Réuni à Amsterdam (Pays-Bas) du 21 au 24 février 2009, le Comité international (CI, instance de direction de la IVe Internationale) a ouvert le débat en vue du 16e Congrès mondial qui se tiendra au début 2010. Cinquante-cinq membres, observateurs et invités provenant de vingt-sept pays ont pris part à cette session plénière. Treize membres et observateurs de huit pays n’ont pu se déplacer pour cette réunion. Le CI a débattu et adopté des projets de résolution qu’il soumet au débat dans l’Internationale (une résolution sur le rôle et les tâches de la IVe Internationale et une sur le changement climatique). Il a discuté les rapports présentés sur l’évolution de la de la situation internationale, sur le bilan du Forum social mondial de Belém, sur celui du séminaire international consacré à la situation en Palestine et la guerre à Gaza, ainsi que sur la situation politique et la construction des partis au Sri Lanka, en France, en Italie, dans l’État espagnol, au Danemark, en Grande-Bretagne, au Portugal, en Chine, en Afrique du Sud, au Brésil et aux Philippines. Il a adopté des motions sur la Palestine, la répression au Maroc, la guerre au Sri Lanka et l’organisation du prochain Congrès mondial. François Sabado, membre du Bureau exécutif de la IVe Internationale, a été élu au Conseil politique national du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) lors de son premier congrès en février 2009. Ce rapport est paru dans Inprecor n° 547/548 de mars-avril 2009.
Nous ne reprendrons pas ici toute une série d’explications de ses mécanismes, mais nous insisterons plutôt sur une série de questions qu’elle pose.
Cette contribution s’inscrit dans le cadre et la continuité d’une précédente contribution publiée en novembre 2008 sur ce site (prendre la mesure de la crise).
1. Les derniers développements confirment la profondeur et la durée de la crise et surtout son caractère systémique.
Elle n’est pas de cycle court. La crise financière coïncide et aggrave une crise générale de surproduction. La paralysie du crédit réduit progressivement l’activité économique. La crise s’est propagée dans le monde entier. Son ampleur est comparable à celle de 1929, mais à la différence de 1929, la crise est globale. Le mode de production capitaliste est étendu à l’intégralité de l’économie mondiale. La globalisation capitaliste a constitué un marché mondial de marchandises, imposé un mouvement de « remarchandisation » généralisée et a créé les conditions d’un marché mondial de la force de travail.
Cette crise a donc un caractère global. Elle a plusieurs composantes : crise économique, crise financière et bancaire, crise alimentaire, crise énergétique, crise climatique. Le Forum social mondial (FSM) de Belém, en janvier 2009, a d’ailleurs été l’expression la plus éclatante de cette combinaison entre crise économique et crise écologique. On voulait cantonner Belém à un recentrage écologique, en fait, c’est la crise économique dans toutes ses dimensions qui aura marqué ce Forum.
Les classes capitalistes et tous les « experts » sont inquiets. Ils n’ont pas de modèle alternatif. Ils discutent des divers scénarios mais aucun des experts n’envisage de sortie de crise. Ils envisagent des reprises « molles » fin 2010 ou bien on retient le scénario d’une crise à la japonaise : une déflation de presque 10 ans, mais personne n’ose prévoir une issue à la crise actuelle. A la différence de 1929, les gouvernements et les pouvoirs publics sont intervenus pour la contenir. Dans une série de pays les systèmes de protection sociale jouent un rôle d’amortisseur … mais jusqu’à quand ?
Alors bien sûr, ce n’est pas la fin du capitalisme car, tant qu’il n’y a pas d’alternatives, c’est-à-dire de solutions anticapitalistes en mesure de s’imposer, il n’y a pas de « situation sans issue » pour le système. Il peut toujours se créer de nouvelles marges. Le capitalisme peut vivre et survivre avec ses crises, ses convulsions, ses régressions. Donc pas de catastrophisme, mais actuellement on voit clairement que le système a atteint ses limites, que le coût social, économique et écologique de la crise du capitalisme met à l’ordre du jour la sortie de ce système, la réforme, le dépassement pour certains, la rupture, le renversement, pour les anticapitalistes.
C’est un tournant historique : il y aura un avant et un après cette crise.
2. Nous sommes donc dans une crise profonde et longue.
* La crise bancaire et financière continue : les produits « toxiques » ont gangrené le système.
