Tiré du site Inprecor
novembre 2009
La réalité du changement climatique en cours est un fait objectif qu’aujourd’hui toute la communauté scientifique reconnaît. Il n’y a plus vraiment de doutes ni sur son ampleur, ni sur les menaces qu’il représente pour l’humanité, ni même sur les causes de son déclenchement liées à une accumulation sans précédent de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
Les classes dominantes ont bien dû accepter, même si cela a été d’abord à reculons, les conclusions des experts du GIEC qu’elles avaient elle-même mises en place. Mais loin d’en tenir compte, elles sont au contraire en train de s’en servir pour justifier de nouvelles attaques, de nouvelles remises en cause des droits sociaux, une nouvelle fuite en avant libérale vers la marchandisation de la nature, de la pollution, du carbone. Les faits établis par le GIEC sont ainsi détournés pour servir d’arguments scientifiques d’autorité justifiant de prétendues mesures écologiques qui sont avant tout des attaques sociales et politiques contre les classes populaires, des tentatives pour sauver un système capitaliste mondialisé en crise.
De leur côté les mouvements écologistes, forts de la légitimité qu’ils trouvent dans les analyses de ces mêmes experts, finissent par être eux-mêmes prisonniers du débat d’experts… et par glisser des arguments scientifiques à la discussion sur les bienfaits de mesures antisociales comme la taxe carbone…
Que la réalité de la crise climatique soit confortée par l’analyse scientifique incontestable du GIEC nous permet, à juste titre, de retourner contre les classes dominantes les « arguments scientifiques » de leurs propres experts. Mais cela ne veut pas dire que ces arguments scientifiques doivent devenir des arguments d’autorité suppléant à la nécessaire discussion politique sur nos solutions face à la crise globale — économique, sociale, écologique — du capitalisme. Il y a un piège à en rester à une discussion sur des solutions « techniques », discutées indépendamment de la réalité sociale, du rapport de forces entre les classes, mais aussi indépendamment de l’organisation sociale dans laquelle elles pourraient être mise en œuvre. Car il ne s’agit pas d’une simple discussion sur des choix techniques, que les seuls arguments scientifiques devraient trancher. La question de la crise climatique, de par ses causes, de par l’ampleur des réponses qu’il faudrait y apporter est avant tout un problème social et politique.
Cela oblige à garder un regard critique sur les argumentations du GIEC qui sont à plusieurs niveaux et surtout parfois très orientées politiquement ne serait-ce qu’en ne sortant pas du cadre fixé par la logique marchande de l’ordre économique actuel.
Plus généralement, cela nous oblige à garder un regard critique sur les solutions techniques débattues dans le mouvement écologique, qui même quand elles reposent sur des argumentations scientifiques, même quand elles parlent de « révolutionner nos modes de vie » laissent le plus souvent totalement de côté la question des rapports sociaux, la question de la lutte politique au sens de quelle classe dirige la société.
C’est pour cela qu’il est indispensable que le mouvement révolutionnaire s’empare de la question, et à travers le débat démocratique, la confrontation avec les autres courants, apporte ses propres solutions, son propre éclairage. Car nous sommes les seuls à pouvoir avec cohérence lier la crise climatique aux contradictions internes du capitalisme et donc lier les solutions à cette crise avec une remise en cause générale du capitalisme, avec la contestation du pouvoir de la finance et des multinationales, avec la lutte des classes et la perspective d’un socialisme du XXIe siècle.
Le long rapport sur le changement climatique de Daniel Tanuro souligne l’urgence de la situation en prenant appui sur les arguments des scientifiques. Mais l’exercice comporte le risque de rester trop prisonnier du débat sur les solutions techniques « écologiques ». Les discussions préparatoires au congrès de la IVe Internationale sont plutôt l’occasion pour nous d’articuler étroitement nos réponses face à la crise écologique et la contestation du pouvoir des classes dominantes, en soulignant le caractère social du combat écologique s’il repose sur une critique de classe plus générale du capitalisme et de ses contradictions internes. Il s’agit à la fois d’intégrer les réponses à la crise écologique dans la perspective globale du socialisme tout en indiquant la rupture avec les raisonnements qui, en faisant de cette question une question à part, en limitent la portée. Sa spécificité intervient comme une des spécificités de la crise globale de la société entraînée par le développement capitaliste. C’est bien ce raisonnement et la politique qui en découle que le congrès doit servir à formuler, à nous approprier, sans ambiguïté, en toute clarté dans la continuité du combat pour le socialisme.
