Jean-Marc Nollet n’y va pas par quatre chemins. Dès l’introduction de son ouvrage, il confie vouloir « contribuer avec ECOLO à une approche du type de celle de Roosevelt, en y adjoignant la dimension fondamentale de l’écologie ». L’ »alternative politique » se ramène donc à un Roosevelt vert, et la « réponse systémique » à une relance du système. Car Roosevelt ne s’attaqua pas au « fonctionnement » du capitalisme. Les buts du New Deal étaient de soutenir les prix agricoles ainsi que la demande intérieure et d’éviter que la Grande Crise n’entraîne une explosion sociale. Pour ce faire, Roosevelt distribua des primes aux agriculteurs qui laissaient pourrir leurs récoltes, lança un programme de travaux publics, ouvrit la porte aux syndicats, creusa le déficit budgétaire, et octroya aux victimes de faillites des compensations qui ne représentaient pas la moitié des salaires perdus. Il est vrai que le Président rencontra une opposition parmi les trusts, mais son but était la relance du capitalisme. Dans le contexte de l’époque, il n’y avait d’ailleurs que deux manière de procéder : soit puiser dans l’énorme richesse de la classe dominante US - comme Roosevelt le fit, soit écraser le mouvement ouvrier - comme le fit Hitler.
Roosevelt ou Gordon Brown ?
La première des dix propositions du New Deal vert - le Green Deal – est un plan de travaux dans les secteurs verts : isolation des maisons, recherche dans les technologies vertes, transports en commun. L’idée serait excellente s’il s’agissait de travaux publics, répondant directement aux besoins sociaux, financés par une ponction sur le capital et échappant à la logique de croissance capitaliste. Mais ce n’est pas le cas. S’agissant des transports en commun, le député ECOLO évite les questions du statut, de la gratuité, et même des tarifs. En matière de recherche, il s’inscrit ostensiblement dans le cadre ultra-libéral de la stratégie de Lisbonne et de Barcelone pour une « économie de la connaissance » (c’est-à-dire une appropriation des savoirs par l’industrie) et fustige le manque de générosité de la Belgique vis-à-vis des patrons qui « lancent des innovations durables ». Quant à l’isolation des maisons, l’auteur propose de « suivre l’exemple récent de la Grande-Bretagne qui s’est donné pour objectif d’isoler toutes ses maisons d’ici 2020 ». On s’arrêtera quelques instants sur ce point, très révélateur des limites du Green Deal.
La place nous manque pour détailler le plan britannique d’isolation des maisons. C’est un plan important mais Nollet le surestime et omet de signaler un point crucial : les entreprises du secteur énergétique, qui verseront chacune 50 millions de livres sterling au fonds pour l’efficience énergétique, ont annoncé que cette contribution serait reportée sur les factures à la clientèle (The Guardian, 12/9/08). Or, il faut savoir que les électriciens britanniques ont empoché récemment un surprofit de 700 millions de livres sterling en revendant les quotas de CO2 que l’Europe leur avait attribués gratuitement et en excès, et en facturant le prix de marché de ces quotas aux consommateurs. Il faut savoir aussi que les logements des ménages britanniques modestes sont des passoires thermiques, que les factures énergétiques sont impayables et que des pensionnés pauvres meurent chaque hiver d’hypothermie dans leur maison. Les syndicats, des associations et des parlementaires du Labour exigeaient donc que la collectivité récupère les surprofits des électriciens pour financer un plan plus ambitieux et plus juste. Gordon Brown n’en a eu cure. Interrogé sur l’intention des patrons de faire payer la population, il a répondu cyniquement : « Je ne crois pas qu’ils aient besoin de faire ça ». « Ils » n’en ont pas besoin, en effet, mais « ils » le feront : c’est la loi du profit.
Tout capitaliste qu’il fut, Roosevelt avait mis des chômeurs au travail dans des travaux publics réalisés par des agences publiques. Surprise : plutôt que de suivre cet exemple, Jean-Marc Nollet s’inspire du blairiste Gordon Brown. Comme lui, il mise exclusivement sur la relance du privé grâce à des cadeaux de la collectivité. Cela vaut non seulement pour le plan de travaux dans le secteur vert mais aussi pour les autres propositions du Green Deal. D’une manière générale, en effet, notre Roosevelt vert s’abstient soigneusement de toucher à la propriété capitaliste. Les événements des dernières semaines ont levé le tabou sur les nationalisations et l’initiative publique, mais ne comptez pas sur Nollet pour mettre le pied dans la porte du coffre-fort capitaliste.
Le secteur des assurances, pour lui, est un « partenaire naturel des politiques visant à préserver l’environnement » car il « sanctionne les comportements dangereux » (c’est exact : on ne couvre plus les risques... auxquels les pauvres sont les plus exposés !). En matière d’énergie, le Green Deal propose la création d’une Communauté Européenne des Energies Renouvelables (ERENE) dont « les missions iraient du soutien à la recherche à la promotion de l’innovation, en passant par la mise en place d’un réseau d’électricité commun (...), l’encouragement des investissements dans la production d’électricité verte et le développement d’un marché européen de l’électricité verte ». Pas un mot contre la libéralisation ! Le contrôle des prix, la gestion rationnelle des ressources et le passage aux renouvelables justifieraient mille fois l’expropriation des groupes énergétiques et la création d’un service public européen de l’énergie. Au lieu d’ouvrir cette perspective, Nollet et les Verts proposent un triste remake de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier. Faut-il rappeler que cette CECA a offert des milliards de fonds publics aux patrons pour restructurer les entreprises, sur le dos des travailleurs ?