On parle de « banques poubelles « ou de « bad bank » pour éliminer tous les produits financiers « toxiques » mais comme on connaît mal jusqu’où a été leur diffusion, on ne peut décider à quel prix racheter tel ou tel produit, du coup, les gouvernements font soit machine arrière, comme aux États-Unis, soit craignent de mettre sur orbite des mécanos qui feront apparaître encore plus l’immensité des créances non solvables. Les paradis fiscaux continuent de fonctionner. L’opacité des marchés financiers empêche de mettre au point de nouveaux mécanismes de contrôle. Les banques se prêtent de moins en moins. Les prêts, aides et financements des États ne peuvent être garantis, car la situation des banques reste incertaine. Même les emprunts d’États ont des difficultés pour être bouclés. Il y a eu une alerte en Allemagne, décembre dernier.. Des États sont en banqueroute, comme l’Islande. La situation est critique en Grèce, Hongrie, Pakistan, Espagne, Lituanie. De nouvelles faillites bancaires peuvent enfoncer encore plus le système Les finances publiques ne sont pas indéfiniment extensibles, sauf à faire fonctionner la planche à billets. Nous entrerions alors dans une nouvelle phase de la crise…. Strauss Kahn pour le FMI est intervenu pour demander une aide encore plus massive des États aux banques pour relancer le crédit, en regrettant que les financements des États ne soient pas à la hauteur de la crise. Il y a donc des limites dans la solvabilité des États et dans l’explosion de la dette. A cette étape seulement les États-Unis, grâce au rôle du dollar comme monnaie mondiale, ont les moyens de continuer leur politique d’endettement…
* La crise de surproduction — qui préexistait dans certains secteurs à la crise bancaire et financière — s’est généralisée. L’économie mondiale est en récession. Les prévisions de croissance mondiale tournent autour de 0,5 %. Elles sont négatives pour les États-Unis et les pays de l’Union Européenne. On assiste à la chute de la production industrielle : -9 % aux États-Unis, -9,8 % au Japon. Des milliers d’entreprises ferment ou licencient. Tous les secteurs sont progressivement touchés. Il y a 7,2 % de chômeurs aux États-Unis, c’est-à-dire 11 millions de chômeurs. Selon un rapport de Christina Romer et de Jared Bernstein (responsables économiques d’Obama), 3 à 4 millions d’emplois supplémentaires pourraient être détruits dans les prochains mois. General Motors et Chrysler exigent encore des dizaines de milliards de dollars pour ne pas « plonger ». Les prévisions en matière de chômage sont impressionnantes : plus de 30 à 50 millions de chômeurs pour les pays de l’OCDE. C’est une véritable déferlante. Les suppressions d’emplois et les hausses du chômage vont continuer et augmenter, au moins durant les années 2009 et 2010. Nous pouvons avoir des taux de chômage les plus forts de puis les années 1930.
* La crise est mondiale. L’hypothèse d’un découplage ente la crise des pays capitalistes développés et la situation des pays émergents, en particulier la Chine, n’a pas été confirmée. La croissance chinoise a baissé de 11 % à 7 %. Les exportations ont baissé de 2,2 % en novembre et de 2,8 % en décembre selon les chiffres des douanes chinoises. Les importations se sont contractées de 21,3 %. Des milliers d’entreprises ont fermé dans la province de Shanghai et des centaines de milliers de Chinois, en premier lieu les millions de travailleurs migrants, se retrouvent au chômage. Certes les 7 % de croissance prouvent la force de l’économie chinoise. La crise va même confirmer les tendances à un changement de centre de gravité de l’économie mondiale vers les pays dits émergents, mais cette économie est encore dominée par les États-Unis et l’Europe. Plus, cette crise va conduire le régime chinois à donner la priorité au développement d’un marché interne qui dépendra beaucoup aussi de luttes politiques et sociales, y compris au sein du PCC… Mais l’économie chinoise pourra-t-elle représenter une locomotive pour relancer l’économie mondiale, un moteur alternatif, dans cette crise, aux pays capitalistes développés pour la croissance mondiale ? Rien ne l’indique pour le moment. D’autant que des pays comme la Russie ou l’Inde commencent à s’enfoncer dans la récession.
3. Le « modèle » néolibéral a connu une défaite historique.
Le consensus de Washington a explosé. Les classes dominantes et les gouvernements néolibéraux ou sociaux-libéraux ont connu une défaite politique et idéologique. Il y avait une cohérence néolibérale : privatisation, flexibilité, déréglementation. Aujourd’hui cette cohérence a été disloquée. Mais ils n’ont pas encore connu de défaite sociale. Loin de s’engager dans un changement de politique ou de cap, leur politique consiste à « tenir bon », faire payer la crise aux travailleurs et aux peuples, et combiner le cadre néolibéral et une série de dispositifs ou mesures pour « tenir bon » en espérant… que la crise s’arrêtera et que les affaires reprendront ! De plus, les capitalistes utilisent la crise pour restructurer les entreprises, pour avancer dans des processus de concentration-fusion des entreprises, pour continuer à comprimer les salaires…
Il y a donc des changements, de nouveaux discours, des mesures de sauvegarde ou de relance partielles mais elles ne remettent pas en cause la ligne générale.
