par Aminata Diagne, Jérôme Gleizes
Hausse record du prix du baril du pétrole (119,93 $ le 28 avril), du prix de denrées alimentaires comme le blé qui vient de dépasser les 460 $ la tonne ou le riz dont le prix de référence, celui de la Thaïlande, premier exportateur mondial de riz, a plus que doubler entre décembre et avril, passant de 360 $ à plus de 1 000 $, la dépréciation continue du dollar vis-à-vis de l’euro (et donc vis-à-vis du franc CFA lié à l’euro) avec un record le 22 avril à 1,6019 mais aussi vis-à-vis d’autres monnaies, record du prix de l’or avec 1 032,70 dollars l’once le 17 mars à New-York, record pour le cuivre (8 880 dollars la tonne atteint le jeudi 17 avril), l’étain (24 602 dollars la tonne le 24 avril, 80 % de hausse sur un an)..., les records se multiplient et les mauvaises nouvelles financières s’accumulent : baisse des bourses mondiales, nationalisation de la banque anglaise Northern Rock, rachat bradé de la cinquième banque d’affaire américaine Bear Stearns, quasi-faillite du hedge fund Carlyle qui a perdu 80 % de sa valeur... Cette crise, ou plutôt cette accumulation de crises font craindre un retour à la crise mondiale de 1929. Mais à ces évènements économiques et financiers extrêmes, il faut en ajouter d’autres, accréditant la thèse défendue dans le dernier article d’André Gorz , de la sortie commencée du capitalisme. Nous avons une conjonction de la crise financière et économique mais aussi écologique : détachement d’un bloc de 414 km2 du plateau de Wilkins, le plus étendu de l’Antarctique, révision pessimiste des scénarios du GIEC (augmentation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère et de la température), sécheresses en Espagne obligeant l’importation d’eau de France, augmentation du nombre d’espèces menacées par l’Union mondiale pour la nature (16 306 menacées d’extinction contre 16 118 l’an dernier)... Tous ces évènements apparemment singuliers s’inscrivent dans des temporalités différentes, non forcement liées causalement mais leur conjonction est dangereuse car elle amplifie les différentes crises.
Après avoir présenté l’élément révélateur de la crise, la faillite du marché des subprimes au États-Unis d’Amérique et les mécanismes de contagion, nous verrons que la persistance de la crise financière révèle une crise de régulation économique bien plus profonde, elle même amplifiée par des crises écologiques qui remettent en cause les fondements de notre système productif mais aussi ceux de la société puis nous verrons que la globalité de cette crise n’épargne pas l’Afrique même si les mécanismes différent des pays occidentaux. L’humanité se trouve confrontée à une question politique majeure, exprimée par André Gorz dans son dernier article, précédemment cité, par ailleurs très clairvoyant sur le devenir de nos sociétés : « La sortie du capitalisme aura donc lieu d’une façon ou d’une autre, civilisée ou barbare. La question porte seulement sur la forme que cette sortie prendra et sur la cadence à laquelle elle va s’opérer. »
Au commencement était la crise des subprimes ...
Le marché des subprimes, sous marché du marché hypothécaire des États-Unis d’Amérique, visait à permettre aux ménages défavorisés un accès à la propriété immobilière. Ces prêts immobiliers à taux variables, gagés sur la valeur de l’acquisition immobilière (l’hypothèque) présentaient un risque important d’insolvabilité (non remboursement des dettes) mais les banques pouvaient saisir les maisons hypothéquées. Le retournement de la croissance américaine, la hausse des taux d’intérêt et de la précarité des ménages concernés ont provoqué de nombreux défauts de paiement et une insolvabilité des débiteurs ... puis par ricochet un besoin de refinancement des banques détenant ces créances ou ces titres (un besoin de liquidités pour faire face aux retraits monétaires des agents non financiers) ... et amplifié la crise du bâtiment et de l’immobilier (l’augmentation des saisies augmentant l’offre immobilière dans un contexte de demande déprimée).
