DE LA SOUVERAINETE
DES NATIONS AUTOCHTONES
"Nous sommes tous l’Iroquois de quelqu’un d’autre."
Sylvain Lelièvre, "Le chanteur indigène à l’Olympia"
I. Le socialisme et la souveraineté nationale
1. La crise de crédibilité du socialisme dont parle Ernest Mandel et la Quatrième Internationale s’est accompagnée de la perte très grave de ce qui était jusqu’à tout récemment un des acquis les plus précieux du mouvement socialiste, sa supériorité morale. Les crimes du stalinisme et le comportement sanguinaire d’une série de régimes dictatoriaux se réclamant du socialisme dans le tiers monde ont redoré le blason du capitalisme et de son économie de marché même sur le plan moral.
Le stalinisme et ses imitateurs n’ont pas épargné les peuples minoritaires, les nations autochtones des régions de la terre qu’ils ont dominées. Ainsi le prestige anti- impérialiste, le prestige de la défense des peuples colonisés, dont bénéficiaient largement la mouvance socialiste jusqu’à la fin de la guerre du Vietnam s’est estompé.
Ainsi on a pu entendre dire une vieille Mohawk de Kanesatake que "la SQ se comporte comme la police communiste" malgré le fait que l’écrasante majorité des peuples aborigènes du monde se trouvent opprimés par des régimes capitalistes. Ainsi, le jacobinisme, non pas populiste cette fois-ci mais vulgairement bourgeois et capitaliste, reprend le dessus avec tout ce que cela entraîne de volonté d’exclure et/ou d’assimiler les minorités nationales même au sein des nations opprimées.
La question nationale, y compris ses formes les plus complexes, dont la question des nations autochtones en Amérique du Nord, ne peut être réduite à un calcul comptable ou démographique marginal. La résolution de cette question épineuse revêt donc un caractère éminemment stratégique. Plus que jamais l’affirmation de Marx "qu’une nation qui opprime une autre ne saura jamais être libre elle-même" s’avère juste et d’une actualité brûlante.
2. L’affirmation militante récente par les nations autochtones, et en premier lieu par la nation kanien’kehaka, a sorti la question autochtone de l’oubli et de la folklorisation. Après quatre siècles de résistance active et un siècle de résistance passive à l’acculturation, à l’assimilation et à la ghettoisation, ce que les Européens les plus bienveillants ont appelé "la patience légendaire" des "Indiens" est révolue, et pour toujours.
3. Cette réaffirmation militante et radicalisante du droit des nations autochtones à la souveraineté politique et à l’espace territorial et économique nécessaire à leur développement signale la fin de toute tentative de résoudre la question nationale québécoise sans tenir compte de ces nations qui vivent dispersées sur l’ensemble du continent nord-américain et qui n’ont jamais accepté les frontières arbitraires dessinées par les conquérants européens successifs.
Ainsi la conscience et le mouvement nationaux naissants des peuples autochtones ne peuvent que se heurter à la conscience et le mouvement nationaux du Québec jusqu’ici totalement dominés par des courants et des partis politiques bourgeois. Toute tentative bourgeoise de résolution de la question nationale québécoise est condamnée à l’affrontement permanent avec les nations autochtones, accompagné d’un racisme plus ou moins ouvert à leur égard. Le comportement du PQ depuis 1976 et la surenchère anti-autochtone de ses déclarations pendant la crise de cet été n’en sont qu’une preuve éclatante.
4. Pour les marxistes-révolutionnaires, pour les indépendantistes socialistes (et, historiquement, pour l’ensemble de la classe ouvrière et des forces populaires) du Québec (et du Canada anglais et des États-Unis) il n’y a aucune contradiction entre notre programme pour la libération nationale du Québec, pour le socialisme de démocratie ouvrière et la reconnaissance du droit des nations autochtones à la pleine et entière souveraineté telles qu’elles la définissent elles-mêmes. Nous adoptons comme étant la nôtre la déclaration de la nation innu (montagnaise) de février 1990 devant les Commissions des droits de la personne du Canada, du Québec et de Terre-neuve et que nous reproduisons ici :
Nous sommes des peuples autochtones dont les membres respectifs sont caractérisés par des liens de langue, d’héritage, de traditions, de vie spirituelle constituant leur identité commune de premiers occupants.
Les peuples autochtones sont caractérisés par des populations vivant sur un territoire bien défini sur lequel ils ont une souveraineté millénaire. Ils peuvent donc établir des relations avec d’autres nations d’égal à égal.
Les peuples autochtones, dont les Mohawks, ont le droit d’exercer leur pouvoir souverain en déterminant et en appliquant, sur leurs territoires respectifs, leurs lois, leurs droits et leurs obligations issus des valeurs traditionnelles, lesquelles sont fondamentales pour eux.
Les gouvernements et leurs composantes doivent s’engager à respecter les droits, les juridictions, la souveraineté affirmés et pratiqués par les peuples autochtones dans leurs territoires respectifs.
Ayant ainsi une souveraineté publique sur nos territoires respectifs, nous, peuples autochtones, sommes en mesure d’affirmer que notre juridiction pleine et entière s’étend sur les ressources renouvelables et non-renouvelables, sur le sol et le sous-sol, comprises sur nos territoires respectifs.
Les peuples autochtones ont le droit de déterminer et ce, sans contrainte venant de l’extérieur, leur statut politique et d’exercer en toute liberté les activités économiques, sociales et culturelles, en accord avec les principes régis par leurs valeurs traditionnelles.
Les gouvernements doivent s’engager à n’exercer aucune forme de pression visant à empêcher le développement et l’épanouissement des peuples autochtones selon leurs lois et leur juridiction respectives sur leurs territoires.
Les peuples autochtones ont des relations privilégiées avec leurs territoires respectifs qu’ils entendent maintenir et protéger. Les gouvernements et leurs composantes doivent s’engager à respecter cette relation spirituelle qu’ils ont avec la Terre-Mère.
Les peuples autochtones doivent avoir accès à des territoires de dimensions acceptables pour exercer leurs activités économiques, sociales et culturelles.
Les peuples autochtones luttent pour obtenir l’égalité des droits avec les autres peuples, c’est-à-dire leur souveraineté.
Les gouvernements et la société dominante doivent traiter d’égal à égal avec les peuples autochtones dans le respect de leurs droits ancestraux.
Les peuples autochtones repoussent toute limitation de souveraineté par la société dominante.
