Against The Current : Quelle est l’importance de la campagne Nader-Camejo en 2004 ,
Peter Camejo : Cette campagne représente un point de vue très largement répandu aux États-Unis - contre l’invasion et l’occupation de l’Irak et en opposition au Patriot Act. Mais tant qu’il n’y aura pas un scrutin à deux tours, le système électoral privera les gens de voter en fonction de leur opinion et les piège dans le cadre du bipartisme.
Ce qui donne autant d’importance à la campagne Nader, c’est le nombre de gens qui voteront finalement pour Kerry sans être en accord avec lui ; en réalité sur beaucoup de questions ils sont proches de Nader. Le campagne de Nader met ainsi en évidence la nature antidémocratique de la société des États-Unis, le fait que nous n’avons pas en réalité d’élections libres car nous avons un système qui garantit le résultat mais permet aux gens d’avoir l’impression qu’ils ont pris la décision.
ATC : Nader n’a pas obtenu assez de signatures en Californie pour y accéder au scrutin. Pourquoi cela s’est-il produit et comment est-ce que cela affectera la campagne dans cet État ?
PC : Le Parti démocrate est à l’offensive pour empêcher les électeurs en accord avec la plate-forme de Nader - en faveur de la paix et en faveur de la classe ouvrière - de pouvoir voter pour lui. Il dispose de très grands moyens. Une partie de ses forces ont été capables de manipuler la Convention du Parti vert et une chose surprenante s’y est produite - un candidat ayant obtenu seulement 12,2 % des voix dans les primaires à l’échelle nationale a été investi. Nous avons découvert que cela a pu se produire du fait que des gens pro-Kerry ont rempli les réunions des Verts. En Californie les Verts ont voté à 86 % en faveur de Nader et seulement à 11,8 % en faveur de David Cobb, mais en fin de compte c’est Cobb qui sera sur le bulletin de vote en tant que candidat des Verts en Californie. La candidature Nader-Camejo ne sera même pas sur le bulletin en tant que candidature indépendante. Nous serons obligés de faire une campagne pour que les gens ajouttent son nom sur le bulletin (2)... Mais cela ne nous empêchera pas de la faire !
ATC : Qu’en est-il dans les autres États ?
PC : Le bureau national de la campagne Nader pense toujours que nous parviendrons à être sur le bulletin de vote dans une quarantaine d’États, mais c’est difficile de faire des prédictions, car dans chaque État où nous arrivons répondre aux exigences, les Démocrates essayent de trouver des arguments " techniques " pour que notre demande soit refusée. Dans l’État de l’Oregon il fallait une assemblée de mille personnes pour obtenir l’inscription de la candidature sur le bulletin de vote. Nous avons dû en rassembler des centaines. Au moment où nous avons demandé aux personnes rassemblées de signer le formulaire en faveur de la présence de Nader sur le bulletin de vote, nous avons découvert un groupe de 200 démocrates : ils ont enlevé leur chemise et ont fait apparaître des tee-shirts portant l’inscription " Kerry " (3). C’est ce type d’action - à mon avis illégale - que les démocrates organisent consciemment. A un autre niveau, ils nous accusent d’être financés par des républicains - ce qui est un mensonge, ils savent parfaitement que ce n’est pas le cas. Mais il est vrai que nous espérons qu’un quart de ceux qui voteront pour nous seront d’anciens électeurs républicains, opposés à Bush et ne voulant pas voter pour Kerry. Environ 5 % des dons que nous avons reçus proviennent d’électeurs inscrits comme républicains, la majorité d’entre eux étant des Arabo-américains, qui sont opposés au Patriot Act.
ATC : Comment selon vous Cobb a-t-il pu obtenir la nomination du Parti vert ? Qu’est-ce que cela signifie pour l’avenir de ce parti ?
PC : Je crois que Cobb symbolise la pression du Parti démocrate au sein du Parti vert. Il veut faire évoluer le Parti vert, le faire rompre avec sa tradition d’indépendance envers les Démocrates. Son message pourrait être résumé ainsi : " Votez Vert à moins que Kerry ait besoin de votre vote, dans un tel cas, votez Kerry ". Il est soutenu par tout un groupe de dirigeants verts, à commencer par les 17 qui avaient déclaré que le vote pour le moindre mal est l’attitude correcte. Les dirigeants verts comme John Rensenbrink [du Maine] ou Medea Benjamin [du Global Exchange, à San Francisco] sont en faveur d’une alliance avec le Parti démocrate, qui transformerait les Verts en une organisation domestiquée, qui se limiterait à présenter des candidats locaux et se concentrerait sur des pressions exercées sur le parti démocrate autour de certains sujets. C’est une orientation en rupture avec celle qui fut à l’origine du Parti vert - créer une force pour l’activité politique indépendante qui fait entendre une voix alternative et présente une plate-forme alternative.
Cobb a été capable de remplir la Convention des Verts avec ses supporters et de s’assurer ainsi la nomination. Ce qui c’est passé dans le Maine est un exemple parlant. Cobb y a perdu contre Nader. Lorna Salzman [dirigeante historique des Verts dans l’État de New York qui s’est présentée lors des primaires et s’est retirée en faveur de Nader lors de la Convention] et Nader y ont obtenu deux fois plus de voix que Cobb. Mais lorsque la délégation du Maine a dû se prononcer lors de la Convention, elle a voté à 95 % pour Cobb... Les partisans de Cobb s’étaient fait élire délégués en prétendant qu’ils étaient en faveur de Nader ou de Salzman.
