1) Les années quatre-vingt-dix du XXème siècle avaient commencé sous le double signe de la guerre du Golfe et de l’éclatement de l’Union Soviétique. Ces deux événements étaient l’aboutissement d’une évolution d’ensemble du rapport de forces à l’échelle mondiale. Dans la décennie précédente la classe dominante des États-Unis avait réussi à surmonter la syndrome de la guerre du Viêt-nam et les contrecoups du renversement du régime du Shah en Iran et de la révolution au Nicaragua ; le thatchérisme s’était imposé durablement en Grande-Bretagne ; le mouvement ouvrier de l’Europe communautaire avait été acculé à la défensive en subissant finalement un repli généralisé ; le mouvement révolutionnaire et anti-impérialiste avait essuyé des défaites aussi bien en Amérique Latine qu’en Asie ; l’URSS et les autres pays du bloc de Varsovie s’étaient de plus en plus affaiblis tant économiquement que militairement et leurs régimes étaient secoués par des crises de plus en plus profondes. L’écroulement de l’Union Soviétique en 1991 mettait fin à un affrontement qui, sous différentes formes, avait marqué toute la période après la Seconde guerre mondiale. Du point de vue idéologique c’était pour les classes dominantes internationales la revanche attendue depuis la révolution d’Octobre. Il en découlait, de leur point de vue, des enjeux majeurs : - sur le plan économique, rétablissement d’un marché mondial unifié par la restauration du capitalisme en Russie et les autres pays de la CEI et par une intégration graduelle de la Chine en mutation depuis l’adoption du cours nouveau ; - sur le plan politique, réadaptation de l’Alliance atlantique aux nouveaux besoins, sous l’hégémonie relancée des États-Unis, et renforcement du lien entre États-Unis et Europe de l’Acte unique ; - sur le plan militaire, restructuration de l’OTAN avec redéfinition de ses buts stratégiques et rôle accru du Japon, qui avait donné une contribution financière essentielle lors de la guerre du Golfe et aurait dû dorénavant assumer plus de responsabilités militaires. Le problème se posait également des changements à introduire, par rapport au contexte nouveau, dans la conception et le fonctionnement des institutions internationales, du FMI, de la Banque mondiale et du GATT à l’ONU elle-même.
2) Le bilan à tirer dix ans plus tard indique que le rapport de forces a évolué ultérieurement au détriment du mouvement ouvrier et du mouvement anti-impérialiste, même si certains pays - en Europe, l’Italie (1992 et 1994), la France (1995) et la Norvège (2000), en Amérique Latine l’Équateur, le Brésil et la Bolivie, en Asie la Corée du Sud et l’Indonésie - ont connu des mouvements de masse et de luttes ouvrières importants et une mobilisation internationale significative s’est produite en décembre 1999 à Seattle. Fondamentalement, presque partout les vagues récurrentes de restructurations et mutations, à la suite d’une internationalisation du capital poussée au paroxysme, ont provoqué des déchirements et décompositions du tissu du prolétariat et d’autres couches exploitées et, dans ce sens, leur affaiblissement structurel, même si le prolétariat, loin de disparaître, n’a cessé de s’accroître qualitativement. Les retombées politiques - sérieux affaiblissement des partis de gauche traditionnelles et des organisations syndicales - perte d’identité du mouvement ouvrier, déstructuration voire disparition de secteurs d’avant-garde - sont devant les yeux de tout le monde, avec des retombées culturelles et idéologiques encore plus graves. Une telle appréciation globale n’est pas remise en question par le fait que dans la plupart des pays de l’Union européenne il existe à l’heure actuelle des gouvernements sociaux-démocrates ou de centre-gauche. En effet, une telle situation a été le produit beaucoup plus de l’usure et des échecs des directions conservatrices traditionnelles que de remontées substantielles de mouvements de masse ou d’un enracinement social accru des partis se réclamant de l’Internationale socialiste. Qui plus est, tous les gouvernements sociaux-démocrates, à quelques nuances près, se sont inscrits dans le cadre des choix stratégiques majeurs des classes dominantes, comme l’ont confirmé leurs orientations socio-économiques et leur participation sans réserve à la guerre du Kosovo. Au delà des spécificités évidentes - de nature beaucoup plus politique conjoncturelle que socio-économique et stratégique - des considérations analogues s’imposent à propos des avancées électorales de partis de gauche ou de centre-gauche dans des pays d’Amérique Latine. Par ailleurs, les partis de provenance stalinienne, dont l’approche stratégique et la pratique dans les mouvements de masse ne se différencient le plus souvent de celle des sociaux-démocrates, sont eux aussi dans l’impasse, et, indépendamment des vicissitudes électorales, ont subi et subissent une usure certaine.