5. Quelque soit la résolution territoriale de la question nationale québécoise (pour nous, un État indépendant sur l’ensemble du territoire du Québec, y compris sur la partie du Labrador volée par le Conseil privé de Londres en 1927), nous reconnaissons que les nations autochtones n’ont pas à respecter de telles frontières.
II. Histoire et conscience nationale
6. Avant l’arrivée des Européens dans les Amériques, les peuples autochtones étaient divisées entre divers groupes linguistiques et culturels (dans les sens anthropologique du terme). Mais il ne s’agissait aucunement de sociétés statiques. Certains groupes connaissaient une évolution relativement poussée d’unification et étaient en voie de constituer des États (et dans le cas des Cinq-Nations avaient déjà formé un pré-État, le Conseil de la Confédération).
Sur le territoire qui est devenu plus tard le Québec, il y avait trois grands groupes linguistiques à la fin du 15è siècle : le groupe iroquoien occupait le Haut-St-Laurent et les Basses Laurentides, le groupe inuktitut occupait la péninsule d’Ungava et le groupe algonquien tout le reste.
Le groupe iroquoien était semi-sédentaire et pratiquait l’agriculture. Le groupe inuktitut vivait totalement de la chasse et de la pêche, tandis que le groupe algonquien était composé de chasseurs-pêcheurs et de cueilleurs.
Aucun groupe n’était unifié. Les bandes inuit du Grand Nord maintenaient des liens avec les Inuit du Groenland et de l’ouest de la Baie d’Hudson. Les iroquoiens étaient divisés entre la Confédération des Cinq-Nations (Haudenosaunee ou Iroquois proprement dits)2. au sud du St-Laurent (en la personne de la nation kanien’kehaka (mohawke) et les Iroquois des Basses-Laurentides3.. Le groupe algonquien comprenait les MicMacs de la Gaspésie (la majorité des MicMacs habitaient ce qui est devenu le Nouveau Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l’Ile du Prince-Edouard et l’État de Maine), les Innut (Montagnais) qui habitaient la Côte nord du St-Laurent jusqu’à Québec et les terres à l’intérieur jusqu’au partage des eaux avec la Baie James, les Attikamekw (Attikamèques) qui habitaient la Mauricie, les Cris dont le territoire s’étendait à l’ouest jusque sur les grandes plaines et comprenait les terres autour de la Baie James et le sud de la Baie d’Hudson jusqu’au partage des eaux du golfe du St-Laurent et de la côte de Labrador. Finalement, il y avait les Anishnabe (Algonquins au Québec, Objibwa, Nippissingues et Saulteux dans le nord de l’Ontario et au Manitoba, Chippewas au Michigan, Minnesota et Wisconsin). Et tous les groupes étaient liés entre eux par des liens d’alliances-guerres et par des échanges rituels et/ou commerciaux très développés.
Plus tard, des groupes algonquiens se sont réfugiés de la Nouvelle Angleterre en Gaspésie (les Malécites), et dans les Bois-Francs et la vallée du St-François (les Abénakis). Un groupe de Cris a traversé le partage des eaux au début du 20è siècle et s’est établi près de l’actuelle Shefferville (les Naskapis) s’intégrant partiellement aux Innut. Quelques survivants du massacre des Béothuks (de langue algonquienne) à Terreneuve se sont totalement intégrés aux Innut de la Basse-Côte-Nord tout en gardant le souvenir de leur origine.
Suite à leur défaite aux mains de la Confédération des Cinq- Nations, un groupe de Wendats (Hurons) est venu s’installer près de Québec3.. Et, après la paix généralisée entre la Confédération des Cinq-Nations et les Français et leurs alliés à la fin du 17è siècle, un groupe important de Kanien’ke (Mohawk-e-s), converti-e-s au catholicisme par les Jésuites qui les appelaient les Agniers de St-Louis, sont installés, en rupture avec leur nation et leur Confédération, sur ce qui sont devenues les réserves d’Akwesasne et de Kahnawake.
Comme on peut voir les seuls groupes à ne vivre que sur le territoire qui allait devenir le Québec étaient les Innut (Montagnais) et les Attikamekw.
7. Jusqu’à la conquête anglaise de la Nouvelle France, les rapports entre la société européenne et les autochtones sont une combinaison d’alliance (avec les groupes algonquiens et avec la Confédération wendate) et de guerre (avec la Confédération des Cinq-Nations jusqu’à la fin du 17è siècle). A ceci s’est mêlé un jeu de guerres et d’alliances entre les différentes puissances européennes (Angleterre, France, Hollande, Suède) colonisatrices qui cherchaient à s’allier le plus possible de guerriers autochtones.
8. Dès son arrivée, Samuel de Champlain s’allie avec les Innut (Montagnais) et la Confédération wendate (huronne) qui étaient déjà en conflit ouvert ou larvé avec leurs puissants voisins la nation kanien’ke (mohawk) de la Confédération des Cinq-Nations. C’est à Champlain que revient "l’honneur" douteuse de tirer le premier coup de feu contre des autochtones en Amérique du nord, en l’occurrence des
Kanien’ke (Mohawks). A partir de ce moment et jusqu’à la fin du 17è siècle, il y toute une série du guerres entre les Français et leurs alliés autochtones et la Confédération des Cinq-Nations qui, pour avoir les armes (et à cause de la concurrence dans la traite de fourrures), s’allie d’abord aux Hollandais (jusqu’en 1664) et ensuite aux Anglais, établis dans la colonie de New York.
Voilà l’origine des légendaires Iroquois sanguinaires, massacreurs des "saints martyrs canadiens" et, pire encore, alliés des Anglo-Saxons haïs de l’historiographie catholique et nationaliste du Québec, devenue dans une large et triste mesure un des mythes fondateurs de la nation québécoise. La réalité est que ces gestes, réels d’ailleurs, ont été posés en riposte à toute une série d’invasions du territoire iroquois par l’armée française.
Il faut exiger l’élimination de ces mythes unilatéraux et racistes des manuels scolaires du Québec. Il faut refondre l’imaginaire national pour en effacer toute trace raciste à l’égard de la Confédération des Cinq-Nations.
9. En réalité, il y avait deux tendances à l’oeuvre au sein de la société de la Nouvelle-France. La première et celle qui a finalement été adoptée suite à la conquête anglaise était l’option génocidaire et/ou concentrationnaire (mise en réserves) prônée par les missionnaires (les Jésuites) et par les représentants de la "mère-patrie" européenne (gouverneurs et intendants).
