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Les résistances à la mondialisation capitaliste, une chance pour un nouvel internationalisme

dimanche 30 mars 2008

Introduction au document
[La résolution « Les résistances à la mondialisation capitaliste, une chance pour un nouvel internationalisme » a été adoptée par le Comité exécutif international de la IVème Internationale en novembre 2000. L’introduction qui suit a été présentée et discutée au XVème Congrès mondial, puis amendée en fonction de ces débats. Elle alimentera, ainsi que la résolution de novembre 2000, la poursuite d’une réflexion collective sur le processus de mondialisation capitaliste et sur le développement du mouvement altermondialiste.]

La résolution « Les résistances à la mondialisation capitaliste, une chance pour un nouvel internationalisme » a été écrite peu après la manifestation de Seattle, à un moment où il était clair qu’un tournant dans la situation mondiale était en train de s’opérer, mais trop tôt pour que l’ampleur de ce tournant puisse être évaluée.

Nous avons maintenant plus de recul, et il est possible d’affiner un peu l’analyse et de pointer quelques-uns des problèmes que ce renouveau des mouvements fait surgir.

Ces trois dernières années, la situation mondiale a été marquée par l’accélération de la logique belliciste et par la crise économique qui a démarré en 2001. Dans le cadre de cette introduction, nous voulons pour l’essentiel nous limiter à l’analyse de ces évolutions à partir de l’expérience des mouvements de lutte contre la mondialisation libérale. Commençons cependant par quelques remarques concernant le processus de mondialisation capitaliste lui-même.

Les contradictions de la mondialisation capitaliste
La résolution de novembre 2000 notait que le processus de mondialisation capitaliste touchait à l’ensemble des terrains (économique, social, politique, culturel, militaire...) et exigeait l’émergence d’un nouveau mode de domination. Elle notait aussi que ce processus restait inachevé et s’avérait probablement inachevable, tant il était lourd de contradictions.

Depuis, le versant militaire de la mondialisation capitaliste est apparu dans toute son ampleur, dans une mesure bien plus grande qu’au moment où la résolution de novembre 2000 était rédigée. Le combat contre les logiques de guerre a ainsi acquis une dimension centrale, proprement internationale, à une échelle qu’il n’avait pas encore il y a trois ans seulement.

De même, la préparation de la guerre en Irak a fait apparaître l’acuité des contradictions inter-impérialistes qui s’expriment dans le cadre du processus de mondialisation ; et ce à un degré encore supérieur à ce qui s’était passé au moment de Seattle.

La brutalité de l’offensive sociale (politiques libérales...) et militaire (thèse de la « guerre préventive »...) engagée sur le plan international par la bourgeoisie dans le cadre de la mondialisation ne saurait être sous-estimée. Mais il se confirme que par son universalité et sa violence même, elle suscite des résistances croissantes, pousse à leur unification ; tout en provoquant d’importantes contradictions au sein des classes dominantes.

La question de l’ampleur du tournant en cours
Plusieurs éléments permettent de penser que nous sommes entrés dans une phase mondiale de radicalisation comparable dans son ampleur, même si le contexte est totalement différent, à la phase de radicalisation des années 1960/1970.

Le caractère international de cette radicalisation en est la première caractéristique. De même que la première mondialisation du capitalisme, de 1850 à 1880, avait facilité l’internationalisation du mouvement ouvrier émergent, la mondialisation actuelle est à l’origine de mouvements de contestations radicales qui se développent en particulier dans les pays les plus affectés par la mondialisation capitaliste et qui se construisent d’emblée sur le plan international. Au-delà de leurs différences nationales et continentales, les mouvements sont entrés dans une dynamique de renforcements mutuels, l’appartenance à un « mouvement mondial » qui se développe de Seattle à Buenos Aires et de Florence à Porto Alegre étant vécu comme un atout important dans la constitution d’un rapport de forces, y compris sur le plan national.

Deuxième caractéristique de ces mouvements, leur capacité à intégrer de nouvelles questions politiques. Concentrés, dans une première étape, sur la dénonciation globale de la mondialisation, et en particulier des institutions qui la mettaient en oeuvre FMI, Banque mondiale et OMC les mouvements se sont très vite et aisément élargis aux questions sociales et environnementales qui étaient à la base du rejet de la mondialisation libérale. Moins évidente était la réaction aux guerres qui se sont multipliées après les attentats du 11 septembre 2001. Mais là aussi, très vite, les mouvements ont su intégrer la lutte contre la guerre et le militarisme et faire la jonction avec les mouvements pour la paix, héritiers des mouvements des années 1980 et actifs, dans certains pays, en solidarité avec les Balkans ou la Palestine.

Le dernier élément, et peut-être le plus important, est l’élargissement de ces mouvements tant sur le plan numérique des centaines de milliers et des millions de personnes participent aux forums sociaux et aux manifestations organisées à ces occasions, que sur le plan social et militant. A l’époque de Seattle, une part importante des manifestations était composée de jeunes venant souvent de bonnes universités, ce qui était aussi un indice de la profondeur d’un mouvement qui n’était pas seulement l’expression de la résistance de secteurs victimes de la mondialisation et du néolibéralisme mais également le signe d’une profonde crise interne au système qui amène, comme dans les années 1960/1970, une partie significative de la jeunesse étudiante à le remettre en cause de manière radicale. Mais, très vite, le mouvement s’est élargi et aujourd’hui, les mouvements paysans, les mouvements de femmes, l’ensemble du mouvement syndical et la majorité des ONG sont peu ou prou impliqués dans un processus dont les forums sociaux sont les moments de rassemblement les plus larges. Ainsi, alors que dans les années 1950/1970 la majorité du syndicalisme, puissant sur le plan numérique mais marqué par ses victoires graduelles dans les années d’après guerre, s’opposait à la montée d’un mouvement de contestation qui remettait en cause la « société de consommation », aujourd’hui le mouvement ouvrier, affaibli dans les années 1980, s’intègre à des alliances rendues nécessaires par l’évolution même du capitalisme et participe à ce processus malgré les divergences qui subsistent entre ses différentes composantes.

Une nouvelle « expérience historique constitutive »
Résumons de façon synthétique. En quelques années seulement, les mouvements de résistance à la mondialisation libérale ont connu une extraordinaire croissance numérique (Gênes représentant ici un tournant qualitatif), une expansion géographique considérable (bien que toujours inégale), un élargissement social et thématique remarquable. Le tout malgré bon nombre d’obstacles et de difficultés : digérer sa propre croissance, faire face à la répression (Göteborg, Gênes...) comme aux tentatives de criminalisation (post-11 septembre) ou de cooptation. Le mouvement altermondialiste s’est rapidement tout à la fois élargi et radicalisé. Un processus cumulatif s’est enclenché (collectivisation des expériences, évolution des consciences, articulation des initiatives...), ce qui marque une véritable rupture avec la période précédente.

Il ne s’agit pas ici de préjuger de l’avenir du mouvement, de sa capacité à surmonter demain, encore, les nouvelles difficultés auxquelles il aura à faire face. Il s’agit de tirer un premier constat. Le mouvement altermondialiste a d’évidence des racines profondes. Il reflète l’existence d’une lame de fond, d’un processus de radicalisation international qui n’en est probablement qu’à ses débuts et qui s’exprime aujourd’hui dans le mouvement de résistances et d’alternatives à la mondialisation capitaliste.

Nous avons, en ce sens, affaire à ce que l’on peut appeler un « mouvement constituant », ou une « expérience historique constitutive » : le cadre d’une expérience politique commune qui façonne la conscience collective d’une nouvelle génération militante. Cela ne veut pas dire que le « neuf » (l’altermondialisation) remplace le « vieux » (le mouvement ouvrier traditionnel). Le lien entre les deux reste une donnée-clé. Mais cela veut dire que le déploiement du mouvement altermondialiste constitue le socle à partir duquel on peut percevoir et penser le neuf, élaborer et agir, construire notre intervention à un niveau qualitativement supérieur. Il devient possible de renouveler notre réflexion avec une base de référence contemporaine, différente de celle des années 1970, et d’analyser ce qu’il y a d’original dans la vague présente de radicalisation (y compris en ce qui concerne les consciences militantes, les rapports entre le politique et l’éthique, la diversité des situations de l’Europe à l’Asie en passant par l’Amérique latine, etc.).

Les mouvements dans le nouveau contexte international
L’élection de George Bush, puis les attentats du 11 septembre, ont modifié la donne en faisant monter d’un cran les mesures répressives, les dépenses d’armement et les interventions militaires. Aujourd’hui, plus encore qu’hier, le militarisme et la guerre sont une des composantes essentielles de la mondialisation libérale : le bellicisme américain actuel renvoie tout à la fois à la relance de l’économie par les commandes d’armement, au contrôle des gisements stratégiques de pétrole et à la volonté de réaffirmer le leadership états-unien dans les affaires du monde.