L’inflation d’argumentations scientifiques conduit le plus souvent à faire de la question écologique une question qui mériterait un traitement particulier, avec des solutions propres, parce qu’urgentes. Mais devons-nous réellement chercher des solutions spécifiques à la crise écologique qui ne seraient pas étroitement liées à notre critique globale du capitalisme, à notre perspective socialiste. Et ces solutions existent-elles ? L’urgence de la crise climatique, confirmée par les experts du GIEC, nous impose-t-elle vraiment ce qui apparaît à certains camarades comme une nouvelle orientation politique, un nouveau concept programmatique : l’« écosocialisme » ?
N’y a-t-il pas derrière ce débat sur une nécessaire révision du marxisme, une certaine tendance à plier aux effets de mode en confondant l’analyse marxiste et les illusions que certains ont pu avoir dans le caractère « socialiste » du « socialisme réel ». N’introduit-on pas une confusion en confondant le productivisme de ces régimes nationalistes et le caractère embryonnaire, inachevé de l’intégration des données de l’écologie balbutiante à l’analyse marxiste du capitalisme naissant du XIXe siècle.
Il est tout autant anachronique de faire de Marx un écologiste avant l’heure que de lui reprocher de ne pas l’avoir été. Plus que de rajouter un préfixe « Eco-. » à notre projet socialiste, il s’agit d’intégrer les progrès de la connaissance scientifique sur l’impact environnemental des sociétés humaines à notre critique marxiste du capitalisme. Ainsi enrichi des données scientifiques nouvelles de l’écologie, le marxisme reste un outil indispensable non seulement pour la compréhension des causes profondes de la crise écologique mais aussi une arme théorique pour formuler des réponses concrètes, en se dégageant du moralisme « écologiste » ambiant comme des mensonges d’un capitalisme vert.
C’est pour cela qu’avant d’accepter les yeux fermés, ce concept d’écosocialisme qui reste en vérité assez flou, peut-être serait-il nécessaire d’avoir une réelle discussion de fond, sur sa signification, sur ses objectifs, sur son programme, sur ce que signifie justement actualiser le marxisme face à l’ampleur prise par la crise écologique.
Mais ce débat suppose et nécessite que la référence à l’écologie ne soit justement pas un argument d’autorité au nom duquel celles et ceux qui contestent l’ambiguïté de l’écosocialisme ne se trouvent pas mis en position d’accusés ! Ce serait sinon le conformisme de mode qui se masquerait derrière les arguments scientifiques.
La question écologique est trop sérieuse, elle est amenée à occuper une place trop centrale dans notre critique fondamentale du capitalisme pour qu’on se contente de céder à la mode du préfixe « éco-… » et, surtout, pour qu’on renonce à notre esprit critique face à ce nouveau paradigme dominant.
I. Les rapports des experts du GIEC : des données scientifiques fiables mais aussi beaucoup de propagande libérale
Le rapport présenté au congrès part à juste titre des données scientifiques du dernier rapport du GIEC qui montrent d’une façon incontestable la réalité de la crise climatique. Il n’est peut-être pas inutile pour aider l’ensemble des camarades à y voir clair dans tout ce qui se dit autour de la crise climatique de partir de là, de données scientifiques incontestables. Mais à condition de conserver une lecture extrêmement critique de ces rapports qui en plus des données scientifiques fiables développent aussi tout un discours sous couvert d’experts des sciences économiques et sociales qui n’est sur le fond que de la vulgaire propagande libérale, sur les vertus du marché pour réguler la pollution.
Le rapport du GIEC se divise en effet en trois parties élaborées par trois groupes d’experts différents… Seul le rapport du premier groupe contient une analyse objective des données accumulées par la science du climat… c’est celui qui nous est le plus utile, celui qui fait que la crise climatique n’est plus contestées dans le milieu large des scientifiques.
Mais le deuxième rapport est déjà plus discutable quand il décrit les conséquences sociales possibles de ces changements climatiques mais en occultant tout le reste… et sur la base de différents scénarios possibles de l’évolution de la société qui se prétendent scientifiques mais sont avant tout des constructions idéologiques et politiques. Ainsi sur les 6 scénarios proposés aucun n’envisage une sortie de l’économie de marché qui semble définitivement être pour ces experts visionnaires un horizon indépassable.