Je voudrais aborder, de ce point de vue, trois questions.
3.1. Y a-t-il un tournant keynésien ?
Il peut y avoir des injections de doses de keynésianisme, un ersatz de keynésianisme, dans les politiques néolibérales, mais il n’y a pas de tournant néokeynésien.
Il y a, incontestablement, un nouvel interventionnisme de l’État dans l’économie, dans le sauvetage des banques, dans des politiques de concentrations et de restructurations industrielles et financières. C’est un changement par rapport à tout le discours ultra- libéral — de moins en moins d’État — de Reagan et Thatcher. Mais, il ne faut pas oublier, que c’est l’État qui avait déréglementé, c’est l’État qui avait privatisé, c’est l’État qui avait détruit les acquis sociaux. Il ne faut pas confondre les discours et la réalité : l’État n’a jamais disparu. Et aujourd’hui l’intervention de l’État c’est pour sauver le système, et en aucun cas pour reconstruire « l’État social ». L’État n’intervient pas pour la défense des classes populaires.
Comme le dit d’ailleurs, dans son blog, Paul Krugman, prix Nobel de l’économie et inspirateur de la gauche du Parti démocrate : « Soyons clairs, c’est tout simplement le socialisme citron : socialiser les pertes et privatiser les profits ».
La discussion sur le keynésianisme n’a de sens que si elle prend en compte l’ensemble des coordonnées socio-économiques et politiques. Ce n’est pas une discussion sur telle ou telle mesure économique.
De ce point de vue, il ne s’agit pas ici d’avoir une vision « romantique » du keynésianisme, mais si on prend comme référence les politiques du milieu et de la fin des années 1930 aux États-Unis et en Europe d’après-guerre, on est loin du compte.
Le choix des politiques keynésiennes n’a pas été un choix de construction socio-économique après un débat idéologique au sein des classes dominantes. Il a été imposé par des rapports de forces, une montée des luttes ouvrières aux États-Unis qui a exigé un tournant des politiques publiques et salariales. Mais le déploiement de politiques keynésiennes s’est fait, surtout, sur la base de l’économie d’armement, de la guerre et d’un rapport de forces liés à des mouvements sociaux et politiques exceptionnels qui ont imposé les « compromis sociaux » de l’après-guerre. Ce sont les destructions de la guerre qui ont exigé les reconstructions de l’après-guerre et créée les conditions de relance.
Donc des événements d’une ampleur exceptionnelle.
Or ce qui est frappant, c’est le décalage entre la profondeur de la crise, les discours des uns et des autres sur la nécessité de « refonder le capitalisme » et les actes. Il peut y avoir des décisions symboliques — les revenus de certains grands dirigeants plafonnés aux États-Unis ou la présence de représentants du gouvernement britannique dans les conseils de direction des banques anglaises —, mais pas de fermeture des paradis fiscaux, pas de nouvelles normes financières ou de contrôle effectif du crédit pour relancer l’activité. Des mesures qui étaient techniquement et financièrement possibles ne sont pas prises. En témoignent, par exemple, les déclarations de V. Giscard d’Estaing (dans Le Monde du 12 janvier 2009) sur le fait que les gouvernements et les institutions internationales n’ont pas encore mis en œuvre de nouvelles normes financières, de nouvelles procédures de contrôle, de nouvelles réglementations (les « short sellings » par exemple, ces produits financiers qu’on vend alors que ne les détient pas).
Mais plus substantiellement, ce qui doit être souligné, c’est que tous les plans de relance sont considérés comme sous-dimensionnés. Il y a des différences : le plan français ne dépasse pas les 1,5 % à 2% du PIB. Le plan Obama de 787 milliards représente, lui, plus de 5 % du PIB, ce qui est plus significatif. Mais il faut mettre en rapport ce plan avec la profondeur de la crise américaine. Selon les conseillers économiques d’Obama, Christina Romer et Jared Bernstein, ce plan ne contiendrait le chômage qu’à 7 % - 7,5 % à la fin 2010 — un peu plus que le taux de chômage actuel — au lieu des 8,8 % prévus s’il n’y avait pas le plan. Plus, sous la pression des Républicains, la part des dépenses publiques a été réduite de 91 milliards de dollars et celle des baisses d’impôts, augmentée de 64 milliards.
Les plans et décisions gouvernementales états-uniens intègrent de nouvelles dépenses publiques pour l’école, l’aide sociale, certains grands travaux publics, mais si on ajoute les 2 000 milliards pour les banques, la baisse d’impôts pour les plus riches, l’aide à l’investissement dans les entreprises — mais sous quel contrôle ? — et les limites des mesures de relance par le demande, il y a de la marge avant la sortie de crise.