Cette montée de la militarisation et des risques de guerre s’inscrit dans le cadre plus général d’une lutte pour la domination impériale au niveau international.

L’administration républicaine défend les intérêts des entreprises américaines avec plus de cynisme peut-être qu’auparavant. Les mesures protectionnistes sur l’acier, le refus de ratifier les accords de Kyoto ou le refus de tout accord dans le cadre de l’OMC qui aurait donné aux pays du Sud la possibilité de produire ou d’acheter des médicaments génériques en sont les exemples les plus récents. Cette volonté de domination sans partage fragilise encore un peu plus les institutions internationales qui sont sommées de se soumettre aux desiderata américains, multiplie les sources de tension avec les autres pays dominants et favorise l’expression des désaccords au sein même des tenants du système, comme le montrent les prises de position de Joseph Stiglitz.

Dans ce contexte les risques de répression vont s’accroître, mais la situation peut aussi offrir des opportunités pour les mouvements militants : il sera probablement plus aisé de bloquer une décision ou une institution, le rapport de forces militant se combinant avec les contradictions et divergences entre États. Une telle situation facilite les rassemblements unitaires « contre » et restreint les espaces de négociations qui auraient pu diviser le mouvement. Ainsi l’ensemble du monde syndical et un nombre croissant d’ONG se joignent aujourd’hui aux rassemblements militants et aux Forums sociaux, qu’ils soient régionaux ou mondiaux.

Les Forums sociaux et les coordinations des mouvements sociaux.
Les Forums sociaux, qu’ils soient mondiaux ou continentaux, sont les principaux lieux de rassemblement des forces qui s’opposent à la mondialisation libérale. Leur succès s’expliquent par leur ouverture et par la primauté donnée aux mouvements sociaux à un moment où, dans bien des pays, les partis politiques traversent une crise de légitimité. Ce sont des espaces ouverts, sans aucun engagement de la part des participants si ce n’est l’accord avec la Charte de principes qui inclut notamment l’opposition à la mondialisation libérale.

Cette ouverture et cette absence d’engagements sont la condition de la réussite de rassemblements militants aussi larges mais elles en montrent également les limites, aucune décision d’action ne pouvant être prise par les Forums en tant de que tels. Pour cette raison de nombreux mouvements sociaux et militants se sont réunis, depuis le premier Forum social mondial de 2001, pour élaborer les « appels des mouvements sociaux » qui ont permis, en 2001 comme en 2002, de prendre position sur les grands événements survenus dans l’année écoulée et, surtout, de se doter d’un cadre commun pour les grands rendez-vous internationaux à venir : lutte contre la guerre, mobilisation contre les réunions du G-8, mobilisations pour l’annulation de la dette des pays du Tiers-Monde, contre les assemblées de l’OMC ou du FMI et de la Banque mondiale, etc. Lors de la troisième session du Forum social mondial, les mouvements sociaux se sont réunis pour discuter de la possibilité de formaliser un peu plus ce réseau pour permettre une meilleure efficacité dans l’action. Il est clair qu’est posée à la fois la nécessité de cadres ouverts, ce que permettent les Forums, et de cadres de travail tournés vers l’action et les campagnes internationales.

Si la combinaison entre forums sociaux et coordinations des mouvements a connu un tel succès, c’est aussi qu’elle répond à des formes actuelles de conscience militante et à une étape des luttes qui combinent des aspects très défensifs (le rassemblement des résistances dans un espace « à l’abri ») et très offensifs (l’affirmation des alternatives, l’aspiration à un autre monde). Cette combinaison permet de lier « l’événement » (le forum lui-même, un moment de grande visibilité et une occasion rare de se retrouver « entre nous ») au « processus » cumulatif de luttes et mobilisations.

Les mouvements et les perspectives politiques

Cette nouvelle phase de lutte que nous connaissons au niveau international permet de reposer les questions politiques. Mais cela dans un contexte tout à fait différent de celui des années 1960/1970 ou de celui des mouvements révolutionnaires qui ont accompagné les deux conflits mondiaux.

Les mouvements se radicalisent en même temps qu’ils s’élargissent. Dans une première phase, beaucoup estimaient qu’ils ne s’attaquaient qu’au néolibéralisme. Aujourd’hui, leur élargissement et leur ancrage sur les questions sociales au moment même où le capitalisme entre dans une nouvelle crise et dévoile, par des scandales comme celui d’Enron, la réalité de son fonctionnement et de ses logiques, donnent aux mouvements une tonalité clairement anticapitaliste. La critique des multinationales se renforce et la question de la propriété est posée par la défense, face aux marchés, des « biens communs » de l’humanité l’eau, les services publics, etc. ou par le débat sur la propriété intellectuelle qui voit deux logiques antagonistes s’affronter. Cette radicalisation produit déjà des effets sur le plan électoral et politique : dans de nombreux pays, des partis liés aux mouvements sociaux et des forces révolutionnaires ont connu ces dernières années des succès importants.

Sur un certain nombre de questions stratégiques (sujets révolutionnaires, convergences des terrains de lutte qui peuvent porter une transformation révolutionnaire de la société...), le déploiement des mouvements altermondialistes permet déjà de renouveler la réflexion sur la base d’une expérience historique nouvelle. Mais cette radicalisation ne va pas de pair avec le retour d’autres questions stratégiques. Autant on assiste à la renaissance d’une « conscience anticapitaliste » autant la question du pouvoir et des voies pour sa conquête est hors du champ des débats qui traversent ces mouvements. Les raisons de cette situation sont connues : le poids des échecs révolutionnaires du siècle passé, les difficultés de penser, dans un monde ouvert, une rupture avec le capitalisme qui ne soit pas un repli sur le cadre national et, enfin, l’efficacité du fonctionnement même des mouvements, basé sur les réseaux, qui préfèrent aux grandes délimitations stratégiques l’agrégation des thématiques portées par les membres du réseau.

Cette faiblesse ne se résoudra pas dans un délai rapide. Elle risque cependant de poser problème à un moment où, en Amérique Latine, la gauche gagne les élections dans plusieurs pays. Cette gauche le Parti des travailleurs (PT) au Brésil ou Pachakutic en Équateur est beaucoup plus liée aux mouvements sociaux que ne le sont les social-démocraties européennes. Elle devra cependant choisir entre la logique des marchés et de la mondialisation libérale et celle de la satisfaction des besoins sociaux. S’il nous faut, patiemment et en ayant conscience de la difficulté des questions posées, rediscuter des problèmes stratégiques et des raisons qui les ont occultés, nous sommes plus que jamais convaincus que la seule voie possible, dans ces pays comme ailleurs, est celle qui répond aux exigences des paysans, des salariés et des démunis.

Dans cette situation nouvelle, les partis politiques qui se situent au côté des mouvements ont des opportunités importantes. Ils devront engager les débats nécessaires à la clarification des perspectives d’ensemble, mais aussi agir, dans le respect de l’autonomie des mouvements, pour contribuer à consolider la radicalisation en cours et à peser sur les choix politiques qui permettront la satisfaction des revendications.

Pour les partis qui se réclament du combat contre le capitalisme, la participation active au « mouvement des mouvements » est une nécessite tout autant qu’une occasion unique de travailler à la redéfinition d’un projet socialiste et à la recomposition des forces sociales et politiques susceptibles de porter un projet révolutionnaire.

Les résistances à la mondialisation capitaliste
Une chance pour un nouvel internationalisme
Introduction
Nous assistons, ces dernières années et dans de nombreux pays, à un élargissement des résistances à la mondialisation capitaliste. D’importantes convergences entre ces résistances, par ailleurs de nature très diverse, se sont affirmées à l’occasion d’une succession de campagnes et d’initiatives internationales. Les mobilisations qui se sont déroulées fin 1999 à l’occasion du sommet de Seattle, censé ouvrir le « Cycle du millénaire » de l’OMC, en sont l’un des exemples les plus récents et spectaculaires ; et elles ont trouvé leurs prolongements en 2000.

Ces luttes gardent généralement un caractère défensif de résistances aux effets destructeurs de la mondialisation et elles continuent à devoir se déployer en l’absence d’une alternative politique globale crédible, opposée au système dominant. Mais elles présentent des aspects contre-offensifs dynamiques, avec le rejet de l’ordre idéologique et social néolibéral et avec l’affirmation de solidarités nouvelles. Certes, la classe ouvrière et les mouvements populaires ont subi une sévère succession de reculs, de défaites, dont les effets se font toujours sentir, et la bourgeoisie poursuit ses attaques. Le changement n’en est pas moins manifeste par rapport à la période précédente.