3) Ce tableau d’ensemble sur les rapports de forces ne doit pas amener à une sous-estimation des tensions et des contradictions dont souffrent plus que jamais le système dans son ensemble à l’échelle mondiale et de nombreux pays dans les différentes régions. Tout d’abord, malgré la conjoncture favorable prolongée de l’économie des États-Unis et la réalisation de l’unité monétaire européenne, l’économie capitaliste mondiale n’a pas connu une nouvelle montée généralisée ni la stabilisation poursuivie depuis le tournant de la moitié des années soixante-dix. Dans ce contexte l’économie japonaise, la deuxième du monde, présentée pendant toute une période comme un exemple a suivre grâce au "modèle toyotiste", a connu une croissance à peu près nulle. L’économie allemande elle-même a piétiné sur place. De graves crises financières ont frappé successivement des pays comme le Mexique, les "tigres" asiatiques, le Brésil et la Russie avec des répercussions sociales très lourdes, qui, pour l’essentiel, subsistent jusqu’à maintenant. C’est pourquoi un certain nombre de pays ont pris de mesures politico-économiques (contrôles des changes et des mouvements de capitaux) allant à l’encontre des lois et des normes édictées par l’OMC et d’autres organisations internationales. Plus généralement, au delà des variations des PNB et des revenus par tête d’habitant, le contexte mondial reste caractérisé par des déséquilibres et des inégalités croissantes au détriment de la grande majorité de la population de la planète. Le fossé se creuse davantage à l’intérieur des pays les plus développés eux-mêmes. Une telle situation au niveau socio-économique est, en dernière analyse, à l’origine de la crises assez généralisée de directions politiques traditionnelles, voire de leur éclatement, et des difficultés contre lesquelles butent les tentatives de recomposition C’est incontestable qu’en dépit de toutes les anomalies et les aberrations, le capitalisme a été restauré tant en Russie que dans les autres pays de l’ancienne URSS et en Europe centre-orientale. Il est vrai aussi que la Chine s’est intégrée beaucoup plus qu’auparavant dans le marché mondial. Toujours est-il que les investissements de capitaux étrangers dans ces pays ne cessent de se heurter à des obstacles majeurs et comportent des risques multiples ne pouvant miser, au mieux, que sur des profits à long terme. Les dividendes "historiques" qu’on espérait tirer de la reconquête de la sixième partie du monde, ne se sont pas encore matérialisés. L’émergence d’un nouvel âge d’or du capitalisme reste un projet, sinon un voeu pieux, alors qu’au niveau politique, dans la plupart de ces pays, dont, en premier lieu, la Russie et l’Ukraine, la situation n’est pas du tout stabilisée. Par ailleurs, une source potentielle de conflits et déséquilibres croissants réside beaucoup plus qu’auparavant dans la détérioration de l’environnement et des conditions de vie dans une partie importante de la planète. Des conférences internationales successives n’ont donné que des résultats dérisoires : la responsabilité en incombe surtout aux grandes puissance et en premier lieu aux États-Unis. Les vicissitudes de la dernière année du XX siècle, avec une succession de catastrophes de l’Inde au Venezuela, frappant y compris des pays de la zone tempérée européenne, ont acquis un caractère sinistrement symbolique. En même temps les ravages qu’est en train de provoquer le SIDA dans des vastes régions, font également planer sur notre société "moderne" une menace qui ravive le souvenir des épidémies meurtrières de siècles lointains. L’approche résolue des problèmes de l’environnement de même que des problèmes de l’alimentation et de la santé à l’échelle mondiale ne saurait être remise aux calendes grecques et doit faire partie intégrante d’un programme révolutionnaire anticapitaliste.
4) Au cours de la dernière décennie les États-Unis ont effectivement réaffirmé leur hégémonie à la fois du point de vue économique et du point de vue politique et militaire. Les fondements supposés de la "nouvelle économie" consistent en une révolution technologique permettant d’obtenir des gains de productivité importants tout en économisant les dépenses en capital. Les technologies de l’information permettraient de rétablir le profit de manière continuelle en redistribuant aux salariés une fraction de ces gains. En même temps, on vise à modifier le rapport salarial en instituant une rémunération en deux éléments : un salaire da base, complété de revenus financiers (actions, fonds de pensions , etc. ). Le capitalisme financier cherche ainsi à se constituer une base sociale même étroite ("la classe moyenne globale") en différenciant les salariés purs des salariés qu’il cherche à associer à ses propres intérêts. La plausibilité d’un tel modèle repose, en dernière analyse, sur l’euphorie boursière. Mais, en perspective, de deux choses l’une : ou bien la Bourse ne fait qu’anticiper les profits à venir et un ajustement se fera par un nouveau bond en avant des profits ou bien la prodigieuse montée du cours des actions sera l’objet d’une sévère correction et sera ramenée au niveau du profit réel. C’est le second scénario que tous les observateurs lucides jugent le plus probable. La fragilité de ce modèle est renforcée par la faiblesse centrale du modèle des États-Unis, qui réside dans l’incapacité à financer l’accumulation de son propre capital. Le taux d’épargne étant très faible, voire nul, et le déficit commercial considérable, ce sont les capitaux correspondant aux excédents européens et japonais qui affluent aux États-Unis pour combler ce déficit. Mais c’est en même temps la force de l’impérialisme dominant qui, grâce au rôle du dollar en tant que monnaie universelle, impose au reste du monde cette structure dissymétrique. A l’intérieur, d’autre part, la consommation représente une fraction très élevée des revenu et est dopée par la croissance des patrimoines financiers ou le développement du crédit.