La deuxième était la tendance à une fusion physique et culturelle (syncrétisme ou "créolisation") entre les petits colons et les peuples autochtones comme cela s’est produit dans beaucoup des colonies espagnoles. La Nouvelle-France n’a jamais pu installer un féodalisme absolutiste comparable à ce qui existait en Europe. Certains historiens évaluent que, sur les 60 000 chrétiens en Nouvelle France au moment de la Conquête anglaise, 10 000 échappaient à la société européenne et vivaient avec les autochtones (voyageurs, coureurs des bois, trappeurs, etc.) et qu’un autre 10 000 étaient mariés à des femmes d’origine autochtones avec 7 à 8 000 enfants. Cela représentait près de la moitié de la population "européenne". Le régime français d’alors se plaignant, d’ailleurs, du refus de beaucoup d’habitants de se dire "françoys" (français).
Bien que la Conquête anglaise soit la défaite fondamentale de cette tendance, elle continue à fonctionner dans les régions plus ou moins éloignées jusqu’au quatrième quart du 19è siècle. La déclaration de la tendance radicale des Patriotes en faveur de "l’égalité entre Blancs et Sauvages" en 1838 en est une illustration. La défaite des Métis et des autochtones et la pendaison de Louis Riel en 1885 symbolisent la fin définitive de cette tendance. Néanmoins, l’identification entre Métis (et autochtones) et langue française et religion catholique (l’auto-définition des
Canadiens français de l’époque) était telle qu’il y a eu une manifestation de 50 000 personnes à Montréal contre cette exécution.
10. Cette victoire ultime de la solution génocidaire et/ou concentrationnaire donne lieu à la "disparition des autochtones" de la conscience générale des sociétés dominantes urbanisées (canadienne-anglaise et québécoise) et au racisme virulent dans les régions relativement éloignées des grands centres industriels du sud de l’Ontario et du Québec où sont campées les autochtones (au Canada-anglais et au Québec). Le processus se poursuit cependant jusqu’aux années 1960 sur la Côte-Nord, au Labrador et au "Nouveau Québec" par exemple.
11. Le système de traités, adopté au milieu du 19è siècle, ne reconnaît pas les nations autochtones comme telles mais uniquement des "bandes". C’est diviser pour mieux régner.
Contrairement à l’Afrique du Sud et à beaucoup de pays de l’Amérique centrale et du Sud, les peuples autochtones de l’Amérique ne servent pas de main d’oeuvre aux conquérants. Ils résistent trop. Et les réserves, que ces peuples refusaient au début, sont devenues, contrairement aux bantoustans de l’Afrique du Sud, leur seul refuge, les seules terres qu’il leur reste et qu’il faut protéger contre tout.
Et malgré la résistance assez forte à l’imposition, artificielle dans bien des cas, d’une structure de pouvoir liée à Ottawa (les conseils de bande et les grands conseils), l’existence même, pendant maintenant un siècle dans bien des cas, de telles structures et le fait qu’elles soient souvent les seuls et uniques mécanismes de représentation (donc de revendication) de certaines nations autochtones ont donné à ces structures une certaine légitimité et ont même produit certaines accointances politiques et matérielles (la plupart du temps selon le modèle de l’insertion conflictuelle) entre le tuteur (fédéral) et ses pupilles (les élites des nations autochtones).
12. Dans le cas des Six-Nations, on applique rétroactivement ce système en reniant les traités signés longtemps auparavant par la couronne britannique avec l’ensemble de la Confédération. C’est en septembre 1923 que, sur l’ordre du ministère des affaires indiennes (ou son équivalent à l’époque), les polices fédérale et provinciale dispersent de force le Conseil de la Confédération à Oshwenko (près de London, Ont.), brûlent la longue maison et interdisent toute autre réunion. La même chose se répète en 1973. Pourtant le Conseil, terriblement affaibli, ne disparaît pas pour autant.
13. La situation des Inuit de Nunavik (Nouveau-Québec ou Ungava) est quelque peu différente. D’abord, ils n’ont été reconnus comme tels par un gouvernement quelconque qu’en 1930 lorsque la Cour suprême décrète qu’ils sont régis par la Loi sur les Indiens (sic). Ce est au cours de la deuxième guerre mondiale que le gouvernement fédéral leur impose la sédentarisation (pour mieux asseoir en droit international la "souveraineté" canadienne sur l’Arctique), processus qui dure jusqu’à la fin des années 1950.
Les Inuit sont en fait majoritaires sur le territoire global de Nunavik. C’est ceci qui a amené un fort groupe d’entre eux, issu du mouvement coopératif moderne (y compris des Blancs), à réclamer un gouvernement régional élu à suffrage universel sur l’ensemble du territoire de Nunavik.
14. La politique moderne des différents paliers de gouvernement, définie par le gouvernement Trudeau au début des années 1970 (lorsque Jean Chrétien était ministre des Affaires indiennes) et toujours en vigueur, peut se résumer ainsi :
la création d’une élite autochtone par la formation d’un certain nombre de dirigeants nation par nation dans les universités blanches et avant tout dans un processus complexe de négociations ultra- bureaucratiques et de procédures devant les tribunaux, tout ceci subventionné par l’État fédéral même ;
l’encadrement de cette élite par une véritable industrie d’experts-conseils ("consultants") blancs (avocats, aménagistes du territoire, économistes, anthropologues, etc.) qui, dans la plupart des cas, se croient honnêtement dévoués à la cause des droits autochtones ;
la promulgation de la notion de droit capitaliste "d’occupation continue des terres" comme fondement de la détermination de l’étendue des terres où il existerait un droit aborigène faisant fi ainsi du caractère nomade ou partiellement nomade de l’usage des terres par la quasi-totalité des peuples autochtones avant que ceux-ci ne soient confinés aux réserves et à la dépendance par le génocide partiellement réussi ;
la négociation bande par bande de l’extinction des droits aborigènes en échange de parcelles de terres (plus ou moins importantes selon le cas ; si elles se trouvent dans le Grand Nord, elles peuvent même être assez importantes) et de quelques millions de dollars (peu par rapport à la valeur des terres abandonnées aux tendres mercis du "développement capitaliste") qui deviennent la base économique de cette même élite autochtone ;
depuis la montée du thatcherisme et du reaganisme, il s’est ajouté une politique de stimulation d’un capitalisme, d’un entrepreneurship autochtones pour renforcer les assises matérielles et idéologiques de cette élite ; comme le développement du capitalisme comporte toujours ses "hors-la-loi", l’encouragement officiel du développement des casinos sur les réserves aux États-Unis s’est accompagné par leur développement hors contrôle à Akwesasne et à Kahnawake ;
la promulgation et la propagation des notions de "self- government" ou de "souveraineté dépendante" sous le contrôle des conseils de bande élus selon les normes de la Loi sur les Indiens, ce qui revient éventuellement à la municipalisation des réserves sous contrôle provincial ;
et finalement l’emploi régulier des tribunaux, de la police et, depuis cet été, de l’armée pour prévenir et/ou réprimer toute velléité de résistance à cette politique ou d’accélération des négociations par l’action militante.