Quant au troisième, il pose carrément un problème politique puisqu’il n’envisage de solutions que dans le cadre des lois du marché, et donc met en avant le marché des droits à polluer, le marché du carbone…
La crédibilité certaine du premier groupe sert à couvrir d’un semblant d’objectivité scientifique les deux autres, mais c’est l’ensemble des trois rapports qui est aujourd’hui utilisé par les gouvernements pour justifier de nouvelles mesures libérales au nom de l’écologie, au nom de la nécessité scientifique, mesures vis-à-vis desquels nombre de courants écologiques n’ont pas le moindre recul se contentant de vouloir jouer les « monsieur plus » en discutant en terme de pourcentage d’émission de gaz à effets de serre, de variation de degré de température !
Or il nous faut prendre plus de distance par rapport aux experts scientifiques, pour justement éviter le piège — que le rapport de Daniel Tanuro dénonce par ailleurs — qui consister à faire disparaître le débat politique au nom d’une urgence reposant sur des données scientifiques.
Car il y a là le risque d’inverser nos raisonnements… de nous excuser de nous-mêmes, de notre programme socialiste, en nous rendant prisonnier d’arguments techniques.
Comme le texte le dit lui-même, la question scientifique ne fait plus débat aujourd’hui, c’est le débat politique qui doit s’ouvrir.
II. « L’écologie » peut servir à justifier une nouvelle offensive libérale… ou montrer la nécessité d’une planification démocratique
Il y a une contradiction dans le rapport qui d’un côté souligne très justement que la question écologique sert de prétexte pour faire accepter l’austérité et le fait d’un autre côté de vouloir construire un mouvement de lutte contre le changement en lui donnant comme but : « …contraindre les gouvernements à agir au minium conformément aux conclusions les plus prudentes découlant des rapports du GIEC, dans le respect du principe de “responsabilité commune mais différenciée”, des droits sociaux et démocratiques ainsi que du droit de toutes et tous à une existence humaine digne de ce nom »
Ce que le texte justifie en disant : « Notre préoccupation est de tirer avantage de la légitimité du GIEC pour réaliser l’unité d’action la plus large tout en mettant en accusation la duplicité des gouvernements — qui adoptent les “résumés pour les décideurs” dans les conférences internationales sur le climat, mais n’en tiennent pas compte en pratique. »
Cela pose un problème politique qui mérite débat. Car les recommandations du GIEC au-delà des chiffres de diminution des pourcentages d’émissions et des solutions techniques que cela impose, ne comptent au fond que sur les lois du marché pour les mettre en œuvre ! La « légitimité du GIEC » ne sert-elle justement pas à couvrir du sceau de l’expertise scientifique un ensemble de mesures qui correspondent avant tout à une accentuation de la politique libérale avec remise en cause de services publics, des protections sociales, libéralisation encore plus grande des marchés, taxe carbone ?
Pouvoir s’appuyer sur les rapports du GIEC est important mais en partant de leurs données scientifiques qui soulignent suffisamment l’origine du problème pour dénoncer l’absurdité de ces recommandations qui ne s’articulent par avec une nécessaire remise en cause du marché, de la propriété privée des grands moyens de production, de la course aux profits responsable du productivisme, du gaspillage et de la pénurie inhérents au mode de production capitaliste !
L’apport du courant révolutionnaire dans ce débat est de combattre et dénoncer toute forme de solutions reposant sur le marché comme un jeu de dupe, en mettant en avant le fait que les diverses solutions techniques que les scientifiques peuvent imaginer n’ont de sens que sur la base d’une planification démocratique de l’économie, et donc d’une remise en cause du pouvoir de la finance.
