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Sri Lanka : Pas d’avenir sans solution politique

mercredi 1er juillet 2009, par Danielle Sabai


Tiré d’inprecor
N° 549-550, 2009-05-06,
www.inprecor.fr/article-inprecor?id=716
Danielle Sabai, militante du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) et de la IVe Internationale, est correspondante d’Inprecor pour l’Asie.


La guerre civile qui se déroule dans le nord et l’est du Sri Lanka depuis maintenant plus de 30 ans a pris un tour particulier depuis la mi-janvier. Le gouvernement de Mahinda Rajapaksa a lancé toute la puissance militaire de l’armée sri lankaise dans une offensive visant à en finir définitivement avec les forces de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), les tigres tamouls. Pour la première fois en trente ans, les LTTE semblent en passe d’être défaits.

Au prétexte de faire la guerre « contre le terrorisme », l’armée a sans répit bombardé la zone de quelques kilomètres carrés dans laquelle les tigres se sont réfugiés, entraînant avec eux des dizaines de milliers de civils affamés et terrorisés. Bien que le gouvernement empêche les organisations non gouvernementales (ONG) de porter secours aux civils piégés dans la zone de combat et refuse la présence de journalistes sur place, les témoignages concordent pour dénoncer une guerre qui fait peu de cas des conventions internationales. L’armée n’a pas hésité depuis le début des opérations à bombarder les hôpitaux, les écoles et même la zone de sûreté qu’elle a elle même délimitée. Le nombre de morts s’élèverait depuis le début de l’année à plus de 6 500 et on compterait au moins 15 000 blessés (1). Chiffres qui malheureusement vont encore augmenter, le gouvernement de Rajapaksa refusant tout cessez-le-feu qui permettrait d’organiser l’aide aux civils piégés dans la zone de combat et aux dizaines de milliers de réfugiés parqués dans des camps par les autorités. Les réfugiés sont interdits de déplacement et aucun contact avec l’extérieur n’est autorisé.

Les origines du conflit

Le Sri Lanka offre un exemple frappant des problèmes politiques, économiques et religieux légués par la colonisation (2). Interroger l’histoire coloniale du Sri Lanka permet d’éclairer la guerre civile actuelle dans sa dimension ethnique mais aussi d’en comprendre les racines économiques et sociales.

Avant l’arrivée des premiers colons, l’île était divisée en trois royaumes distincts, l’un tamoul au nord et deux royaumes cinghalais dans le sud. Les Cinghalais de confession bouddhiste formaient et sont toujours de loin la communauté la plus importante de l’île. Lors du dernier recensement en 1981, ils représentaient environ 75 % de la population totale. Les Tamouls lankais (18 %), originaires de l’île, sont en majorité de confession hindouiste mais environ 7 % d’entre eux sont de confession musulmane sunnite et 3 % sont chrétiens. A cette communauté tamoule, les Anglais ont adjoint plus d’un million de Tamouls, appelés Tamouls des plantations, venus du Tamil Nadu (Inde) pour travailler dans les plantations du centre de l’île.

Alors même que les communautés tamoule et cinghalaise avaient leurs propres histoire, culture, langue, religion, l’une des principales mesures politiques des colons britanniques fut de regrouper dans une même structure administrative ces royaumes qui s’étaient jusqu’alors développés séparément. Les conflits créés entre les différentes religions (la religion bouddhiste en particulier) et la culture occidentale (avec les religions chrétiennes imposées par les pouvoir coloniaux successifs) ont contribué à créer les problèmes politiques auxquels doit encore faire face le Sri Lanka aujourd’hui.

Dès le début du XVIe siècle, sous la houlette des Portugais, des Hollandais puis des Britanniques, les religions chrétiennes — catholique puis protestante — furent introduites. Les pratiquants bénéficiaient de relations privilégiées avec le pouvoir colonial en place. Bien que ne représentant pas plus de 10 % de la population durant le règne britannique et dans les premières années de l’indépendance, les chrétiens composaient une part importante de l’élite et des riches du pays.

D’un autre côté, la pratique des religions bouddhiste, hindouiste et de l’islam était restreinte, voire pénalisée. Durant la colonisation britannique, sous la pression des missionnaires protestants, les liens séculaires traditionnels entre la religion bouddhiste et l’État cinghalais du royaume de Kandy furent rompus. En réaction, dans le but de protéger et soutenir les valeurs bouddhistes mais aussi la culture traditionnelle cinghalaise, des activistes bouddhistes menèrent une agitation régulière contre le pouvoir colonial. Sans revenir à la situation antérieure, celui-ci trouva plus pratique d’octroyer à la religion bouddhiste des avantages, si ce n’est une position spéciale.