Toujours est-il qu’un tel modèle ne saurait être étendu à l’ensemble des métropoles impérialistes. Il est profondément instable et repose sur l’acceptation par l’Europe et le Japon de cette domination, notamment monétaire, des États-Unis. Il est donc tout à fait possible qu’un ralentissement de la croissances aux États-Unis, à terme inévitable, conduise à un effondrement brutal de la montagne financière qui est le fondement de cet ensemble. L’issue dépendra en partie des rapports inter-impérialistes : l’atterrissage en douceur, souci majeur de la Federal Reserve, impliquera une mutualisation des pertes su niveau mondial qui risque de ne pas être accepté Dans cette éventualité pourraient apparaître de très vives tensions entre l’Europe et les États-Unis et à l’intérieur même de l’Union européenne. Par ailleurs, un rattrapage, fût-il partiel, de la part de l’Union européenne ne saurait être exclu à moyen terme et semble même s’esquisser dans quelques secteurs. Plus généralement, les États-Unis ne peuvent, grâce à leur primauté économique actuelle faire valoir, une hégémonie politique équivalente, malgré l’état encore précaire du cadre politique de l’Union européenne. Qui plus est, une superpuissance militaire peut permettre au pays et/ou à la coalition qui en dispose, d’écraser l’adversaire par des opérations destructrices, mais il n’en découle pas nécessairement que le "vainqueur" puisse imposer des solutions politiques viables de son propre point. La guerre contre l’Irak, qui a ouvert la décennie, et celle contre la Serbie, qui en a marqué la fin, le confirment de la façon la plus éclatante. L’ordre n’a régné ni dans un cas ni dans l’autre, les régions concernées n’ont pas été réadaptées selon les voeux des grandes puissances. Même des chefs d’État comme Saddam et Milosevic, pourtant cibles faciles d’une propagande prétendument démocratique ou humanitaire, sont restés à leur place. Par ailleurs, le contexte qui s’est dessiné après la fin de la guerre froide avec l’Union Soviétique et les autres pays du pacte de Varsovie, est susceptible de stimuler, beaucoup plus que jamais depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, des conflits non seulement économiques mais aussi géopolitiques entre les grandes puissances capitalistes elles-mêmes. Il est vrai que des projets continentaux de réorganisation ou restructuration au niveau socio-économique - ALENA, Mercosur et Union des pays andins, etc. - ont effectivement progressé. A plus forte raison, les progrès de l’UE sont réels. Mais sous l’angle politico-institutionnel, les projets, lorsqu’ils existent, restent dans une large mesure sur le papier et se heurtent même à des résistances croissantes. Aucun accord entre grandes puissances, puissances régionales et différents groupes de pays ne s’est dessiné non plus en matière de réorganisation des institutions internationales : d’où la relégation de l’ONU à une fonction d’enregistrement à posteriori lors de la guerre du Kosovo, l’importance croissante attribuée au G7, le cas échéant élargi au huitième larron russe, et l’échec de l’OMC à Seattle. La nature et les tâches respectives du FMI et de la Banque Mondiale sont l’objet de débats assez vifs depuis des années, mais, malgré l’urgence proclamée du problème, aucune solution n’a été esquissée pour l’instant.
II
5) La guerre contre la Serbie a mis au nu les impératifs stratégiques et les réflexes des puissances impérialistes, derrière l’écran d’anciennes et nouvelles mystifications idéologiques. Elle a démontré encore une fois qu’aux yeux des dirigeants aussi bien conservateurs que sociaux-démocrates le recours aux armes reste une option parmi d’autres pour atteindre leurs buts économiques ou géopolitiques, en dépit des massacres et des destructions que la technologie moderne inévitablement provoque. Les belligérants ont déclenché un nouveau conflit armé dans les Balkans pour maintenir ou rétablir leur contrôle sur cette région, où, depuis l’éclatement de la crise de la Fédération yougoslave, étaient à l’oeuvre des forces centrifuges de plus en plus ingouvernables. L’expérience de la guerre en Bosnie-Herzégovine avait été éloquente : l’intervention militaire, avec la participation de forces "autochtones", s’était avérée la seule solution possible du point de vue des grandes puissances. Pourtant, quatre ans plus tard, la situation restait tout à fait instable :le Kosovo était en train de devenir le foyer d’un nouvel incendie. La politique de Slobodan Milosevic, caractérisée par une succession de répressions et actions aventuristes et de compromis, fournissait le prétexte souhaité. Au souci causé par la précarité du cadre de l’ancienne Yougoslavie s’ajoutait aux yeux des puissances impérialistes l’incertitude sur l’évolution possible de la Russie. Les illusions sur une intégration relativement rapide, sans trop de tensions, de ce pays dans l’"économie de marché" internationale et sur la mise en place d’un cadre institutionnel démocratique du type "occidental" avaient disparu et l’hypothèse d’une Russie cherchant une revanche nationaliste ou national-populiste n’était plus écartée. Le contrôle sur une région des Balkans ne fut-ce que partiellement stabilisée, apparaissait donc le moyen pour parer à une évolution dangereuse possible. La Russie n’était impliquée que dans la phase finale des négociations sur le Kosovo, pour l’amener à partager la responsabilité de la solution visée. Du point de vue politique et idéologique, la constatation s’impose qu’il n’y a pas eu de mobilisations anti-guerre dans la plupart des pays et même là où elles se sont produites, elles ont été beaucoup plus limitées qu’à l’époque da la guerre du Golfe, pour ne pas remonter plus loin. La vague de répressions et de déportations déclenchées par Milosevic contre les Kosovars albanophones, que la IVe Internationale n’a pas hésité à condamner, avait nourri la mystification de la guerre dite humanitaire. Cette mystification a pesé lourdement sur de telles attitudes, en amenant même de larges couches de militants du mouvement ouvrier et anti-guerre à oublier que, face à une intervention militaire d’une coalition impérialiste, le premier devoir pour des révolutionnaires et des pacifistes était de s’opposer à leur propre gouvernement, tout en condamnant le régime de Milosevic et ses méthodes barbares. Mais la guerre au Kosovo a eu aussi un trait plus particulier :pour la première fois depuis la Seconde guerre mondiale, des pays d’Europe occidentale ont participé directement à une guerre sur le sol européen, dans certains cas à leurs propres frontières. Le mythe selon lequel il n’y aurait jamais plus de guerre sur le continent, largement accepté par ceux qui avaient vécu les horreurs des années 1939-45, était détruit. Ce sont à plus forte raison les générations nouvelles qui purent accepter l’idée que la guerre n’était qu’une péripétie "normale" de l’histoire. Voilà un facteur supplémentaire qui a eu des effets démobilisateurs face au conflit.