Selon Paul Krugman, le plan de relance ne peut, alors, combler que la moitié du potentiel de croissance perdu. Par rapport à la croissance attendue en fonction de la force de travail et des capacités de production disponible, il n’y aura que la moitié de la croissance possible, ce qui vaut déjà à Obama, une vive critique de la gauche du parti démocrate.
L’article de Thadeus Pato sur les rapports entre les politiques actuelles et celles de Keynes. explique qu’à la fin des années 1960, un ministre social-démocrate avait mis au point un plan de relance keynésien. Ce plan s’élevait à 40 milliards de Deutsche Marks pour l’investissement public. Aujourd’hui cela équivaudrait à 400 milliards d’euros. Or le gouvernement allemand n’y a investi que 50 à 80 milliards d’euros.
Aux États-Unis et en Europe on a reparlé de « nationalisation » des banques. On ne peut théoriquement écarter des « nationalisations bourgeoises » des banques. C’est-à-dire des nationalisations « temporaires et partielles » pour sauver le système bancaire capitaliste, mais il ne faut pas se méprendre sur le sens des interventions étatiques. En fait, il n’y a eu que des interventions de l’État et des aides massives pour sauver le système bancaire avec plus ou moins de contrôle. En Grande-Bretagne, des représentants du gouvernement siègent à la direction de banques. Lorsque les gouvernements ou experts ont envisagé la « nationalisation » elle n’a été considérée que comme temporaire et partielle. Bref il s’agit une nouvelle fois de socialiser les pertes pour sauver le système et créer les conditions pour reprivatiser, à terme, et relancer la course aux profits. D’ailleurs, aucun des gouvernements n’a remis en cause les privatisations effectuées ces dernières années. Les attaques contre les services publics, les suppressions de postes de fonctionnaires sont confirmées. Là encore, nous sommes loin des rapports économiques et politiques qui ont prévalu pour les nationalisations ou les services publics dans l’après-guerre.
Nous sommes dans les premières phases de la crise. Son approfondissement peut bouleverser toutes les politiques bourgeoises. La rationalité économique et politique « peut pousser à plus de relance, de concessions salariales et sociales, à plus de croissance verte ». Il peut y avoir des changements substantiels des politiques des classes dominantes, en fonction des rapports de forces sociaux et politiques mais le capitalisme ce n’est pas un système rationnel, c’est la concurrence de capitaux individuels qui ont leurs propres intérêts, de multinationales qui ont aussi leurs propres intérêts, des États qui ont aussi leurs intérêts… et tout cela peut déboucher sur de nouvelles tensions et de nouveaux affrontements. En tout cas, ce qui prévaut aujourd’hui, ce sont les intérêts sociaux et politiques des classes dominantes qui cherchent par tous les moyens à préserver leurs profits.
3.2. Autre question : le « capitalisme vert » peut-il relancer la machine ?
Peut-on avoir un capitalisme qui prenne en charge les problèmes environnementaux et s’ouvre en même temps de nouveaux champs d’accumulation et de nouveaux débouchés. Il y a à ce sujet tout un discours autour de certaines propositions d’Obama (cf. l’article de Michel Husson « Le capitalisme vert est-il possible ? » dans ContreTemps de janvier 2009).
Un capitalisme vert est théoriquement possible. Comme l’indique la résolution sur le changement climatique, soumis à la discussion pour le prochain congrès de l’internationale : « Dans l’abstrait un capitalisme basé sur les sources énergétiques renouvelables semble imaginable, puisque le potentiel technique des renouvelables équivaut huit à dix fois la consommation mondiale d’énergie. En pratique, la transition vers ce capitalisme vert à partir du capitalisme réellement existant basé à 80 % sur les sources fossiles est totalement incompatible avec les exigences de sauvetage du climat. Il est impossible de relancer le capitalisme actuel sans relancer les émissions de gaz à effets de serres. Le capitalisme ne prend en compte que l’indicateur quantitatif de réduction des émissions alors que le pilotage d’une transition requiert de nombreux indicateurs qualitatifs. » Et là il y a un problème.