Après l’indépendance, les revendications ne faiblirent pas. Les nationalistes cinghalais considéraient que leur population avait été lésée durant la colonisation au profit de la minorité chrétienne et des Tamouls favorisés par le pouvoir colonial britannique. Il est vrai qu’après l’indépendance, les inégalités entre la communauté tamoule du nord de l’île et la communauté cinghalaise en termes d’éducation, de revenu et d’emploi étaient importantes. Le système éducatif était plus développé dans la région nord à majorité tamoule. Leur pourcentage à l’université et dans les professions supérieures était bien plus élevé que leur proportion dans la société. Par exemple en 1970, 49 % des étudiants en médecine, 48 % des élèves ingénieurs et 40 % des étudiants en sciences étaient tamouls. En « compensation », les nationalistes cinghalais revendiquaient une position dominante dans la société post-coloniale.

L’arithmétique parlementaire leur donna cette possibilité de dominer les instances politiques du pays.

Dès la première année d’indépendance, le gouvernement de Senanayake privait un million de Tamouls des plantations de leurs droits électoraux et les renvoyait en Inde afin de se débarrasser d’un réservoir de voix des partis ouvriers (3). Le conflit s’envenima avec l’élection de Solomon Bandaranaïke en 1956 et l’arrivée au pouvoir du Parti de la Liberté, (Sri Lanka Freedom Party, SLFP). Celui-ci imposa le cinghalais comme seule langue officielle. Durant les années 1970 deux nouvelles constitutions permirent de consolider le pouvoir entre les mains de l’élite cinghalaise.

Plutôt que de mettre en place des mesures de discrimination positive en vue de rétablir une plus grande égalité entre les communautés, le gouvernement imposa des mesures discriminatoires envers les minorités. Par exemple en matière d’éducation, la solution adoptée par lui dans les années 1970 fut de rendre obligatoires des normes d’accès à l’université qui furent préjudiciables à la communauté tamoule (4).

Le développement économique de l’île n’en a pas moins été marqué par son héritage colonial. Lors de l’indépendance, le 4 février 1948, Ceylan (nom officiel de l’île jusqu’en 1972) avait une économie plutôt prospère comparativement à la plupart de ses voisins. Elle reposait essentiellement sur un système de grandes plantations dans des secteurs orientés vers l’exportation mais fortement dépendants des fluctuations du marché. Ces plantations étaient dans leur majorité possédées par des propriétaires cinghalais. L’île était dépourvue d’industrie (en dehors de la transformation du thé, du caoutchouc et de la noix de coco pour l’exportation) et dépendait des importations, notamment du riz, pour sa sécurité alimentaire. Les infrastructures du pays étaient bien développées et les indicateurs de développement humains (taux de mortalité, mortalité infantile, espérance de vie, taux d’alphabétisation des adultes) étaient nettement supérieurs à ceux des autres pays d’Asie. Cela faisait de Ceylan un pays plutôt prometteur en terme de développement économique. Les élites cinghalaises qui dirigèrent le premier gouvernement de l’indépendance à 1956 ne voyaient pas de raison de bouleverser cette structure économique héritée de l’ère coloniale.

Les questions du développement économique et de l’augmentation de la croissance prirent une nouvelle dimension dans les années 1960. La baisse de rentabilité des plantations combinée au problème de

l’autosuffisance alimentaire conduisirent l’État à accorder la priorité à la redistribution aux paysans de terres non exploitées qu’il possédait. Cette politique de redistribution, commencée dans les années 1930 et poursuivie après l’indépendance, visait à assurer la sécurité alimentaire du Sri Lanka. Elle s’est traduite par une diminution de la taille des exploitations au point que seule une agriculture de subsistance était possible. Elle permit cependant de supprimer les importations de riz et de rendre le Sri Lanka indépendant des importations pour sa sécurité alimentaire.

Des changements structurels importants dans le système des plantations furent tentés, en particulier durant les périodes 1956-1964 et 1970-1977. Parallèlement, le développement de l’industrie fut encouragé à partir des années 1960.

Cependant, les revirements politiques et économiques continuels ne favorisèrent pas la croissance économique.

