La GaucheTrois mille huit cents morts, 7 500, comme l’avait annoncé officiellement, immédiatement, puis en 1995, le gouvernement indien ? Ou 20 000, comme le pense une association dont fait partie Greenpeace ? Même ce dernier chiffre ne peut rendre compte entièrement de l’ampleur de la catastrophe survenue, il y a 20 ans, à Bhopal, en Inde.
Dans la nuit du 2 au 3 décembre 1984, l’usine produisant des pesticides pour le compte du trust chimique étatsunien Union Carbide laissait échapper un nuage de gaz extrêmement toxique, puisque composé entre autres de phosgène, autre nom du gaz moutarde. L’usine avait été construite en 1978, suivant des contraintes de sécurité déjà beaucoup moins strictes qu’aux États-Unis. Quatre ans plus tard, déclarée déficitaire, elle subissait un plan d’économies qui réduisait ses effectifs de 1 500 à 950 employés, au détriment de l’entretien et de la sécurité. Cinq fuites de gaz eurent ainsi lieu de 1981 à 1983. À Bhopal, plusieurs centaines de milliers de personnes, sur deux générations, ont été victimes du trust chimique, dont les activités ont empoisonné le sol et les nappes phréatiques, longtemps après la catastrophe de 1984. Union Carbide a indemnisé de façon dérisoire les victimes ou leurs familles (celles comptant un mort auraient ainsi touché en moyenne de 1430 à 2860 euros1), mais aujourd’hui, le trust n’en est plus comptable puisqu’il a disparu en tant que personnalité juridique, après sa fusion avec Dow Chemica en 1998. Union Carbide avait déjà, par le passé, frappé aux États-Unis2. En 1930, pour construire une centrale hydroélectrique en Virginie, le trust avait fait percer un tunnel de cinq kilomètres de long dans un sous-sol contenant des dépôts de silice à l’état presque pur. Des centaines d’ouvriers, près d’un millier, y avaient laissé leurs poumons et leur vie. À l’époque, un procès intenté par certains d’entre eux avait eu lieu, mais les avocats de l’Union Carbide l’avaient désamorcé en proposant d’indemniser les victimes.
1. Voir " Bhopal, l’infinie catastrophe " , d’Olivier Bailly, in Le Monde diplomatique, décembre 2004.
2. Lire à ce sujet Les États désunis, de Vladimir Pozner, Denoël, 1938.
Rouge n° 2089