Il va y avoir introduction de nouvelles technologies, d’éco-taxes, de changements dans le domaine des transports ou du logement. Mais, parler de « fordisme vert » ou de « sortie verte de la crise », c’est ne pas comprendre les limites du capitalisme pour régler les problèmes écologiques et environnementaux.
a) Il y a d’abord un problème de « timing ». La crise est là, immédiate. La chute de la demande, la contraction du crédit, les problèmes budgétaires limitent les dépenses énergétiques nouvelles. Les réponses, même en termes de « capitalisme vert » sont de moyen et long terme. La crise, elle, exige des réponses immédiates, voire urgentes.
b) Il faut une profitabilité suffisante. Le coût des nouvelles technologies ou d’éco-taxes pose des problèmes de rentabilité. Cela coûte trop cher pour une série de secteurs. Et il n’est pas sûr que dans les secteurs à fort investissement vert, les gains de productivité soient suffisamment élevés et durables.
c) Il faut non seulement beaucoup de croissance mais des débouchés. Or, les compressions salariales limitent les débouchés pour cette croissance verte…
d) Une réorganisation « écologique » de l’économie mondiale exige de la coordination, des normes internationales, des choix et orientations à moyen et long terme. Ces choix sont contradictoires avec les lois de la concurrence et du marché, qui favorisent le tout profit et le tout profit à court terme.
e) Enfin de tels choix combinant tournant keynésien durable et croissance écologique massive ne peuvent résulter que de choix exogènes à la dynamique propre de la situation économique, des choix socio-politiques liés à des grands bouleversements… Sans ces choix, nous aurons une situation alternant l’enfoncement dans la crise et des reprises partielles, limitées.
f) Plus substantiellement une logique satisfaisant les besoins sociaux, répondant à de nouveaux modes de production et de consommation ne peut s’accompagner d’une logique de profitabilité capitaliste dominée par la concurrence de capitaux individuels. Il faut une coordination et une planification internationale pour une réorganisation de l’économie mondiale. C’est le fondement d’une alternative éco-socialiste.
3.3. Un tournant protectionniste est-il à l’ordre du jour ?
La crise aiguise automatiquement la concurrence, pouvant la transformer même en guerre économique. Le commerce et les échanges mondiaux tendent à se contracter.
Des déclarations de l’administration nord-américaine sur la nécessité « d’acheter américain », du gouvernement espagnol sur le « achetez espagnol » sont une indication. Les critiques de l’Union Européenne et de la présidence tchèque contre les aides de 6,7 milliards du gouvernement français à son industrie automobile traduisent aussi cette tentation. Les contradictions internes à l’Union européenne ont empêché la mise sur pied d’un plan européen coordonné. La gestion économique en Europe est devenue avec la crise, plus nationale qu’elle ne l’était avant ; le pacte de stabilité a été mis de côté. Les oppositions Allemagne, Grande-Bretagne, France, liées aux positions spécifiques des économies de ces pays dans la division internationale du travail et sur le marché mondial, expliquent ces contradictions.
Nous allons donc avoir des pressions, des pulsions, des tentations « protectionnistes » qui, dans des situations d’urgence, vont pousser les dirigeants de chacun des pays à préserver leurs positions, notamment au travers des initiatives politiques nationalistes, réactionnaires, voire xénophobes mais le choix des dirigeants de ce monde de poursuivre une orientation qui défende leurs intérêts de classe, implique, justement pour préserver leurs positions dans un monde globalisé, de poursuivre leur intégration dans l’économie mondiale et les institutions internationales.
Les expériences historiques poussent d’ailleurs les classes dominantes à réfréner leurs pulsions protectionnistes. Mais l’approfondissement de la crise peut entraîner, sur ce plan, des modifications. Et cela peut provoquer des basculements dans les classes populaires où les idées nationalistes, réactionnaires, d’extrême droite peuvent resurgir. Les réactions de certains secteurs, heureusement minoritaires, du mouvement ouvrier anglais reprenant les slogans réactionnaires de « british jobs for british workers » l’indiquent.. Les « rondes » de nuits autorisées par le gouvernement Berlusconi et organisées par la droite italienne contre les immigrés, en particulier les Roumains, témoignent aussi de la poussée des idées racistes et xénophobes de l’extrême droite.
Le mouvement ouvrier doit en tout cas se garder de toutes ces politiques « protectionnistes » ou nationalistes. Toute politique de pénalisation des peuples du sud, en particulier au travers des politiques douanières ou de taxes diverses, doit être écartée. Il faut aussi rejeter toute concurrence entre travailleurs de tel ou tel pays. La solidarité autour de revendications communes sur le plan international est une des questions décisives face à la crise.
4. La victoire d’Obama constitue une des manifestations de ce tournant mondial.
Nous l’avons déjà dit, c’est la conjonction du choix des classes dominantes états-uniennes de « changer de visage » pour reprendre la main, dans une conjoncture où la position des États-Unis s’est considérablement dégradée, et du rejet massif de huit années de pouvoir de Bush par le peuple américain. Il est effectivement important d’enregistrer l’affaiblissement de la position nord-américaine dans le monde pour comprendre l’arrivée au pouvoir d’Obama.