6) Les bilans de victoire que les états-majors militaires et politiques ont dressé à la fin du conflit n’ont pu annuler le constat qu’une guerre menée par la coalition des plus puissants pays du globe contre un petit pays isolé aura duré bien au delà des prévisions initiales. Deuxièmement, la triste victoire a exigé un emploi énorme de moyens provoquant des destructions et des massacres qui ont démenti le mythe de la guerre "intelligente" et aseptique. Les destructions infrastructurelles, dont la destruction des ponts sur la Danube, ont provoqué des dégâts énormes et durables frappant des pays autres que la Serbie. Par ailleurs, les résultats des enquêtes menées par des institutions internationales ont confirmé sans la moindre ambiguïté que l’exode des populations kosovares albanophones pour s’échapper à la répression de l’armée et de la police de Milosevic avait acquis ses dimensions bibliques après et non avant les bombardements de l’OTAN. Finalement, la "paix" est loin d’avoir résolu ou commencé à résoudre les problèmes de la région. La solution politique imposée en foulant aux pieds le droit à l’autodétermination n’en est pas une. C’est une fiction dérisoire que le Kosovo puisse appartenir encore à ce qui reste de la Fédération yougoslave et à la République serbe, alors que la minorité serbe est devenue à son tour victime d’une dure répression qui a obligé un grand nombre de ses membres à quitter leurs maisons. En fait, le Kosovo a été réduit à un protectorat international dont l’adoption du mark allemand comme monnaie officielle sur décision du plénipotentiaire français est devenu le symbole. Par ailleurs, Milosevic reste à sa place à Belgrade et ce sont les citoyens serbes, les travailleurs en premier lieu, qui souffrent toujours d’un embargo cruel, accompagné par des discriminations absurdes, en payant ainsi le prix des crimes cumulatifs de leur gouvernement et des puissances impérialistes.
7) L’euphorie artificiellement nourrie à la fin du conflit du Kosovo n’a pas empêché les dirigeants politiques et les chefs militaires de se poser des questions cruciales pour l’avenir. Première question : s’il a fallu beaucoup plus de temps que prévu pour obliger Milosevic à jeter l’éponge, comment les choses pourraient-elles se passer si on devait faire face à des adversaires plus redoutables que l’Irak et la Serbie, deux petits pays isolés par l’aveuglement et l’irresponsabilité de leur couches dirigeantes ? Serait-il possible une deuxième fois qu’une guerre soit menée en frappant du ciel sans payer soi même le prix d’une seule vie humaine ? Si, dans un autre contexte, une telle hypothèse s’avérait irréalisable et s’il y avait des victimes même du côté des armées "humanitaires", quelles seraient les réactions de l’opinion aux États-Unis et dans les pays de l’Union européenne ? Ensuite, les seigneurs du Pentagone et de la Maison Blanche et du quartier général de Bruxelles, à l’aide de leur appareillage sophistiqué et des rapports de la CIA, ont sans doute esquissé toute une gamme de scénarios possibles dans différentes régions du monde. Quoiqu’il en soit, des options majeures ont été déjà faites à toute éventualité : - Les États-Unis, encore insatisfaits de leur superpuissance militaire, ont choisi de "moderniser" davantage leur armement et leur système de défense, y compris par l’adoption éventuelle des NMD (National Missile Defense), nouveaux boucliers qu’ils justifient comme riposte à la prolifération dans différentes régions d’armes de destruction nucléaire. Si un tel projet devait se concrétiser, la situation existante à l’heure actuelle en serait profondément bouleversée et le rapport de forces militaire évoluerait ultérieurement en faveur des États-Unis ; - En jugeant désormais inacceptable leur condition d’écrasante infériorité militaire par rapport aux États-Unis, les gouvernements de l’Union européenne, en l’occurrence à l’unisson, ont commencé à mettre sur pieds une armée européenne et à s’engager dans une campagne de réarmement sans précédente après la Seconde guerre mondiale ; - Le Japon, résolu à en finir avec la syndrome de 1945, s’est lui aussi engagé dans une campagne de réarmement qui pourrait, par le biais, l’aider à sortir d’une impasse économique prolongée. Pour compléter le tableau, nombre de puissances de deuxième rang de même que de petits pays, soit parce qu’ils sont engagés ou craignent d’être engagés dans des conflits régionaux, soit dans le but d’accroître leur rôle géopolitique ou d’être en condition d’écraser des mouvements oppositionnels, ne cessent de s’armer à leur tour en ruinant leurs budgets et aggravant leur dette extérieure. A l’aube du nouveau siècle, les protagonistes et les seconds violons du "nouvel ordre international", annoncé il y a une dizaine d’années, se sont donc acheminés vers une militarisation accrue. Pour se protéger et défendre leur statu quo socio-économique, ils continuent de transformer la planète en la plus redoutable poudrière de l’histoire.
