- LE FIASCO IMPERIAL
1. Le consensus bipartisan avec lequel la classe dirigeante états-unienne avait approuvé la campagne militaire de l’administration Bush après le 11 septembre 2001, y compris l’invasion de l’Irak, s’est effrité devant les déboires de l’occupation de ce dernier pays. Les débats qui traversent l’establishment états-unien ne portent cependant pas sur ce qui continue à faire l’unanimité en son sein : l’importance stratégique majeure du contrôle sur la région du Golfe et sur l’Irak. Il s’agit plutôt de débats sur le meilleur moyen de limiter les dégâts de l’opération Irak, en assurant la mainmise à long terme de Washington sur cette partie du monde. Il s’agit aussi de débats sur la facon d’affronter l’Iran. Le régime des mollahs iraniens est percu par l’administration Bush comme un équivalent islamique du Venezuela de Hugo Chavez : un régime s’appuyant sur la marge d’autonomie que lui donnent ses ressources pétrolieres pour rejeter la tutelle de Washington et s’opposer a son hégémonie régionale. Des membres de l’establishment états-unien mettent plutot l’accent sur la possibilité d’aboutir a un modus vivendi avec Téhéran en soulignant l’ouverture du régime iranien au néolibéralisme, qui le distingue fortement de la radicalisation sociale en cours en Amérique latine.
2. Le bilan des expéditions impérialistes menées par l’administration Bush depuis les attentats sur le sol des Etats-Unis est tout a fait désastreux. En Afghanistan meme, ce sont les Talibans qui sont aujourd’hui a l’offensive : une partie considérable du pays est de nouveau sous leur contrôle, et la présence des troupes états-uniennes et alliées est devenue la principale cause de la nouvelle expansion de ce mouvement dont Washington avait prétendu « libérer » le pays. La vie de la population afghane sous la coupe des seigneurs de la guerre intégristes islamiques de l’Alliance du Nord et sous la tutelle des forces d’occupation occidentales, loin des prétentions mensongeres de démocratisation et de modernisation de l’Afghanistan et de libération de ses femmes, a réussi l’exploit de faire regretter les Talibans a des régions entieres du pays.
I - IRAK
1. C’est cependant l’Irak qui était l’objectif principal de l’offensive impériale, et c’est le fiasco irakien qui représente l’échec le plus grave de l’administration Bush. Son plan initial - néo-conservateur - prévoyait l’établissement en Irak d’un régime à façade « démocratique » doté d’une base sociale majoritaire et dominé par les alliés de Washington. Il a vite été constaté que cette base n’existait pas, et que les forces dominantes parmi les chiites irakiens - la communauté qui était censé être reconnaissante aux Etats-Unis - étaient les forces pro-iraniennes. L’échec de ce plan a conduit l’administration, en l’absence de partenaires fiables pour un véritable scénario d’« irakisation » du conflit, à jouer sur les divisions confessionnelles et ethniques entre les Irakiens pour maintenir son hégémonie. Cette pratique a fini par alimenter une dynamique de guerre civile confessionnelle, qui a connu un tournant tragique après février 2006 (attentat anti-chiite de Samarra) - une tragédie dont les femmes font partie des principales victimes. En retour, cette dynamique a rendu l’échec de l’administration Bush plus évident encore.