15. Le renouveau de l’affirmation de soi et l’apparition de mouvements de lutte parmi les peuples autochtones au cours des années 1960 faisait partie de la montée généralisée des luttes ouvrières et populaires de l’époque. En Amérique du nord, les populations non blanches et non anglophones s’insurgent. Ainsi sont nés les mouvements nationaux québécois, noirs, chicanos et autochtones.
Mais la situation des autochtones ne leur a pas permis de clarifier leur propre conscience en soi et pour soi. S’agit- il d’une seule et unique nation autochtone comme le American Indian Movement tendait à postuler et à rechercher au cours des années 1970 ou de plusieurs nations fondées sur les anciennes ethnies linguistiques et culturelles renouvellées et refondues comme cela semble être le cas maintenant ? La question est ouverte et fluide et c’est aux autochtones eux- mêmes d’y répondre éventuellement. Nous n’avons aucune raison à vouloir figer l’histoire à ce moment-ci quelque soit "l’impatience légendaire" des blanc-he-s.
16. Le fait que l’intervention des gouvernements ait créé une certaine élite autochtone dont les intérêts matériels et sociaux sont liés à la structure des conseils de bande est un facteur de désunité indéniable.
Et cela crée également une confusion considérable parmi les sociétés dominantes même parmi ceux et celles les plus favorables aux droits autochtones. Ainsi après des années où le Canada anglais dominant a fait écoeurer les Québécois avec la question "que veut le Québec ?", ne voit-on pas la majorité francophone québécoise demander avec irritation "mais qu’est-ce qu’ils veulent, au juste, ces Indiens ?". Après que la majorité des Québécois-e-s ait rejeté depuis fort longtemps les sirènes du bilinguisme et du biculturalisme, du multiculturalisme, de l’assimilation au sein de la confédération canadienne, ne voit-on pas les représentants politiques de "la souveraineté" bourgeoise du Québec proposer la même salade inacceptable aux nations autochtones ?
17. Jusqu’au début des années 1970, tous les autochtones étaient considérés comme étant "pupilles du gouvernement fédéral", l’Acte de l’Amérique du Nord britannique ayant réservé la juridiction sur "les Sauvages et les terres des Sauvages" au gouvernement central. Toutes les provinces rejetaient activement toute responsabilité envers les autochtones vivants sur leur territoire respectif.
En ceci, le Québec n’était pas une exception. Au contraire, dans la mesure où le Québec devenait de plus en plus "la réserve" des francophones5., et le gouvernement québécois et la conscience populaire tendaient à rejeter toute responsabilité envers ces "étrangers" au sein de la société majoritaire.
Jusqu’à la révolution tranquille du début des années 1960, le nationalisme des francophones de la réserve du Québec restait fondamentalement défensif, timoré et exclusif ("canadien, français et catholique"). Ainsi, lorsqu’au début du 20è siècle, Ottawa détruit la structure gouvernementale traditionnelle de la Confédération des Six-Nations et accélère le processus de perte des langues autochtones et donc d’anglicisation, personne dans la population francophone ne proteste.
Pourtant le nationalisme québécois contemporain semblait devenir, à partir des années 1960, affirmatif, actif, sûr de lui-même et assez serein, suite à l’adoption de la loi 101, pour comprendre que l’épanouissement d’autres communautés au sein de la société québécoise ne menaçait en rien les ambitions de la majorité. Ainsi il y a eu un fort courant d’appui spontané aux Cris et aux Inuit dans le dossier de la Baie James, le mouvement syndical de la Côte-Nord a rejoint les Innut (Montagnais) dans la bataille contre les clubs privés de chasse et de pêche et il y a eu beaucoup de protestations contre les agissements violents de la Sûreté du Québec à Restigouche lors de la bataille du saumon de 1981.
Mais tous les gouvernements modernes du Québec, y compris ceux du Parti québécois ont maintenu dans la pratique le nationalisme défensif, timoré et chauvin surtout en ce qui regarde les nations autochtones. La défaite du référendum en 1980, le rapatriement unilatéral par Ottawa de la constitution canadienne, le virage à droite du dernier gouvernement Lévesque, l’intériorisation par la majorité québécoise des valeurs conservatrices reaganiennes et thatchériennes, le renouveau de l’arrogance anglophone après la ré-élection de Bourassa, les menaces contre la loi 101 et la montée du chauvinisme anti-québécois et anti-français au Canada pendant le débat sur l’entente du Lac Meech ont fait ressurgir l’aspect purement défensif, chauvin et exclusif, du nationalisme québécois.
Et selon le modèle de l’esclave qui battait son âne faute de pouvoir atteindre son propriétaire esclavagiste, ce nationalisme chauvin a trop facilement viré au racisme anti- autochtone au cours de l’été 1990. Il faut restaurer à l’indépendantisme québécois son contenu progressiste.
III. Nations autochtones et question linguistique
18. Jusqu’à la première guerre mondiale, la langue usuelle des peuples autochtones était leur propre langue historique...
La langue de communication avec les Blancs dépendait de deux facteurs : la langue commune des Blancs de la région (surtout des commerçants) et, ce qui importait encore davantage, la langue des missionnaires (français pour les catholiques et anglais pour les protestants).
A partir du début du 20è siècle, Ottawa impose l’usage de l’anglais comme langue d’enseignement sur les réserves. Dans le sud, les pressions économiques s’ajoutent à cette pression d’acculturation générale en faveur de l’anglicisation. Ainsi au Québec, les nations micmaques et kanien’ke tendent à perdre leur langue propre et à devenir anglophones tout en étant entourées de francophones tandis que la majorité des anishnabe emploie l’anglais comme langue seconde. Dans le Grand Nord où les Inuit, les Cris et les Naskapis restent essentiellemnt sous tutelle fédérale jusqu’au milieu des années 1970 et où il n’y a presque pas de francophones, l’anglais domine comme langue seconde.
En général on peut affirmer que les autochtones reconnus comme Indiens "statués" conformément à la Loi fédérale sur les Indiens sont anglophones ou utilisent l’anglais comme langue seconde (Kanien’ke, Cris, Inuit, Micmacs, Naskapis et la majorité des Anishnabe) tandis que ceux et celles qui n’ont pas signé de traité définitif ou n’ont pas de statut sont francophones ou utilisent le français comme langue seconde (Wendat (Hurons), Innut (Montagnais), Attikamekw, Abénakis, Malécites, et Métis et Indiens sans statut (surtout en Abitibi-Témiscamingue).