III
8) C’est le constat que des épicentres gros d’explosions non seulement ne cessent d’exister, mais tendent à se multiplier qui dicte la stratégie des grandes puissances et leurs efforts de réorganisation et de renforcement des appareils militaires. En effet, des tensions et contradictions majeures traversent des grands pays, des régions, voire des continents. Synthétiquement : a) La Russie n’a pas surmonté l’instabilité politique d’après 1991, malgré le succès électoral de la coalition rassemblée par Poutine et l’élection de Poutine lui-même à la présidence. Ce n’est une tâche facile que de gérer le lourd héritage eltsinien. Le choix d’exploiter la montée nationaliste, nourrie par la guerre en Tchétchénie, a permis à Poutine de mener à bien une opération bonapartiste très particulière en coupant en même temps l’herbe sous le pied de ses rivaux. Mais même les pouvoirs exorbitants dont le président dispose dans la Fédération russe ne sauraient contrebalancer l’absence d’une assise sociale réelle et la précarité du cadre institutionnel. Les nouvelles couches bourgeoises sont encore insuffisamment structurées et se déchirent dans des luttes parfois sanglantes avec le but de s’approprier les fruits d’une accumulation primitive sans règles. Des forces centrifuges nationales ou régionales ne cessent, par ailleurs, de se produire et la Fédération pourrait bien connaître de nouvelles crises. Il est encore trop tôt pour esquisser une réponse à la question de savoir si le nouveau président sera en condition d’opérer effectivement un tournant dans le sens d’une stabilisation du nouveau régime. Il cherchera sans doute de se renforcer par une réaffirmation du rôle de la Russie comme grande puissance, ce qui accroîtrait le potentiel conflictuel déjà existant dans le monde. b) La situation n’est guère plus stabilisée dans la plupart dans la des Etats surgis de l’écl atement de l’Union Soviétique. Au Caucase, où s’entrelacent des conflits autour du pétrole, impliquant des puissances impérialistes, et des conflits ethniques anciens et nouveaux, aucun pays n’est sorti de la crise économique ni de la précarité politique. Les républiques asiatiques (Tadjikistan, Kazakhstan, etc. ) sont elles aussi secouées par des conflits ethniques voire religieux, où des contingents de l’armée et de la police russes ont été directement impliqués. L’Ukraine, qui a connu une régression économique encore plus grave que celle de la Russie, est loin d’avoir établi un cadre politico-institutionnel stable et reste menacée par une fracture entre les régions occidentales plus tournées vers l’Europe centrale et orientale et les régions orientales sous l’influence du voisin russe. Son sort représente un enjeu majeur : l’équilibre de cette région du monde dans son ensemble dépend dans une large mesure de l’évolution de ce pays qui pourrait soit s’intégrer dans la zone d’influence des puissances de l’OTAN soit, entrer dans le giron de la Russie en renouant des liens brisés par l’éclatement de l’URSS. c) La guerre civile n’est toujours pas terminée en Afghanistan. Le pouvoir des Talibans n’a pas réussi à éliminer des poches de résistance importantes et pourrait subir le contrecoup de changements éventuels dans l’orientation du Pakistan. Les États-Unis eux-mêmes, qui avaient sponsorisé l’entreprise des Talibans, semblent avoir sensiblement rectifié leur politique dans cette région. d) La situation dans le sous-continent indien, qui englobe un quart de la population mondiale, dans sa grande majorité condamnée au dénuement un demi-siècle après l’indépendance, a été marquée dans les dernières années par les crises institutionnelles et les coups d’État successifs au Pakistan, la précarité de l’équilibre politique en Inde et la guerre civile qui continue de sévir au Sri Lanka. Qui plus est, le conflit entre l’Inde et le Pakistan subsiste, allant périodiquement jusqu’à des affrontements militaires, d’autant plus alarmants que les deux pays disposent d’armes nucléaires. Washington ne cache pas son inquiétude sur la situation dans cette partie de l’Asie et le voyage de Clinton n’aura pas contribué à rassurer la Maison Blanche, qui semble en train de rectifier son orientation traditionnelle misant sur le Pakistan comme contrepoids à l’Inde. e) L’Indonésie, qui, grâce à la dictature sanglante de Suharto, avait constitué pendant trente ans un rempart de stabilité néo-coloniale dans le Sud-est asiatique, est devenue désormais une poudrière du point de vue tant socio-économique que politique. Le régime qui a pris la relève de la dictature, doit faire face en même temps à des revendications démocratiques et sociales et à des conflits nationaux ou régionaux, parfois aggravés par des clivages religieux, qui pourraient remettre en question le cadre établi après la fin de la domination coloniale. f) Au Moyen Orient, les manoeuvres diplomatiques successives impliquant Palestine, Israël, Syrie et Jordanie, sous la férule de Washington, n’ont permis de