25 janvier 2007
Notre camarade Xavier Langlade est mort à Cuba. Son arrestation avait été à l’origine du déclenchement de Mai 68.
Xavier Langlade nous a quittés brutalement. Il est mort à Cuba, sur cette île qui nous fit tant rêver, presque 40 ans après le premier grand meeting parisien de la Jeunesse communiste révolutionnaire, organisé en hommage au guérillero tombé en Bolivie, un funeste jour d’octobre 1967.
En 1966, sur le campus de Nanterre, il avait une solide réputation de praticien des arts martiaux et de dirigeant (avec Jacques Tarnero) d’un service d’ordre étudiant performant, chargé de protéger le campus des descentes répétées des commandos d’Occident. Solidarité avec les combattants indochinois, les étudiants polonais, les grévistes de Caen ou de Redon : tout frais exclu du Parti communiste, notre cercle s’activait quotidiennement (de concert, la plupart du temps, avec le groupe anarcho-communiste de Duteuil et de Cohn-Bendit) sur ce territoire désolé et bourbeux de Nanterre-la-Folie, encore entouré des bidonvilles d’où étaient parties les manifestations algériennes d’octobre 1961. Convaincue de pouvoir changer le monde, notre petite troupe nanterroise (Jean-François Godchau, Alain Brossat, Denise Avenas, Sophie Petersen, Nicole Lapierre, Florence et Dominique Prudhomme, Danièle Schulman, Aron Barzman, Manuel Castells, Raymond Piskor, Bernard Conein, Jacques Rzepsky, Serge Niemetz, Camille Scalabrino, Paolo Paranagua... un peu plus tard Jean-Christophe Bailly) ne faisait pas dans la mélancolie.
Le dimanche, nous allions vendre notre journal sur les marchés de Suresnes ou d’Auteuil, où Xavier dirigeait la manœuvre des affrontements annoncés avec les fachos. Beau gosse, un tantinet frimeur, plutôt laconique, sa sérénité inspirait confiance. On le voit, dans le film Mourir à 30 ans, exposer au tableau noir les plans d’une manifestation interdite. Son arrestation, lors d’une action contre l’American Express en soutien au peuple vietnamien, mit le feu aux poudres du campus d’abord - occupé dès la nuit du 21 mars 1968 pour exiger sa libération -, des universités ensuite. On connaît la suite.
Discret, un peu secret, Xavier avait le goût de la pénombre plus que des projecteurs. Comme la plupart d’entre nous, il vibrait à l’appel de la Révolution cubaine et de l’Amérique latine. Pendant plus de dix ans, nous avons souvent collaboré dans la conspiration contre l’ordre établi : le 21 juin 1973 et la dissolution de la Ligue, l’agonie de l’Espagne franquiste, amers voyages en Argentine et au Chili, où l’atmosphère s’alourdissait des préparatifs du coup d’État. À la fin des années 1970, l’histoire édentée ne nous mordait guère plus la nuque. L’heure n’était plus aux effusions lyriques. Xavier se consacra un temps à la presse de la Ligue (Rouge) et de l’Internationale (Inprecor). Puis, il en fit son métier de correcteur. Dans les années 1990, s’éloignant d’une vieille Europe ravagée par les réformes libérales et d’une France engluée dans la décomposition mitterrandienne, il répondit enfin à l’appel de ses rêves et de ses amours. Il partit rejoindre en Amérique latine sa nouvelle compagne, Léa Guido, militante sandiniste et ministre de la Santé du gouvernement sandiniste au lendemain de la révolution de 1979.
Xavier disparaît deux ans après Michel Rovere, son plus proche complice militant. S’il lui avait été donné de connaître son destin, sa propre disparition dans l’île dont le vieux chef lentement agonise, il aurait probablement esquissé un ultime sourire énigmatique, que d’aucuns auraient pris pour cynique, mais qui serait seulement d’une élégante ironie. Révolutionnaire ironique - à défaut d’héroïque - qui fait ce qu’il doit faire sans se raconter d’histoires : un titre que Xavier n’aurait sans doute pas renié.
BENSAID Daniel
* Paru dans Rouge n° 2190 du 25 janvier 2007.