Croissance exponentielle de la polution de l’air dans les grandes villes, de l’eau potable et de l’environnement en général ; rechauffement de la planète, début de fusion des glaces polaires, multiplication des catastrophes "naturelles" ; début de destruction de la cape d’ozone ; destruction, à une vitesse grandissante, des forêts tropicales et réduction rapide de la bio-diversité par l’extinction de miliers d’espèces ; epuisement des sols, désertification ; accumulation de déchets, notamment nucléaires, impossibles à gérer ; multiplication des accidents nucléaires et ménace d’un nouveau Tchernobyl ; pollution de la nourriture, manipulations génétiques, "vache folle", boeuf aux hormones. Tous les clignotants sont au rouge : il est évident que la course folle au profit, la logique productiviste et mercantile de la civilisation capitaliste/industrielle nous conduit à une désastre écologique aux proportions incalculables. Ce n’est pas céder au " catastrophisme " que de constater que la dynamique de " croissance " infinie induite par l’expansion capitaliste ménace de déstruction les fondements naturels de la vie humaine sur la planète.[1]
Comment réagir face à ce danger ? Le socialisme et l’écologie - ou du moins certains de ses courants - ont des objectifs communs, qui impliquent une mise en question de l’autonomisation de l’économie, du règne de la quantification, de la production comme but en soi, de la dictature de l’argent, de la réduction de l’univers social au calcul des marges de rentabilité et aux besoins de l’accumulation du capital. Ils se réclament tous les deux de valeurs qualitatives : la valeur d’usage, la satisfaction des besoins, l’égalité sociale pour les uns, la sauvegarde de la nature, l’équilibre écologique pour les autres. Tous les deux conçoivent l’économie comme "encastrée" dans l’environnement : social pour les uns, naturel pour les autres.
Cela dit, des divergences de fond ont jusqu’ici séparé les "rouges" des "verts", les marxistes des écologistes. Les écologistes accusent Marx et Engels de productivisme. Cette accusation est-elle justifiée ? Oui et non.
Non, dans la mesure où personne n’a autant dénoncé que Marx la logique capitaliste de production pour la production, l’accumulation du capital , des richesses et des marchandises comme but en soi. L’idée même de socialisme - au contraire de ses misérables contrefaçons bureaucratiques - est celle d’une production de valeurs d’usage, de biens nécessaires à la satisfaction de nécéssités humaines. L’objectif suprême du progrès technique pour Marx n’est pas l’accroissement infini de biens ("l’avoir") mais la réduction de la journée de travail, et l’accroissement du temps libre ("l’être").
Oui, dans la mesure où l’on trouve souvent chez Marx ou Engels (et encore plus dans le marxisme ultérieur) une tendance à faire du "dévéloppement des forces productives" le principal vecteur du progrès, et une posture peu critique envers la civilisation industrielle, notamment dans son rapport destructeur à l’environnement.
En réalité, on trouve dans les écrits de Marx et d’Engels de quoi alimenter les deux interprétations. La question écologique est, à mon avis, le grand defi pour un rénouveau de la pensée marxiste au seuil du XXIème siècle. Elle exige des marxistes une revision critique profonde de leur conception traditionnelle des "forces productives", ainsi qu’une rupture radicale avec l’idéologie du progrès linéaire et avec le paradigme technologique et économique de la civilisation industrielle moderne.