dépasser aucune des situations conflictuelles chroniques. La région du Kurdistan, malgré les revers et les tournants spectaculaires d’un mouvement national qui reste profondément divisé, ne cesse d’être un foyer de crises graves. g) Le continent africain est toujours le théâtre de guerres et/ou guerres civiles ravageuses, de l’Angola au Congo. Malgré les changements politiques intervenus en 1999, le pays le plus peuplé, le Nigeria, n’est guère sorti de sa crise institutionnelle chronique et n’a pas entamé la réorganisation nécessaire d’une économie caractérisée par des déséquilibres criants. L’émancipation de l’Afrique du Sud du régime d’apartheid fut incontestablement un acquis majeur de la lutte démocratique révolutionnaire menée des décennies durant par le peuple sud-africain. La reconstruction se heurta inévitablement à des difficultés gigantesques. Mais, tout en tenant compte de ces difficultés, on ne peut que tirer un bilan négatif du point de vue de l’amélioration du niveau de vue de la grande majorité de la population. L’acceptation des impératifs néo-néolibéraux n’a pas permis non plus d’atteindre , sinon marginalement, le but de créer une couche bourgeoisie noire. Finalement, de nombreux pays africains détiennent de tristes records en matière de victimes du SIDA. Le pourcentage de personnes, en premier lieu femmes, frappées par cette maladie est littéralement effroyable : de larges tranches des jeunes générations sont en train de disparaître avec toutes les conséquences qui en découlent pour l’avenir même de vastes régions du continent. h) Du point de vue des grandes puissances, la Chine représente elle aussi un facteur d’incertitude autant sur le plan géopolitique (questions de Taiwan, du Tibet, de l’Asie centrale, etc. ) que socio-économique. Il est vrai que, malgré le maintien du régime de transition bureaucratisé, elle semble offrir plus que la Russie des garanties aux investisseurs étrangers. C’est pourquoi toutes les puissances économiques se sont engagées sur le territoire chinois en exploitant les ouvertures successives. Mais, en même temps, les groupes dirigeants des États-Unis et de l’Union européenne et à plus forte raison du Japon sont conscients qu’en tout cas de figure (sauf éclatement, difficile à envisager malgré les forces centrifuges potentielles) la Chine visera dans les prochaines décennies à jouer un rôle de grande puissance et à faire valoir son hégémonie en Asie. De surcroît, elle semble avoir tiré elle aussi les leçons de la guerre au Kosovo en poursuivant une modernisation ultérieure de son potentiel militaire. Dans sa dynamique interne, la société chinoise a connu, surtout au cours de la dernière décennie, des changements d’une très grande ampleur. La croissance économique s’est poursuivie à des taux assez élevés, en n’étant que très partiellement affectée par la crise asiatique, et le renouveau du pays a progressé. Une couche bourgeoise, liée à l’économie nationale et/ou aux investissements étrangers, a pris corps, le plus souvent en provenance de secteurs de la bureaucratie. Les deux dernières années du siècle ont enregistré, toutefois, un ralentissement assez sensible de la croissance. Les sources officielles n’ont pas hésité à parler de tendances dépressives alors qu’un pourcentage élevé des grandes entreprises d’État sont restées au rouge malgré les restructurations réalisées ou esquissées. L’année 2000 semble indiquer une reprise conjoncturelle. En fait, il devient de plus en plus clair que l’intégration croissante de l’économie chinoise dans l’économie mondiale a pour conséquence que se produisent des phénomènes plus propres du cycle d’une économie capitaliste que d’une économie de transition bureaucratisée (surproduction et suréquipement sectoriels, excès de concurrence, baisse de prix de produits de consommation, immeubles inoccupés, etc.). Par conséquence, les effets négatifs sur le terrain social se sont aggravés : chômage croissant dans les grandes villes et taux très élevés de la population dite excédentaire dans les campagnes. Dans les milieux dirigeants des flottements se sont produits et se produisent sur la question de savoir s’il fallait aller résolument de l’avant dans le parachèvement du cours nouveau ou s’il serait préférable de ralentir, voire faire des pas en arrière. Des mesures pour ainsi dire conservatrices ont été annoncées à un moment donné. Mais les projets les plus importants impliquent une délimitation croissante du secteur de l’État et l’introduction à une échelle plus substantielle de sociétés par actions. Si on considère que de tels projets visent à impliquer aussi des investisseurs étrangers, des brèches pourraient s’ouvrir à l’accumulation privée beaucoup plus que dans la période précédente. Une telle perspective, dans le cadre d’une application plus rigoureuse de critères de rentabilité en fonction du marché, est grosse de conséquences sociales. En fin de compte, l’équilibre politique du régime pourrait être ébranlé.