Car Obama sera l’homme de l’impérialisme américain pour défendre ses intérêts dans une nouvelle configuration mondiale, d’autant que l’immensité du marché américain et de sa force militaire lui donne encore de sérieux atouts.
Sur le plan économique, les États-Unis dépendent de leurs créditeurs — japonais, chinois, fonds souverains divers — qui financent leur endettement. Mais ces créditeurs dépendent à leur tour des États-Unis et de la valeur du dollar. En effet, on aurait pu s’attendre à la baisse du dollar après l’enfoncement des États-Unis dans la crise. Or le dollar tient ! D’abord parce qu’il est adossé à un État , à la différence de l’euro, ensuite par l’effet masse — l’énormité et la puissance maintenue des États-Unis. Ensuite parce que ce dollar tient car s’il s’effondrait, ce sont les fonds chinois, japonais et autres qui seraient pénalisés. Sur les 2300 milliards de dollars qui constituent les réserves chinoises 1700 sont investies aux USA ! Tout le monde se tient… et c’est donc, le dollar (et avec lui le capitalisme états-unien), malgré des tensions avec le yuan chinois et l’euro, qui reste la monnaie de référence mondiale.
Sur le plan militaire, Obama a des marges de manœuvres limitées, mais que l’on ne se méprenne pas, il reste l’homme de l’appareil politico-militaire nord-américain : sur le conflit Israël-Palestine, il continue à soutenir tous les gouvernements israéliens ; Il redéfinit les priorités stratégiques de l’impérialisme US en donnant la priorité à l’Afghanistan où le commandement américain va envoyer de nouvelles troupes (plus de 17 000 soldats) et exhorte ses alliés à en envoyer ! En Irak, il a décidé un calendrier de retrait des troupes sous réserve que la situation le permette. Sur un plan plus général, les États-Unis gardent l’hégémonie politico-militaire, mais doivent la renégocier, la rediscuter avec leurs alliés. Nous ne sommes plus en 1990-92, ni même en 2001-2004, après le 11 septembre 2001. L’administration Obama aura une politique plus coopérative avec l’Union européenne ou des pays comme le Brésil en Amérique latine. Mais avec une contrepartie exigée aux Latino-américains : prendre des distances ou rompre avec les régimes progressistes. Chávez a déjà été caractérisé comme un « obstacle » dans l’établissement de bonnes relations entre les États-Unis et les autres pays d’Amérique du Sud. Obama a confirmé la politique nord américaine vis-à-vis de Cuba. Les déclarations de Castro dénoncent d’ailleurs les illusions sur le nouveau président nord-américain.
D’autant qu’elles sont grandes. On l’a senti dans certains secteurs du FSM à Belém qui ont été jusqu’ à poser la question : Pourquoi pas Obama au FSM ? Déclarations, heureusement, très isolées.
Tout en prenant en compte les « nouvelles positions » de l’administration actuelle vis-à-vis de celle présidée par Bush, il ne faut pas se tromper sur ce qu’est Obama et les intérêts qu’il défend.
5. La crise surdétermine toute la politique mondiale.
Elle va provoquer des changements, peut-être des bouleversements dans la situation de la gauche et du mouvement ouvrier. La politique de la social-démocratie reste dans ses marques social-libérales. Ses dirigeants ont en général soutenu les plans de sauvetage des banques en les jugeant insuffisants et en demandant des contreparties. Ce sont les forces qui utilisent les références à la politique keynésienne, surtout quand elles sont dans l’opposition, pour les intégrer dans des politiques qui restent dans les cadres néolibéraux. Néanmoins, pour chevaucher les réactions, oppositions et résistances face à la crise, ils peuvent chevaucher ce mouvement et gauchir leur positionnement. Mais quand il s’agit de position de fond, comme sur l’Europe, ils confirment leurs orientations générales. Plus que les directions de la gauche, il est intéressant de discuter de la situation des rapports de forces et des premières réactions populaires face à la crise. Les premières réactions indiquent une volonté des peuples et des travailleurs de ne pas se laisser faire. La première grande manifestation mondiale contre la crise aura été le FSM de Belém. Au-delà de la diversité des réponses, les 130 000 participants ont exprimé la nécessité de refuser la crise capitaliste. Ils donnent un nouvel élan au mouvement altermondialiste. Retrouver les racines « brésiliennes » du FSM aura permis de le relancer. Car, le Forum de Belém aura aussi confirmé, malgré la politique du gouvernement Lula, la force des mouvements sociaux existant au Brésil, ceux du mouvement syndical, du MST (Mouvements sans terre) et de milliers d’autres associations, comme par exemple celles des populations indiennes. C’est aussi dans ce cadre que les expériences de ruptures partielles avec l’impérialisme de Chávez, Morales et Correa stimulent la résistance des peuples en Amérique latine. De ce point de vue, malgré l’énorme pression de l’impérialisme états-unien, l’expérience de Lula qui à son tour veut aligner ces pays sur le Brésil, et des droites vénézuéliennes et boliviennes, le « oui » au référendum de Bolivie et du Venezuela, constituent des points d’appui décisifs en Amérique latine. Les conquêtes sociales (santé, éducation, chute de la pauvreté) et politiques (contre la domination des États-Unis) sont incontestables. Si ces régimes avaient été défaits on imagine les changements de rapports de forces dans ces pays et en Amérique latine, les pressions sur Cuba etc. Maintenant il y a chez eux un problème majeur : c’est l’attitude face à la crise alors que les acquis sociaux actuels sont insuffisants. Elle représente en effet un test, surtout si les marges de manœuvres pétrolières diminuent au Venezuela. Soit ces pays ne résisteront pas aux effets de la crise, soit sur la base de la crise et sous la pression des mouvements sociaux, ces gouvernements prendront des mesures touchant à la structure de l’économie, à la répartition des richesses et à la structure de la propriété. C’est maintenant que la teneur de la rupture sera confirmée, approfondie ou pas.