A ceci, il faut ajouter que les nations (les Kanien’ke et les Micmacs) les plus en contact avec la société dominante anglophone (par la radio, la télévision, les journaux, le système scolaire, etc.) et dont la majorité des co-nationaux vivent ailleurs qu’au Québec ne sont pas exemptes des pressions chauvines anti-francophones ambiantes.
19. Nous n’avons aucune reproche à faire aux nations autochtones quant à la langue européenne qui leur a été imposée. Au contraire, il faut appuyer et renforcer la tendance au renouveau de l’emploi et à l’enrichissement du contenu des langues autochtones (où les Innut (Montagnais) et les Inuit "dissidents" sont à l’avant-garde). La reconnaissance de la souveraineté autochtone et la lutte contre les pressions économiques et sociales en faveur de l’anglicisation de l’ensemble de la société ne peuvent que favoriser le rapprochement entre autochtones et Québécois de langue française.
20. Personne ne peut demander aux nations autochtones d’être plus indépendantistes québécois que la nation québécoise. Lorsque celles-là demandent à négocier de nation à nation et que le gouvernement de celle-ci (y compris sous les "souverainistes" péquistes) s’en lave les mains au nom de la répartition des juridictions fédérales-provinciales de l’AANB, faut-il se surprendre du fait que les nations autochtones aient tendance à traiter le gouvernement du Québec de "porte-queue de sous-singe" ?
Au contraire, les indépendantistes socialistes, en se battant pour l’indépendance du Québec et contre la prison des peuples qu’est l’État fédéral canadien, reconnaissent d’emblée que l’acceptation du droit des nations autochtones à la souveraineté est un préalable à la réalisation d’une alliance éventuelle entre la classe ouvrière et les forces populaires du Québec, les nations autochtones du Québec et du continent tout entier, et les forces progressistes du Canada anglais et des États-Unis.
IV. Droits autochtones et propriété de la terre
21. Malgré la campagne de désinformation et d’intoxication dans les médias, depuis quelques mois (surtout la publication de cartes factices), aucune nation autochtone ne réclame la propriété absolue de toutes les terres qu’elle utilisait avant l’arrivée des colons européens et sur lesquelles elle prétend avoir un droit ancestral ou aborigène. Aucune nation autochtone ne prétend renvoyer les descendants des colons en Europe. Les revendications "bizarres" ou "déraisonnables" dont parlent les Mulroney, Bourrassa, Ciaccia et Parizeau sont soit dans leur propre tête soit leur propre demande de reddition inconditionnelle non pas des quelques guerriers de Kanesatake et de Kanahwake mais des nations autochtones elles-mêmes.
22. A l’exception des Cris de la Baie James, des Inuit du Nouveau-Québec et de la bande des Naskapis8., aucune nation autochtone du Québec n’a signé de traité (même frauduleux) éteignant leurs droits sur le territoire qu’elles utilisaient au moment de l’arrivée des Européens. Certes, on peut invoquer le droit de conquête mais cela revient à admettre que la défaite de l’armée française aux mains de l’armée anglaise sur les Plaines d’Abraham en 1759 a éteint pour toujours tous les droits des Québécois francophones comme le prétendent les super-chauvins canadiens-anglais.
23. En fait, ce n’est que pendant la deuxième moitié du 19è siècle que le gouvernement central formalise unilatéralement la conversion en réserves des seigneuries cédées aux missionnaires pour l’usage des autochtones qui passent de la tutelle religieuse à la tutelle fédérale et crée d’autres réserves. Dans la plupart des cas ces réserves se trouvent sur des terres peu ou pas convoitées par les Blancs.
Mais rien ne protège même ces pauvres parcelles de terres de la convoitise éventuelle lors de la colonisation du Saguenay- Lac St-Jean, de la Haute-Mauricie, de l’Abitibi- Témiscamingue, du Mégantic ou de la vallée de la Matapédia. Au début du 20è siècle, beaucoup de ces réserves sont simplement et unilatéralement déplacées ailleurs (sur la Côte-Nord, par exemple) ou fermée selon les impératifs de la colonisation ou du développement des infra-structures énergétiques et de transport.
24. Ce processus de sédentarisation forcée et de vol du territoire ne relève nullement de l’histoire ancienne. Les réserves kanien’ke (mohawkes) de Kahnawake et d’Akwesasne ont perdu plus de territoire pendant les années 1950 et la construction de la Voie maritime du St-Laurent que ce qu’elles avait perdu pendant les cents années précédentes. Est-il un hasard que les deux ponts Mercier (chemin de fer et automobile) accotent sur le terrain de Kahnawake ou que le pont international de Cornwall passe par le territoire d’Akwesasne.
Ce n’est qu’au cours des années 1950-60 que les Innut (Montagnais) de la région de Sept-Iles et du Labrador sont campé-e-s de force sur des réserves rocailleuses composées de maisons de surplus de guerre. Et on pourrait multiplier les exemples.
Certes, le gouvernement fédéral prétend avoir compensé les autochtones pour ces pertes. Mais étant donné la situation de tutelle exercée par le département des Affaires indiennes, les communautés en question n’ont rien vu de cette compensation qui a été versée d’un département gouvernemental à un autre (Affaires indiennes) pour que ce dernier l’utilise pour le bien des ses "pupilles" autochtones. Un simple jeu de comptabilité moralement sinon juridiquement frauduleuse.
25. Face à la continuation de l’ethnocide de leurs nations, les représentant-e-s des autochtones réclament depuis maintenant plus de vingt ans l’ouverture de véritables négociations territoriales de nation à nation (et non pas bande par bande) sur la base de la reconnaissance de leurs droits ancestraux (et donc de leur droit de regard sur le développement) sur les territoires qu’ils utilisaient auparavant et de leur propriété collective et absolue de suffisamment de terres pour permettre leur épanouissement physique et économique.
26. Tout comme les gouvernements et le patronat ont technocratisé, bureaucratisé et judiciarisé à outrance les négociations patronales-syndicales au point que la majorité des syndiqué-e-s ne peuvent pas réellement maîtriser ni le déroulement de ces négociations ni le contenu des conventions collectives sans recours à des spécialistes, trop souvent coupés de la base, les gouvernements fédéral et provinciaux ont fait des revendications territoriales autochtones et de leur négociation un véritable bourbier semé d’embûches de toutes sortes. Confondre et mêler pour mieux régner.
