de ces pays ont conquis de nouvelles marges de manœuvre pour négocier et imposer une série d’objectifs économiques à l’impérialisme américain. Elles poursuivent, à leur propre compte et à leur manière, les politiques néolibérales, en les accompagnant d’un volet « d’assistanat social ». Elles ont renforcé une certaine insertion dans le marché mondial, notamment par leurs politiques d’agroexportation et par leurs relations spécifiques au système financier international. Ce groupe de pays avec le Brésil et l’Argentine ont, aujourd’hui, une place centrale.
Le deuxième groupe, qui aujourd’hui impose une nouvelle expérience de rupture partielle avec l’impérialisme américain, est emmené par le Venezuela, suivi de la Bolivie et de l’Équateur, le tout appuyé par Cuba. Ces pays, chacun avec leur spécificité, tentent aujourd’hui de desserrer l’étau de la dette, de reprendre la maîtrise et le contrôle de leurs ressources naturelles, d’assurer des programmes sociaux d’alimentation, de santé et d’éducation, de restaurer leur souveraineté nationale contre les pressions nord-américaine et européenne (tout particulièrement espagnole). Sous ces changements politiques et institutionnels, il y a une dynamique des mouvements sociaux et des mouvements de masse qui continuent à travailler le continent. Bien entendu avec des inégalités, la situation au Brésil traduit un recul du niveau de mobilisation sociale. L’Argentine reste avec un fort niveau de luttes, d’organisations syndicales et associatives mais avec une faiblesse extrême de la traduction politique. Les résultats électoraux des trois blocs électoraux d’extrême gauche trotskyste n’ont pas dépassé les 2 %. C’est dans les processus de mobilisation bolivarien, équatorien et bolivien que les mouvements sociaux gardent un certain degré d’autoactivité. Ces mouvements sont dans nombre de pays liés à la poussée de courants nationalistes radicaux ou révolutionnaires.
De ce point de vue, beaucoup de choses se jouent au Venezuela. Le processus révolutionnaire reste ouvert mais Chavez est à la croisée des chemins : ou il avance, renoue avec les secteurs les plus combatifs, satisfait les revendications populaires fondamentales et le processus révolutionnaire bolivarien repartira et s’approfondira ; ou il cède aux pressions de tout un secteur de la bureaucratie d’État et du patronat, y compris au sein du processus bolivarien, pour canaliser, modérer et bloquer ce même processus… et il perdra l’appui de secteurs importants de sa base sociale et politique. Les interventions de certains dirigeants syndicaux de l’UNT ou de Marea Socialista nous alertent sur le cours actuel du gouvernement. Mais là aussi , tout est en mouvement…
La crise s’accélère en Bolivie, où le vote de la nouvelle constitution défendue par Evo Morales et la grande majorité de la population, ouvrière, paysanne, indienne, n’est pas reconnu par la droite et les « classes riches blanches » concentrées à Santa Cruz et dans les provinces de l’Ouest, dont quatre régions viennent de proclamer leur autonomie. Les révolutionnaires sont aux côtés du MAS d’Evo Morales pour l’application de cette constitution et la satisfaction des besoins vitaux des populations les plus pauvres de Bolivie.
Mais le pays clé, c’est le Venezuela. S’il y avait une défaite du processus bolivarien, cela aura des répercussions immédiates en Bolivie et en Équateur, sans compter Cuba. Le retrait de Fidel Castro ouvre une nouvelle situation politique. Il y a toujours le risque d’intervention directe ou indirecte qui nous conduit à rappeler plus que jamais notre solidarité avec Cuba contre l’impérialisme. Mais, comme l’a dit Fidel, le risque c’est que la révolution soit mangée de l’intérieur, et là il y a un débat qui s’ouvre : quels rapports avec le marché, suivre ou pas la voie chinoise, quels espaces démocratiques révolutionnaires… bref, toute une série de questions que nous devons suivre.