Il n’y a aucune automaticité entre crise économique et radicalisation sociale et politique des travailleurs. Il n’y a pas de rapport mécanique entre crise économique et lutte de classes. Il y a au contraire polarisation à gauche et à droite, des poussées réactionnaires peuvent ou vont se développer, mais, d’un autre côté, les travailleurs et leurs organisations n’abordent pas la crise sans rapports de forces, sans positions acquises, sans forces radicales existantes, ici et là. Il y a déjà dans certains pays ou certains secteurs des résistances sociales.
Sur un plan plus général, comment ne pas mettre en rapport le succès de Belém, ces résistances en Amérique latine avec l’explosion de la jeunesse grecque, avec les événements aux Antilles françaises, avec les 2 millions de manifestants le 29 janvier à Paris. Il faut suivre la courbe des manifestations et des grèves dans chaque pays. Mais, malgré les défaites des années 1980 et 1990, les acquis et les positions politiques, organisationnelles, institutionnelles préservés par le mouvement ouvrier comme l’émergence de nouvelles générations disponibles à la lutte, constituent autant de points d’appui pour résister.
C’est ce double mouvement : évolution sociale-libérale de la gauche traditionnelle et résistances sociales, qui donnent de nouveaux espaces à la gauche anticapitaliste.
Enfin, dans la conjoncture internationale, le Moyen-Orient et la question palestinienne constituent une question centrale. Le mouvement de sympathie avec la résistance du peuple de Gaza redonne un nouvel élan aux campagnes de solidarité avec le peuple palestinien.
6. La crise du capitalisme, sa profondeur, sa durée, mettent à l’ordre du jour un programme d’action anticapitaliste.
Ce qui relevait de la propagande, des explications générales, peut passer à l’agitation. Les tenants de l’ordre libéral sont totalement déstabilisés. La cohérence du discours néolibéral a explosé en plein vol. Les incantations à la moralisation ou à la refondation du capitalisme manquent totalement de crédibilité. Elles expriment plus la panique dans laquelle sont les dirigeants capitalistes. Nos réponses prennent une nouvelle signification, une nouvelle actualité qui doit faire le lien entre les revendications immédiates et des objectifs de transformation sociale qui changent de système, un plan transitoire anticapitaliste, éco-socialiste, pour le socialisme du XXIème siècle.
« Il faut sauver les peuples, pas les banquiers ! »
« Ce n’est pas aux peuples et aux travailleurs de payer la crise, mais aux capitalistes ! »
Face aux licenciements, aux suppressions d’emploi, à la baisse du pouvoir d’achat, à la destruction des services publics, à la dégradation de l’environnement, il faut un plan d’urgence social et écologique. Refus des licenciements, du chômage technique et partiel, réduction du temps de travail et répartition du travail entre tous les salariés, précaires, chômeurs, un emploi garanti avec un salaire décent, augmentation des salaires pour relancer la demande, défense et réorganisation des services publics au service de la population, grands travaux publics centrés sur la priorité écologique (économies d’énergie, énergies renouvelables, lutte contre la pollution, transports en commun, logements sociaux, créations d’emplois dans des activités écologiques socialement utiles). Les revendications spécifiques des femmes contre le travail partiel subi, la précarité ou pour de nouveaux services publics, notamment dans la petite enfance, doivent aussi prendre toute leur place dans l’urgence sociale.
Dans cette bataille, nous avons un « énorme » argument. Durant les dernières décennies, au nom de la concurrence, de la compétitivité ou de la lutte contre les déficits budgétaires ou la dette, les possédants se sont arc-boutés pour refuser toute revendication substantielle… Et en une nuit, des dizaines de milliards étaient débloqués pour les banques !!!