ATC : Avez-vous des projets à long terme pour que le Parti vert soit plus démocratique et plus indépendant ?
PC : Nous allons certainement former un courant organisé au sein du Parti vert en faveur de la démocratie et de l’indépendance du parti, de manière à ce que ses membres puissent contrôler le parti.
ATC : Comptez-vous organiser un regroupement autour de l’" Avocado Declaration " (4) ?
PC : Non. Cette déclaration est une présentation de ce qu’est le système bipartite. Les gens n’ont pas forcement besoin d’être d’accord avec cela pour lutter en faveur de la démocratie au sein du Parti vert et pour considérer que ce parti doit être indépendant du Parti démocrate. Nous allons lutter en faveur de deux principe de base : respect du principe " une personne, une voix " et établissement de règles claires pour la sélection des délégations. Nous avons également besoin d’établir un système de représentation proportionnelle au sein de la direction lorsqu’il y a des divergences politiques, afin de garantir à chaque tendance une représentation équivalente à sa réalité.
ATC : J’ai été frappée par le fait qu’il n’y a pas eu de débats lors de la Convention...
PC : La Convention a été organisée de façon à empêcher les membres de connaître les différents points de vue. Il n’y eut qu’un débat et même dans celui-ci il n’y aurait pas eu d’introductions contradictoires si je n’avais pas protesté. Ils voulaient empêcher que les membres et les délégués puissent connaître les divergences politiques, car ils savaient que cela les affaiblirait. Je pense que beaucoup de ceux qui ont soutenu Cobb ignoraient qu’il soutient Kerry ou qu’il avait été favorable à l’occupation de l’Irak à la fois sur son site web et dans les déclarations publiques qu’il a faites à la radio.
ATC : Pensez-vous que le résultat de la Convention aurait été différent si Nader y était venu et s’il avait été disposé à accepter d’être le candidat du Parti vert (5) ?
PC : A posteriori on peut toujours trouver des choses qui auraient pu être faites. Mais ce que Nader a perçu, c’est qu’un secteur du Parti vert s’était détourné de la perspective de défier le Parti démocrate et le Parti républicain.
ATC : Pensez-vous qu’il y a un danger de scission du Parti vert ?
PC : Les Verts ont scissionné - il y a en ce moment une scission froide entre l’aile Cobb, alignée sur le Parti démocrate et l’aile qui favorise l’indépendance et la démocratie. Est-ce que cela provoquera une scission chaude, une séparation ? Cela dépendra de ce qui va se passer au cours des prochaines années. Bien sûr les supporters de Cobb ont voulu préserver les apparence de l’unité car leur véritable but n’était pas que Cobb fasse campagne, mais qu’il empêche Nader de figurer sur le bulletin de vote en Californie et dans d’autres États clés. Mais ils étaient parfaitement prêts à assumer une scission si c’était le prix qu’ils devraient payer pour arrêter la campagne de Nader.
* Cet entretien a été réalisé pour la revue Against The Current par Ann Menasche à l’issue de la Convention du Green Party (Parti Vert).
1. Dans certains États - comme la Californie - des " primaires vertes " ont été organisées en vue d’élire les délégués à la Convention. Dans d’autres États l’élection des délégués n’a pas été liée à de telles " primaires ".
2. Aux États-Unis il est possible d’ajouter le nom d’un candidat non officiel sur le bulletin de vote pré-imprimé dans une cas prévue à cet effet. En 2000, Nader, empêché de figurer sur le bulletin dans l’État de l’Indiana, y a quand même reçu 18 000 votes - autant d’électeurs ont rajouté son nom sur leur bulletin de vote. Mais dans de nombreux États les bulletins ainsi " raturés " ne sont pas comptés, voire considérés comme des votes nuls. Et il est très rare qu’un candidat non officiel soit élu - même si c’est déjà arrivé dans au moins une élection locale au Massachusetts.
3. Les Démocrates ont admis avoir intentionnellement perturbé la réunion de nomination de Nader, en " bourrant " la salle puis en refusant de signer la pétition. Ils ont ainsi empêché d’autres gens d’assister à l’assemblée - le gouverneur a fait fermer les portes lorsque plus de mille personnes étaient entrées - réduisant ainsi le nombre de signataires à un peu moins de mille requis ! Nader-Camejo ont fait appel à la décision qu’ils ne figureront pas sur le bulletin de vote en Oregon et, en fin de comptes, un juge a tranché en leur faveur devant l’évidence de la manipulation du gouverneur démocrate...
4. En janvier 2004 Peter Camejo a rendu public un texte expliquant les méfaits du système bipartite aux États-Unis, intitulé " Avocado Declaration " (la " Déclaration de l’avocat " - car l’avocat est " vert à l’extérieur et vert à l’intérieur " !). Ce texte a reçu le soutien d’un certain nombre de militants de la gauche états-unienne. On peut le consulter sur le web : http://www.gpus.org/articles/camejo_01_05_04.html
5. Nader avait été le candidat présidentiel du parti vert en 2000. Cette fois-ci, devant les prises de position de certains des dirigeants verts, il a décidé de concourir en tant qu’indépendant, mais il espérait le soutien de son