10. L’Europe, malgré une place plus réduite dans le monde, un affaiblissement dans la compétition économique, et une paralysie politique, reste un des terrains majeurs de l’affrontement central pour la défense des droits et des acquis sociaux. Ces politiques ont, en particulier, une série de conséquences dans l’Europe capitaliste, où les principales bourgeoisies européennes, pour assurer leur place dans la concurrence mondiale, attaquent frontalement le « modèle social européen », en fait, les systèmes de sécurité sociale, les droits sociaux des salariés, les services publics. Cette politique est concentrée dans le nouveau « traité européen » qui reprend les grandes lignes du projet de Constitution européenne rejeté en 2005 par les peuples de France et des Pays-Bas. Elle s’en trouve renforcée par l’intégration européenne des pays de l’Est de l’Europe. Intégration qui conduit au démantèlement d’une série d’acquis sociaux et qui par là même, tire vers le bas l’ensemble des conditions de travail et de vie des classes populaires de ces pays En France les idéologues du gouvernement Sarkozy l’ont ouvertement déclaré : il faut détruire le programme du Conseil National de la Résistance (CNR) de 1945 et toutes les conquêtes sociales qui ont été obtenues depuis. Sarkozy déclare « vouloir réformer plus que Margaret Thatcher »… mais il n’a ni les rapports de forces, ni les instruments politiques pour appliquer son programme. La crise de direction bourgeoise et de représentation politique pèse sur la vie politique de nombre de pays. Les classes dominantes continuent à marquer une série de points, notamment en appliquant sa contre-réforme des pensions et des retraites des régimes spéciaux, à comprimer les salaires, à remettre en cause les droits sociaux, mais elles n’ont pas encore battu le mouvement ouvrier. Il y a dans des pays comme la France, l’Italie ou l’Allemagne des résistances sociales. Il n’y a pas eu de défaite majeure du mouvement ouvrier en Europe du type « mineurs anglais » des années 1980, des luttes importantes et des confrontations majeures sont encore devant nous...
Mais il faut faire 3 remarques :
* Les luttes sont défensives. Elles n’arrivent pas à bloquer et encore moins à inverser le cours des contre-réformes. Elles se présentent sous la forme d’explosions ou de luttes partielles. Elles peuvent déstabiliser les régimes en place… mais cela n’arrête pas le processus de contre-réforme.
* Ces luttes sont inégales en Europe, selon les pays. Le niveau de luttes de classes reste assez haut en France — on parle « d’exception française » en Europe — et aussi en Italie, où à la fin des années 1990 et au début années 2000, il y a eu une combinaison de journées de grève générale du mouvement syndical et un fort mouvement altermondialisation et antiguerre. Récemment, il y a eu une grève importante des cheminots en Allemagne, même si c’est une grève qui n’a pas reçu de solidarité des autres syndicats et d’une partie importante de la gauche syndicale. En Espagne ou au Portugal le niveau des luttes sociales reste très bas. Dans les pays du Nord de l’Europe, malgré des attaques assez fortes, la situation est sous contrôle des gouvernements et des directions du mouvement syndical ; le niveau des luttes est assez bas.
* Dans les pays, où il y a un certain niveau de luttes, il faut souligner une situation contradictoire : il y a un réel décalage entre le niveau de lutte et le niveau de conscience. Il peut y avoir des luttes ou explosions partielles mais il n’y a pas de croissance organique d’une vague de luttes de classes — niveau global de luttes, augmentation des effectifs syndicaux, des partis ouvriers, ou de courants politiques luttes de classes ou révolutionnaires — comme à la fin des années 1960 ou 1970 en Europe, particulièrement en Europe du Sud. Du coup, les luttes ont des difficultés à trouver une traduction politique en termes de luttes de classes.
11. Dans la conjoncture internationale actuelle, la gauche, le mouvement ouvrier, les mouvements sociaux sont confrontés à deux grandes orientations face à la globalisation capitaliste : une orientation d’adaptation au capitalisme libéral et une autre — la nôtre — une ligne de résistance, de lutte, de combat anticapitaliste. Nous avons, en France, une formule pour parler de cette situation : « Il y a deux gauches », disons-nous. Bien entendu, il y a dans la réalité plusieurs variétés de « gauche », mais nous sommes vraiment confrontés à un choix fondamental : accepter ou refuser cette mondialisation capitaliste !