Les fonds accordés aux banques doivent servir à financer les revendications sociales prioritaires. Sur ces revendications, nous proposons l’unité d’action la plus large.
Ce plan d’urgence sociale doit aussi se conjuguer avec la défense des droits et des libertés démocratiques, notamment la défense des droits des immigrants et des sans-papiers.
Au-delà, commence le débat stratégique sur les réponses à la crise. De ce point de vue les débats du FSM de Belém ont été une bonne illustration.
Une première option, néokeynésienne, tourne autour de nouvelles régulations : fermeture des paradis fiscaux, nouvelles normes financières, taxes sur les transactions financières. Les débats de la commission sur la crise financière, qui s’est tenue à Belém, avaient pour objectif de « mettre la finance au service des citoyens » mais sans remettre en cause la question de la propriété des banques et des grandes entreprises ou alors de préconiser un système mixte, banques privées et pôle public bancaire. Nous savons déjà que les systèmes mixtes en régime capitaliste débouchent sur la domination du privé. Ces propositions s’accompagnent d’une démarche qui donne un rôle central aux institutions. Les mouvements sociaux ne sont là que pour faire pression sur l’ONU ou telle réunion du G20 qui pour l’occasion serait élargie à certains pays du Sud et serait le G23.
Une deuxième option reprend les revendications partielles (taxes, lutte contre les paradis fiscaux) mais les lie à une remise en cause du système capitaliste. D’abord par une politique radicale de redistribution des richesses. Prendre massivement aux profits pour donner aux salaires, à l’emploi, à la sécurité sociale, aux services publics.
Mais la crise pose une autre question : qui contrôle, qui décide, qui possède ? C’est la question de la propriété. La faillite des banques ou de grandes entreprises n’est pas seulement le résultat d’excès financiers ou de fraude, c’est la conséquence d’un système dominé par la recherche du tout profit pour une petite minorité de privilégiés. Il faut changer de logique. Il faut, par exemple, enlever le pouvoir aux patrons des banques. Les banques doivent être nationalisées sous contrôle des salariés et des consommateurs. Les entreprises en faillite doivent être mises sous contrôle public avec une gestion des salariés. Mais nous pouvons aller plus loin, autour de la notion de « bien commun », une des revendications du mouvement altermondialiste. La crise élargit la notion de « bien commun ». Le « bien commun » ce n’est pas seulement, l’eau, la terre, la santé, l’éducation. Il faut étendre, élargir l’utilisation de cette notion pour désigner l’ensemble des secteurs de l’économie nécessaires aux besoins sociaux. Cela implique, comme l’ont souligné, bien des débats du FSM (en particulier, les interventions de François Houtard, théologien de la Libération) de mettre au centre la valeur d’usage et non la valeur d’échange. Et, si l’économie est considérée comme un bien commun, alors, la question de l’appropriation publique et sociale des secteurs-clés de l’économie, de la démocratie et du contrôle est posée. De ce point de vue, la déclaration de l’assemblée des mouvements sociaux qui soutient des objectifs comme la nationalisation des banques sans indemnisation et sous contrôle des travailleurs, la réduction du temps de travail sans baisse des salaires, le développement des formes de propriété sociale, constitue un point d’appui pour notre intervention.
Voilà une série d’arguments actualisés pour présenter une issue anticapitaliste à la crise.
Cela a une double conséquence sur le plan stratégique :
a) Mettre au centre la mobilisation, le rapport de forces social pour la satisfaction des revendications. Les changements exigés par la profondeur de la crise sont tels qu’ils demandent des bouleversements sociaux et politiques d’ampleur exceptionnelle. Ces rapports de forces peuvent se traduire sur le plan institutionnel. Des réformes partielles peuvent être obtenues. Mais le comportement des classes dominantes, qui défendent bec et ongles leurs intérêts, le confirme : même pour obtenir des réformes partielles, il faut et faudra des mobilisations sociales d’envergure.
b) L’application d’un programme anticapitaliste exige un gouvernement anticapitaliste, appuyé sur la mobilisation et l’auto-organisation des classes populaires, qui engage un processus de rupture avec le système. Cet objectif doit être préparé par des expériences partielles de contrôle et de gestion populaire, par des confrontations avec l’État capitaliste. La lutte pour de tels gouvernements anticapitalistes est incompatible avec le soutien ou la participation à des coalitions parlementaire ou des gouvernements qui gèrent la crise capitaliste, comme le font aujourd’hui la social-démocratie ou le centre gauche.
François Sabado, membre du CPN et de la commission intrenationale du NPA. Février 2009.