Tiré de Rouge n° 2280, 25/12/2008
Le film de Steve McQueen, « Hunger », met à l’écran les événements tragiques de la prison de Long Kesh, à Belfast, en 1981. La lutte pour les droits politiques des prisonniers de l’IRA, couplée à la participation aux élections, provoque un tournant dans la lutte irlandaise.
Dans les années 1970, les prisonniers des H-blocks de Long Kesh1 – des milliers de jeunes hommes –, à Belfast, et leurs jeunes compatriotes à la prison de femmes, à Armagh, représentent la nouvelle population de jeunes de l’Irlande du Nord. Après le mouvement pour les droits civiques de 1969, ils se sont engagés dans une lutte active et armée contre l’occupation britannique de l’Irlande du Nord et contre la discrimination dont ils étaient victimes de la part du gouvernement sectaire des unionistes (protestants attachés à la Grande-Bretagne).
La politique d’internement (emprisonnement sans aucune forme de procès) du gouvernement britannique multiplie le nombre de jeunes détenus à Long Kesh. En 1972, le « statut de catégorie spéciale » donne la qualité de prisonnier de guerre aux détenus reconnus coupables d’actes liés à la situation particulière du pays. Les nationalistes subissent ainsi un traitement distinct des prisonniers de droit commun. Mais, le 1er mars 1976, dans le cadre de la politique dite de « criminalisation », ce statut est retiré, ce qui engendre un vaste mouvement de protestation, qui durera jusqu’en septembre 1981.
En septembre 1976, l’adolescent Kieran Nugent refuse ainsi de porter l’uniforme de prisonnier. À partir de 1978, les blanket men (qui n’ont qu’une couverture pour seul vêtement) refusent également de quitter leurs cellules pour aller aux WC, en raison des mauvais traitements de la part de gardiens, qui les frappent et ne les laissent pas se couvrir pour aller aux toilettes. Les prisonniers ont cinq revendications : le droit de ne pas porter l’uniforme des prisonniers ; le droit de refuser le travail carcéral ; le droit de s’associer librement parmi les prisonniers républicains et d’organiser leurs propres activités de formation et de loisirs ; le droit de recevoir une lettre, un colis et une visite par semaine ; et la conservation de la remise de leur peine, en cas de participation au mouvement de protestation.
Tactique électorale
Dès que l’action de Kieran Nugent devient connue à l’extérieur, la campagne de solidarité se développe. La formation des Relatives Action Committees permet de l’élargir et de ne pas la restreindre au seul Sinn Féin. Bernadette McAliskey, figure très connue du mouvement nationaliste non liée au Sinn Féin, avec l’organisation People’s Democracy (IVe Internationale), joue un rôle important dans la formation de ce mouvement, en convoquant une rencontre nationale des comités dans sa ville de Coalisland, en 1978.
En 1979, elle fait campagne, lors des élections européennes, sur une plateforme de solidarité avec les prisonniers, et elle obtient 5,9 %, malgré l’appel à l’abstention du Sinn Féin. Peu de temps après, elle devient la principale porte-parole du Comité national H-block/Armagh. La présentation aux élections comme tactique pour populariser la solidarité avec les prisonniers et faire avancer la lutte pour les droits sociaux et démocratiques en Irlande fait l’objet de débat au sein du mouvement, notamment avec le Sinn Féin, qui prône le boycott des élections, en raison de l’illégitimité de l’État nord-irlandais. En 1981, lors des élections municipales, plusieurs candidats « H-block » – dont deux membres de People’s Democracy – sont élus à Belfast.
Malgré l’activité des comités de solidarité, les prisonniers sentent toutefois que leur lutte n’avance pas. Le 1er mars 1981, cinq ans jour pour jour après la fin du « statut de catégorie spéciale », Bobby Sands, officier commandant de l’IRA au sein de la prison, se lance dans une grève de la faim. D’autres lui emboîtent le pas. Après des débats, pour attirer l’attention des médias au niveau international et consolider le mouvement de sympathie, le Sinn Féin présente Bobby Sands à la législative partielle de Fermanagh et Tyrone du Sud, demandant à tout autre candidat nationaliste de ne pas se présenter. Après une campagne très intense, mais sans sa participation, Bobby Sands est élu, le 9 avril, membre du Parlement britannique. Mais le gouvernement britannique ne bouge pas, et Bobby Sands meurt le 5 mai 1981, après 66 jours de jeûne.
Ce fort soutien aux prisonniers, exprimé de nouveau lors des élections législatives en République d’Irlande, lorsque deux prisonniers sont élus, est toujours nié par le gouvernement britannique et les médias. Après l’élection de Sands, le tabloïd The Sun titre « Élu, le député de la violence ». Les 30 492 électeurs ayant voté Bobby Sands sont traités de « terroristes ».
Ces succès électoraux aident à résoudre le débat au sein de Sinn Féin et décident l’organisation à utiliser la tactique des élections. Le parti élabore sa stratégie : « Un bulletin dans une main, un Armalite [fusil d’assaut] dans l’autre. » Ceux qui ont défendu la tactique électorale voient leur espace occupé par le Sinn Féin, qui est aujourd’hui le parti nationaliste ayant le plus d’élus dans l’Assemblée d’Irlande du Nord.
Les grèves de la faim ont eu des conséquences très importantes pour l’Irlande du Nord. Elles marquent un tournant de la période des « Troubles ». Le mouvement nationaliste en général, et le Sinn Féin/IRA en particulier, ont emporté une énorme victoire de propagande contre le gouvernement britannique, ainsi qu’une large sympathie au niveau international. La mort de Bobby Sands en particulier, mais aussi celle des neuf autres grévistes de la faim qui lui ont succédé, ont provoqué des manifestations militantes de solidarité à l’étranger et des déclarations de la part de certains gouvernements et d’institutions critiques à l’égard de la politique britannique.
Cessez-le-feu
Le soutien, actif et passif, à l’IRA est devenu plus fort dans les quartiers nationalistes. Le Sinn Féin a ainsi émergé comme une force significative sur l’échiquier politique institutionnel en Irlande du Nord. En novembre 1985, « l’accord anglo-irlandais », entre Royaume-Uni et Irlande, est signé. Établissant une collaboration entre les deux gouvernements sur certaines questions concernant l’Irlande du Nord, il est refusé, côté unioniste, parce qu’il donne un rôle, dans les affaires nord irlandaises, au gouvernement irlandais « étranger » et, côté nationaliste (notamment par le Sinn Féin), parce qu’il confirme la division du pays, la revendication de base des nationalistes étant la réunification. Néanmoins, en 1994, l’IRA proclame son premier cessez-le-feu et, en 1997, l’accord du Vendredi saint lance le processus de paix.
La notion de paix est relative, la violence, le sectarisme, la discrimination n’ont pas été éradiqués. Mais tous les prisonniers ont été relâchés, et la prison de Long Kesh sera détruite pour construire un stade. La mort de dix jeunes hommes – le plus âgé n’avait que 30 ans – a malheureusement été un élément crucial dans le déclenchement de ce processus. ■
Penny Duggan