Mais ces créances avaient été titrisées, transformées en titres financiers, pour mutualiser les risques tout en préservant des rendements élevés pour les institutions financières, en particulier les hedge funds. La complexification des marchés financiers a provoqué une diffusion du risque jusqu’à devenir un risque systémique par contagion à d’autres segments de marchés financiers et d’autres pays. Cette dilution des créances a, au lieu de mutualiser les risques, provoqué une augmentation de l’incertitude et paralysé les acteurs financiers et le refinancement interbancaire. Un premier cas de panique bancaire a même eu lieu en Angleterre (incapacité de répondre à un retrait massif de monnaie par les agents non financiers), dans la Northern Rock, huitième banque anglaise pourtant non engagée sur le marché des subprimes mais uniquement sur celui du marché du prêt immobilier anglais au 5éme rang. Cette banque solvable a du faire face à un problème de liquidité. Les banques centrales ont du alors jouer leur rôle de prêteur de dernier ressort et de garant de la viabilité du système bancaire en intervenant sur les marchés monétaires. Mais depuis le déclenchement de la crise au mois d’août 2007, les dépréciation d’actif s’accumulent :UBS pour 37,4 milliard de dollars, Merrill Lynch, 22,4 Citygroup, 21,1, HSBC, 17,7, Bear Stearns, 11,7, Carlyle Group, 17 mais aussi Deutsche Bank pour 7 milliard de dollars, Mizuho Financial, 5,5 milliard de dollars, Crédit Agricole, 5,3 milliards de dollars... Aucune banque occidentale n’est épargnée. La dernière mauvaise nouvelle de la série en cours est que malgré la prise en pension de 30 milliards de créances subprimes par la Réserve fédérale américaine, la Bear Stearns a fait une quasi faillite. La crise de liquidité devient une crise de solvabilité. L’insolvabilité initiale des ménages américains est en train de contaminer le secteur bancaire et financier, c’est-à-dire que la valeur du patrimoine et le niveau de revenu des agents sont insuffisants pour faire face au volume des dettes et à leurs échéances de remboursement. Et aujourd’hui, pour la première fois depuis 1929, la Réserve fédérale américaine a refinancé Bear Stearns pour des créances peu solvables, ce qui in fine signifie qu’elle risque d’effacer des dettes. A ce jour, le FMI a évalué le coût de la crise à 945 milliards de dollars dont 565 pour les emprunts hypothécaires américains et les instruments financiers associés, 240 pour les produits dérivés du marché immobilier commercial, 120 pour les prêts aux entreprises et 20 pour les prêts à la consommation.
II ... aggravée par une crise de régulation économique ...
Cette crise financière se surajoute et alimente une crise de régulation économique. Le régime fordien de croissance d’après guerre est en crise depuis la fin des années 60 et n’a pu se poursuivre que par le financement par crédit de la première puissance économique mondiale, les États-Unis, devenue locomotive de la croissance mondiale (28 % du PIB mondial). Or, aujourd’hui, la dette américaine à la fois privée et publique devient insoutenable avec plus de 12 250 milliards de dollars. Ce n’est pas la première fois que les EU se trouvent surendettés mais cette fois-ci, les créanciers, dont le premier la Chine, ne vont pas forcement accepter de subir une dévaluation de leurs créances du fait de celle du dollar. Ils risquent alors de stopper leurs investissements tant industriel que financier aux EU, réduire leurs créances détenues en dollar et ainsi arrêter de réinjecter les dollars accumulés suite aux déficits commerciaux et budgétaires américains. Lors de la crise précédente dans les années 90, le Japon, alors principal créancier des EU, avait accepté une réévaluation de sa monnaie, le yen vis-à-vis du dollar, provoquant une baisse de la valeur de la créance japonaise envers les EU. Mais, les EU disposaient de moyens de pressions non économiques avec des bases militaires américaines au Japon, assurant la sécurité militaire de l’archipel comme contrepoint politique. L’équilibre entre la Chine et les EU est d’une autre nature : Afin d’éviter une crise sociale majeure en Chine, avec une explosion du chômage compte tenu de la pression démographique, ce pays est obligé d’avoir un taux de croissance élevé, et donc de maintenir un niveau d’exportation élevé pour écouler la production chinoise, exportations qui alimente la consommation américaine à crédit. Les dollars accumulés grâce aux exportations chinoises sont ainsi réinjectés au Eu en achats de titres financiers américains. Cependant, la Chine réduit sa dépendance aux importations américaines en diversifiant ses exportations vers d’autres pays dont ceux d’Afrique, assurant également en contrepartie un approvisionnement en ressources naturelles.