Walter Benjamin fut un des premiers marxistes au 20ème siècle a se poser ce type de question : dès 1928, dans son livre Sens Unique il dénonçait l’idée de domination de la nature comme "un enseignement impérialiste" et proposait une nouvelle conception de la technique comme "maîtrise du rapport entre la nature et l’humanité". Quelques années plus tard, dans les Thèses sur le concept d’histoire il se propose d’enrichir le matérialisme historique avec les idées de Fourier, ce visionnaire utopique qui avait rêvé "d’un travail qui, bien loin d’exploiter la nature, est en mesure de faire naître d’elle les créations qui sommeillent en son sein".[2]
Aujourd’hui encore le marxisme est loin d’avoir comblé son rétard dans ce terrain. Mais certaines reflexions commencent à s’attaquer à cette tâche. Une piste féconde a été ouverte par l’écologiste et "marxiste-polanyiste" américain James O’Connor : il faut ajouter à la prémière contradiction du capitalisme, examinée par Marx, celle entre forces et rapports de production, une deuxième contradiction, celle entre les forces productives et les conditions de production : les travailleurs, l’espace urbain, la nature. Par sa dynamique expansioniste, le capital met en danger ou détruit ses propres conditions, à commencer par l’environnement naturel - une possibilité que Marx n’avait pas pris suffisamment en considération.[3]
Une autre approche intéréssante est suggérée dans un texte récent d’un "ecomarxiste" italien : "La formule selon laquelle se produit une transformation des forces potentiellement productives en forces effectivement destructrices, surtout par rapport à l’environnement, nous semble plus appropriée et plus significative que le schèma bien connu de la contradiction entre forces productives (dynamiques) et rapports de productions (qui les enchaînent). Par ailleurs, cette formule permet de donner un fondement critique et non apologétique au dévéloppement économique, technologique, scientifique, et donc d’élaborer un concept de progrès ’differentié’ (E. Bloch)".[4]
Qu’il soit marxiste ou pas, le mouvement ouvrier traditionnel en Europe - syndicats, partis sociaux-démocrates et communistes - reste encore profondément marquée par l’idéologie du "progrès" et par le productivisme, allant même, dans certains cas, à défendre, sans se poser trop de questions, l’énérgie nucléaire ou l’industrie automobile. Il est vrai qu’un début de sensibilisation écologiste est en train de se dévélopper, notamment dans les syndicats et partis de gauche dans les pays nordiques, en Espagne, en Allemagne, etc.
La grande contribution de l’écologie a été - et est encore - de nous faire prendre conscience des dangers qui ménacent la planète en conséquence de l’actuel mode de production et de consommation. La croissance exponentielle des agressions à l’environnement, la ménace grandissante d’une rupture de l’équilibre écologique configurent un scenario-catastrophe qui met en question la survivance même de la vie humaine. Nous sommes confrontés à une crise de civilisation qui exige des changements radicaux.
Le problème est que les propositions avancées par les courants dominants de l’écologie politique européenne sont très insuffisantes ou aboutissent à des impasses. Leur principale faiblesse c’est d’ignorer la connexion nécéssaire entre le productivisme et le capitalisme, ce qui conduit à l’illusion d’un "capitalisme propre" ou de réformes capables d’en contrôler les "excès" (comme p.exemple les éco-taxes). Ou alors, prenant comme prétexte l’imitation, par les économies bureaucratiques de commandement, du productivisme occidental, ils renvoyent dos-à-dos capitalisme et "socialisme" comme variantes du même modèle - un argument qui a beaucoup perdu de son interêt après l’écroulement du prétendu "socialisme réel".
Les écologistes se trompent s’ils pensent pouvoir faire l’économie de la critique marxienne du capitalisme : une écologie qui ne se rend pas compte du rapport entre "productivisme" et logique du profit est vouée à l’échec - ou pire, à la récupération par le système. Les exemples ne manquent pas...L’absence d’une posture anti-capitaliste cohérente a conduit la plupart des partis verts européens - France, Allemagne, Italie, Belgique - à devenir des simples partenaires "éco-reformistes" de la gestion social-libérale du capitalisme par les gouvernements de centre-gauche.