Que signifie, sans autre précision que cela, une baisse en pourcentage des émissions de gaz, ou une limitation de l’augmentation de la température de quelque degré. Sans préciser comment on pourrait l’obtenir cela n’a pas grande signification en réalité, et peut difficilement servir de base politique à une mobilisation unitaire…
Car plus qu’un pourcentage de réduction, le véritable enjeu de la mobilisation c’est la prise de conscience de la nécessité d’une planification démocratique mondiale pour une maîtrise de l’appareil de production, donc la remise en cause du « tout marché ». Se laisser enfermer dans le débat sur ces chiffres ou sur les meilleures solutions scientifiques indépendamment de la question sociale et politique est une impasse dans laquelle s’est mise toute une partie du mouvement écologique. Cela les a conduit à chercher des solutions dans le cadre de ce système, et pour faire valoir leurs solutions à faire du lobbying plus ou moins radical auprès des gouvernements en discutant du niveau de la taxe carbone, des prix sur le marché des droits à polluer… comme si les lois du marché pouvaient par simple automatisme résoudre la question.
Plus que de rentrer dans le débat faussement technique et scientifique dans lequel voudrait nous enfermer les tenants d’un capitalisme vert, la responsabilité du mouvement révolutionnaire est de mettre en avant des solutions politiques, de lier combat écologique et combat social parce qu’il s’agit d’un seul et même combat contre les grandes multinationales, les grands groupes financiers. La crise climatique qui se confond avec la crise sociale, la crise alimentaire, est un des multiples aspects d’une crise structurelle du capitalisme et non comme le disent la plupart des courants écologiques une conséquence de l’activité humaine en général.
A la crise globale du capitalisme nous défendons une réponse globale. Cette réponse globale c’est le socialisme car toute réponse à la crise climatique, à la crise écologique nécessite une planification démocratique pour mettre en œuvre une politique volontariste de réorganisation de l’appareil productif. Le capitalisme, l’économie de marché ne peuvent pas être le cadre de la mise en place de telles solutions.
La prise de conscience de la crise écologique nous permet de montrer toute l’actualité d’un programme anticapitaliste…
III. Erreur écologique majeure de Marx ou folie productiviste du « socialisme réel »
Parler comme dans le rapport de Daniel Tanuro de « l’erreur écologique majeure » de Marx est tout simplement un anachronisme… A moins de penser que tout, y compris les solutions à des problèmes qui ne se posaient pas encore, aurait dû être déjà écrit à l’avance par « un grand Timonier ». Mais ce n’est pas cela le marxisme… à moins de confondre le stalinisme et le maoïsme, idéologie nationaliste, productiviste avec la critique marxiste du capitalisme. Critiquer Marx est sans doute utile à condition de ne pas le confondre avec ses épigones… c’est-à-dire ceux qui ont fait de l’étatisation un critère du socialisme, ceux qui ont pu avoir et nourrir des illusions dans des régimes qui n’avaient rien de socialistes.
Daniel Tanuro cite Marx parlant du « caractère de classe du machinisme capitaliste » pour glisser vers le caractère de classe des énergies fossiles que Marx aurait ignorées.
Pas plus qu’il n’y a une science bourgeoise ou une science prolétarienne, une technique ou une source d’énergie n’ont pas de caractère de classe en soi. La question est bien plutôt de savoir dans le cadre de quels rapports sociaux cette technique ou cette source d’énergie est utilisée, sous le contrôle de quelle classe, dans le cadre de quel type d’économie, de production… Que certains progrès techniques comme la machine à vapeur, l’usage des énergies fossiles aient servi de base au développement capitaliste ne donne pas à ces techniques un caractère de classe en soi. Les techniques en elles-mêmes ne sont pas mal intentionnées, elles ont permis, permettent ou imposent certains rapports sociaux. Mais ce sont les classes possédantes qui en s’en garantissant le monopole et le contrôle pour imposer leur domination, donnent à leur utilisation un caractère de classe en les intégrant à l’ensemble de l’organisation « de classe » de la production.
Derrière la discussion sur le caractère de classe des énergies fossiles il y a sur le fond une porte ouverte vers une critique du progrès en soi qui est une concession au milieu anti-productiviste.
Si une nouvelle révolution énergétique est à faire pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, il n’y a pas lieu d’en fixer par avance les limites, ni d’en décider par avance les choix. Que le pétrole ait servi de pilier au développement anarchique et irrationnel du capitalisme, pose le problème, non pas du pétrole en tant que source d’énergie mais d’une organisation sociale ne connaissant que la soif du profit comme aiguillon et qui est incapable de répondre aux besoins sociaux tout en respectant les rythmes des cycles naturels.
