Les résultats des élections législatives russes marquent la victoire écrasante de la droite, et notamment de Vladimir Poutine. Un cadre qui place les forces de gauche dans une situation difficile.
Le grand vainqueur des élections législatives russes du 7 décembre, c’est Vladimir Poutine, le président russe, dont la réélection au printemps prochain ne fait désormais plus l’ombre d’un doute. Le centre de gravité de la nouvelle Douma vire radicalement à droite, qui plus est dans un sens nationaliste. Le parti officiellement proprésidentiel, Russie unie, a raflé 36,84 % des voix avec, pour seule idéologie, le soutien à Poutine. Il arrive loin devant les autres partis, grâce à une propagande massive dans les médias, à un quasi-monopole des ressources administratives, au soutien sans faille de la présidence et aux traditionnelles méthodes d’achat des électeurs, ou de bourrage des urnes par les potentats locaux servant le parti du pouvoir.
Surtout, le Parti communiste de Guennadi Ziouganov subit une défaite historique, avec un score de 12,74 %, soit presque deux fois moins que lors des élections de 1999. Ce parti, dont les slogans patriotiques et le conservatisme sont récupérés avec brio par le parti du pouvoir, a fait les frais de son alliance financière avec les "mauvais" oligarques (le parti était financé par Ioukos et a introduit sur sa liste plusieurs hommes d’affaires de ce groupe), de son image vieillie et d’une active propagande anticommuniste.
Le parti libéral-démocratique de Vladimir Jirinovski (populiste) termine troisième, avec 11,8 % des voix. Ce score important peut être mis au compte du vote protestataire, Jirinovski s’étant brillamment et bruyamment distingué des autres candidats par son apparent franc-parler et sa hargne à combattre les oligarques et les corrompus du pouvoir. L’aspect nationaliste (tournant autour du slogan "Je suis pour les pauvres, je suis pour les Russes") n’a joué qu’un rôle mineur.
Enfin, nouveau venu sur la scène politique russe, le bloc Patrie, emmené par l’économiste Serguei Glazev, termine quatrième avec 9,02 % des voix. Cette coalition a attiré les suffrages de ceux qui se retrouvent sur des positions modérées de gauche, mêlées de patriotisme, mais qui ont cependant des réticences à voter pour le Parti communiste. Ce bloc électoral hétéroclite risque fort d’exploser très rapidement. Né avec des idéaux de gauche et de justice sociale, il a évolué de plus en plus à droite pendant la campagne électorale, sous l’impulsion notamment de son second leader, Dimitri Rogozin, représentant du président dans la région de Kaliningrad, réactionnaire aux idées "grand-russes".
350 députés sur 450
La nouvelle Douma se retrouve complètement aux ordres du pouvoir présidentiel. Celui-ci pourra s’appuyer sur une majorité constitutionnelle large, comprenant Russie unie (à laquelle vont s’affilier une grande partie des députés régionaux élus au scrutin uninominal), le parti de Jirinovski (un pantin au service du Kremlin depuis sa création) et au moins une partie du bloc Patrie, qui a été très largement soutenu par un pouvoir soucieux d’enlever des voix au Parti communiste. Au total, près de 350 députés sur les 450 formant la Douma. L’opposition est réduite au minimum : certains députés uninominaux, le Parti communiste et une partie du bloc Patrie. La voie est libre pour faire passer tous les projets de loi gouvernementaux et présidentiels (libéralisme économique et réaction politique), voire pour réformer la Constitution.
Le nouveau cours de la Douma se présente comme franchement nationaliste. Les forces moins conservatrices politiquement, celles opposées à la guerre en Tchétchénie - l’Union des forces de droite et Iabloko - sont éliminées du nouveau Parlement, n’ayant pas passé la barre des 5 %. Le débat va se jouer entre les plus chauvinistes et les moins chauvinistes, mais le patriotisme officiel - qui fut le thème porteur de la campagne - va triompher, ce qui ne présage rien de bon pour les minorités nationales, tchétchène ou autres.
La seule interrogation porte sur les questions sociales. Les différents partis se sont concurrencés les uns les autres pour exploiter le mécontentement social : tous se sont soudain avérés être des opposants convaincus des oligarques, de fermes partisans de la taxation du capital privé issu de l’exploitation des richesses naturelles, des combattants pour l’augmentation des salaires et des retraites. Au moins, dans les premiers temps, la politique économique ultralibérale (au profit des "grands groupes fidèles alliés du pouvoir") devra donc s’accompagner d’un semblant de politique sociale, d’autant que les partis ultralibéraux sont éliminés de la nouvelle Douma.
Quelques espoirs...
Dans ce simulacre de démocratie que devient la Russie, on ne peut noter que de rares motifs d’espoir. Tout d’abord, après sa défaite cinglante, le Parti communiste va peut-être se trouver obligé de s’inscrire sur une ligne oppositionnelle plus ferme, voire de découvrir le chemin de la rue et des luttes sociales. D’autre part, le champ politique apparaissant plus que jamais bloqué, les acteurs sociaux survivant au rouleau compresseur du régime poutinien (notamment les syndicats alternatifs, les associations de défense des droits de l’Homme et les organisations de jeunes) vont se voir barrer le chemin du lobbying institutionnel et devront sans doute réorienter leurs actions vers plus de radicalité et moins de compromis avec le système politique officiel. La voie des luttes sociales est étroite et risquée, mais elle devient la seule praticable.
Le Parti du travail, qui a soulevé d’immenses espoirs parmi les syndicalistes alternatifs, a été laminé avant même le début de la campagne, balayé par les luttes de pouvoir et la corruption. Aucun de ses leaders n’a été élu, à l’exception d’Oleg Shein, député sortant d’Astrakhan et coprésident du syndicat Défense du travail. Il bénéficie réellement d’un immense soutien auprès de la population locale et constitue "la" ressource administrative sans laquelle le monde associatif et syndical russe peut difficilement éviter le laminage total. Mais, seul au Parlement, il aura une marge de manoeuvre encore plus faible dans la précédente Douma, sauf à convaincre Serguei Glazev (ce qui est peu probable) de prendre le chemin d’une ferme opposition de gauche.
De Moscou, Carine Clément
Rouge 2043 11/12/2003