Considérant les travailleurs comme irrémédiablement voués au productivisme, certains écologistes font l’impasse sur le mouvement ouvrier, et ont inscrit sur leur drapeau : "ni gauche, ni droite". Des ex-marxistes convertis à l’écologie déclarent hâtivement "adieu à la classe ouvrière" (André Gorz), tandis que d’autres (Alain Lipietz) insistent qu’il faut quitter le "rouge" - c’est à dire le marxisme ou le socialisme - pour adhérer au "vert", nouveau paradigme qui apporterait une réponse à tous les problèmes économiques et sociaux.
Enfin, dans les courants dits "fondamentalistes" (ou deep ecology) ont voit s’esquisser, sous prétexte de combat contre l’anthropocentrisme, un refus de l’humanisme qui conduit à des positions relativistes mettant toutes les espèces vivantes sur le même niveau. Faut-il vraiment considérer que le bacille de Koch ou la moustique anofelis ont le même droit à la vie qu’un enfant malade de tuberculose ou de malaria ?
Qu’est-ce donc l’écosocialisme ? Il s’agit d’un courant de pensée et d’action écologique qui fait siens les acquis fondamentaux du marxisme - tout en le débarassant de ses scories productivistes . Pour les écosocialistes la logique du marché et du profit - de même que celle de l’autoritarisme bureaucratique de feu le " socialisme réel " - sont incompatibles avec les exigences de sauvegarde de l’environnement naturel. Tout en critiquant l’idéologie des courants dominants du mouvement ouvrier, ils savent que les travailleurs et leurs organisations sont une force essentielle pour toute transformation radicale du système, et pour l’établissement d’une nouvelle société, socialiste et écologique.
L’éco-socialisme s’est dévéloppé surtout au cours des trente dernières années, grâce aux travaux de penseurs de la taille de Manuel Sacristan, Raymond Williams, Rudolf Bahro (dans ses prémiers écrits) et André Gorz (ibidem), ainsi que des précieuses contributions de James O’Connor, Barry Commoner, John Bellamy Foster, Joel Kovel (USA), Juan Martinez Allier, Francisco Fernandez Buey, Jorge Riechman (Espagne), Jean-Paul Déléage, Jean-Marie Harribey (France), Elmar Altvater, Frieder Otto Wolf (Allemagne), et beaucoup d’autres, qui s’expriment dans un réseau de révues telles que Capitalism, Nature and Socialism, Ecologia Politica, etc.
Ce courant est loin d’être politiquement homogène, mais la plupart de ses répresentants partage certains thèmes communs. En rupture avec l’idéologie productiviste du progrès - dans sa forme capitaliste et/ou bureaucratique - et opposé à l’expansion à l’infini d’un mode de production et de consommation destructeur de la nature, il répresente une tentative originale d’articuler les idées fondamentales du socialisme marxiste avec les acquis de la critique écologique.
James O’Connor définit comme ecosocialistes les théories et les mouvements qui aspirent à subordonner la valeur d’échange à la valeur d’usage, en organisant la production en fonction des besoins sociaux et des exigences de la protection de l’environnement. Leur but, un socialisme écologique, serait une societé écologiquement rationnelle fondée sur le contrôle démocratique, l’égalité sociale, et la prédominance de la valeur d’usage.[5] J’ajouterais que cette société suppose la propriété collective des moyens de production, une planification démocratique qui permette à la société de définir les buts de la production et les investissements, et une nouvelle structure technologique des forces productives.
Le raisonnement écosocialiste répose sur deux arguments essentiels :
1. le mode de production et de consommation actuel des pays capitalistes avancés, fondé sur une logique d’accumulation illimitée (du capital, des profits, des marchandises), de gaspillage des ressources, de consommation ostentatoire, et de destruction accélérée de l’environnement, ne peut aucunement être étendu à l’ensemble de la planète, sous peine de crise écologique majeure. Selon des calculs récents, si l’on genéralisait à l’ensemble de la population mondiale la consommation moyenne d’énergie des USA, les reserves connues de pétrole seraient épuisées en dix neuf jours. [6] Ce système est donc nécéssairement fondé sur le maintien et l’aggravation de l’inégalité criante entre le Nord et le Sud.