De même il ne faut pas confondre le contexte militaro-industriel dans lequel le nucléaire a été développé notamment en France, soutenu par des syndicats pris dans une logique productiviste de défense de l’emploi, avec la capacité de la science à maîtriser la technique même du nucléaire y compris la gestion de ses déchets. L’opacité actuelle tant en ce qui concerne les risques d’accident que sur le devenir des déchets justifie pleinement une sortie rapide du nucléaire, mais pas de trancher définitivement cette question. Comment pourrions-nous refuser à la science la possibilité de maîtriser la matière jusqu’à la maîtrise de l’énergie nucléaire ?
C’est l’organisation sociale qu’il s’agit de changer pour que l’ensemble de la société puisse décider, en toute connaissance de cause, démocratiquement, quels types d’énergie elle devra utiliser pour satisfaire ses besoins, tout en réduisant son impact sur l’environnement.
Sans doute les énergies renouvelables offrent d’immenses possibilités mais c’est inverser le problème que de discuter d’abord de la source d’énergie sur laquelle devra reposer l’appareil productif puis de l’organisation sociale qui permettra leur utilisation.
Au-delà du bon mot, l’expression « communisme solaire » reflète justement cette façon de poser le problème à l’envers qui conduit Daniel Tanuro à écrire qu’il s’agit d’« intégrer le projet socialiste à l’écologie globale du super-écosystème terrestre ».
Si cela signifie que la société « socialiste » doit s’intégrer à l’écosystème Terre, à Gaïa comme certains se plaisent à dire, c’est de fait déjà le cas. Car socialisme ou pas, la société humaine fait déjà partie intégrante de cet écosystème… et c’est bien d’ailleurs le problème, c’est bien la raison pour laquelle, les activités humaines ont des conséquences sur l’ensemble du système. Le projet socialiste n’a pas à s’y intégrer, le capitalisme y est lui-même déjà intégré et en bouleverse les équilibres de l’intérieur !
Mais si cela signifie que le projet socialiste doit s’intégrer aux raisonnements des écologistes parce qu’ils s’appuieraient sur des données scientifiques alors cela pose un problème. Et c’est toute l’ambiguïté de ce nouveau mot que certains camarades réinvitent régulièrement dans leurs textes sans jamais clairement en préciser le sens : l’écosocialisme.
Car c’est bien au contraire ce qui relève des connaissances écologiques de l’impact des activités humaines sur l’environnement qu’il s’agit d’intégrer à notre critique du capitalisme comme à notre programme socialiste, pour les actualiser.
IV. L’écosocialisme : un compromis inutile
Le caractère global de la crise écologique souligne, s’il en était besoin à l’heure de la crise généralisée du capitalisme, l’urgence d’une solution globale, cette solution globale ne peut reposer que sur une politique anticapitaliste contre les lois du marché et donc la course au profit et la propriété privée des moyens de production et qui repose sur une planification démocratique et mondiale pour la satisfaction des besoins.
C’est cela notre réponse à la crise écologique, et c’est d’ailleurs pour cela que pour nous elle est intrinsèquement liée aux autres aspects de la crise structurelle du capitalisme.
Alors pourquoi parler d’écosocialisme, Daniel Tanuro l’a expliqué lui-même très clairement dans un récent numéro d’Inprecor :
« Ces réponses sont largement amalgamées au gâchis de l’économie de commandement inefficace, gaspilleuse, productiviste et ultracentralisée, ainsi qu’aux privilèges matériels pour la bureaucratie et au monopole de celle-ci sur les décisions politiques.
« Les marxistes révolutionnaires peuvent certes expliquer que cet amalgame est abusif mais leurs explications ne seront convaincantes que s’ils donnent des gages de leur rupture avec le productivisme, en dressant le drapeau d’un « écosocialisme » où les ressources — notamment énergétique — sont autogérées par un maillage souple des communautés locales, couplé à une planification au niveau local, national, régional, et mondial » (1).
C’est cela qu’il y a derrière l’insistance de camarades à vouloir imposer un mot nouveau, derrière lequel il y a une orientation programmatique, et surtout beaucoup de concessions au courant de l’écologie politique.
Pourquoi se sentir obligé de donner des gages de notre « antiproductivisme » ? Ce serait plutôt aux tenants de l’écologie politique de donner des gages de leur refus de l’économie de marché, de leur conscience de la nécessité d’une planification démocratique de l’économie, de leur « antimoralisme » !