Cependant, la majorité des autochtones, comme la majorité des syndiqué-e-s, reconnaissent leur intérêt dans ces négociations et essaient tant bien que mal de les suivre de près.
27. Si les négociations syndicales peuvent prendre un an ou même deux pour se régler, les négociations territoriales des nations autochtones traînent pendant des décennies. Ainsi, les Lubicons d’Alberta essaient de se négocier une réserve officielle depuis 75 ans. Les réserves anishnabe (algonquines) de Lac Barrière et du Grand Lac Victoria dans le Parc de la Vérendrye ont toujours un statut ambigüe.
Le gouvernement fédéral a adopté une politique de ne mener que quatre négociations territoriales (bande par bande) de front par année. Étant donné l’existence de près de 400 bandes et le fait que chaque négociation prend un minimum de 10 ans, on parle en réalité d’une échéance millénaire !
Le Conseil Attikamekw-Montagnais au Québec essaie sans succès de négocier avec les divers gouvernement une entente depuis sa fondation en 1976. La négociation achoppe chaque fois sur le refus du CAM d’accepter la notion capitaliste d’extinction de leurs droits sur l’ensemble de leur territoire ancestral qui deviendrait, sauf les parties qui leur sont réservées, propriété absolue de la Couronne, selon le modèle des traités et de la Convention de la Baie James. Le gouvernement du Québec, pequiste ou libéral, s’est avéré intractable.
28. Sur la question de la propriété absolue d’un partie des terres ancestrales, divers propositions ont été faites et d’autres encore se feront sans doute. Les nations autochtones et leurs revendications sont en pleine évolution. Il ne faut pas préjuger d’avance toutes les solutions conjointes possibles.
Il ne faut pas non plus prendre pour acquis éternel, et surtout pas pour juste, les solutions uniquement possibles à l’intérieur des formes bourgeoises actuelles de propriété privée ou des modèles de développement qui ont prédominé jusqu’ici au Québec (ressources naturelles et énergétiques).
De plus en plus de gens parmi la société dominante remettent en cause ces modèles, y compris, non seulement des écologistes, mais aussi des syndicats des secteurs de ressources naturelles (forêt et du papier, mines, etc.).
29. Une des notions les plus intéressantes mises de l’avant par des négociateurs autochtones est celle, juridique et donc obscure à première vue, de co-usufruit des territoires ancestraux. Exprimé plus simplement, ceci veut dire que les deux groupes, nation majoritaire québécoise et nations autochtones, partageraient (dans un rapport qui est à négocier) les décisions de développement et les fruits du développement des territoires en question. Les nations autochtones se réserveront collectivement un droit de propriété absolue sur un certain territoire nécessaire à leur épanouissement et un droit de circulation, de chasse et de pêche sur un territoire plus important encore. Ceci implique un certain droit de veto sur le développement car si les territoires adjacents sont détruits par la coupe à blanc de la forêt, par exemple, le droit d’y chasser et d’y pêcher devient tout à fait théorique comme les Cris de la Baie James l’ont appris. Mais la vaste majorité du territoire serait à partager selon des modalités à négocier.
Certes cette notion de propriété en commun pour le bien de tout le monde est incompatible avec les intérêts des grandes sociétés de développement et d’exploitation des ressources naturelles. Elle est incompatible avec la grande propriété privée et est donc rejetée par les gouvernements actuels qui sont les défenseurs de la classe sociale possédante. En fin de compte, il s’agit d’une notion éminemment anti- capitaliste. Il s’agit également d’une notion éminemment raisonnable pour la vaste majorité des Québécoises et des Québécois qui n’ont aucun intérêt dans un développement du Québec qui profite uniquement aux grandes sociétés canadiennes-anglaises et américaines et à leurs émules québécoises.
V. Luttes autochtones et violence
30. Aucun être humain le moindrement rationnel ne peut être en faveur de la violence en soi. Dans toute l’histoire humaine, les classes sociales, les minorités et les nationalités dominées ont toujours fait preuve d’une "patience légendaire" face à leur oppression, face à leurs oppresseurs. La violence sociale a toujours été et reste l’apanage essentiel et quasi-quotidien des classes et des nations dominantes pour qui il s’agit d’un outil essentiel au maintien de leur domination.
La violence des opprimé-e-s a toujours été soit une réaction de désespoir copiée sur les oppresseurs lorsque toutes les voies collectives semblaient bloquées ou une réaction d’auto-défense pure et simple. C’est ce fait historique, qui n’a pas connu d’exception jusqu’ici, qui a amené les fondateurs du socialisme moderne (et leurs successeurs légitimes que nous nous croyons) à rejeter, non pas le désir, mais la probabilité d’une voix pacifique au socialisme ou à la libération nationale.
31. En dépit de toutes les légendes intéressées propagées par l’historiographie mystifiée des conquérants européens et par l’imaginaire hollywoodien, la violence des peuples autochtones d’Amérique du nord a toujours revêtu l’une ou l’autre de ces caractéristiques : la défense collective légitime ou la réaction de désespoir de certains groupes face aux déprédations génocidaires de l’envahisseur européen.
32. A ceci, il faut ajouter le fait que nul n’est à l’abri de l’idéologie dominante, y compris de ses formes les plus extrêmes dont le mythe du "gun" comme solution à tous les problèmes. Ce mythe de la violence libératrice, justicière et foncièrement macho est un des thèmes les plus rabâchés des médias cinématographiques et télévisuelles des derniers 50 ans dans les sociétés capitalistes dites avancées. Le comportement des gouvernements occidentaux et de leurs forces armées ne fait que renforcer cette suprématie de la violence ouverte.
33. Au milieu des années 1970, le Conseil de la Confédération des Six-Nations accrédite la création de la Société des guerriers qui devait agir dans la défense de son peuple. Quelques années auparavant avait eu lieu le deuxième massacre de Wounded Knee avec l’intervention de l’armée de la garde nationale et de tous les corps policiers blancs de l’État de Dakota du sud aux États-Unis. La seule personne arrêtée et "condamnée pour meurtre" (dans un travesti évident de justice) était un militant autochtone, Leonard Peltier, qui se réfugie au Canada pour ensuite être déporté.
De tels groupes d’auto-défense qui se refèrent à leur propre histoire et culture se sont créés parmi d’autres nations autochtones. Mais cela est resté très rare. Après les événements de l’été 1990 à Kahnawake et à Kanesatake, on peut s’attendre à ce que d’autres groupes semblables, avec ou sans l’aval des structures traditionnelles ou des structures officielles, se créent.