Mais à ce problème de financement de la croissance, s’ajoute une crise interne du régime de production. Le régime de croissance fordien était basé sur le compromis fordien, c’est-à-dire l’échange d’un pouvoir d’achat à travers une augmentation continue des salaires contre une croissance de la productivité du travail et une « pacification » des relations salariales. Ce compromis a permis un rythme soutenu de consommation permettant d’écouler la production. De plus, cette production était taylorisée ; La concurrence internationale des produits nationaux était faible, d’où peu de contrainte extérieure ; La division internationale du travail permettait d’assurer des approvisionnement en matières premières ou en produits intermédiaires à des coûts faibles ; L’État intervenait comme stabilisateur de la croissance de manière contra-cyclique ; Le crédit bancaire était facile à obtenir. Mais comme l’a montré André Gorz, l’informatisation et la robotisation ont mis à mal ce compromis en permettant de produire beaucoup plus avec beaucoup moins de travail alors qu’autrefois, la production, l’emploi et les salaires augmentaient simultanément. Aujourd’hui, les gains de productivité du capital provoquent une baisse des coûts de production et donc des prix de vente des produits manufacturés, ce qui entraîne une baisse des profits et une course accélérée à la réduction des coûts, à de nombreux licenciements ou des délocalisations. L’investissement productif devient de moins en moins rentable, amplifié en cela par la hausse du prix des matières premières (et donc des coûts de production incompressibles). Nous assistons insidieusement à une augmentation des arbitrages au bénéfice des investissements financiers et des acquisitions externes d’entreprises au cours des années 80 et 90. Aujourd’hui, le total des actifs financiers représente 3 à 4 fois le PIB mondial, générant « une immense bulle spéculative au cœur même du système industriel ». A ce déséquilibre capital industriel/capital financier s’ajoute aussi un déséquilibre entre classes sociales avec une paupérisation croissante des populations ne bénéficiant plus du compromis fordien. Le régime fordien reposait sur une classe moyenne importante disposant d’un pouvoir d’achat élevé afin de pouvoir acheter la production qu’elle avait produite. Aujourd’hui, la croissance repose sur moins de personnes, ce qui provoque inéluctablement des tensions sociales tant entre les pays qu’à l’intérieur de chacun d’entre eux. En effet, ce ne sont plus les classes moyennes des pays occidentaux qui assurent un écoulement de la production mais l’existence de classes sociales aisées dans tous les pays et tous les continents.
III ... et amplifiée par des crises écologiques.
Une sortie de crise pourrait s’entr’apercevoir avec la montée en puissance de la Chine, de l’Inde comme nouveau moteur de la croissance mondiale comme l’ont été les EU après la seconde guerre mondiale, en prenant le relais de l’Europe. Mais chose inédite dans l’histoire de l’humanité, le monde se trouve confronté à l’épuisement de ses ressources naturelles, confirmée par la hausse de prix continue de celles-ci, révélatrice d’une insuffisance de l’offre vis-à-vis de la demande. La croissance chinoise exceptionnelle à plus de 10 % amplifie ce mouvement. Ses importations d’énergie ont augmenté en trois ans de 44,9 % et celles des autres matières premières de 34,5 %. En 2003, la Chine consommait 35 % du fer mondial, 33 % du coton, 22 % de l’étain... Toute croissance nécessite une base matérielle, même si celle-ci est sous-évaluée dans les prix des biens consommés. La croissance chinoise nous rappelle que la croissance européenne des trente glorieuses (et d’avant) n’a pu se faire que grâce à une surexploitation minière de ses anciennes colonies. Les ressources renouvelables (ou réutilisables) comme les métaux sont aussi sur-utilisées et voient aujourd’hui aussi leur prix flamber.
A cela, il faut rajouter le fait que la croissance mondiale de ces deux derniers siècles n’a pu se faire que grâce à une surconsommation des hydrocarbures. Des millions de particules de CO2 se sont aussi accumulés dans l’atmosphère et sont aujourd’hui la cause des dérèglements climatiques. Ceux-ci provoquent une baisse des rendements agricoles et de la production. Une hausse des prix des denrées agricoles s’ensuit inéluctablement, amplifiée par la réduction des terres arables à cause de l’étalement urbain et de la concurrence de l’usage des terres entre production alimentaire et agro-carburants. L’inflation augmente aujourd’hui inéluctablement, surtout pour les produits de base et elle ne peut être contenue que par des mesures compensatrices par les gouvernements. De nombreuses émeutes ont eu lieu en Afrique ou en Asie, suite à des hausses de produits de base comme le riz, l’huile... Cette inflation n’ayant pas une origine monétaire ne peut être combattue par une politique monétaire restrictive comme s’échine à le faire la Banque Centrale Européenne. Elle nécessite des réformes structurelles. Des réformes structurelles d’autant plus nécessaires que le rapport du Conseil sur le climat de l’ONU indique que les émissions de CO2 devront diminuer de 85 % d’ici 2050 pour limiter le réchauffement climatique de 2°C et qu’au delà, nous entrons dans une zone inconnue qui pourrait nécessiter des mesures autoritaires, la barbarie qui inquiétait Gorz.