2. L’administration Bush a décidé de jouer son va-tout en pratiquant une escalade militaire destinée à prendre le contrôle militaire de la capitale, Bagdad, tout en essayant d’isoler son principal ennemi : le courant dirigé par Moqtada al-Sadr. Cette tactique suppose pour réussir que Washington puisse briser l’alliance des forces chiites. En même temps, l’administration Bush augmente considérablement sa pression sur Téhéran, multipliant des gesticulations militaires qui donnent à croire qu’elle prépare un assaut contre l’Iran. Le tout est corsé par une politique régionale visant à contrecarrer l’influence de l’Iran en avivant la tension confessionnelle entre chiites et sunnites à l’échelle de l’ensemble du Moyen-Orient. Dans cette entreprise criminelle, Washington agit en collusion avec ses alliés arabes sunnites : les monarchies pétrolières du Golfe, menées par le royaume saoudien ultra-intégriste et inféodé à Washington, ainsi que l’Egypte et la Jordanie. La question du nucléaire iranien est exploitée par Washington pour effrayer ses partenaires régionaux et internationaux. La motivation impérialiste de cette attitude est d’autant plus claire qu’Israël, allié privilégié des Etats-Unis, est, depuis longtemps déjà, une puissance nucléaire et, de surcroît, un Etat non-signataire du TNP, contrairement à l’Iran.
3. La politique de l’administration Bush équivaut à une dangereuse fuite en avant, qui n’est pas surprenante de la part d’une équipe ayant déjà fait preuve d’un aventurisme aujourd’hui dénoncé par une majorité croissante de la classe dirigeante états-unienne. L’autre option majeure dans les rangs de l’establishment (Baker-Hamilton) appelle à chercher à sortir les Etats-Unis de l’impasse par des moyens avant tout politiques, notamment en négociant des compromis avec l’Iran et la Syrie. Il s’agirait ainsi de limiter les dégâts et de tenter de consolider une hégémonie moins absolue et autoritaire que celle qu’envisageait l’administration Bush. Cette dernière rejette une telle option comme représentant une défaite majeure pour le projet d’hégémonie mondiale unipolaire des Etats-Unis, qu’elle poursuit depuis son arrivée au pouvoir.
4. Les événements des mois écoulés ont confirmé une caractéristique de la « résistance » irakienne apparue depuis le début : celle-ci n’est pas uniquement une résistance nationale à l’occupant impérialiste, mais elle est aussi une force de guerre civile confessionnelle. Les organisations armées nées dans les régions arabes sunnites de l’Irak menaient, depuis leur apparition, à la fois un combat légitime contre l’occupation et un combat réactionnaire contre le règne de la majorité chiite. Depuis un an, le principal courant agissant contre l’occupation parmi les Arabes chiites est à son tour engagé dans une pratique sanglante de représailles confessionnelles. Le projet de Moqtada al-Sadr d’unifier les Arabes irakiens dans une opposition nationaliste commune à l’occupant semble définitivement compromis. La seule force menant un combat encore susceptible aujourd’hui de rencontrer un appui dans toutes les communautés irakiennes est une force de classe : le syndicat des ouvriers du pétrole. Ce combat est d’autant plus important qu’il tourne autour de l’enjeu principal de l’invasion de l’Irak. Il doit être appuyé par les anti-impérialistes et par le mouvement ouvrier de tous les pays.
II - LIBAN
1. L’offensive israélienne contre le Hezbollah libanais en juillet-août 2006 s’inscrivait dans la volonté des Etats-Unis de briser l’influence iranienne au Moyen-Orient. Dès que l’administration Bush eut achevé son invasion de l’Irak, elle s’occupa prioritairement d’affronter l’Iran et choisit comme terrain privilégié de cette confrontation le Liban, où s’offraient deux cibles alliées de Téhéran : la présence syrienne et le Hezbollah. Sur ce dossier, contrairement au dossier Irakien, Washington put compter sur la collaboration active de Paris. Toutefois, l’incapacité des alliés libanais de Washington de réduire le Hezbollah a convaincu les Etats-Unis de s’en remettre à Israël pour cette tâche.
2. L’offensive israélienne a subi un échec retentissant : non seulement le Hezbollah a amplement démontré sa capacité dissuasive face à Israël, mais il a même réussi à porter le combat à l’intérieur même de l’Etat israélien pour la première fois dans l’histoire des guerres israélo-arabes. Washington et Paris furent contraints d’avoir recours à un « plan B » : le déploiement de forces de l’OTAN (Allemagne, Espagne, France, Italie et Turquie, en particulier) au Liban sud, sous couverture onusienne, en attendant l’occasion propice pour que ces forces secondent le gouvernement libanais, dominé par les alliés de Washington et Paris, dans une nouvelle tentative visant à réduire et désarmer le Hezbollah.