Le texte qui suit n’a pas pour ambition de dresser un panorama complet des résistances démocratiques et populaires, des campagnes à portée internationaliste et des mouvements de solidarité contemporains. Il vise essentiellement à analyser la façon dont le processus de mondialisation capitaliste conditionne et affecte les possibilités d’émergence d’un nouvel internationalisme militant, les obstacles qu’il constitue et les opportunités qu’il nous offre dans cette perspective. Il cherche à éclairer ce qu’il peut y avoir de neuf dans la situation actuelle, ou dans la façon dont des questions anciennes se présentent aujourd’hui, et ce faisant à mieux nous armer pour contribuer activement au renouveau internationaliste. Un certain nombre d’implications politiques (concernant nos tâches ou des éléments de programme) sont ainsi tirées au fil de l’analyse et introduites dans les diverses sections du texte. La partie finale de cette résolution ne revient que de façon très globale sur ces questions politiques ou programmatiques, sans chercher à récapituler systématiquement tout ce qui a été précédemment écrit.

I/ La bataille de la solidarité, un enjeu déterminant
1. Périodes. En dehors de cercles militants restreints, la notion même d’internationalisme a été profondément dévalorisée au cours des années 1980, et ce pour tout un ensemble de raisons : la manipulation du combat internationaliste par des intérêts bureaucratiques de puissances étatiques (Moscou, Pékin...) ; l’incapacité du mouvement ouvrier dans les pays impérialistes à répondre effectivement aux exigences de solidarités avec les luttes de libération dans le Tiers-Monde qui, isolées, se sont enlisées et ont été les premières victimes de rapports de forces très dégradés ; les reculs et les défaites successives subis par la classe ouvrière au Nord aussi ; la crise de la référence socialiste et le déclin prononcé de l’organisation syndicale...

Cette dévalorisation de la notion d’internationalisme a atteint son comble après la désintégration du bloc soviétique, quand l’offensive idéologique du néolibéralisme a pris toute sa force.

Depuis quelques années un renouveau internationaliste est clairement perceptible qui, s’il s’approfondit, peut permettre au mouvement de solidarité de retrouver un dynamisme politique et alternatif radical. Ce renouveau reste encore tributaire des reculs et défaites antérieurs. Il est aussi profondément conditionné par la nature du processus en cours de mondialisation capitaliste et par les effets sociaux des politiques néolibérales.

Ces deux données l’héritage de la période précédente et les caractéristiques de la période présente doivent, entre autres, être pleinement prises en compte pour comprendre les difficultés auxquelles se heurte toujours la mise en oeuvre d’un projet internationaliste. Mais l’analyse de la mondialisation capitaliste et des résistances qu’elle suscite permet aussi de percevoir les chances considérables qui lui sont aujourd’hui offertes.

2. Héritage. Amorcée à la fin des années 1970, la crise de la perspective internationaliste s’est dans l’ensemble aggravée jusqu’au début des années 1990. Dans ce contexte, le poids des mouvements ouvriers réformistes, sociaux-démocrates et staliniens, mais aussi des courants anticapitalistes radicaux, a été considérablement réduit. Les organisations non-gouvernementales (ONG) ont souvent occupé le devant de la scène, alors même qu’une bonne partie d’entre elles perdaient leur radicalité originelle, s’institutionnalisaient et devenaient toujours plus dépendantes de financements gouvernementaux ou paragouvernementaux.

Le sentiment de solidarité avec les populations du Tiers-Monde est resté vivace, mais il s’est relativement dépolitisé, laissant le champ libre à une idéologie régressive qui, sous couvert d’assistance humanitaire urgente, a pu être efficacement manipulée par les puissances impérialistes.

Sauf exceptions, la solidarité internationale ne s’est plus clairement, consciemment, inscrite dans une perspective alternative globale, dans un combat d’ensemble de transformation sociale.

Les mouvements et les initiatives progressistes de solidarité internationale n’ont certes jamais cessé, il faut le souligner. Certaines mobilisations ont même été remarquablement amples, comme celle engagée contre la dette du Tiers-Monde en 1989, lors du bicentenaire de la Révolution française. Mais dans l’ensemble, ces mouvements se sont sectorialisés et ils ont souvent perdu de leur cohérence politique (en particulier en ce qui concerne la conscience anti-impérialiste, anticapitaliste, révolutionnaire).

C’est cette fragmentation qu’il faut aujourd’hui à tout prix surmonter.

L’héritage de la période précédente n’est pas pour autant univoque. L’hypothèque stalinienne a été largement levée et l’exigence démocratique s’impose aujourd’hui au mouvement ouvrier, populaire et révolutionnaire lui-même plus fortement qu’auparavant, ce qui doit faciliter la refondation d’un projet socialiste et d’un internationalisme véritables pour peu que les rapports de forces sociaux s’améliorent. Initialement du moins, l’aile progressiste et militante des ONG a accumulé une riche expérience originale et a contribué à renouveler la réflexion sur des questions importantes, comme celle du développement. Le combat antiraciste et antifasciste, pour le droit d’asile et en défense des immigrés a marqué une génération dans divers pays. Les mouvements féministes ont su activement tisser des liens à l’échelle mondiale, assurant à la lutte d’émancipation sa dimension proprement internationale ; il en va de même aujourd’hui avec le mouvement gay et lesbien. Enfin, une perception nouvelle de la crise écologique et de l’interdépendance, en ce domaine aussi, des différentes parties du globe a ouvert un large champ d’action et nourrit une conscience citoyenne « planétaire ».

Tous ces apports doivent dorénavant constituer des éléments essentiels du nouvel internationalisme.

3. Mondialisation. Du point de vue de la solidarité internationale, la période présente est tout d’abord caractérisée par la place centrale qu’occupent les résistances aux politiques néolibérales, leur diversité et leur convergence objective. Cette place, cette diversité et cette convergence s’expliquent dans une large mesure par la nature et l’ampleur du processus de mondialisation capitaliste, dont les conséquences se font brutalement sentir dans tous les domaines de la vie sociale.

Nouvelle étape dans la restructuration du marché mondial et dans l’internationalisation du capital, la mondialisation néolibérale s’affirme tout d’abord dans sa dimension économique : autonomisation de la sphère financière, libéralisation radicale mais inégale (au détriment du Sud) des mouvements de capitaux et des échanges commerciaux, multiplication des méga-fusions, expansion de la sphère concurrentielle, déréglementations, privatisations... Mais elle n’opère pas sur les seuls plans commerciaux, industriels et financiers.

La mondialisation capitaliste en cours impose de profondes transformations sociales. Au sein des classes dominées, tout d’abord, qui se voient soumises à un violent processus de précarisation et de fragmentation. Mais aussi au sein même des classes dominantes, avec l’affaiblissement et la marginalisation de diverses composantes traditionnelles de la bourgeoisie et des élites. Elle renouvelle les modes de domination Nord-Sud et provoque une réorganisation générale de l’espace planétaire avec la consolidation (inégale) de zones périphériques aux trois pôles de la triade impérialiste et l’abandon possible de vastes territoires à la désintégration. Elle modifie les mécanismes dominants de décision politique et suscite un rééquilibrage général des centres de pouvoir économiques, politiques ou militaires ; nationaux, régionaux ou internationaux. Elle assigne ainsi des rôles nouveaux aux institutions mondiales nées dans l’après-guerre.

Au fond, pour aboutir, la mondialisation capitaliste exige l’émergence et la stabilisation d’un nouveau mode de domination bourgeois, tant sur le plan international que dans bon nombre de pays. En effet, au nom du libre-échange, l’ordre néolibéral veut ouvrir à la dictature des marchés et des multinationales tous les secteurs de la vie sociale qui leur échappaient encore partiellement. Au nom du droit de la concurrence toujours, il réduit de façon drastique le champ d’action et la marge de manoeuvre de bien des États, en leur imposant des contraintes strictes tout en accordant une liberté d’action et de décision sans précédent aux grandes transnationales, aux oligopoles financiers et industriels.

Le rôle des États reste grand et ce, tout particulièrement, dans l’arène mondiale en ce qui concerne le plus puissant des États impérialistes. Mais le néolibéralisme limite considérablement (y compris par le biais de lois) le recours par la bourgeoisie à des systèmes usuels de domination et de régulation socio-politiques fondés sur d’importants mécanismes redistributifs, jugés contraires au droit de la concurrence. Ces modes de domination (compromis sociaux en Europe, État-clientéliste en Afrique, populisme en Amérique latine, dirigisme économique en Asie...) avaient pourtant fait leurs preuves en permettant aux régimes en place de consolider leur base sociale ou de juguler une montée radicale des luttes populaires.

