Tamassint est l’une des localités sinistrées à la suite du tremblement de terre qui a secoué le Rif il y a maintenant un an. Ses habitants protestent contre l’absence d’une politique conséquente de reconstruction et ont été à plusieurs reprises victimes de la répression. Dernièrement, la marche qu’ils ont organisée le 19 mai 2005 a été violemment réprimée et le bourg de Tamassint a été encerclé par les forces de la répression. C’est pourquoi une mobilisation d’urgence s’est mise en place pour rompre l’isolement des habitants. Une caravane de solidarité organisée par la section d’El Hoceima de l’AMDH en collaboration avec des associations démoc ratiques, syndicales et politiques venus de Casablanca, Agadir, Tata, Tétouan, Tanger, Nador, Targuiste et Al Hoceima, s’est rendue les 28 et 29 mai 2005 à Tamassint.
La situation de Tamassint :
par l’armée, la population massacrée. Haddou Akchich a été enlevé en 1957 et porté disparu.
Cette région a été marquée par les évènements de 1957-58 du Rif, l’armée est intervenue et a fait plusieurs morts, enlèvements et arrestations, terreur et violence sont encore vivaces dans la mémoire des habitants...
Après le tremblement de terre :
Après le tremblement de terre qui a secoué la région du Rif le 24 février 2004, Tamassint et les villages environnants ont été particulièrement sinistrés. Le manque d’infrastructure, route, eau, électricité font de cette région une enclave difficile d’accès. Les populations n’ont pas bénéficié de l’aide d’urgence difficile à acheminer.
Les jeunes de la région, pour beaucoup des chômeurs, se sont organisés en association pour demander de l’aide et la reconstruction par l’Etat de logements décents. Ils ont refusé l’aide accordée de 30000 dirhams considérant cette somme insuffisante pour la reconstruction. Ils ont également demandé de recenser l’ensemble des maisons sinistrées.
Tout au long de cette année, ils ont organisé des sit-in durant le souk hebdomadaire, pour réclamer leurs droits et se faire entendre. Aucun dialogue n’a été proposé par les autorités. L’association est interdite et les sit-in constamment sous haute surveillance policière.
La répression comme unique réponse :
Après une marche de protestation jusqu’à Ajdir le 14 avril 2005, le coordinateur de l’association et 2 autres personnes, accusés d’insultes à fonctionnaires et élus, de pousser la population à l’émeute et rébellion,... seront arrêtés à Tamassint.
Leur procès sera jugé le 26 mai à Nador.
Contre ce jugement inique, la population organise une marche de protestation le 19 mai vers Al Hoceima.
Dès 7 h le matin , ce jeudi 19 mai, les habitants de Tamassint et des villages environnants se rassemblent avec femmes et enfants pour une marche jusqu’à la ville d’El Hoceima.
Un impressionnant déploiement des forces de l’ordre les empêche de poursuivre leur marche. La population décide de faire le siège toute la nuit s’il le faut. Vers 16h, les gens se cotisent et envoient chercher de l’eau, du pain du lait pour poursuivre leur sit-in. Les forces de l’ordre les en empêchent. Aux insultes et provocations des gendarmes, les habitants répondent. La tension monte. Les forces de l’ordre tirent des balles à blanc, les habitants répondent par jets de pierre. De nombreux blessés de part et d’autre, des voitures et camionnettes des corps mobiles sont endommagées. La gendarmerie lance des bombes lacrymogènes par hélicoptère. Deux membres de l’Association des Droits de l’Homme d’El Hoceima (Omar Lamalem et Saïd Aachir) sont gravement tabassés, embarqués dans des voitures de gendarmerie puis jetés dans la nature.
Ils ont pu confirmer avoir vu une trentaine de blessés et autant d’arrestations parmi les manifestants. Ils ont également entendu les gendarmes insulter les rifains et leur histoire.
Jusqu’à 22h, les rumeurs s’intensifient, la route est coupée, personne ne peut approcher de Tamassint. Les seules communications se font par téléphones portables.
La population est totalement isolée, aucun journaliste, ni médecin sur place.
Les gendarmes poursuivent les populations qui ont été se réfugier dans les montagnes.
Fouilles des maisons et poursuite des membres de l’association recherchés.
Vendredi 20 mai : les forces de l’ordre renforcent l’encerclement de la région, la population sans ravitaillement est isolée. Le transport jusqu’à Tamassint est coupé, les écoles, les commerces, cafés sont fermés.
Un sit-in en solidarité avec la population de Tamassint est organisé par l’AMDH à Al Hoceima, malgré un important déploiement des forces de l’ordre...
Samedi 21 mai : Tamassint est toujours encerclée.