Au moment où se développe une prise de conscience tant de la profondeur de la crise écologique que plus généralement des ravages du marché, pourquoi faudrait-il s’excuser d’être porteur d’un projet émancipateur reposant sur une planification démocratique.
Au contraire au lieu de se justifier il nous faut être plus offensifs contre toutes les formes de solutions qui s’en remettent au marché, dénoncer l’utilisation de la crise écologique, des arguments scientifiques, de la morale sur les comportements individuels pour faire passer toute une série de réformes libérales, tant au niveau des classes dominantes et des gouvernements à leur service que des associations écologiques qui restent dans ce cadre de raisonnement.
V. Le socialisme, intégrant les apports des données scientifiques de l’écologie, comme réponse globale à la crise globale du capitalisme
La crise climatique, écologique remet la perspective du socialisme à l’ordre du jour, parce qu’il n’y aura pas de réelle prise en compte des données de la science à l’échelle de l’économie mondiale sans une planification démocratique. Donc pas de solution sans sortir du capitalisme qui n’est pas seulement un mode de production productiviste mais surtout un mode de production incapable de planifier, de s’organiser sur le long terme en tenant compte d’autres critères que le profit le plus immédiat, la rentabilité du travail, les gains de productivité.
C’est pour cela que les solutions à la crise climatique, même dans leurs aspects les plus techniques, scientifiques, sont indissociables de la question de l’organisation sociale et de la démocratie. Le véritable combat pour sortir de la crise écologique c’est le combat pour créer les conditions sociales, politiques permettant une réelle prise en compte des données de la science. Cela implique d’en finir avec les lois aveugles du marché pour introduire la conscience, la raison comme critères de l’organisation de l’économie mondiale.
Dans ce cadre, les indispensables progrès des connaissances scientifiques, techniques ne s’imposeront pas d’eux-mêmes, avec une vision positiviste de la Science éclairant le monde, mais feront partie du large débat démocratique permettant les choix et prises de décisions collectives.
Ce n’est que dans ce cadre, que de nouveaux critères économiques non marchands pourront être mis en avant, des critères écologiques, c’est-à-dire ne reposant pas sur la course au gain de productivité mais au contraire sur la rationalité de la production tant du point de vue sociale qu’écologique.
L’idée n’est pas nouvelle.
Le problème de fond est contenu dans l’analyse même du capitalisme faite par Marx et Engels à une époque où l’impact de son développement sur l’ensemble de l’environnement terrestre n’avait bien sûr pas encore atteint la gravité actuelle. Dans la Dialectique de la Nature, F. Engels posait de façon générale le problème des rapports entre la société humaine et son environnement :
« (…) les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein et que toute notre domination sur elle réside dans l’avantage que nous avons sur l’ensemble des autres créatures de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement. Et, en fait, nous apprenons chaque jour à comprendre plus correctement ces lois et à connaître les conséquences plus ou moins lointaines de nos interventions dans le cours normal des choses de la nature. (…), nous apprenons peu à peu, au prix d’une longue et souvent dure expérience et grâce à la confrontation et à l’étude des matériaux historiques, à élucider les conséquences sociales indirectes et lointaines de notre activité productive et, de ce fait, la possibilité nous est donnée de dominer et de régler ces conséquences aussi.
Mais, pour mener à bien cette réglementation, il faut plus que la seule connaissance. Il faut un bouleversement complet de tout notre mode de production passé et, avec lui, de tout notre régime social actuel. » (2)
Intégrer la question écologique implique de retrouver dans la critique marxiste du capitalisme ce qu’elle a de plus fondamental, de plus philosophique : la critique de l’aliénation et de la perversion des rapports entre l’Homme et la Nature.
C’est cela qui permettra de redonner aux idées socialistes tout leur contenu de contestation globale du système. Le programme socialiste ainsi actualisé donne la perspective d’une réponse globale à la crise globale du capitalisme, y compris la crise écologique, qui passe par une transformation révolutionnaire de la société.
Bruno Bajou est membre de la Commission nationale écologie du Nouveau parti anticapitaliste (NPA, France) et militant de la IVe Internationale.
Notes
1. Le capitalisme contre le climat, Inprecor n° 525 de février-mars 2007
2. Friedrich Engels, Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme, dans Dialectique de la nature, 1883 :
www.marxists.org/francais/engels/works/1883/00/engels_dialectique_nature.pdf