Pour la croissance !
Mais le débat de fond porte sur l’idée même d’une relance. D’une part JM Nollet plaide à juste titre pour une « rupture avec le sacro-saint ‘toujours plus’ : plus riche, plus grand, plus vite ». D’autre part, il affirme que « loin de freiner la croissance, une intégration correcte de la dimension environnementale (peut développer) de ’nouveaux modèles d’affaires’ ». Il y a entre ces deux affirmations une contradiction insurmontable. Le capitalisme implique la production de marchandises toujours plus nombreuses. Sous les coups de fouet de la concurrence, chaque propriétaire de capitaux remplace des travailleurs par des machines plus productives, afin de toucher un surprofit en plus du profit moyen. Il en résulte une tendance permanente à la surproduction et à la surconsommation. Nollet effleure le problème en parlant d’un « effet rebond » qu’il croit pouvoir contrer sur le plan de la culture, des « choix de vie », etc. Or, le problème est structurel : comment un système foncièrement productiviste serait-il compatible avec le sauvetage de l’environnement ? That’s the question.
Débat idéologique ? Non : cette question, le changement climatique impose d’y répondre très concrètement. En effet, il n’est déjà plus possible de rester au-dessous de 2°C de hausse de la température par rapport au 18e siècle. Le rapport 2007 du GIEC enseigne que, pour ne pas dépasser 2 à 2,4°C de hausse, les pays développés doivent réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 80 à 95% d’ici 2050, et de 25 à 40% d’ici 2020. Ces objectifs drastiques doivent être pris fort au sérieux, car le seuil de dangerosité est autour de +1,7°C et que la vie de centaines de millions de gens est en jeu. Il convient donc de supprimer en quarante ans l’usage des combustibles fossiles qui fournissent 80% de l’énergie employée au niveau mondial. C’est un défi gigantesque. Comment le relever ?
Ecartons d’emblée le nucléaire. Les renouvelables apportent-ils la solution ? Peuvent-ils prendre le relais des fossiles ? Pas dans n’importe quelles conditions. Leur potentiel technique équivaut 7 à 8 fois la consommation mondiale d’énergie, et il est possible de l’augmenter considérablement. Dans l’abstrait, on peut donc imaginer un capitalisme sans combustibles fossiles (dans lequel le problème des ressources épuisables resterait toutefois posé). Mais aucun Harry Potter vert ne peut, d’un coup de baguette magique, remplacer partout les fossiles par les renouvelables. Le problème est celui de la transition, et il est vraiment complexe. Notamment parce que les renouvelables impliquent un système énergétique fort différent de celui que nous connaissons : décentralisé, diversifié en fonction des sources, intensif en travail humain, privilégiant l’efficience thermodynamique par rapport à la rentabilité financière.
Dans ce contexte concret, la priorité des priorités est de réduire radicalement la consommation d’énergie. De nombreuses études montrent que c’est la condition sine qua non pour que les renouvelables puissent prendre le relais des fossiles (voir notamment le rapport « Energy Revolution » réalisé à la demande de Greenpeace). Radicalement, cela veut dire de 50% pour l’Europe et de 75% pour les Etats-Unis, très énergivores. Impossible ? Non : ces objectifs sont accessibles, car le gaspillage énergétique est colossal dans nos sociétés. On peut supprimer des productions inutiles (armes, publicité, etc), modifier complètement le système des transports, mettre fin à la mondialisation des marchés agricoles, adopter des normes strictes contre l’obsolescence accélérée des produits, isoler systématiquement tous les bâtiments indépendamment de la demande solvable, etc, etc.
Toutes ces mesures sont techniquement envisageables, mais envisagent un plan qui oppose la rationalité globale - la nécessaire décroissance énergétique - à la rationalité partielle des capitaux concurrents, et qui empiète par conséquent sur la tendance spontanée à l’accumulation du capital, y compris du capital vert. Or, un tel plan est contraire à l’idée même d’une relance capitaliste, qui ne peut que miser sur l’accumulation, donc mettre l’irrationalité globale aux commandes. L’affaire des primes au photovoltaïque est emblématique à cet égard : la politique des gouvernements wallons et bruxellois (la ministre Huytebroeck en tête) est certainement rationnelle du point de la croissance des entreprises et de leur chiffre d’affaire, mais elle est complètement irrationnelle du point de vue social et environnemental global (cf. notre précédente édition). On pourrait multiplier les exemples de ce genre.
La crise actuelle présente deux caractéristiques majeures. Un : pour la première fois dans l’histoire du capitalisme, un taux de profit élevé sur une période prolongée (vingt ans) ne s’accompagne pas d’une onde longue d’expansion de la production capitaliste, d’un développement général de la société, d’une impression de progrès social, d’une relative réduction des inégalités. Deux : pour la première fois dans l’histoire, un mode de production entraîne l’humanité à dépasser les limites physiques qui conditionnent l’environnement au sein duquel la civilisation est née et s’est développée. La combinaison de ces deux éléments détermine une situation absolument sans précédent. Les dangers sont immenses. L’issue ne sera pas facile à trouver, mais il y a au moins une certitude : l’idée d’un Green Deal n’est d’aucune utilité. La relance du capitalisme, fut-il vert, ne résoudra ni la crise sociale ni la crise écologique.