2. En tout état de cause, la continuation du "progrès" capitaliste et l’expansion de la civilisation fondée sur l’économie de marché - même sous cette forme brutalement inégalitaire - ménace directement, à moyen terme (toute prévision serait hasardeuse), la survivance même de l’espèce humaine. La sauvegarde de l’environnement naturel est donc un impératif humaniste.
La rationalité bornée du marché capitaliste, avec son calcul immédiatiste des pertes et des profits, est intrinséquement contradictoire avec une rationalité écologique, qui prend en compte la temporalité longue des cycles naturels. Il ne s’agit pas d’opposer les " mauvais " capitalistes écocides aux " bons " capitalistes verts : c’est le système lui-même, fondé sur l’impitoyable compétition, les éxigences de rentabilité, la course au profit rapide qui est destructeur des équilibres naturels. Le prétendu capitalisme vert n’est qu’une manoeuvre publicitaire, une étiquette visant à vendre une marchandise, ou, dans les meilleurs des cas, une initiative locale équivalente à une goutte d’eau sur le sol aride du désert capitaliste.
Contre le fétichisme de la marchandise et l’autonomisation réifiée de l’économie par le néo-libéralisme, l’enjeu de l’avenir c’est, pour les écosocialistes, la mise en oeuvre dune "économie morale" au sens que donnait E.P. Thompson à ce terme, c’est à dire une politique économique fondée sur des critères non-monétaires et extra-économiques : en d’autres termes, la "réintrincation" de l’économique dans l’écologique, le social et le politique.[7]
Les réformes partielles sont totalement insuffisantes : il faut remplacer la micro-rationalité du profit par une macro-rationalité sociale et écologique, ce qui exige un véritable changement de civilisation. [8] Cela est impossible sans une profonde réorientation technologique, visant au remplacement des sources actuelles d’énérgie par d’autres, non-polluantes et rénouvelables, telles que l’énérgie éolienne ou solaire.[9] La première question qui se pose est donc celle du contrôle sur les moyens de production, et surtout sur les decisions d’investissement et de mutation technologique, qui doivent être arrachés aux banques et entreprises capitalistes pour devenir un bien commun de la société. Certes, le changement radical concerne non seulement la production, mais aussi la consommation. Cependant, le problème de la civilisation bourgeoise/industrielle n’est pas - comme prétendent souvent les écologistes - " la consommation excessive " de la population et la solution n’est pas une " limitation " générale de la consommation, notamment dans les pays capitalistes avancés. C’est le type de consommation actuel, fondé sur l’ostentation, le gaspillage, l’aliénation marchande, l’obsession accumulatrice, qui doit être mis en question.
Une réorganisation d’ensemble du mode de production et de consommation est nécéssaire, fondée sur des critères extérieurs au marché capitaliste : les besoins réels de la population (pas nécéssairement "solvables") et la sauvegarde de l’environnement. En d’autres termes, une économie de transition au socialisme, "re-encastrée" (comme dirait Karl Polanyi) dans l’environnement social et naturel, parce que fondée sur le choix démocratique des priorités et des investissements par la population elle-même - et non par les "lois du marché" ou par un politburo omniscient. En d’autres termes, une planification démocratique locale, nationale, et, tôt ou tard, internationale, définissant : 1) quels produits devront être subventionnés ou même distribués gratuitement ; 2) quelles options énérgétiques devront être poursuivies, même si elles ne sont pas, dans un prémier temps, les plus " rentables ; 3) comment réorganiser le système des transports, en fonction de critères sociaux et écologiques ; 4) quelles mesures prendre pour réparer, le plus vite possible, les gigantesques dégats environmentaux laissés " en héritage " par le capitalisme. Et ainsi de suite...