La mondialisation néolibérale a donc des effets radicaux dans toutes les parties du monde et en tous domaines : économique, social, idéologique, étatique, politique, culturel... Voilà qui reflète la puissance et l’omnipotence du processus en cours de réorganisation capitaliste, mais voilà qui représente aussi un premier talon d’Achille : par son ampleur même, elle crée un lien objectif une communauté de sort plus étroit que jamais dans le passé entre des résistances menées dans le monde entier, entre des combats engagés sur tout l’éventail des terrains de lutte.

4. Solidarités. En éloignant toujours plus les centres formels de décisions des institutions élues (y compris dans les pays occidentaux) et en limitant considérablement l’usage de politiques redistributives, l’ordre néolibéral exprime particulièrement crûment la dictature de classe. C’est son deuxième talon d’Achille, car en temps de crise, il ne peut se prévaloir ni d’une légitimité démocratique fondée sur le mandat électif ni d’une légitimité sociale assurée par la réduction des inégalités.

Plus encore que dans d’autres modes de domination bourgeois, la stabilité de l’ordre néolibéral dépend de la passivité ou de la division, source d’impuissance, des exploité(e) s et des opprimé(e) s. D’où la violence d’une offensive idéologique qui affirme qu’il n’existe aucune alternative, aucun espoir de changement. D’où, encore, la brutalité d’une offensive sociale qui n’a pas seulement pour but d’assurer la surexploitation du travail au profit des actionnaires, mais qui vise aussi à interdire la constitution de nouvelles solidarités et à dissoudre, sous couvert de modernité, les solidarités anciennes (incarnées, notamment, par les systèmes de sécurité et de protection sociales dans les pays capitalistes avancés).

La mondialisation capitaliste déchire ainsi le tissu social et fragilise les classes populaires en généralisant la précarité, en détruisant les droits collectifs acquis dans les luttes passées, quitte à les remplacer par de maigres « filets de sécurité » et des aides caritatives ciblées, sectorialisées, individualisées. Diviser pour régner : le discours du capital oppose le chômeur au salarié, le privé au fonctionnaire, le travail des femmes à celui des hommes, l’emploi des jeunes ou des immigrés à celui des adultes ou des nationaux : un monde réduit à la compétition de tous contre tous...

Cette offensive du capital est redoutable, mais la mondialisation néolibérale produit aussi ses anticorps et crée effectivement les conditions de solidarités nouvelles : l’ordre marchand veut imposer sa loi dans tous les secteurs de la société, ce qui fonde la convergence transversale, multisectorielle, des combats sociaux et démocratiques ; les mêmes institutions déploient les mêmes politiques néolibérales dans le monde entier, ce qui fonde la convergence internationale des résistances.

Fragmentation ou rassemblement, qui l’emportera ? C’est, dans une large mesure, sur le terrain des solidarités que nos combats de demain seront perdus ou gagnés.

II/ La nouvelle donne
5. Dynamiques. Durant la période précédente, la fragmentation sectorielle des solidarités internationales et leur relative perte de cohérence politique ont été favorisées par l’affaiblissement structurel du mouvement syndical et par les défaites que la classe ouvrière a subies. Mais aujourd’hui, face à la violence des attaques néolibérales, la question sociale retrouve une place plus centrale qu’auparavant dans le développement des résistances, y compris dans les pays impérialistes. Cela n’amoindrit en rien l’importance propre des combats démocratiques, culturels, féministes ou écologiques, mais cela peut effectivement contribuer à assurer leur enracinement populaire et à dégager des dynamiques communes entre tous ces terrains de mobilisation.

La réorganisation en cours du capital à l’échelle mondiale et l’impact de ses premières crises (1997-1998) ouvrent de nouveaux champs de lutte (spéculation financière et dictature des marchés, sécurité alimentaire et écologique...), ou leur assigne une importance (Organisation mondiale du commerce...), modifie le contexte dans lequel ils s’affirment (question nationale...), renouvelle leur contenu (exigence démocratique et droits citoyens...). Il importe de comprendre comment.

6. Tournant. Le changement de période dans la dynamique des luttes est particulièrement marqué en ce qui concerne les résistances à la politique des institutions économiques et financières de la mondialisation. Ces luttes ont en effet acquis récemment (bien souvent dans la seconde des années 1990) une dimension nouvelle.

Le combat pour l’abolition de la dette du Tiers-Monde a connu une longue éclipse, après la fin des années 1980 ; il a spectaculairement rebondi en 1999 lors des mobilisations de Cologne, de la campagne Jubilé 2000 (avec pour aile radicale, Jubilé-Sud), du boycott du remboursement de la dette interne décidé par des États brésiliens... A la suite des crises financières de 1997-1998, la résistance sociale aux plans d’ajustement structurel du FMI s’est étendue de la Corée du Sud à l’Amérique latine.

Des années durant, l’OCDE a négocié dans la plus grande discrétion un ultralibéral Accord multilatéral sur l’investissement ; en 1998, il a suffi de quelques mois pour que le contenu de l’AMI fasse scandale démocratique en Amérique du Nord et en Europe occidentale. C’est en 1998 aussi que le combat contre la spéculation financière et la dictature des marchés a pris une envergure et une dynamique politique sans précédent, avec la croissance remarquable, en France surtout, de l’association Attac.

La critique de l’échange inégal et l’exigence d’un commerce équitable pour les pays du Sud n’étaient plus le fait que de réseaux militants : la fondation de l’Organisation mondiale du commerce, à la suite de l’Uruguay Round, n’avait pas suscité de manifestations significatives. Cinq ans plus tard, la conférence de l’OMC à Seattle a provoqué de très importantes mobilisations (aux États-Unis et dans un certain nombre d’autres pays) qui ont suscité un important répondant international.

Ces développements témoignent du déclin de l’emprise exercée un temps par l’idéologie libérale, de la profondeur de sentiment de révolte que suscitent la croissance des inégalités, la dictature des marchés et le modèle hyperconcurrenciel de société qu’elle veut imposer d’Est en Ouest, du Nord au Sud. Le rejet du projet néolibéral s’est d’abord exprimé de façon spectaculaire dans certains pays, comme lors de la grève des services publics de novembre-décembre 1995 en France, ou de la grève du secteur privé de janvier 1997 en Corée du Sud, mais chacune de ces luttes nationales a connu un écho international très significatif.

Les initiatives mondiales se sont rapidement succédées ces toutes dernières années : en 1996, rencontres contre le néolibéralisme du Chiapas réunies à l’appel des zapatistes au Mexique ; en 1999, rencontres internationales de Saint-Denis initiées par Attac en France et de Cologne avec Jubilé 2000, puis manifestations de Seattle aux États-Unis, impulsées notamment par Public Citizen et l’AFL-CIO. Ainsi, la révolte contre les politiques néolibérales et la dictature des marchés a très rapidement affirmé sa dimension solidaire et son potentiel internationaliste. Bien du chemin reste certes à faire, pour donner forme et contenu à ce renouveau internationaliste, mais une dynamique est effectivement enclenchée à partir de laquelle il est maintenant possible de progresser plus avant.

7. Domination. La mondialisation capitaliste n’homogénéise pas l’espace économique international, elle tend au contraire à accentuer son caractère hiérarchique et le Tiers-Monde, déjà lourdement ponctionné par le système de la dette, en est la première victime : coup d’arrêt porté à la constitution de multinationales originaires de pays du Sud, ouverture forcée et unilatérale des marchés nationaux, destruction accélérée des agricultures locales, subordination technologique, processus de recolonisation industrielle et financière... Les modalités de la domination impérialiste ne cessent de se renouveler et le combat pour la souveraineté nationale dans les pays dominés garde toute son urgence.

Il en va de même en ce qui concerne la réorganisation de l’espace politique. Le contrôle territorial et la stabilité administrative des zones d’influence jouaient hier un rôle très important dans les rapports de forces mondiaux : c’était un héritage de l’ère coloniale mais aussi une conséquence immédiate de la confrontation entre révolution et contre-révolution, ou entre les « blocs » de l’Est et de l’Ouest. A la suite des défaites révolutionnaires et de la désintégration du bloc soviétique, ce rôle s’est considérablement amoindri, au moins en ce qui concerne les parties du globe qui ne sont pas directement intégrées aux zones périphériques des trois pôles de la triade impérialiste dominante (à savoir l’Amérique du Nord, l’Europe occidentale et le Japon). Des sociétés peuvent ainsi littéralement se désintégrer, comme en Afrique centrale, sans que les classes dominantes internationales ne sentent leurs intérêts menacés à condition du moins que des armées plus ou moins privées leur garantissent l’accès aux richesses naturelles qu’elles convoitent.

