Algérie : de la Gauche féconde à l’islamisme des maquis
de Khelifa Hareb
17 septembre 2008
site de Gauche Socialiste - Québec
L’Algérie connaît ces dernières semaines une épouvantable escalade de violence. Les attentats terroristes, œuvres du GSPC qui a proclamé son allégeance à la nébuleuse Al Qaïda, se multiplient. Chaque nouveau matin charrie son lot de morts et de blessés. Les derniers attentats en date, perpétrés aux portes d’Alger, ont coûté la vie à 55 personnes. Face à cette situation on ne peut plus intenable, le pouvoir algérien fait preuve d’une impuissance encore plus inquiétante que les crimes monstrueux commis par l’engeance islamo-intégriste « d’Al Qaïda au Maghreb islamique ».
Les derniers attentats ne sont, toutefois, qu’un sinistre épisode d’une horrible et longue tragédie. Depuis 1990, pas moins de 200.000 personnes ont perdu la vie dans cet épouvantable drame. Les blessés se comptent par milliers et les dégâts matériels se chiffrent en milliards. Comment est-on arrivé là ?
Commençons d’abord par énoncer une vérité historique : ce qui se passe actuellement en Algérie n’est que la continuité d’une politique suicidaire initiée il y a bien longtemps.
Système militaro-policier
En 1962, l’Algérie accède à son indépendance. Mais le peuple algérien n’est sorti de sa guerre meurtrière contre la France coloniale que pour s’engouffrer dans une violence d’un autre type. Les colonels algériens qui ont chassé les colons français prennent le pouvoir en réprimant, dans le sang, toute velléité d’émancipation et de résistance. Ahmed Benbella, chef de l’État et Houari Boumediene, chef d’état-major s’autoproclament maîtres absolus de l’Algérie. Les deux hommes commencent par un nettoyage ethnique en Kabylie. Avec la chute de cette région traditionnellement frondeuse, le colonel Boumediene et son laquais prennent possession de l’Algérie dont ils feront une propriété privée.
Pour asseoir leur pouvoir et faire taire définitivement toute éventuelle contestation, ils ont mis en place le système militaro-policier le plus odieux du Tiers-Monde. Le terrorisme d’État était, de tout point de vue, érigé en mode de gouvernance. Liquidations physiques, arrestations arbitraires, torture, filature, kidnappings, séquestrations ont été monnaie courante. Pour les besoins de la cause, le pouvoir s’est doté d’une arme fatale : la police politique, chargée d’épier tout mouvement susceptible de remettre en cause le pouvoir en place. Cette situation s’est encore accentuée après le renversement de Benbella par son chef d’état-major, le 19 juin 1965.
Dans cette guerre contre le peuple algérien, les intellectuels étaient les plus surveillés. À l’époque, la seule élite visible, capable de produire des idées, se recrutait dans les milieux communistes. La chasse aux intellectuels de Gauche ne s’arrêtera pas et ne connaîtra aucune limite de moyens. Pour débusquer les communistes, les services secrets installèrent des indicateurs dans toutes les universités, administrations et unités de production. Tout cadre soupçonné d’appartenance à ce courant politique est limogé s’il n’est pas tout simplement emprisonné ou tué.
Parallèlement à cette campagne anticommuniste qui se corse de plus en plus, le pouvoir, cramponné à la religiosité de son nationalisme, redouble de concessions à l’égard de la mouvance islamiste naissante. On fait de l’Islam religion d’État, on finance les associations islamiques, on élabore un Code de la famille médiéval, on arabise l’École, on multiplie le nombre de mosquées.
Guerre secrète contre la Gauche
Ces deux éléments à savoir la marginalisation de l’élite francophone issue de la Gauche et la projection du courant intégriste ont débouché sur un désastre national.
La mouvance islamiste qui se nourrit de l’impopularité du pouvoir et de l’inculture des masses a su profiter du laxisme excessif dont faisait preuve le pouvoir officiel pour s’enraciner dans les rues, les campus et les consciences.
En 1988, après un soulèvement populaire sauvagement réprimé, le pouvoir militaire concède une ouverture démocratique de façade. Le premier qui devait en bénéficier était bien sûr le courant intégriste qui a déjà fait un long chemin. D’ailleurs, les islamistes n’ont eu aucun mal à se structurer en créant le Front islamique du salut qui remporte, en juin 1990, la première élection municipale pluraliste. Une année plus tard, le FIS réédite l’exploit en gagnant le premier tour des élections législatives. Les généraux, craignant le pire, annulent le second tour, dissolvent le FIS et instaurent l’état d’urgence. Les militants islamistes prennent alors le maquis et déclarent la guerre au peuple algérien avec les conséquences qu’on connaît.