34. Il faut affirmer clairement que les nations autochtones ont le droit indéniable de se défendre par tous les moyens nécessaires, sur leurs terres et dans les ghettos "rouges" des villes de l’ouest et des régions éloignées du Québec, contre le racisme ambiant et contre les forces officielles et étatiques de répression au service des gouvernements et des intérêts dominants.
Il n’y a aucun trait d’égalité à tirer entre la violence des opprimé-e-s et la violence des oppresseurs et notre reconnaissance de la souveraineté autochtone comprend la reconnaissance du droit de défendre avec les armes si nécessaire le peu de territoire qu’il leur reste.
35. Mais cette défense inconditionnelle du droit des autochtones de prendre les armes dans leur propre défense ne doit pas nous aveugler aux dangers que cela peut impliquer dans une situation d’isolement de la lutte autochtone. La non-reconnaissance par les gouvernements dominants de structures historiques de la Confédération et leur refus de négocier sérieusement, combinés avec l’idéologie du "gun" propagée par les Marines américains (souvent le seul emploi disponible pour les jeunes kanien’ke), sont à l’origine de l’impatience de beaucoup de membres de la Société des guerriers des Kanien’ke.
A cette impatience, il faut ajouter la tentation du capitalisme individualiste de bas étage (mais tant vanté par Mulroney, Bush, Bourassa, Parizeau et Landry au nom de l’encouragement des PME et de l’entrepreneurship) tels les casinos, les bingos et la vente de cigarettes. Si la majorité de la nation en question accepte un tel capitalisme c’est son droit et les gouvernements blancs n’ont rien à dire là-dessus.
Mais lorsque la nation est divisée, lorsque les profits bénéficient uniquement à quelques individus (et très souvent aux capitaux "douteux" venus de l’extérieur de la nation), il faut l’appeler par son vrai nom : un début de corruption des individus et des organisations impliqués.
Ainsi, le Conseil de la Confédération des Cinq-Nation a tout à fait raison de répudier la Société des guerriers pour le rôle qu’il a joué à Akwesasne en avril et mai 1990 (voire Combat socialiste de juin 1990).
36. Mais ceci ne veut pas dire que les bavures graves et contraires à la tradition de leur propre nation commises par la Société des guerriers à Akwesasne et, dans une moindre mesure, à Kahnawake peuvent servir de prétexte à un refus (même au nom du pacifisme le plus principiel ou moral) de défendre le droit de gens se réclamant des guerriers et d’autres de protéger leurs communautés contre la violence de la Sûreté du Québec et de l’armée canadienne.
Les chefs, on-ne-peut-plus officiels et reconnus, des Premières Nations avaient averti les gouvernements, il y a déjà quelques années, que la frustration parmi les jeunes des réserves avait atteint le point d’ébullition et menaçait d’éclater en violence. Ce qui n’a pas empêché le gouvernement Mulroney de sabrer dans les dépenses pour l’éducation des autochtones. Comme disait le poète, "il ne faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards "sauvages".
Rien ne doit nous faire perdre de vue que c’est le refus du conseil municipal d’Oka, du gouvernement du Québec et du gouvernement d’Ottawa de négocier qui est à l’origine de la crise actuelle. Et que c’est la SQ qui a attaqué une occupation jusque lors pacifique de terres autochtones !
37. Dans cette situation, il est inévitable que des bavures aient lieu y compris la destruction de propriété de non-autochtones tout à fait innocents. C’est regrettable mais tout à fait compréhensible. D’ailleurs, les situations comme celle de cet été à Kanesatake et à Kahnawake ouvrent la porte aux agissements de toutes sortes de provocateurs ou de bandes de voyous qui n’ont aucun lien avec les communautés ou les militant-e-s autochtones. Rien ne prouve que les saccages qui ont eu lieu sont le fait de Kanien’ke.
Étant donné que ce sont les gouvernements blancs en place qui en sont responsables, c’est à ces mêmes gouvernements et non pas à la nation ou aux communautés autochtones impliquées, de compenser ces gens pour la perte de leurs biens personnels et/ou familiaux.
VI. Nos tâches
38. Notre tâche immédiate consiste à réclamer :
le retrait immédiat des forces armées et policières des réserves,
le retrait inconditionnel de toute accusation portée contre des Kanien’ke autour des événements de Kahnawake et de Kanesatake,
la reconnaissance immédiate que les terres convoitées par le club de golf d’Oka appartiennent déjà, de plein droit et sans compensation (sauf auprès des propriétaires de maison unifamiliales s’il y en a), aux Kanien’ke de Kanesatake,
la reconnaissance par tous les niveaux de gouvernement des droits ancestraux des nations autochtones et de leur droit absolu à l’auto-détermination et donc à la souveraineté pleine et entière,
et l’ouverture immédiate de négociations honnêtes et de bonne foi avec toutes les nations autochtones qui le désirent sur leurs revendications, territoriales et autres, selon le rythme déterminé par les nations autochtones et en respectant les normes démocratiques propres aux nations autochtones.
Il faut mettre de l’avant ces positions, même à contre- courant, dans les syndicats locaux, les conseils centraux et du travail, les centrales syndicales, les organisations étudiantes, les groupes de femmes et les groupes populaires.
39. Il faut se préparer à une longue et difficile lutte de défense judiciaire et militante (dans la rue) des dizaines de Kanien’ke déjà arrêté-e-s et les autres qui ne manqueront pas de se faire arrêter ou réprimer d’autres façons (congédiements, exclusions, etc.).
40. Pour commencer à contrer le racisme inhérent à l’historiographie officielle (le premier chapitre des manuels scolaires), il faut faire un travail spécifique en milieu scolaire (syndicats enseignants et organisations étudiantes) pour s’assurer, en collaboration avec les peuples autochtones eux-mêmes, que l’histoire réelle y soit présentée.
41. Il faut lutter contre toutes les formes de xénophobie et de racisme que cela vienne de sources "respectables" tels le film Disparaître, la Commission des écoles catholiques de Montréal ou les Partis libéral et québécois ou de sources d’extrême-droite tels SOS-Génocide, Longitude 74 ou les Skinheads.
42. Il faut commencer à renouer avec les éléments positifs de notre propre histoire dont l’alliance du dernier siècle entre francophones et autochtones, celle de 1837-38 et celle de 1870-188510..