La solidarité envers les populations du Sud garde donc toute son actualité, toute son urgence, tant la crise des sociétés du Tiers-Monde atteint souvent des degrés inconnus au Nord. Dans le même temps, la mondialisation capitaliste tend à déchirer la trame sociale jusque dans les centres impérialistes, où exclusion et précarisation font aussi des ravages. Sans logements au Nord, sans-terres au Sud, sans-emplois et sans-papiers partout...

Il est aujourd’hui possible de combiner le flux traditionnel (et toujours nécessaire) de solidarité Nord-Sud avec la constitution d’un front de résistance commun, fondé sur le sens d’une communauté de sort face au déploiement universel des politiques néolibérales.

8. Salariat. Le mouvement syndical a abordé les années 1990 et les assauts de la mondialisation en position très affaiblie, sur tous les plans : organisationnel, militant, politique. En dehors, dans une certaine mesure, des Secrétariats professionnels (SPI), il s’est aussi révélé incapable de coordonner son action au niveau international à l’heure où, plus que jamais, le capitalisme met en concurrence directe les travailleurs de tous les pays. A de rares exceptions près, l’organisation commune des salariés d’une même multinationale une tâche pourtant élémentaire et qu’il est urgent d’accomplir enfin est restée embryonnaire, voire inexistante.

Dans ces conditions, le capital a pu mener au nom du libéralisme une offensive continue. La part des salaires dans le produit national s’est notablement réduite au profit de celle des actionnaires. Le droit du travail et les libertés syndicales ont été attaqués jusque dans les pays d’Europe occidentale, ainsi que la protection assurée par les statuts et conventions collectives. La base sociale du syndicalisme est bouleversée par les restructurations industrielles et tertiaires, comme par les transformations en cours dans l’organisation du travail, facilitée par le développement de nouvelles technologies, mais dont l’objectif est aussi social : renforcer la domination de classe.

De façon générale, le syndicalisme traverse ainsi une double crise. D’une part, il a largement perdu sa fonction traditionnelle de représentant reconnu des salariés auprès du patronat et de l’administration (et ce d’autant plus que le capital rompt avec les politiques redistributives d’hier). D’autre part, son influence s’est considérablement réduite et se limite aujourd’hui bien souvent à ses seuls bastions d’antan à savoir, généralement, le service public ou les plus grandes entreprises du privé (dans la métallurgie, notamment).

Le problème est aujourd’hui si profond qu’une simple réorientation du mouvement syndical, tel qu’il existe, ne saurait le résoudre. A la réorganisation en cours du capitalisme doit correspondre une réorganisation générale du mouvement ouvrier. Il lui faut tout à la fois s’internationaliser (enfin ou à nouveau) ; renouer le dialogue avec les salariés et assurer, au quotidien et dans les luttes, la démocratie participative ; se féminiser radicalement et regagner une influence dans les minorités ou parmi les immigrés ; organiser ou aider à l’organisation des précaires et chômeurs ; regagner une influence d’ensemble dans le salariat et la société ; faire véritablement sien le combat d’émancipation et retrouver ainsi la capacité politique d’opposer des alternatives globales aux orientations néolibérales.

Dans certains pays du moins (France, États-Unis, Corée du Sud, Norvège...), depuis une décennie ou ces dernières années, un renouveau se manifeste dans une partie du mouvement syndical, ainsi que dans la capacité d’action et d’organisation des chômeurs. Mais cette évolution, prometteuse, reste encore hésitante, inégale, sectorielle. Il reste aussi beaucoup à faire, face à l’action internationale des bureaucraties syndicales, pour aider à la constitution (en particulier dans les pays du Sud et de l’Est) de syndicats indépendants et radicaux, et pour vivifier des structures de coordination (comme les comités d’entreprise européens).

Pour engager une mutation d’ensemble, une véritable reconstruction, pour surmonter ses divisions et redonner au salariat les moyens d’une lutte efficace, le mouvement syndical doit en particulier commencer par se démocratiser profondément, et par s’associer plus systématiquement au mouvement associatif et social dans sa diversité, en un combat convergent.

9. Paysanneries. L’agriculture est l’un des secteurs où l’évolution récente du capitalisme a été particulièrement radicale avec le développement de l’agro-industrie, puis de la biogénétique agro-alimentaire. Cette évolution, initiée voilà une trentaine d’année, prend une ampleur sans précédent dans le cadre de la mondialisation capitaliste. L’un des principaux mandats reçu du GATT par l’OMC est d’imposer l’ordre marchand néolibéral dans l’ensemble du domaine agricole, sur l’ensemble de la planète. Mais cette offensive du grand capital suscite des résistances profondes et convergentes en provenance de paysanneries menacées dans leur existence même, mais aussi de bien d’autres secteurs de la société.

Le combat en défense d’une agriculture paysanne est aujourd’hui perçu en des termes politiques très différents d’hier, et c’est bien l’un des traits majeurs de la période actuelle. Son importance a évidemment été reconnue depuis longtemps pour les pays du tiers-monde dont la majorité de la population est rurale, mais même dans ce cas, les résistances paysannes ont souvent été analysées comme purement défensives. Maintenant, la portée générale de ce combat apparaît plus clairement : il s’avère vital même pour les pays industrialisés dont la majorité de la population est urbaine et il contribue à l’élaboration d’un projet de société alternatif à celui qu’incarne l’agro-industrie capitaliste.

Les conséquences désastreuses du développement de l’agro-industrie capitaliste se font en effet sentir bien au-delà de la seule sphère de la production agricole : elles concernent la consommation (qualité de l’alimentation), l’environnement (qualité des eaux et des sols) et les équilibres écologiques (préservation des écosystèmes et de la biodiversité, impact sur la biosphère), l’aménagement du territoire (paysages, maintien des populations et des services publics à la campagne), l’emploi (impact de l’exode rural sur le chômage), la démocratie (capacité de contrôle des producteur sur leurs activités et des populations sur leur consommation), la culture (uniformisation culinaire), les structures de domination impérialistes (dépendance alimentaire des pays du Tiers-Monde)...

En conséquence, des organisations d’ouvriers agricoles ou de paysans (MST brésilien, Confédération paysanne française...) ont su à nouveau s’impliquer dans un combat global de transformation sociale et se lier aux syndicats de salariés et autres mouvements sociaux ; une coopération militante s’est tissée entre paysanneries du Sud et du Nord (avec, notamment, la formation de Via Campesina) ; la collaboration entre des mouvements de défense des consommateurs et de défense de l’agriculture paysanne s’est renforcée dans une lutte commune pour la sécurité alimentaire.

10. Femmes. Dépendant pour sa stabilité de la fragmentation des mouvements sociaux plus que de leur intégration à un projet collectif, le modèle néolibéral de domination accentue toutes les inégalités (entre classes, genres, communautés, parties du monde...), aggrave les oppressions et alimente la résurgence ou le renforcement d’idéologies profondément réactionnaires. Les femmes subissent de plein fouet le contrecoup de chacun de ces mécanismes régressifs.

Les femmes sont ainsi les premières victimes de la précarisation au point que leur droit à un emploi stable se voit remis en cause même dans des pays où il avait été imposé de haute lutte. Vu les responsabilités qui leur sont assignées dans la famille comme dans les communautés locales, elles sont aussi durement frappées par un autre versant du modèle néolibéral : la création systématique d’un état d’insécurité sociale généralisé, d’un processus de précarisation qui est loin de se limiter au seul statut de l’emploi. La montée des intégrismes religieux dans certains pays (Afghanistan !) a pour les femmes des conséquences proprement dramatiques, mais même dans d’autres parties du monde, elles doivent faire face à des campagnes idéologiques réactionnaires qui s’attaquent à leur dignité et à des droits fondamentaux : droit à la citoyenneté, droit de choisir et à la santé (contraception et interruption volontaire de grossesse, mais aussi dans certains pays du Sud stérilisation forcée, imposée au nom du contrôle démographique).

La lutte d’émancipation des femmes gagne donc encore en son actualité et garde, aussi, sa place nodale dans le combat d’ensemble pour l’égalité des droits, pour la transformation sociale. Face à la mondialisation capitaliste, sa dimension internationale s’affirme comme en témoigne, en l’an 2000, l’organisation de la marche mondiale des femmes (avec sa double dimension : lutte contre l’ordre patriarcal et capitaliste), ainsi que les progrès réalisés dans l’organisation internationale des mouvements féministes.

11. Émigres. Les flux d’émigration sont, dans une large mesure, déterminés par les besoins économiques des pays impérialistes et par les désordres du système dominant (guerres, famines...). L’émigration a une histoire et présente des traits différents suivant les périodes. En ce domaine, la figure symbolique du sort réservé aux émigrés par le nouvel ordre néolibéral est particulièrement révélatrice : l’immigrée sans-papiers, une femme sans droits, condamnée à la surexploitation dans l’entreprise ou au travail domestique même quand elle bénéficie d’une réelle formation acquise dans son pays d’origine. Quoi de plus emblématique pour un système qui vise à généraliser la précarité ?