Jusqu’à l’année 1999, on pouvait bien dire que les Algériens avaient gagné, au prix d’un lourd tribut, leur guerre contre l’obscurantisme et son corollaire, le terrorisme. Même s’il subsistait encore quelques irréductibles, on était tout de même près de l’issue. Il fallait juste un effort de plus, le dernier. Il aurait été suffisant de profiter de l’éclatante victoire militaire sur le fanatisme religieux.
Tous les ingrédients étaient donc réunis pour redonner au peuple algérien le goût de la paix. Il fallait juste accompagner cette victoire avec des gestes conséquents, des actes décisifs. Il fallait stopper le projet libéral de liquidation des acquis sociaux et nationaux ,interdire les partis islamistes, imposer la laïcité, moderniser l’école, écarter l’Armée du champ politique, réformer la justice, mettre fin à la corruption, libérer la presse, instaurer une alternance démocratique, faire de la femme l’égale de l’homme, promouvoir les identités multiples du peuple algérien dont la reconnaissance officielle de Tamazight a cote de l’arabe, un programme politique au service des travailleurs et des masses populaires…
Mais, la paix n’a pas la même saveur pour tout le monde. Une paix durable menacerait bien sûr le marché de la corruption et mettrait fin au lobby du commerce extérieur. De ce point de vue, il était fortement risqué de rendre la paix aux Algériens. Les chefs militaires et leurs comparses civils, craignant pour leurs fortunes et leurs intérêts économiques, s’échinaient à préserver le régime pour sauver leurs « affaires ».
L’odyssée d’un petit homme
Les décideurs, ceux qui incarnent le pouvoir occulte, se sont alors mis à la recherche de cet homme providentiel, capable de rétablir l’image de l’Algérie à l’étranger et en mesure d’entretenir la braise à l’intérieur pour qu’ils puissent jouir de la rente que procure le chaos. Qui est mieux que Abdelaziz Bouteflika pour remplir une telle mission ?
Bouteflika est d’abord un enfant du Système. À bien des égards, il symbolise le régime algérien dans son insondable façon de fonctionner. Populiste et démagogue, Bouteflika sait faire profil bas devant ses parrains et montrer un semblant d’autorité quand il s’adresse au peuple. Cependant, ce qui a le plus séduit ses tuteurs de l’armée, c’est sa faculté presque spontanée de verser dans les compromis et les compromissions. Il peut se dire islamiste le matin, social-démocrate le soir et communiste entre-temps. Mais, en vérité, Bouteflika est un islamiste de la pire espèce et les militaires le savaient bien. Quand on l’a « promu » Président de la République, en 1999, il a commencé par instaurer une Concorde civile via une loi d’amnistie nationale. Visiblement non satisfait des largesses accordées aux égorgeurs, Bouteflika fait adopter, par référendum, une « Charte pour la paix et la réconciliation nationale ».Ces deux textes ont permis à des milliers d’anciens terroristes de retrouver la liberté. Mieux encore, les lois en question ont fait des émirs des supercitoyens. Blanchis, ces anciens terroristes fréquentent les salons d’honneur, font la une des journaux, animent des meetings, reçoivent les traitements de faveur !
Les deux lois en question, il faut le dire, constituent un dérapage historique sans précédent en ce sens ou elles visent à assimiler victimes et bourreaux. Bouteflika a poussé le ridicule jusqu’à inverser les rôles ! Les lecteurs conviendraient qu’il y a dans cette démarche quelque chose de foncièrement pervers à vouloir confondre le bien et le mal.
Le chef de l’État a souvent avancé l’exemple de l’Afrique du Sud qui a, effectivement, pu dépasser la crise de l’apartheid par la réconciliation. Mais il oublie que le processus de réconciliation dans ce pays a été accompagné, de façon courageuse, par un travail de vérité et de justice.
En conclusion, le mal provoqué par la démarche faussement réconciliatrice du Président algérien est beaucoup plus sérieux qu’on le pense. Bouteflika n’a non seulement désarmé psychologiquement le peuple, mais — et c’est plus grave — il a redonné l’Algérie aux islamistes au rouleau compresseur libéral.
Hareb Khelifa