9) Au delà des facteurs spécifiques jouant à l’échelle régionale ou nationale, l’instabilité d’un grand nombre de pays est déterminée par la loi fondamentale que les pays impérialistes imposent à l’échelle mondiale au détriment des pays sous-développés. Ceux-ci n’ont plus le droit de faire valoir quelque obligation que ce soit non seulement aux mouvements de marchandises mais aussi aux mouvements de capitaux. C’est le sens des règles de l’OMC et de la tentative d’introduire l’AMI. Les pays sous-développés sont mis en concurrence et obligés de reproduire les conditions favorables permettant d’attirer les capitaux par de bas niveaux de salaires, une absence presque totale de fiscalité, de protection sociale ou de législation sur l’environnement. Le type de développement économique qui en résulte ne peut être qu’instable, tronqué, constamment remis en cause. Il ne débouche pas, sauf exceptions, sur une croissante correspondante du marché intérieur, notamment parce que celle-ci bute inévitablement sur un déficit commercial accru. En même temps, pour attirer les capitaux, ces pays doivent, surtout en période d’instabilité monétaire, monter les taux d’intérêt à des niveaux parfaitement irrationnels. Les groupes capitalistes dominants drainent par ce biais des surprofits, obtiennent des débouchés pour leur surplus, conservent leur monopole technologique, ont pression sur les prix des matières premières, etc. : voilà des mécanismes qui rappellent les descriptions classiques du pillage du Tiers Monde, processus régressif que l’idéologie capitaliste appelle "liberté du commerce". A l’intérieur des pays dépendants, cette logique de fonctionnement débouche sur un fractionnement social extrême. A un pôle, des couches sociales étroites qui profitent durablement de ce système, à un autre pôle les couches populaires qui en subissent les conséquences et ne profitent, au mieux, que très partiellement de la croissance économique. Entre le deux, la classe moyenne mondiale oscille au gré des réussites et des échecs entre un statut de base sociale étroite de régimes fondamentalement inégalitaires et des situations de paupérisation qui sont l’un des ressorts des tendances populistes ou fondamentalistes.
IV
[Cette partie, de même que celle sur l’Amérique Latine, devra être développée et éventuellement rectifiée en partant des textes ou rapports spécifiques envisagés]
10) La bourgeoisie européenne a remporté un succès incontestable par l’adoption de la monnaie unique. A l’étape actuelle les membres de l’Union s’efforcent de mieux exploiter l’espace économique commun et de devenir plus concurrentiels sur le marché mondial. C’est pour atteindre ce but que se succèdent des opérations multiples de fusion et de concentration de groupes industriels, commerciaux, financiers et bancaires parmi les plus puissants. En même temps les organismes communautaires se donnent plus de pouvoirs en fixant des normes en principe obligatoires pour tous les Etats membres. Au sommet de décembre 1999 à Helsinki un calendrier a été fixé en y incluant à l’échéance la plus rapprochée une réforme des institutions communautaires. A la même rencontre le projet de réarmement européen a été non seulement confirmé mais précisé sous forme détaillée. La perspective d’un élargissement de l’Union à un nombre important de pays d’Europe centro-orientale a été assez nettement définie. La solution de tous ces problèmes n’est pas, toutefois, donnée d’avance. Les négociations sur l’élargissement de l’Union se heurtent et se heurteront à de nombreux obstacles, surtout dans le cas où la relance économique ne serait durable et plus équilibrée qu’elle ne l’est maintenant et où les pays-candidats s’avéreraient incapables d’introduire les changements structurels exigés. L’affaiblissement important de l’euro est aussi révélateur des contradictions qui subsistent ou surgissent dans le contexte nouveau. En dépit des proclamations de bonnes intentions, il n’existe, par ailleurs, aucun projet un tant soit peu concret de cadre institutionnel supranational. Pourtant, si ce cadre ne se dessine pas, le risque existe que les acquis des dernières années soient remis en question.
De surcroît, l’Union doit faire face à un autre défi qui date désormais de loin, mais devient de plus en plus crucial au fur et à mesure que les conditions d’existence dans la plupart des pays du globe se détériorent davantage. Les flux migratoires en provenance du sud de la Méditerranée, d’Afrique noire, d’Europe orientale et d’une partie de l’Asie vont sans aucun doute continuer en multipliant les difficultés et les tensions au niveau aussi bien socio-économique que politico-culturel. Si on prend également en ligne de compte les tendances démographiques dans les pays de l’Union, le scénario du nouveau siècle devient tout à fait clair :le vieux continent sera le théâtre d’un brassage de populations - d’ethnies et de nationalités - absolument sans précédent. Ce n’est pas l’Europe de Schenghen qui est armée pour le combat de civilisation qu’il faut mener pour contrecarrer une vague réactionnaire de réflexes prétendument d’autodéfense et des dérives racistes au demeurant sans issue.
11) Au delà des oscillations conjoncturelles, parfois assez brusques, l’Amérique Latine a connu dans les années 1990 un taux de croissance limité, est toujours exposée à la volatilité des marchés financiers et souffre d’inégalités sociales parmi les plus profondes du monde. Elle reste caractérisée par une impasse du "modèle" socio-économique néolibéral et par une instabilité politique généralisée. Dans ce cadre d’ensemble le bilan de la dernière décennie dans les différents pays et régions apparaît nettement différencié, voire contradictoire. Dans certains pays des luttes démocratiques et des mouvements sociaux ont pu parfois se développer dans un cadre institutionnel parlementaire et/ou présidentiel et des partis de la gauche réformiste ont progressé sur le terrain électoral. Mais après la défaite au Nicaragua et dans d’autres pays d’Amérique centrale et le déclin de l’influence cubaine, le mouvement révolutionnaire non seulement a payé le prix d’une évolution du rapport de forces à son désavantage, mais a même radicalement reculé sous l’angle politique et idéologique. Le PT brésilien lui-même se place progressivement dans une optique réformiste modérée. L’admirable combat que les zapatistes continuent de mener dans une situation de plus en plus difficile, ne suffit pas à contrebalancer les phénomènes régressifs au niveau continental ni les échec essuyés par d’autres courants révolutionnaires mexicains. En revanche, une zone des tempêtes existe à l’heure actuelle dans toute une partie du continent. Elle englobe le Venezuela, où déferle une vague progressiste, l’Équateur, où un puissant mouvement indigène contribue à nourrir la crise politique des classes dominantes, et la Colombie, où se maintient une lutte armée de grande envergure et des contingents militaires des États-Unis opèrent à côté des forces de répression autochtones. La Bolivie elle-même a été de nouveau le théâtre de mouvements de masse très combatifs.