La grande majorité des directions traditionnelles du mouvement ouvrier — social-démocratie, ex- ou post-stalinisme, verts — ou dans certains pays en voie de développement le nationalisme bourgeois, ont choisi l’adaptation. C’est le résultat de tout un processus d’intégration dans les institutions et dans le système capitaliste. Mais ce processus d’intégration dans la mondialisation capitaliste actuelle conduit à des changements qualitatifs, à des changements structurels, de toutes ces formations politiques, à des liens de plus en plus forts non seulement avec les institutions mais le capital. Le choix de Strauss Kahn (un des principaux dirigeants du PS en France) au FMI en est la preuve ! Les exigences de la mondialisation capitaliste sont telles que les marges de manœuvres pour construire des compromis sociaux entre classes dominantes et mouvements réformistes se sont considérablement réduites. Les grands groupes économiques, les marchés financiers, les sommets de l’État somment les directions réformistes d’accepter le cadre dicté par la recherche de profits maximums, par une financiarisation accrue de l’économie mondiale. Du coup la social-démocratie se transforme en social-libéralisme. D’une social-démocratie qui, face à la lutte de classes, échangea son soutien à l’ordre capitaliste contre des améliorations sociales, on est passé à des partis socialistes qui sont devenus des « partis réformistes sans réformes » jusqu’à devenir les « partis des contre-réformes libérales ». En Europe, l’Union européenne fournit le cadre de collaboration entre la démocratie chrétienne et la social-démocratie, pour déployer les contre-réformes sur les pensions et retraites, la liquidation des systèmes de sécurité sociale et des services publics. Cela n’écarte pas une savante combinaison de programme d’assistance des plus pauvres — un système de revenus minimum, le programme « de Bourse Famille » au Brésil… — et de contre-réformes qui attaquent le noyau dur des droits et conquêtes sociales ouvrières.
Mais c’est sur le plan politique que ces choix sont les plus manifestes : dans l’évolution de la social-démocratie européenne vers « une troisième voie » entre la droite et la gauche, dans l’appel — maintenant en Italie ou en France — à transformer les partis socialistes historiques en partis démocrates à l’américaine… C’est aussi ce à quoi nous avons assisté au Brésil, où le Parti des travailleurs (PT) a parcouru en seulement une quinzaine d’années le parcours de près d’un siècle de la social-démocratie historique : d’un parti de classe, le PT s’est transformé en parti social-libéral. Cette évolution n’exclut pas, encore une fois, des politiques d’assistanat qui fournissent une base sociale à ces partis.
Cette évolution social-libérale relève d’une tendance générale. Dans une série de pays ce n’est pas un processus achevé. Les classes dominantes ont besoin, d’ailleurs, dans un système politique d’alternance de « pouvoir choisir entre la droite et la gauche ». Ces formations social-libérales ne sont donc pas des partis bourgeois comme les autres. Des inflexions « à gauche » restent possibles pour sauver les intérêts énormes d’appareils bureaucratiques. C’est le cas du SPD allemand, mais dans des limites toujours compatibles avec le cours actuel du capitalisme mondial. Sur un autre plan, il reste des différences entre la droite et la gauche, surtout dans le ressenti de secteurs populaires, mais globalement la social-démocratie et ses alliés connaissent, partout, ce processus d’intégration dans la mondialisation capitaliste et un mouvement « vers la droite ».
Une série de forces tentent de se démarquer des forces social-libérales comme les PC, certaines formations écologistes ou des partis réformistes de gauche. Ils se disent « anti-libéraux ». Le problème, c’est que leur intégration propre dans les institutions ou leur subordination dans un système d’alliances avec les forces nationalistes-péronistes, ou social-libérales, pour les PC ou les Verts les entraîne à rester dans les proclamations antilibérales mais à participer nettement dans les coalitions parlementaires ou gouvernementales avec le centre gauche ou la social-démocratie : c’est le cas du PCF, de Die Linke en Allemagne ou de Refondation Communiste d’Italie.
12. A l’autre pôle de la gauche, il y a les forces qui refusent la globalisation capitaliste, résistent et défendent une orientation anticapitaliste.
Notre projet, notre gauche, c’est une gauche anticapitaliste, une gauche de tradition révolutionnaire, c’est une gauche de rupture avec le capitalisme. C’est dans ce cadre que nous pensons que nous pouvons avoir une nouvelle étape dans la construction de nouveaux partis anticapitalistes larges. « Nouvelle époque, nouveau programme, nouveau parti » avons nous dit au début et au milieu des années 1990. Nous pensons que la mondialisation capitaliste et ses propres contradictions et ses conséquences sur l’évolution du mouvement ouvrier attestent de cette nouvelle époque. D’un certain point de vue, la crise actuelle du capitalisme international donne de la chair à ce projet. Il y a plus de contradictions internes au système, plus d’espaces ouverts par l’évolution à droite des directions traditionnelles, des résistances sociales récurrentes dans une série de pays, le développement de nouvelles expériences de formations réformistes de gauche ou anticapitalistes… Dans cette nouvelle période historique, il ne s’agit pas seulement de poser le problème de construction de nos organisations mais il s’agit de retravailler des perspectives de réorganisation et de reconstruction du mouvement ouvrier et des mouvements sociaux, des associations, des syndicats. Les problèmes de crise de direction se posent dans leur dimension la plus large : conscience, auto-activité expérience, construction, organisation. Il faut reformuler au travers d’une série de luttes de résistance, un nouveau projet, de nouvelles revendications, de nouvelles formes d’organisation prenant ce qu’il y a de meilleur dans le vieux mouvement ouvrier mais rejetant le plus mauvais. L’axe de l’auto-organisation et de l’auto-émancipation sous toutes ses formes est décisif dans ces processus de reconstruction. Mais se pose aussi le problème de construire de nouveaux partis anticapitalistes... Bien entendu, cela dépend de l’accumulation de forces révolutionnaires ou anticapitalistes, et il n’y a pas de ligne mondiale ou continentale de construction du parti. Rien n’est mécanique mais sur la base des dernières expériences, notamment du Brésil — et il faut souligner le prix fort que nous avons payé au Brésil mais aussi ce que nous avons appris du Brésil — en Italie, et en France se dégagent des grandes lignes programmatiques et politiques pour ces nouveaux partis.