Cette transition conduirait non seulement à un nouveau mode de production et à une société égalitaire et démocratique, mais aussi à un mode de vie alternatif, à une civilisation nouvelle, écosocialiste, au délà du règne de l’argent, des habitudes de consommation artificiellement induites par la publicité, et de la production à l’infini de marchandises nuisibles à l’environnement (la voiture individuelle !).
Utopie ? Au sens étymologique ("nulle part"), sans doute. Mais si l’on ne croit pas, avec Hegel, que "tout ce qui est réel est rationnel, et tout ce qui est rationnel est réel", comment réfléchir à une rationalité substantielle sans faire appel à des utopies ? L’utopie est indispensable au changement social, à condition qu’elle soit fondée sur les contradictions de la réalité et sur des mouvements sociaux réels. C’est le cas de l’écosocialisme, qui propose une stratégie d’alliance entre les "rouges" et les "verts" - non au sens politicien étroit des partis sociaux-démocrates et des partis verts, mais au sens large, c’est à dire entre le mouvement ouvrier et le mouvement écologique - et de solidarité avec les opprimées et exploitées du Sud.
Cette alliance implique que l’écologie renonce aux tentations du naturalisme anti-humaniste et abandonne sa prétension à remplacer la critique de l’économie politique. Cette convergence implique aussi que le marxisme se débarasse du productivisme, en substituant le schéma mécaniste de l’opposition entre le dévéloppement des forces productives et des rapports de production qui l’entravent par l’idée, bien plus féconde, d’une transformation des forces potentiellement productives en forces effectivement destructrices. [10]
L’utopie révolutionnaire d’un socialisme vert ou d’un communisme solaire ne signifie pas que l’on ne doive pas agir dès maintenant. Ne pas avoir des illusions sur la possibilité d’"écologiser" le capitalisme ne veut pas dire que l’on ne puisse pas engager le combat pour des réformes immédiates. Par exemple, certaines formes d’éco-taxes peuvent être utiles, à condition qu’elles soient portées par une logique sociale égalitaire (faire payer les pollueurs et non les consommateurs), et qu’on se débarasse du mythe d’un calcul économique du "prix de marché" des dégats écologiques : ce sont des variables incomensurables du point de vue monétaire. Nous avons désespérement besoin de gagner du temps, de lutter immédiatement pour l’interdiction des CFC qui détruisent la couche d’ozone, pour un moratoire sur les OGM, pour des limitation sevères des emissions de gaz responsables de l"’effet de serre", pour privilégier les transports publics par rapport à la voiture individuelle polluante et anti-sociale.[11]
Le piège qui nous ménace sur ce terrain c’est de voir nos révendications prises formellement en compte, mais vidées de leur contenu. Un cas exemplaire sont les Accords de Kyoto sur le changement climatique, qui prévoyaient une réduction minimale, de 5% par rapport à 1990 - bien trop peu pour des résultats vraiment efficaces - dans l’émission des gaz responsables de l’échauffement de la planète. Comme l’on sait, les USA, principale puissance responsable de l’émission des gaz se réfusent obstinement à signer les Accords ; quant à l’Europe, le Japon et le Canada, ils ont signé les Accords mais en les assortissant de clauses - le célèbre " marché de droits d’émission ", ou la réconnaissance des soi-disant " puits de carbone " - qui réduisent énormément la portée, déjà limitée, de Accords. Plutôt que les interêts à long terme de l’humanité, ont prédominé ceux, à courte vue, des multinationales du pétrole et du complexe industrial de l’automobile. [12]
Le combat pour des réformes eco-sociales peut être porteur d’une dynamique de changement, de "transition" entre les demandes minimales et le programme maximal, à condition qu’on refuse les arguments et les pressions des interêts dominants, au nom des "règles du marché", de la "competitivité" ou de la "modernisation".