Dans d’autres contextes historiques, les émigrés ont pu trouver, malgré les difficultés, leur place et un avenir dans les pays d’accueil. Une telle perspective leur est aujourd’hui déniée. Ils vivent dans la durée l’extrême précarité pour pouvoir continuer à soutenir leurs familles, menacées par le chômage, la misère. Dans bien des pays d’origine, l’argent ainsi envoyé par les émigrés constitue une ressource économique majeure et a permis d’éviter que les crises ne débouchent sur une désintégration sociale irrémédiable. Avec la mondialisation capitaliste, nous vivons l’émigration du sacrifice.

Les immigrés ont engagé la lutte contre leur condition de clandestin, pour le droit à la reconnaissance, à l’existence légale ; ils ont su susciter d’importants mouvements de solidarité et emporter des victoires significatives, bien que partielles, dans plusieurs pays européens. Ils ont ouvert un nouveau front dans le combat commun pour la dignité, l’égalité, une société solidaire.

12. Jeunesse. Les perspectives d’avenir de la jeunesse s’avèrent aujourd’hui plus précaires que celles de leurs parents. Voilà bien un changement radical par rapport à la situation d’après-guerre et l’un des traits les plus révélateurs du caractère régressif de la période actuelle. C’est évidement vrai en ce qui concerne l’emploi et la protection sociale ; mais le droit à l’éducation pour tous tend lui-même à être remis en cause jusque dans des parties du monde où il semblait bien établi.

En termes de mobilisations, la situation varie considérablement suivant les pays et milieux. Dans nombre de cas, la jeunesse est, au moins en partie, la première victime des idéologie démobilisatrices de la consommation, de la compétitivité individuelle, de la « modernité » informatique et boursière. Une résistance culturelle et sociale à l’idéologie dominante s’exprime néanmoins tout autant à travers, notamment, la musique (rap). Enfin, dans plusieurs pays déjà, des secteurs politiquement actifs de la jeunesse ont inventé de nouvelles formes de lutte, comme celles de Reclaim the Street en Grande-Bretagne ou de Direct Action aux États-Unis.

Aujourd’hui tout particulièrement, le combat de la jeunesse pour ses droits et son avenir, l’expérience générationnelle très spécifique qui est la sienne, revêtent une importance toute particulière. Elles exigent le développement de solidarités propres, internationalement coordonnées.

13. Écologie. La perception des enjeux écologiques s’est radicalement modifiée au cours des 30 dernières années. La portée sociale des crises environnementales a été progressivement intégrée, donnant naissance à l’écologie politique proprement dite. La gravité des risques encourus a été mieux évaluée par les mouvements populaires et progressistes, tout d’abord dans le domaine des grands travaux (barrages géants...) et, surtout, de l’énergie (nucléaire, effet de serre), des transports (pollution de l’air en ville, coûts énergétiques...), puis de l’agro-alimentaire (production des organismes génétiquement modifiés, maladie de la vache folle, recours massifs aux antibiotiques, pollution des eaux...). L’importance vitale des enjeux ne fait que se confirmer avec la menace de changements climatiques brutaux.

L’analyse des crises écologiques et de leur dynamique cumulative, globale, débouche sur une critique radicale du productivisme, dans sa version capitaliste notamment, et des mécanismes aveugles du marché. La prise en compte des contraintes environnementales, tout comme celle des besoins sociaux, exige en effet la mise en oeuvre à l’échelle internationale de politiques économiques sur le long et très long terme. Elle entre en contradiction frontale avec les dogmes du libéralisme et de la mondialisation capitaliste défendus bec et ongles par le FMI ou l’OMC. Elle fonde une nouvelle exigence essentielle, élément d’un programme internationaliste contemporain : la sécurité écologique.

14. Démocratie. « Le monde n’est pas une marchandise » ce mot d’ordre des mobilisations anti-OMC, au moment de la conférence de Seattle, exprime bien l’évolution récente de larges secteurs de l’opinion qui ne se contentent plus de mettre en cause des mesures politiques spécifiques, mais affirment une opposition globale à un ordre marchand qui se prétend universel. « Antisystémique » et « mondialiste-internationaliste", cette conscience n’est pas nécessairement anticapitaliste, faute notamment d’une alternative crédible globale, socialiste. Elle peut se laisser tromper par les manipulations idéologiques de « l’impérialisme humanitaire » et elle se combine souvent à un réalisme politique résigné, faute encore une fois d’alternatives. Mais elle nourrit un réel potentiel de révolte et de résistance.

La critique contemporaine de l’ordre marchand touche en effet à des domaines essentiels : le refus de l’argent-roi et de l’esprit individualiste de compétition qui dégrade les rapports humains, engendre la solitude, accroît les inégalités (entre genres, couches sociales, pays...) ; l’appréhension des risques écologiques vitaux engendrés par la course folle au profit ; l’affirmation de la primauté du politique et du droit citoyen sur le droit commerçant.

Le rejet de l’ordre marchand présente, aujourd’hui, une portée plus démocratique que socialiste. Mais cette exigence démocratique affirme aussi une dimension citoyenne et égalitaire d’autant plus progressiste que la mondialisation néolibérale tend à vider de tout contenu la démocratie bourgeoise elle-même : les assemblées élues se laissent déposséder de leurs pouvoirs aux profits d’institutions qui ne sont, elles, ni élues ni responsables devant les électeurs, les lois doivent être rendues toujours plus directement conformes aux réglementations commerciales et financières.

Ce n’est pas tant la souveraineté nationale qui est ici en question, que la souveraineté démocratique et populaire, que celle-ci s’exprime dans le cadre d’un pays, d’un groupe de pays ou sur le plan international. La mondialisation capitaliste met en cause la possibilité même de faire des choix politiques en tout domaines : santé et éducation, protection sociale et sécurité écologique, modèles de développement...

Dans ce contexte, l’exigence démocratique citoyenne, bien qu’élémentaire, acquiert une dynamique subversive nouvelle.

15. Indépendance politique. Depuis 1997, l’idéologie néolibérale a perdu beaucoup de sa superbe. Son emprise s’est considérablement affaiblie. Son modèle de mondialisation a déjà connu plusieurs crises graves (les crises dites financières en Asie, puis en Russie, puis au Brésil et l’alerte aux fonds de pension aux États-Unis) que l’actuelle euphorie boursière ne saurait faire oublier. L’autorité politique du FMI s’est singulièrement réduite après la chute du régime de Suharto en Indonésie ; celle de l’OMC est aussi mise à mal, avec l’échec de Seattle.

Les contradictions interimpérialistes se sont dernièrement aiguisées et des résistances se sont manifestées jusque dans les élites du Tiers-Monde (voir par exemple ce qui s’est passé lors de la conférence de Seattle). Divisions au sommet, mobilisations à la base : la combinaison est prometteuse. Encore faut-il, pour en profiter, que les mouvements sociaux et progressistes sachent préserver leur indépendance politique.

L’Union européenne aimerait, au nom de la résistance aux États-Unis, enrôler sous son drapeau des mouvements progressistes et tiers-mondistes, mais « l’Europe puissance » qu’elle cherche à construire est aux antipodes d’une Europe sociale et solidaire, ouverte au Sud et à l’Est. Il en va de même de la politique du « repli national » protectionniste que défendent au Nord certains secteurs de la bourgeoisie et, notamment, des courants de droite extrême ou d’extrême droite. Le mouvement ouvrier doit opposer à la mondialisation capitaliste une alternative internationaliste et non nationaliste.

Dans le Tiers-Monde, des régimes ou partis autoritaires et dictatoriaux prenant des mesures de contrôle des mouvements de capitaux, comme en Malaisie, espèrent neutraliser au nom du rejet des diktats du FMI les mouvements progressistes. Mais pour nous, la résistance anti-impérialiste doit rester indissociable du combat démocratique et social.

16. Marchandisation. La mondialisation néolibérale donne un véritable coup de fouet à l’expansion de la sphère marchande, au point qu’en ce domaine de nouveaux seuils qualitatifs sont en voie d’être franchis.