3. Depuis lors, les tensions politiques se sont considérablement accrues au Liban entre alliés de Washington et Paris et alliés de Damas et Téhéran. Les forces constituant le bloc de l’opposition, au côté du Hezbollah, ne sont pas différentes qualitativement de celles qui composent la majorité. Elles mènent une bataille pour une redistribution du pouvoir entre opposition et majorité de sorte à « associer » l’opposition aux décisions gouvernementales. La façon dont l’opposition s’est abstenue d’organiser une mobilisation réelle contre le programme néolibéral adopté en vue de la conférence dite de « Paris-3 » sur le Liban et sa dette témoigne bien de sa nature sociopolitique. La bataille en cours vise donc prioritairement à négocier un compromis au sein de la classe dirigeante, même si l’opposition avance en même temps l’exigence démocratique d’une nouvelle loi électorale et d’élections parlementaires anticipées. Toutefois, l’administration Bush incite ses alliés libanais à adopter une attitude intransigeante ; ses alliés les plus proches ont même une attitude provocatrice, révélant le désir de Washington de pousser les Libanais à la guerre civile.
4. Malgré le fait qu’il s’agisse d’une organisation intégriste islamique, le Hezbollah ne peut pas être mis sur le même plan que des courants terroristes de l’intégrisme islamique : la façon dont l’administration Bush et Israël tentent de l’assimiler à Al-Qaida doit être fermement dénoncée. Le Hezbollah est un parti de masse devenu le principal bras armé de la communauté chiite, majoritaire dans les couches pauvres de la population libanaise, dans sa résistance aux agressions répétées d’Israël. Dans ce sens, la résistance armée menée par le Hezbollah est une lutte légitime, et l’organisation ne saurait être mise sur le même plan que les fractions de la « résistance irakienne ». Il est donc légitime pour la gauche libanaise de s’allier avec le Hezbollah dans la résistance à Israël et aux forces impérialistes. La gauche internationale anti-impérialiste a le devoir d’apporter son soutien politique à la résistance libanaise, indépendamment de la nature sociale et politique de sa direction, et bien qu’elle soit menée par le Hezbollah - tout en critiquant cette organisation pour sa nature intégriste et confessionnelle et pour son attitude sur les questions sociales et politiques. Toutefois, c’est à la gauche libanaise - et, en particulier, à sa principale organisation, le Parti communiste libanais, lui-même engagé dans la résistance - que les forces anti-impérialistes internationales et le mouvement ouvrier doivent apporter leur soutien privilégié.
III - PALESTINE
1. L’offensive israélienne menée contre Gaza depuis juin 2006 s’inscrit, elle aussi, dans le même cadre stratégique régional que celui qui a présidé aux événements libanais : l’action de l’administration Bush contre l’Iran et ses alliés. La victoire du Hamas aux élections législatives de janvier 2006 fut perçue comme un revers grave par Washington, qui exerça immédiatement une forte pression sur ses alliés européens pour frapper d’ostracisme le nouveau gouvernement palestinien démocratiquement élu. En même temps, Washington exerçait une forte pression sur son partenaire palestinien, Mahmoud Abbas et les secteurs de droite dominants dans l’appareil du Fatah, pour rejeter toute perspective de compromis et de gouvernement d’union nationale avec le Hamas. C’est pour empêcher une telle évolution que l’offensive israélienne fut lancée.