Certaines demandes immédiates sont déjà, ou peuvent rapidement devenir, le lieu d’une convergence entre mouvements sociaux et mouvements écologistes, syndicats et defenseurs de l’environnement, "rouges" et "verts" :
* la promotion de transports publics - trains, métros, bus, trams - bon-marché ou gratuits comme alternative à l’étouffement et la pollution des villes et des campagnes par la voiture individuelle et par le système des transport routiers.
* la lutte contre le système de la dette et les "ajustements" ultra-libéraux imposé par le FMI et la Banque Mondiale aux pays du Sud, aux conséquences sociales et écologiques dramatiques : chômage massif, destruction des protections sociales et des cultures vivrières, destruction des ressources naturelles pour l’exportation.
* défense de la santé publique, contre la pollution de l’air, de l’eau (nappes phréatiques) ou de la nourriture par l’avidité des grandes entreprises capitalistes.
* la réduction du temps de travail comme réponse au chômage et comme vision de la société privilégiant le temps libre par rapport à l’accumulation de biens.[13]
Toutefois, dans le combat pour une nouvelle civilisation, à la fois plus humaine et plus respectueuse de la nature, c’est l’ensemble des mouvements sociaux émancipateurs qu’il faut associer. Comme le dit si bien Jorge Riechmann :
"Ce projet ne peut rénoncer à aucune des couleurs de l’arc en ciel : ni le rouge du mouvement ouvrier anticapitaliste et égalitaire, ni le violet des luttes pour la libération de la femme, ni le blanc des mouvements non-violents pour la paix, ni l’anti-autoritarisme noir des libertaires et anarchistes, et encore moins le vert de la lutte pour une humanité juste et libre sur une planète habitable". [14]
L’écologie sociale est dévenue une force sociale et politique présente sur le terrain dans la plupart des pays européens, et aussi, dans une certaine mesure, aux USA. Mais rien ne serait plus faux que de considérer que les questions écologiques ne concernent que les pays du Nord - un luxe des société riches. De plus en plus se dévéloppent dans les pays du capitalisme périphérique - le "Sud" - des mouvements sociaux à dimension écologique.
Ces mouvements réagissent à une aggravation croissante des problèmes écologiques d’Asie, Afrique et Amérique Latine, en conséquence d’une politique délibéré d’"exportation de la pollution" par les pays impérialistes. Cette politique a d’ailleurs une "légitimation" économique imbattable - du point de vue de l’économie capitaliste de marché - récemment formulée par un éminent expert de la Banque Mondiale, Mr. Lawrence Summers : les pauvres coûtent moins cher ! Pour citer ses propres termes : "la mesure des coûts de la polution nuisible à la santé depend des rendements perdus à cause de la morbidité et mortalité accrues. De ce point de vue une quantité donnée de pollution nuisible à la santé devrait être réalisée dans le pays aux coûts les plus bas, c’est à dire le pays avec les salaires les plus bas". [15] Une formulation cynique qui révèle beaucoup mieux la logique du capital global que tous les discours lénifiants sur le "dévéloppement" produits par les institutions financières internationales.
On voit ainsi apparaître dans les pays du Sud des mouvements que J. Martinez-Alier appelle "l’écologie du pauvre" ou encore "neo-narodnisme écologique", i.e. des mobilisations populaires en défense de l’agriculture paysanne, et de l’accès communal aux ressources naturelles, ménacés de destruction par l’expansion agressive du marché (ou de l’Etat), ainsi que des luttes contre la dégradation de l’environnement immédiat provoquée par l’échange inégal, l’industrialisation dépendante, les manipulations génétiques et le dévéloppement du capitalisme (l’"agro-business") dans les campagnes. Souvent, ces mouvements ne se définissent pas comme écologistes, mais leur combat n’a pas moins une dimension écologique déterminante.[16]
Il va de soi que ces mouvements ne s’opposent pas aux améliorations apportées par le progrès technologique : au contraire, la démande d’éléctricité, eau courante, canalisation des égouts, et multiplication des dispensaires médicaux figure en bonne place dans leur plataforme de revendications. Ce qu’ils refusent c’est la pollution et destruction de leur milieu naturel au nom des "lois du marché" et des impératifs de l’"expansion" capitaliste.