L’actuelle expansion de la sphère marchande vise notamment à éradiquer ce qui reste d’agriculture vivrière dans les pays du Tiers-Monde, menaçant par là des communautés entières de paupérisation et de désintégration. Elle ne voit aussi dans la création culturelle qu’une simple activité commerciale qui doit être soumise comme les autres aux règles du libre-échange quitte à écraser sous le rouleau compresseur d’une concurrence inégale la diversité des cultures et au droit capitaliste ordinaire de propriété : ses produits, une fois vendus, pouvant être transformés à volonté par l’acheteur au mépris des droits du créateur. La soumission des personnes à l’ordre marchand s’exprime tant dans le développement international de l’industrie du sexe que dans l’apparition de nouvelles formes de quasi-esclavage au travail.

Les ressources naturelles les plus vitales, telle l’eau, sont progressivement de fait ou de droit privatisées. Au nom du développement des biotechnologies et de la biogénétique, l’ordre marchand prétend même imposer la brevetabilité du vivant ce qui impliquerait un processus de privatisation sans précédent, mené au bénéfice des transnationales et dont la portée s’annonce particulièrement dangereuse pour l’humanité tant sur le plan civilisationnel que social ou environnemental.

Dans ce contexte, un large front du refus se constitue qui réunit des résistances sociales très diverses. La revendication du moratoire sur la production des OGM, sur l’ouverture d’un nouveau cycle de négociations à l’OMC, etc. s’est faite plus fréquente, plus pressante. Elle exprime une double prise de conscience quant à la gravité des enjeux et la proximité des échéances. En imposant un coup d’arrêt à l’expansion tous azimuts de la sphère marchande, le moratoire vise à donner le temps à l’exigence démocratique de s’affirmer face à la dictature des intérêts économiques, avant que l’irrémédiable ne se soit produit. Bien que tout d’abord défensive, cette revendication permet aussi à une contre-offensive progressiste de prendre forme.

17. Guerres. Washington a proclamé, au lendemain de la désintégration du bloc soviétique, l’émergence d’un nouvel ordre mondial. Ce qui n’a mis fin ni aux guerres ni à la menace nucléaire. Le désordre néolibéral nourrit en effet les conflits internationaux et régionaux.

A l’époque de la mondialisation marchande, les rapports de domination impérialistes ne disparaissent pas, mais reposent plus encore qu’hier sur le jeu des inégalités, au sein d’un système global ainsi, dans les pays du Sud, le combat anti-impérialiste garde toute son actualité. Le renouvellement constant des inégalités entre pays et régions opère dans toutes les parties du monde. Ce qui peut contribuer à raviver les tensions entre États. Ce qui constitue aussi le fondement de bien des revendications nationales ou régionales et ainsi l’importance du principe démocratique du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, du droit d’autodétermination, se voit confirmée.

Mais, dans le contexte présent, les revendications nationales et régionales, aussi légitimes soient-elles, peuvent déboucher sur des conflits intercommunautaires allant jusqu’à nourrir une dynamique de « purification ethnique ». D’une part, ces revendications ne s’inscrivent plus aussi naturellement qu’hier dans une perspective anti-impérialiste et socialiste, qui assurait leur dimension solidaire et universaliste. D’autre part, la mondialisation capitaliste réduit le rôle et l’efficacité des espaces politiques au sein desquels s’organisait et s’exprimait la citoyenneté, sans laquelle l’élaboration de droits réciproques et la définition d’un avenir solidaire deviennent particulièrement aléatoires.

De même, si l’annexion des territoires a, en certaines parties du monde du moins, perdu de son importance aux yeux des grandes puissances, le contrôle des voies et moyens de communication et de l’accès aux ressources naturelles, aux marchés ou à la force de travail restent essentiels. La capacité militaire des États s’affirme toujours aussi décisive qu’auparavant, comme en témoigne l’usage fait par les USA de leur suprématie en ce domaine. L’Union européenne cherche ainsi à unifier ses forces et à combler son retard en la matière. Quant au refus des grandes puissances (États-Unis, France...) de s’engager dans un processus de désarmement nucléaire et d’arrêter la modernisation de leur arsenal, il a lui aussi relancé la course mondiale aux armements le Pakistan et l’Inde procédant notamment à des essais atomiques.

L’intervention impérialiste se masque aujourd’hui bien souvent derrière l’urgence humanitaire, comme lors de la guerre du Kosovo. Pourtant, c’est à la suite de cette guerre, lors de son cinquantième anniversaire, que l’OTAN a affirmé ses ambitions stratégiques sur l’Europe de l’Est (et au-delà sur l’Asie), et s’est autodécerné un droit d’action dans le monde entier, indépendamment si nécessaire de l’ONU. Les tensions entre puissances, entre Washington, Moscou et Pékin, s’en trouvent durablement ravivées. L’OTAN apparaît aujourd’hui comme le bras armé de l’ordre néolibéral mondial, pendant militaire des FMI, BM et OMC sur le plan économique.

L’affaiblissement du mouvement antiguerre a constitué, ces dernières années, un obstacle majeur au développement des mobilisations internationalistes. Il doit être de toute urgence surmonté. En renforçant le combat pour le désarmement nucléaire, mené aujourd’hui conjointement par des mouvements pakistanais et indiens comme, à l’échelle mondiale, par le réseau Abolition 2000. En redonnant aussi vigueur au combat anti-impérialiste contre la politique de l’OTAN et pour sa dissolution. En inscrivant à nouveau la solution des questions nationales et régionales dans une perspective de transformation sociale, une perspective socialiste et solidaire pour mettre un terme aux dynamiques de conflits intercommunautaires, pour chasser définitivement le spectre de l’épuration ethnique.

III/ Reconstruire une alternative globale
18. Bilan d’étape. Initié dans les années 1970 aux États-Unis et en Grande-Bretagne sous Reagan et Thatcher, le projet néolibéral n’a véritablement pu affirmer ses ambitions planétaires qu’avec la désintégration du bloc soviétique, après la chute du Mur de Berlin en 1989. « Nous sommes dorénavant universels » se sont alors exclamés les tenants du néolibéralisme. Durant la dernière décennie du siècle, le nouvel ordre mondial s’est déployé avec force, au détriment de la classe ouvrière et des milieux populaires. Mais les résistances sociales ont néanmoins ralenti la mise en œuvre des politiques néolibérales et la mondialisation capitaliste a connu, dès 1997-1998, sa première crise d’ampleur, exprimant les contradictions spécifiques du nouveau mode de domination émergent et accentuant les divergences entre grandes puissances économiques.

La mondialisation capitaliste impose un cadre nouveau à l’ensemble des luttes sociales et démocratiques. Bien qu’inégale, depuis le milieu des années 1990, une prise de conscience est perceptible. L’opposition initiale aux politiques néolibérales débouche sur une critique plus générale de la dictature du marché, sur la perception des enjeux de société et sur l’aspiration à une alternative globale, voire sur un « anticapitalisme spontané » mais, bien souvent encore, sans que soit consciemment remis en cause le mode de production capitaliste lui-même. Les résistances acquièrent une dimension internationale marquée.

19. Légitimité. La période actuelle est marquée par un début de retournement idéologique et politique. L’ordre capitaliste bénéficie toujours de la crise idéologique subie par le mouvement ouvrier à la suite, notamment, de l’expérience du stalinisme ; il se pare même d’une idéologie de la modernité, du progrès, nourrie de la référence aux « nouvelles technologies », à laquelle une partie de la jeunesse est sensible dans les pays développés. Mais cette prétention progressiste est mise en question du fait que le capitalisme revendique simultanément un véritable droit à la régression sociale au nom de sa conception de l’efficacité économique.

De même, avec la complicité active de la social-démocratie, en Europe occidentale notamment, la bourgeoisie a réussi à miner les bases traditionnelles de l’action syndicale dans bien des pays (sécurité de l’emploi et du salaire, du revenu de remplacement en cas de chômage et du logement, de la couverture santé et de la retraite...). Mais, dès lors, la défense des acquis et la satisfaction de revendications élémentaires acquiert une dimension plus directement anticapitaliste.

La légitimité du nouvel ordre mondial s’avère restreinte, aléatoire, socialement et géographiquement, tant il est incapable de fonder un modèle de développement cohérent (en particulier dans les pays du Sud où domine le fractionnement social), de tenir ses promesses dans les pays de l’Est européen (où la transition vers le capitalisme crée une situation de grande misère pour une majorité de la population, dépouillée de ses protections sociales), de résoudre les contradictions écologiques de la croissance (qui s’expriment dans les domaines de l’énergie, des pollutions, de la sécurité alimentaire...), de répondre aux aspirations des travailleurs, y compris dans les pays les plus développés (droit au travail, sécurité sociale...).