13. Nous voulons construire des partis anticapitalistes qui opposent et s’opposent à la crise actuelle du capitalisme pas pour le réformer ou défendre un capitalisme à visage humain ou s’attaquer aux excès du libéralisme pour revenir au capitalisme de l’après-guerre, mais pour s’attaquer à la logique du profit capitaliste. Nouveau programme contre la mondialisation capitaliste. Un programme d’action ou de transition anticapitaliste qui défende les revendications immédiates (salaires, emploi, services publics, distribution de la terre, contrôle des ressources naturelles, féminisme, dimension fondamentale de l’écologie…), démocratiques (problèmes de la souveraineté populaire et nationale dans les pays dominés, question indigène en Amérique latine) et transitoires, qui débouchent sur la nécessité d’une autre distribution des richesses et d’une remise en cause de la propriété capitaliste de l’économie.
La mise en œuvre de ces programmes exige des gouvernements au service des travailleurs appuyés sur la mobilisation et l’auto-activité des classes populaires.
Cette bataille — et c’est aujourd’hui une bataille centrale — implique le rejet de toute participation ou soutien à des gouvernements sociaux-libéraux de gestion des affaires de l’État et de l’économie capitaliste. C’est ce qui nous sépare des projets de Die Linke, de Refondation Communiste, des Partis communistes intégrant le Parti de la gauche européenne ou de la politique de la majorité de la Tendance Démocratie socialiste (DS) au Brésil.…
Ainsi la question de la participation ou non à ce type de gouvernement est, de nouveau, devenue une question cardinale de la stratégie de pouvoir en Europe comme dans les principaux pays d’Amérique latine.
Mais ces partis que nous voulons construire ont pour référence, ce que L. Trotsky appelait « une compréhension commune des événements et des tâches », pas tout le programme, pas toute l’histoire mais des références stratégiques et programmatiques suffisamment solides pour construire sur le moyen et long terme. Nous ne partons pas des critères idéologiques ou historiques pour délimiter ces partis mais des références clé liées à la lutte de classes, et au meilleur des traditions révolutionnaires, pour élaborer un programme de transition au socialisme. Nous voulons que ces partis soient pluralistes, soient des lieux de convergence et de rassemblement de tous les courants, militants anticapitalistes. Les marxistes révolutionnaires constituant un courant dans ces partis. Mais nous devons aller plus loin, tout en laissant ouvertes une série de questions stratégiques et programmatiques, il faut retravailler le projet socialiste et communiste, prendre de plein pied notre place dans le débat sur le socialisme du XXIème siècle. Voilà de nouvelles formules qui essaient de répondre à la nouvelle période historique.
Ce sont ces références qui constituent la base des partis anticapitalistes qui se construisent — comme le NPA en France, Sinistra Critica en Italie, l’Alliance Rouge et Verte au Danemark, le Bloco de Esquerda (Bloc de gauche) au Portugal, le PSOL au Brésil ou d’autres expériences qui ne vont pas manquer de surgir dans les années qui viennent. C’est aussi dans ce cadre que nous préparons la conférence sur Mai 68-Mai 2008 à Paris.
* François Sabado est membre du Bureau exécutif de la IVe Internationale et de la Direction nationale de la Ligue communiste révolutionnaire (section française de la IVe Internationale). Nous reproduisons ici la version écrite du rapport qu’il a présenté à la session du Comité international de la IVe Internationale pour introduire le débat sur la situation internationale le 1 mars 2008.