2. L’alliance avec le Hamas, une organisation intégriste islamique sunnite, est un atout précieux pour Téhéran : elle permet à l’Iran chiite de faire la démonstration de son panislamisme et de contrecarrer les tentatives de l’isoler, en tant que chiite, des sunnites largement majoritaires dans le monde arabe et au sein de l’Islam. C’est pour cette raison qu’il est une cible prioritaire de Washington et d’Israël au même titre que le Hezbollah, en plus de l’attitude radicalement anti-israélienne qu’il partage avec son allié libanais. Comme au Liban, Israël s’est montré incapable de réduire le Hamas dans son bastion principal de Gaza, à défaut de réoccuper le secteur à un coût militaire et politique prohibitif. La tactique principale consiste donc à combiner les coups portés de l’extérieur par Israël avec l’incitation des Palestiniens à la guerre civile, notamment en armant les appareils alliés à Washington au sein du Fatah et en les poussant à l’intransigeance et à la provocation. Les déboires de l’administration Bush ont incité les alliés arabes de Washington a favoriser plutot un compromis entre les fractions palestiniennes, afin que Téhéran ne puisse plus tirer un profit politique de son soutien au Hamas.
3. Comme le Hezbollah, le Hamas est un mouvement à base de masse, devenu l’expression de la volonté de résistance d’une fraction importante de la population palestinienne. Sa réputation de dévouement et d’honnêteté contraste avec la réputation et la réalité mafieuses des appareils de l’Autorité palestinienne dominés par le Fatah. Toutefois, sa nature programmatique se traduit par une incapacité profonde à formuler une politique pouvant contribuer à briser le consensus sioniste ; plus même, le Hamas a longtemps contribué à produire et consolider ce consensus par le recours à des attentats-suicides visant les civils israéliens sans distinction. En un sens, le Hamas est « l’ennemi préféré » de la droite sioniste qui n’a pas peu contribué à le renforcer par ses provocations militaires comme par l’humiliation de ses adversaires à la tête de l’Autorité palestinienne.
4. Les anti-impérialistes et le mouvement ouvrier doivent soutenir le droit du peuple palestinien à choisir librement son gouvernement, et lutter énergiquement contre l’étranglement du gouvernement du Hamas par Israël, les Etats-Unis et leurs alliés européens. Ils doivent se porter solidaires de la résistance légitime du peuple palestinien aux agressions israéliennes, indépendamment de la nature des forces qui mènent cette résistance. Toutefois, ils doivent tisser des liens de solidarité privilégiés avec les organisations de la gauche palestinienne qui mènent un combat politique indépendant contre la droite palestinienne alliée à Washington et un combat idéologique contre l’intégrisme islamique au sein de la population palestinienne.
IV - TÂCHES
Les déboires militaires et politiques de l’offensive impérialiste au Moyen-Orient créent de toute évidence un cadre particulièrement propice à une relance énergique du mouvement antiguerre. Aujourd’hui, les Etats-Unis et leurs alliés sont engagés, selon des combinaisons variables, dans trois guerres régionales - Afghanistan, Irak et Palestine - auxquelles s’ajoute une guerre pour le moment latente, celle du Liban. En même temps, l’administration Bush s’est lancée ostensiblement dans des préparatifs de guerre contre l’Iran, et n’hésite pas à élargir le champ régional de son action militaire, comme l’a démontré récemment son intervention en Somalie. L’administration Bush est aux abois, mais comme une bête féroce aux abois, elle n’en est que plus dangereuse. Il y a urgence à redoubler d’efforts afin de construire un puissant mouvement antiguerre pour la cessation immédiate et inconditionnelle des expéditions impérialistes, autour des axes prioritaires suivantes :
– contre toute agression contre l’Iran
– pour le retrait d’Irak des troupes d’occupation
– pour le retrait d’Afghanistan des troupes d’intervention
– pour le retrait du Liban des forces de l’OTAN
– pour la cessation de l’ingérence dans les affaires intérieures des Palestiniens et la levée des sanctions qui les frappent.
Dans ce combat, la Quatrième Internationale nouera des liens de solidarité privilégiés avec les forces syndicales et politiques menant un combat progressiste dans la région, et visera à favoriser la construction d’une gauche à la fois démocratique, féministe et anti-impérialiste au Moyen-Orient.