V
(cette partie est liée aux sujets qui sont abordée dans le rapport "résistances" et devra donc être ré-élaborée dans un cadre commun en évitant les redites et des dissonances éventuelles)
12) Les processus de concentration et d’internationalisation en cours, dont le prix est payé surtout par les travailleurs salariés, les paysans pauvres et les masses plébéiennes marginalisées, frappent aussi, dans le cadre d’une concurrence de plus en plus féroce, des secteurs des classes dominantes. D’où les divergences au sein de celles-ci sur les moyens, les rythmes et les structures à mettre sur pied pour atteindre le but commun ; ce qui se reflète au niveau des groupes dirigeants politiques, en provoquant de querelles multiples, de luttes sourdes et de déchirements récurrents. Ce sont ces difficultés et ces tensions et la prise de conscience du danger que représente pour le "nouvel ordre" l’état actuel du monde avec ses misères et marginalisations croissantes, qui poussent des représentants et des porte-parole des classes dominantes elles-mêmes à mettre une sourdine au triomphalisme de l’idéologie hégémonique. Ainsi, sont de plus en plus remis en question le rôle et le fonctionnement d’institutions comme le FMI et la Banque Mondiale de même que les structures de l’ONU, jugées obsolètes et non correspondantes aux besoins d’un contexte international radicalement changée par rapport à celui de la fin de la Seconde guerre mondiale. Ce n’est pas par hasard que des décisions ont été prises d’abord dans le domaine militaire : l’OTAN a connu et va connaître une transformation profonde avec l’élargissement de son cadre d’intervention et une définition plus explicite de son propre rôle. Il est significatif, d’autre part, que des voix de plus en plus nombreuses se lèvent pour souligner l’urgence d’introduire des règles dans cette libre circulation des capitaux qui a tant contribué à l’éclatement des crises financières des années 1990 et dont la dynamique pourrait s’avérer dans le futur encore plus explosive. Dans un tel contexte se pose également la question de savoir quel est actuellement le rôle de l’État national. C’est une simple constatation que dans le cadre de l’Union européenne l’État national subit une érosion progressive de ses fonctions, notamment sur le terrain économique. Dans les régions du monde où des pays ont accédé à l’indépendance à la suite du déclin des empires coloniaux, l’État national a constitué depuis le début et constitue encore plus aujourd’hui un cadre politico-institutionnel artificiel, inadéquat, peu viable. Toujours est-il que des cadres institutionnels supranationaux organiques ne s’esquissent encore nulle part et donc l’État national continue d’accomplir une série de fonctions nécessaires - sociales et politiques, et même économiques. Qui plus est, face aux ravages de l’internationalisation néolibérale, l’État national peut apparaître comme un havre où se mettre à l’abri, le cas échéant à l’aide d’options néo-protectionnistes. La rencontre de Seattle fin 1999 a reflété sous la forme la plus spectaculaire toutes ces tendances différentes et contradictoires. Elle a fait ressortir les divergences entre les gouvernements des différentes pays - États-Unis, Union européenne, pays sous-développés - sur des questions capitales allant de l’agriculture aux droits sociaux et à la spécificité culturelle. Elle a exprimé, du côté des manifestants dans les rues, les soucis des travailleurs qui craignent de perdre leur emploi ou de subir une diminution de leurs salaires, des paysans qui ne résignent pas à être balayés par les grandes entreprises agricoles capitalistes, des citoyens effrayés par la dégradation de l’environnement et les manipulations génétiques, des intellectuels qui s’opposent à la standardisation marchande de la culture. Bref, Seattle a été une anticipation des conflits et des mobilisations du futur et représenté un démenti cinglant de la thèse de l’inéluctabilité de la globalisation néolibérale.
13) Les contradictions qui déchirent la société contemporaine à l’échelle mondiale et provoquent des ravages croissantes à tous les niveaux, imposent à l’ordre du jour, plus que jamais auparavant, la définition et la construction d’une alternative systémique. Les forces sociales et politiques, qui rejettent la "globalisation" prônée par les classes dominantes, existent dans toutes les régions du monde et sont susceptibles de lutter dès maintenant, indépendamment du rapport de forces au niveau national et international à l’étape actuelle. C’est dans le cadre d’une telle mobilisation, projetée pour les années qui viennent, qu’il faut chercher le chemin de la reconstruction de fond en comble du mouvement ouvrier et anti-impérialiste, de l’émergence d’avant-gardes faisant leurs expériences à l’époque nouvelle où nous vivons, et d’une relance d’un nouvel internationalisme et d’une Internationale révolutionnaire.