Un texte récent du dirigeant paysan péruvien Hugo Blanco exprime rémarquablement la signification de cette "écologie des pauvres" : "A première vue, les defenseurs de l’environnement ou les conservationistes apparaîssent comme des types gentils, légèrement fous, dont le principal objectif dans la vie c’est d’empêcher la disparition des baleines bleues ou des ours pandas. Le peuple commun a des choses plus importantes à s’occuper, par exemple comment obtenir son pain quotidien. (...) Cependant, il existe au Perou un grand nombre de gens qui sont des defenseurs de l’environnement. Bien sûr, si on leur dit, "vous êtes des écologistes", ils répondront probablement "écologiste ta soeur"... Et pourtant : les habitants de la ville d’Ilo et des villages environnants, en lutte contre la pollution provoquée par la Southern Peru Copper Corporation ne sont ils pas des defenseurs de l’environnement ? (...) Et la population de l’Amazonie, n’est-elle pas totalement écologiste, prête à mourir pour défendre leurs forêts contre la déprédation ? De même la population pauvre de Lima, lorsqu’elle proteste contre la pollution des eaux." [17]
Parmi les inombrables manifestations de l’"écologie des pauvres", un mouvement apparaît comme particulièrement exemplaire, par sa portée à la fois sociale et écologique, locale et planetaire, "rouge" et "verte" : le combat de Chico Mendes et de la Coalition des Peuples de la Forêt en defense de l’Amazonie brésilienne, contre l’oeuvre destructrice des grands propriétaires fonciers et de l’agro-business multinational.
Rappelons brièvement les principaux moments de cet affrontement. Militant syndical lié à la Centrale Unique des Travailleurs, et partisan du nouveau mouvement socialiste réprésenté par le Parti des Travailleurs brésilien, Chico Mendes organise, au début des années 80, des occupations de terres par des paysans qui vivent de la collecte du cautchouc (seringueiros) contre les latifondistes qui envoient leurs bulldozers abattre la forêt en vue de la remplacer par des pâturages. Dans un deuxième moment il réussit à rassembler des paysans, des travailleurs agricoles, des seringueiros, des syndicalistes et des tribus indigènes - avec le soutien des communautés de base de l’Eglise - dans l’Alliance des Peuples de la Forêt, qui met en échec plusieures tentatives de déforestation. L’écho international de ces actions lui vaut en 1987 l’atribution du Prix Ecologique Global, mais peu après, en decembre 1988, les latifondistes lui font payer très cher son combat en le faisant assassiner par des tueurs à gages.
Par son articulation entre socialisme et écologie, luttes paysannes et indigènes, survivance des populations locales et sauvegarde d’un enjeu global (la protection de la dernière grande forêt tropicale), ce mouvement peut devenir un paradigme des futures mobilisations populaires dans le "Sud".
Aujourd’hui, au tournant du XXIème siècle, l’ecologie sociale est devenue un des ingrédients les plus importants du vaste mouvement contre la globalisation capitaliste néo-libérale qui est en train de se dévélopper aussi bien au Nord qu’au Sud de la planète. La présence massive des écologistes a été une des caracteristiques frappantes de la grande manifestation de Seattle contre l’Organisation Mondiale du Commerce en 1999. Et lors du Forum Social Mondial de Porto Alegre en 2001, un des actes symboliques forts de l’événement a été l’opération,ménéeensemblepar des militants du Mouvement des Paysans Sans Terre brésilien (MST) et de la Confédération Paysanne française de José Bové, d’arrachage d’une plantation de maïs transgénique de la multinationale Monsanto. Le combat contre la multiplication incontrôlée des OGM mobilise, au Brésil, en France et dans d’autres pays, non seulement le mouvement écologique, mais aussi le mouvement paysan, et une partie de la gauche, avec la sympathie de l’opinion publique, inquiète des conséquences imprévisibles des manipulations transgéniques sur la santé publique et l’environnement naturel. Lutte contre la marchandisation du monde et defense de l’environnement, résistence à la dictature des multinationales et combat pour l’écologie sont intimement liés dans la réflexion et la pratique du mouvement mondial contre la mondialisation capitaliste/libérale.