Une crise globale, le cas de l’Afrique
Avant de parler des évidences expliquant la globalité de la crise comme l’accélération de l’avancée du désert ou la hausse du prix du riz, explicitons les conséquences de la crise des subprimes ou du fordisme en Afrique. Les liens sont moins directs qu’en occident où des entreprises ou des banques européennes, japonaises subissent immédiatement les contrecoups de la crise des subprimes mais ils sont importants. La crise de la liquidité puis de la solvabilité ont pour conséquence de réduire les fonds disponibles pour financer les investissements directs en Afrique dans un premier temps puis les prises de risque dans un deuxième temps. Les ménages européens ont déjà un accès amoindri au crédit, obligeant les banques centrales à intervenir mais les moyens d’actions sont plus faibles dans les espaces monétaires africains comme l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine, la Zone Monétaire Ouest-Africaine, la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale...
Or les investissements nécessaires sont importants pour faire face à la crise alimentaire ou la crise énergétique, moins facilement amorties qu’en Occident car la crise du fordisme fait que les pays non occidentaux ne sont plus les bases arrières de la production mondiale. Les bas niveaux de rémunération ne sont plus un argument suffisant pour attirer les délocalisations. Il faut disposer d’une main d’oeuvre qualifiée pour attirer les emplois délocalisés et dans cette nouvelle division du travail, la Chine dispose d’une longueur d’avance comme par exemple dans le textile. Les pays qui peuvent s’en sortir grâce à la présence de ressources minières agricoles perdent les devises accumulées par les importations de biens de consommations achetés par les nouvelles classes moyennes bénéficiant de ces rentes minières ou agricoles.
La crise est amplifiée en Afrique car les écosystèmes sont très affaiblis par les déréglements climatiques : désertification, baisse des rendements agricoles, dépendance alimentaire en riz par exemple... Cela provoque les migrations forcées avec leur cohorte de misère et de désespoirs. Dans les pires des cas, les économies rentières deviennent des économie des guerres civiles, selon l’expression de Jean-Christophe Rufin, où la kalachnikov devient un facteur de production comme outil de prédation. Depuis la fin de la guerre froide, plus de 60 conflits armés ont fait des centaines de milliers de morts et 17 millions de réfugiés. En Afrique, sur 11 pays en conflit durant les années 90, le nombre de morts est estimé entre 3,8 et 6,8 millions. Et cela accentue le phénomène migratoire.
Une relance keynésienne classique en Occident par la hausse de la consommation n’est plus possible comme durant les trente glorieuses car cette croissance, prédatrice en ressources naturelles, entraîne des tensions sur l’ensemble des marchés de matières premières, amplifiées par les marchés financiers de produits dérivés. De même, l’effet rebond (augmentation de consommation liée à l’amélioration d’une technologie) amplifie ce phénomène. La globalisation des modèles de production et de consommation font qu’aujourd’hui la croissance des uns ne peut être compensée que par l’exploitation des autres. Le seul critère pertinent, l’empreinte écologique (mesure en hectares de la superficie biologiquement productive nécessaire pour pourvoir aux besoins d’une population humaine de taille donnée), montre aujourd’hui qu’il faudrait 3 planètes pour généraliser le mode de consommation français.
Une véritable politique structurelle mondiale est aujourd’hui indispensable pour éviter les effets rétroactifs des différentes sorties de crise. Des investissements sont nécessaires pour assurer la sécurité alimentaire de chaque pays, réduire la dépendance énergétique, la formation d’une mains d’oeuvre qualifiée. L’Afrique n’est pas la moins avancée si elle sait valoriser le savoir séculaire de la relation symbiotique de ses habitants à leur environnement. Il faut modifier le modèle productif et agro-alimentaire pour réduire la prédation des ressources de la planète mais il faut aussi modifier les rapports sociaux. Seule l’écologie politique a une réflexion sur ces points ou du moins en fait une priorité de toute réforme de politique de transformation sociale et écologique à travers une vision territoriale (respect des écosystèmes, relocalisation des productions/consommations), une nouveau perspective de rapports économiques en substituant à la logique concurrentielle de l’économie marchande celle coopérative de l’économie sociale et solidaire, la création d’un nouveau compromis social, de monnaies locales. L’Afrique ne pourrait-elle pas renouer avec les céréales locales plutôt qu’importer du riz ou gaspiller son eau pour le produire ? Ne pourrait-elle pas généraliser le système des « tontines » plutôt qu’importer un système de micro-crédit usurier ? Ne pourrait-elle pas préserver sa tradition des solidarités familiales qu’importer le style de vie de l’occident urbain, prédateur en ressources ?