20. Convergences. Pour l’heure, la convergence internationale des luttes populaires et citoyennes se réalise souvent grâce à la coordination des réseaux existants de résistance aux politiques néolibérales et aux institutions financières ou économiques (contre la dette du Tiers-Monde, la dictature des marchés, l’ajustement structurel, l’échange inégal...). Ces convergences se réalisent à l’occasion de grands rendez-vous successifs (tel celui de Seattle), mais sans avoir encore donné naissance à une capacité de coordination permanente. Elles permettent et c’est nécessaire la rencontre durable entre les courants qui, comme le nôtre, combattent pour la dissolution des institutions de l’ordre néolibéral (FMI, BM, OMC, OTAN, etc.) et l’émergence d’alternatives de nature différente ainsi que les courants militants qui se donnent actuellement pour objectif la réforme radicale de ces mêmes institutions.

Plus généralement, notre tâche est à la fois de contribuer à l’émergence d’une synthèse programmatique immédiate pour la gauche radicale et de travailler à la redéfinition d’une alternative socialiste. L’objectif essentiel est de développer l’axe du contrôle populaire et citoyen et d’en déduire la nécessité de remettre en cause la propriété privée des moyens de production. Mais il nous faut respecter la hiérarchie des fins et des moyens : notre projet est de construire une société où chacun et chacune ait accès aux moyens d’une vie digne, et notre programme politique est de montrer que l’expropriation est le moyen pour y parvenir. Mais cette position n’est évidemment pas un préalable à l’engagement dans des luttes sociales multiformes.

Il importe, dans un premier temps, de consolider ce mouvement de convergence entre réseaux internationaux de résistances, car il offre un cadre au sein duquel peut se reconstituer une capacité d’action centrale, au sein duquel prend forme un nouvel internationalisme des mouvements sociaux et citoyens.

21. Axes programmatiques. Ce mouvement de convergence des résistances à l’ordre néolibéral peut se consolider autour de quelques axes programmatiques transversaux, dont :

L’objectif de l’égalité sociale doit être réaffirmé face à la montée des inégalités et de la pauvreté que favorise le capitalisme contemporain. L’égalité hommes-femmes est, en ce domaine, un test majeur. La garantie de droits universels, à commencer par un salaire minimum, est le socle concret sur lequel doit s’appuyer tout progrès social. La fiscalité doit être dans une société démocratique, le moyen de redistribuer la richesse et d’alimenter les fonds sociaux. Les secteurs d’agriculture traditionnels doivent recevoir les moyens de se stabiliser et de progresser (infrastructure, crédit, prix garantis)... Il s’agit à chaque fois de donner la priorité à l’égalité sur la recherche de la rentabilité capitaliste.

L’économie mondiale doit être réorganisée sur des bases rationnelles. Le fanatisme du libre échange doit être abandonné au profit de l’affirmation du droit des pays à maîtriser leur insertion dans le marché mondial et à organiser des coopérations régionales. La dette, plusieurs fois remboursée, doit être annulée et les pays impérialistes doivent au contraire payer leur dette écologique en réalisant les transferts technologiques nécessaires à un mode de développement soutenable. Pour cela, doivent être mises en oeuvre des politiques énergétiques et agricoles coordonnées et planifiées au niveau mondial.

L ‘extension des droits sociaux est bridée par le capitalisme qui accapare à ses propres fins les potentialités du progrès technique, et enferme les grands choix sociaux et écologiques dans la comptabilité étroite du profit. Au contraire, les avancées de la productivité devraient être utilisés de manière socialisée. La réduction du temps de travail est le moyen le plus simple de revenir à un nouveau plein-emploi, d’étendre la sphère du temps libre et d’opérer le tournant vers un développement non productiviste. L’extension de la protection sociale et de services publics gérés au plus près des usagers sont les outils d’une satisfaction non marchande des besoins sociaux.

L’organisation capitaliste de la production et la finance incontrôlée transforment les progrès technologiques en des catastrophes sociales ou écologiques. Pour faire prévaloir d’autres critères et d’autres orientations, il faut s’opposer au fonctionnement spontané du marché ce qui soulève en filigrane la question de la propriété. L’expérience vécue permet aujourd’hui de revenir sur cette question essentielle. La finance privatise les profits mais socialise les pertes, au prix d’une instabilité fondamentale de l’économie. La nationalisation des banques est d’autant plus à l’ordre du jour que c’est une mesure prise en pratique dans l’urgence (Mexique, Japon). La satisfaction de besoins élémentaires, des exigences de qualité et de sécurité, la lutte contre la corruption permettent de fonder la nationalisation ou la renationalisation d’entreprises de transports (chemins de fer, pétroliers), d’alimentation en eau et en électricité.

Il s’agit d’opposer au modèle de croissance capitaliste une conception alternative du développement qui ait pour buts premiers de répondre aux besoins sociaux du plus grand nombre tout en intégrant effectivement les données et contraintes écologiques qui conditionnent l’avenir de l’humanité.

22. Rééquilibrage. Le mûrissement des résistances à la mondialisation capitaliste s’accompagne d’un indispensable rééquilibrage socio-organisationnel. Les mouvements sociaux (syndicaux ou associatifs) retrouvent progressivement une centralité dans les mobilisations et lors des initiatives internationales les plus dynamiques une centralité qu’ils avaient depuis longtemps perdue.

Ce rééquilibrage s’avère une chance pour les ONG progressistes (qu’elles soient engagées sur le terrain du développement, de l’environnement ou de l’action humanitaire), car il leur permet de retrouver un enracinement social, une perspective politique d’ensemble et une capacité de résistance active à l’institutionnalisation (le processus d’institutionnalisation ayant déjà coûté leur indépendance à un trop grand nombre d’entre elles).

23. Politique. Pour donner cohérence et dynamisme durable aux luttes internationales, il importe de reconstituer une alternative d’ensemble au modèle de société capitaliste, inégalitaire et hypercompétitif. L’élaboration de cette alternative d’ensemble ne peut se faire qu’à partir de l’expérience contemporaine des mouvements populaires et démocratiques, que sur la base des exigences sociales, environnementales et politiques qu’ils expriment.

Voilà qui exige beaucoup de la part des partis progressistes et révolutionnaires. Ils doivent savoir contribuer à renforcer la capacité de luttes unitaires et d’élaboration collective, savoir renouer les fils entre les combats passés et présents afin de rendre intelligible l’histoire du siècle, savoir vivifier un nouvel internationalisme radical et démocratique, savoir engager un véritable travail de mise à jour des analyses pour redonner crédibilité aux alternatives anticapitalistes et pour contribuer à un processus de refondation programmatique auquel le mouvement social doit être pleinement associé, savoir s’appuyer sur l’anticapitalisme spontané pour refonder un projet socialiste.

La capacité de coordination internationale des partis progressistes et révolutionnaires reste aujourd’hui très faible. Un renouveau est perceptible dans certaines parties du monde (comme en témoignent par exemple la conférence de solidarité Asie-Pacifique de Sydney, en 1998, et ses suites). Mais l’épuisement de la dynamique initiale du Forum de Sao Paulo en Amérique latine et l’absence prolongée d’initiative « partidaire » en Europe occidentale montrent que rien n’est encore acquis en ce domaine. Il est pourtant bien temps de redonner corps à une Internationale de partis plus ample que celles qui existent aujourd’hui.

Les organisations membres de la IVème Internationale doivent contribuer activement à ce renouveau internationaliste. Leur responsabilité est ici tout particulièrement engagée.

24. Internationalisme. La mise en concurrence des travailleurs sur le marché mondial est à la racine du processus de mondialisation capitaliste. Elle fonde la nécessité (de façon à ce point objective pour la première fois peut-être) de formes internationales d’organisation des travailleurs. C’est en effet le seul moyen de lutter efficacement contre les effets de la mondialisation. C’est aussi la principale garantie contre le repli national réactionnaire, contre les tentations fondamentalistes et contre la fuite en avant dans des guerres toujours plus barbares.

Bien que de façon encore très inégales suivant les secteurs sociaux ou parties du monde, de nouveaux cadres de solidarités internationales sont bel et bien en train de voir le jour, sur le terrain unifiant des résistances à la mondialisation capitaliste, à l’ordre marchand néolibéral, à la loi des transnationales et des grandes banques. L’émergence de ces nouvelles formes d’organisations est facilitée par la collaboration régulière des divers réseaux concernés (luttant contre le FMI et la BM, la dette et l’ajustement structurel, l’OMC et la marchandisation du monde...). Ces dernières années, une succession de rencontres a permis l’amorce d’une dynamique cumulative en termes d’échange d’expériences, de clarification des objectifs collectivement poursuivis, d’élaboration de programmes et campagnes d’action communs. La poursuite de ce processus permet de tester les nouvelles formes embryonnaires d’internationalisme, dans leur nécessaire diversité, et de percevoir celles qui permettent le mieux de rassembler largement les résistances, d’exprimer la radicalité des mouvements sociaux et de préciser les alternatives à l’ordre dominant.