[1] Voir à ce sujet l’excellent ouvrage de Joel Kovel, The Ennemy of Nature. The end of capitalism or the end of the world ? , New York, Zed Books, 2002.
[2]W.Benjamin, Sens Unique, Paris, Lettres Nouvelles - Maurice Nadeau, 1978, p. 243 et "Thèses sur la philosophie de l’histoire", in L’homme, le langage et la culture, Paris, Denoël, 1971, p. 190. On peut aussi mentionner le socialiste autrichien Julius Dickmann, auteur d’un essai pionnier publié en 1933 dans La critique sociale : selon lui, le socialisme serait le resultat non pas d’un "essor impétueux des forces productives", mais plutôt une nécéssité imposée par le "rétrecissement du reservoir de ressources naturelles" dilapidées par le capital. Le dévéloppement "irréfléchi" des forces productives par le capitalisme mine les conditions même d’existence du genre humain. ("La véritable limite de la production capitaliste", La critique sociale, n° 9, septembre 1933).
[3]James O’Connor, "La seconde contradiction du capitalisme : causes et conséquences", Actuel Marx n° 12. "L’écologie, ce matérialisme historique", Paris, 1992, pp. 30, 36.
[4]Tiziano Bagarolo, "Encore sur marxisme et écologie", Quatrième Internationale, n° 44, Mai-juillet 1992, p.25.
[5] James O’Connor, Natural Causes. Essays in Ecological Marxism, New York, The Guilford Press, 1998, pp. 278, 331.
[6]M.Mies, "Liberacion del consumo o politizacion de la vida cotidiana", Mentras Tanto, n° 48, Barcelone, 1992, p. 73.
[7]Cf. Daniel Bensaïd, Marx l’intempestif, pp. 385-386, 396 et Jorge Riechman, Problemas con los frenos de emergencia ?, Madrid, Editorial Revolucion, 1991, p. 15.
[8]Voir à ce sujet le rémarquable essai de Jorge Riechman, "El socialismo puede llegar solo en bicicleta", Papeles de la Fondation de Investigaciones Marxistas, Madrid, n° 6, 1996.
[9]Certains marxistes rêvent déjà d’un "communisme solaire" : voir David Schwartzman, "Solar Communism", Science and Society. Special issue "Marxism and Ecology", vol. 60 ; n° 3 Fall 1996.
[10]D.Bensaid, Marx l’Intempestif, pp. 391, 396.
[11]Jorge Riechmann, "Necesitamos una reforma fiscal guiada por criterios igualitarios y ecologicos", in De la economia a la ecologia, Madrid, Editorial Trotta, 1995, pp. 82-85.
[12] Voir l’analyse éclairante de John Bellamy Foster, " Ecology against Capitalism ", Monthly Review. vol. 53, n° 5, october 2001, pp. 12-14.
[13]Voir Pierre Rousset, "Convergence de combats. L’écologique et le social", Rouge, 16 mai 1996, pp. 8-9.
[14]J.Riechmann, "El socialismo puede llegar solo en bicicleta", p. 57.
[15]Cf. "Let them eat pollution", The Economist, 8 février 1992.
[16]J.Martinez-Alier, "Political Ecology, Distributional Conflicts, and Economic Incommensurability", New Left Review, n° 211, mai-juin 1995, pp. 83-84.
[17]Article dans le quotidien La Republica, Lima, 6 avril 1991 (cité par Martinez-Alier, Ibid. p. 74).