L’AMDH appelle à un autre sit in à Al Hoceima. Omar Lamalem et Saïd Aachir, qui vient de sortir de l’hôpital, expliquent devant une foule nombreuse et en colère ce qu’ils ont vu et subi. Ils accusent les forces de l’ordre de graves violations des droits de l’homme : bastonnades dans les voitures, ...
Par ailleurs, le Wali d’Al Hoceima fait pression sur les élus pour leur faire signer une pétition se désolidarisant des populations et soutenant les élus de Tamassint.
Dimanche 22 mai : les forces de l’ordre évacuent les montagnes, mais restent à Tamassint...
Le bilan de ces journées selon l’AMDH d’El Hoceima reste incertain :
Le nombre de blessés est inconnu, parmi les 35 arrestations, 9 personnes sont toujours détenues.
Les associations démocratiques soutiennent les revendications des habitants de Tamassint pour :
– le droit à la reconstruction par l’Etat pour un logement décent
– le recensement de tous les logements sinistrés n’ayant pas bénéficié de l’aide de l’Etat
– la libération de tous les détenus
– l’arrêt des poursuites judiciaires contre les manifestants du 19 mai 2005.
La caravane de solidarité pour briser l’isolement :
Lundi 23 mai : marche de soutien à Tanger.
Mardi24 mai : marche de soutien à Tétouan.
Jeudi 26 : jugement des membres de l’association à Nador. Rassemblement de plus de 300 personnes devant le tribunal de Nador à l’appel des associations de Droits de l’Homme, organisations politiques et syndicales. Le jugement est reporté.
Le samedi 28 mai, la manifestation de soutien à l’appel de l’AMDH d’Al Hoceima est interdite, le rassemblement devant le local de l’AMDH est quadrillé par les forces de l’ordre, les manifestants sont bloqués dans la ruelle, durant le sit-in, la parole est donnée aux représentants de la caravane venus de Tanger et de Tétouan, les slogans sont repris en masse.
Le dimanche 29 mai, jour de souk à Tamassint., dès 9h du matin, les membres de la caravane sont accueillis dans le local de l’AMDH à El Hoceima et les départs s’organisent pour Tamassint en petits groupes.
A 12 km d’Imzouren, nous traversons une région quasi désertique, quelques habitations dispersées, des constructions inachevées qui montrent bien que l’aide de 30 000 dirhams accordée par l’Etat pour la reconstruction des maisons démolies par le séisme, n’ont pas permis aux habitants d’achever les travaux , les maisons sont en chantier. Un an et demi après le tremblement de terre, les tentes distribuées sont encore dressées, en lambeaux après les chaleurs de l’été puis la neige et la vague de froid de l’hiver passé. Tout le long de cette route étroite et cahoteuse qui mène à Tamassint, c’est le même paysage, sinistre.
Des gendarmes sont toujours devant l’unique épicerie, précisément là où les affrontements du 19 mai ont éclaté, quand les forces de l’ordre ont retiré et bloqué le ravitaillement des habitants de Tamassint en sit-in .
Nous arrivons dans le village sinistré de Tamassint, sur l’unique place poussiéreuse. Les membres de la caravane sont accueillis par les habitants déjà rassemblés. « Tamassint résiste, vive la solidarité » c’est le premier slogan qui est lancé. Puis repris par les militants venus deTanger, Tétouan, Nador, Targuist et aussi de Casablanca, d’Agadir et même de Tata...
Les militants de l’association de Tamassint toujours recherchés et réfugiés dans les montagnes arrivent encadrés d’enfants. Les slogans s’amplifient, la foule se masse. Hami et ses camarades sont accueillis en héros.
Slogans : « Ni peur, ni répression, n’arrêteront une marche populaire. » , « Regardez quelle honte, leur réconciliation à coup de matraque »,
« Si le tremblement de terre est une catastrophe naturelle, notre marginalisation est un choix politique », « enregistrez pour l’histoire, la résistance des exclus », « poursuivons notre résistance, pour notre droit au logement et la reconstruction » « Ils nous parlent d’Etat de droit, vous avez devant vous une population d’exclus, où est le logement ? Ils ont parlé de droit, vous avez des pauvres et des victimes de leurs matraques, où sont nos droits » « nous demandons la levée, du siège, la reconstruction, la libération des emprisonnés » « Tamassint oubliée et encerclée, sans logement, ni équipement »
Durant plusieurs heures la foule se rassemble, crie sa colère et affirme sa détermination. Les gens arrivent par petits groupes. Les forces répressives sont restées cantonnées et ne se montrent pas.
Une marche fait le tour du village jusqu’au souk, elle rassemble environ 3000 personnes puis rejoint le centre du village. Un membre de l’association de Tamassint prend la parole, entrecoupée de slogans. Il parle de la lutte et la résistance du village de Tamassint et appelle à la poursuite de la mobilisation pour la levée du siège, la construction, la libération des détenus.