En premier lieu, ceci veut dire reconnaître la délinquance et l’irresponsabilité non seulement des centrales syndicales en tant principale force de la classe ouvrière et des forces populaires québécoises mais aussi de l’ensemble de la gauche organisée ou inorganisée, à quelques exception près, par rapport à la défense des nations autochtones. Malgré des efforts réels de dernière minute cet été, la riposte parmi les non-autochtones du Québec au coup de force de Bourassa- Mulroney a beaucoup laissé à désirer pour dire le moins. C’est l’ignorance et la négligence des forces progressistes et de gauche qui portent une grande part du fardeau de cette faiblesse objective et subjective de la solidarité.
43. Il faut travailler à contrecarrer l’utilisation par les forces réactionnaires et les forces nationalistes canadiennes-anglaises de la crise de cet été contre les aspirations nationales du Québec. Ceci veut dire développer des alliances et un travail commun avec les forces progressistes du Canada anglais non seulement pour défendre le droit des nations autochtones à la souveraineté mais aussi le droit du Québec à l’indépendance.
Le fait que les territoires ancestraux de plusieurs nations autochtones débordent les frontières du Québec et même de l’État canadien rend encore plus important ce travail conjoint de solidarité et d’élaboration avec les forces révolutionnaires du Canada anglais et en dernière analyse des États-Unis mêmes.
44. Il ne faut plus jamais répéter l’erreur d’acceptation de "l’invisibilité" des nations autochtones du Québec. Il faut travailler, dans le respect de la culture des nations autochtones, avec les forces vives de ces nations pour développer notre compréhension de leur réalité et de comment cette réalité s’insère dans notre projet d’un Québec indépendant et socialiste. Il faut populariser le plus possible leurs revendications et les bases de ces revendications. Et ce travail doit être permanent, crise immédiate ou non, manchettes dans les journaux ou non.
45. Finalement il faut comprendre que personne parmi les non- autochtones n’a de leçons de politique à donner, et encore moins de programme à imposer, aux nations autochtones. Le but premier de la solidarité, c’est la solidarité agissante et inconditionnelle et non pas la propagande et le recrutement à la gauche québécoise.
Il faut éviter les deux écueils du paternalisme bienveillant d’une avant-garde qui sait tout et qui a toutes les réponses,
d’une part, et de l’admiration béate et a-critique du "Noble Sauvage" qui ne peut et surtout ne doit faire aucune erreur, d’autre part. Les deux sont des formes à peine cachées du racisme et préparent des lendemains qui déchantent pour les Québécoises et Québécois autant que pour les autochtones.
NOTES :
1. La nomenclature des nations autochtones est en pleine évolution. Certaines sont en train de remplacer les noms qui leur étaient collés par les conquérants. Dans la mesure du possible, ce texte essaie de respecter l’appellation autochtone tout en donnant le nom blanc usuel entre parenthèses pour fins de clarté.
2. Voir l’article dans Combat socialiste de juin dernier pour une brève historique de cette Confédération.
3. Beaucoup de ces Iroquoiens des Hautes-Laurentides sont morts à cause des épidémies de maladies introduites par les commerçants, pêcheurs et chasseurs de baleines européens qui visitaient le St-Laurent pendant tout le 16è siècle. Certain- e-s survivant-e-s sont probablement devenus une composante de la Confédération wendate ou wyandotte (huronne) avant l’arrivée de Champlain en 1608 et habitant le centre-ouest de l’actuel Ontario. D’autres se sont intégrés aux Cinq- Nations.
4. Les autres Wendat se sont dispersé-e-s parmi la nation anishnabe (ojibwa) au nord des Grands Lacs, ont été adopté-e-s de force ou de plein gré au sein de la Confédération des Cinq-Nations ou se sont reconstitué-e-s comme Wyandottes sur les terres des Odawa (Outaouais), des Illinois et des Pottawatomis au Michigan, au Minnesota et au Wisconsin actuels avant d’être déportés militairement par le gouvernement américain en Oklahoma vers 1835.
5. La défaite militaire des Métis francophones et des autochtones (Ojibwa, Pied-Noirs et Cris) dans l’ouest à la fin du 19è siècle et les lois contre l’enseignement en français du Manitoba et de l’Ontario au début du 20è siècle font du Québec l’unique "réserve" francophone sur le continent nord-américain.
6. Les Wendat (Hurons) de Wendake (Village des Hurons) en étaient l’exception ayant été les premiers à subir l’univers concentrationnaire des réserves dès les années 1660. Ils et elles ont commencé à perdre leur langue dès la deuxième moitié du 19è siècle.
7. Les Inuit "dissidents" (venant de trois villages et représentant au moins 30% des Inuit du Québec) ont refusé de signer la Convention de la Baie James (d’où leur nom de dissidents) mais contrairement à l’Association des Inuit du Nord du Québec (AINQ) signataire, ils et elles ne se sont pas opposés à l’application de la Loi 101 dans le nord au nom de la nécessité de l’anglais comme langue de communication (la main du fédéral y était évidente). Ils ont plutôt réclamé la même possibilité de protéger et de développer leur propre langue et culture au nord que les francophones cherchaient au sud.
8. La Convention de la Baie James et du Nord québécois entre le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec, d’une part, et les Cris de la Baie James (Grand Conseil) et les Inuit du Nord québécois (AINQ) a été signée en 1975 et la Convention du Nord-est québécois avec les Cris-Naskapis de Shefferville en 1978. Depuis, il y a eu maintes analyses du caractère injuste et tricheur (les "référendums" qui les ont ratifiés ont été organisés dans l’espace de deux semaines seulement et ceci parmi des peuples encore partiellement nomades comparés aux trois ans de préparation du référendum sur la souveraineté-association) des conventions mêmes ainsi que leur non-respect par les gouvernement. Nous exigeons leur abrogation et leur re-négociation.
9. A titre d’exemple, la réserve de Manicouagan dans le Saguenay, créée en 1853 est déplacée à Betsiamitis (Bersimis) sur la Côte-Nord en 1861 tout comme les Anishnabe (Algonquins) de Deux-Montagnes, près de Montréal, sont déporté-e-s à Maniwaki, tandis que les réserves de Rocmont (Saguenay), Péribonka et Crespieul (Lac St-Jean), Coucouche (Haute-Mauricie) et Coleraine (Mégantic) sont tout simplement fermées au début du 20è siècle.
10. Lorsqu’on compare les mobilisations de solidarité de cet été avec la mobilisation de 50 000 personnes à Montréal contre l’assassinat judiciaire de Louis Riel en 1885, il y a de quoi avoir honte de notre faiblesse mais surtout de quoi nous pousser à développer un travail permanent de solidarité avec les nations autochtones.
Michel Mill, le 15 septembre 1990