La parole est ensuite donnée aux représentants de la caravane. En premier lieu, Tétouan représenté par Ahmed M’rabet, originaire de la région et qui a vécu 5 ans avec A. Khatabi au Caire. Quelques mots émouvants d’un homme qui représente la mémoire de lutte de plusieurs générations, de ceux qui ont choisi, toute leur vie de poursuivre la lutte de A. Khatabi, sans compromission et sans reniement. Il s’adresse aux différentes générations rassemblées ici devant ce qu’il reste d’un des sièges du commandement de la brève république rifaine. Tamassint a toujours été un des hauts lieux de la résistance du peuple rifain. Cette lutte perpétuée par Haddou Akchich est toujour vivace à Tamassint.
De l’assistance, des visages de vieux marqués par les années de peur et de répression, des visages de jeunes animés par la détermination. Ahmed M’rabet , au nom de cette mémoire de l’histoire qui ne se laissera pas étouffer, rappelle que la détermination des habitants de Tamassint ne fait que la poursuivre.« Si Mohand*, nous poursuivrons la lutte » scande la foule après son discours.
Après l’intervention du représentant de la caravane de Tanger, la parole est donnée au représentant d’Attac, venu de Casablanca, pour affirmer le soutien et la nécessité d’unifier les luttes pour appuyer les revendications de la population de Tammassint. Puis a pris la parole un représentant d’Agadir, qui a rappelé qu’après le tremblement de terre d’Agadir en 1960, la ville a pu bénéficier de reconstruction de luxe, mais que les populations marginalisées continuent à vivre dans les bidonvilles et les quartiers insalubres.
De Tata, un jeune militant est venu apporter le soutien des habitants de Tata qui se battent également pour leur droit à la santé, dans cette autre région marginalisée et exclue qui se mobilise pour ses droits élémentaires.
De Nador et de Targuiste, le soutien s’est affirmé pour exiger :
– la levée de l’encerclement de Tammassint
– la libération des détenus**
– la reconstruction de logements décents par l’Etat
LE PRINTEMPS DE LA COLERE :
C’est le printemps de la colère qui frappe le Maroc du Nord au Sud. Après la libération des six mineurs syndicalistes d’Imini condamnés à 10 ans d’emprisonnement chacun , suite à une campagne de solidarité nationale et internationale, après les manifestations de protestation de Tata pour le droit à la santé, après les manifestations des populations de Khénifra, des marins pêcheurs, le mouvement contre l’exclusion à Sidi Ifni et tout dernièrement de Laayoun, malgré les interventions musclées des forces de l’ordre, de la répression, plus rien n’arrête la colère des populations marginalisées, enchômagées, tous les laissés-pour-compte de ce « Maroc d’en bas ».
Ce « Maroc utile », fait sous la pression et modelé par une mondialisation néo-libérale aux effets dévastateurs pour la population, est contesté dans les régions les plus reculées.
Du Nord au Sud, ce sont les revendications élémentaires d’une population qui, 50 ans après l’Indépendance, n’a toujours pas bénéficié de logement, santé, éducation, infrastructures, équipements. Une population qui n’a connu que répression, terreur, marginalisation : enfants dans les rues, analphabétisme, diplômés au chômage, candidats aux patéras, femmes répudiées dans les rues... Les rares équipements publics privatisés, la remise en cause des droits du travail, réforme de l’enseignement, remise en cause de libertés syndicales...
Tout cela sous fond de déliquescence des organisations politiques et syndicales qui ont failli à leur devoir de résistance et de soutien aux luttes, du discrédit des associations dites de la société civile, corrompues et mercantiles qui vendent une démocratie de pacotille.
Le printemps de la colère gronde. On voit surgir de partout une nouvel la génération qui exige de parler et lutte par elle-même, qui n’a plus confiance dans les slogans creux et les discours fleuve, de chefs corrompus et impuissants. C’est le printemps du Maroc d’en bas qui se fait entendre de Tamasint, à Laayoun, du Nord au sud, de Ajdir à Agadir.
Correspondance du 30 mai 2005
* Il s’agit Mohand Ben Abdelkrim AL KHATTABI héro du Rif.
** Mouaatasim Galbzouri (coordinateur de l’Association TAMASINT), ABERKAN M’hamed (70 ans) et le jeune Ghalid Salim, tous le trois emprisonnés à la prison civile de Nador.
Envoyer vos fax de protestation avant le 9 juin aux adresses suivantes :
Mr Le Premier Ministre : courrier@pm.gov.ma Fax n° 037768656
Mr Le Ministre de la Justice : courrier@mj.gov.ma Fax n° : 212 037723710
Mr Le Ministre de l’Intérieur : courrier@mi.gov.ma Fax n° 212 037766861 / 037767404
Et une copie à solidarite_tamasint@yahoo.fr