Parallèlement, dès l’indépendance, le système de protection sociale avait été fortement développé. L’augmentation du nombre de jeunes, due au taux de natalité élevé des années 1940 à 1970, s’était accompagné d’une extension des mesures sociales, en particulier la gratuité de l’éducation, y compris à l’université. Cette politique sociale n’eut malheureusement pas les effets escomptés dans une économie stagnante. Le taux de chômage a augmenté jusqu’à atteindre un niveau proche de 20 % à la fin des années 1990.

Les jeunes diplômés étaient en particulier très touchés. Alors même que l’éducation était le seul moyen de mobilité sociale pour les jeunes issus des couches sociales défavorisées et en particulier de la paysannerie, les jeunes diplômés étaient écartés en masse du monde du travail. Les jeunes Sri lankais qui profitèrent des politiques éducatives étaient en majorité des Cinghalais qui se considéraient comme ayant été marginalisés durant la période coloniale. Ils entraient directement en concurrence avec les jeunes Tamouls éduqués dans leur recherche d’emplois et d’opportunités qui se raréfiaient. Dans ce contexte économique il était impossible de satisfaire cette demande sociale en constante augmentation. Cela conduisit à l’émergence d’un mouvement révolutionnaire des jeunes Cingalais dans le sud, avec des tendances xénophobes, le Front de Libération Populaire (Janatha Vimukthi Peramuna, JVP) et à la radicalisation des jeunes Tamouls pénalisés dans leur accès à l’université. Le gouvernement sri lankais y répondit par une répression féroce.

L’émergence d’un mouvement séparatiste (5)

Durant les trente années qui suivirent l’indépendance, le gouvernement poursuivit une politique visant à asseoir sa domination. Les minorités ethniques étaient marginalisées politiquement, économiquement et culturellement. Une politique de colonisation ethnique, principalement dans l’est de l’île à forte communauté tamoule musulmane, fut menée en vue de bouleverser les équilibres traditionnels entre les différentes communautés.

Par des moyens pacifiques et par la voix parlementaire les Tamouls revendiquèrent d’abord l’égalité des droits au sein d’un État unifié puis menèrent campagne pour une solution fédérale.

La réponse fut un renforcement de l’État central, la répression militaire et l’organisation de pogroms contre la communauté tamoule, orchestrés par des groupes d’extrémistes cinghalais que soutenait le gouvernement.

Cette situation, couplée à l’absence de perspectives économiques, conduisit une partie de la jeunesse tamoule à construire des groupes militants dont les modes d’actions rompaient nettement avec des décennies de négociations infructueuses. Des groupes armés parmi lesquels l’organisation de libération du peuple de l’Eelam tamoul (PLOTE), l’organisation de libération de l’Eelam Tamoul (TELO), le Front populaire révolutionnaire de libération de l’Eelam (EPRLF), l’organisation révolutionnaire des étudiants de l’Eelam (EROS) et les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) furent fondés dans le courant des années 1970. L’EPRLF, EROS et PLOTE étaient des organisations d’obédience marxiste. Par contre les LTTE n’ont jamais réellement revendiqué une filiation communiste. Les objectifs affichés par les LTTE ont toujours été la lutte pour l’indépendance de l’Eelam tamoul et la reconnaissance d’un État tamoul séparé. Leur but est d’achever leur lutte de libération nationale. Si l’on en croit le chef des Tigres Tamouls Velupillai Prabhakaran, l’objectif est d’établir « une société économiquement auto-suffisante et autonome »... basée « sur un système démocratique dans lequel le peuple a le droit de se diriger lui-même. Et il devrait y avoir une égalité économique entre les travailleurs » (6). Au-delà des références idéologiques ces groupes se caractérisaient par une tactique de guérilla à l’égard du gouvernement. Comme l’écrivent eux-mêmes les Tigres Tamouls : « l’armée nationale tamoule, aussi connue sous le nom de Tigres de Libération de l’Eelam Tamoul (LTTE), a été formée après l’échec de nombreuses années de manifestations pacifiques par les dirigeants tamouls en vue de gagner leur liberté des gouvernements à majorité cinghalaise successifs, qui n’ont montré aucun intérêt pour les revendications des Tamouls. Sous la direction de Monsieur Velupillai Prabhakaran, les LTTE ont été fondés le 5 mai 1976 pour réaliser ce qui n’a pas été réalisable par des moyens pacifiques pendant 28 ans » (7).

La militarisation du conflit s’accompagna d’une radicalisation des positions politiques. L’absence de volonté du gouvernement de construire une société multiethnique respectant les droits de ses minorités aboutit à la revendication d’un Eelam Tamoul (terre des Tamouls) séparé porté par les jeunes Tamouls éduqués de la région de Jaffna.

Ces groupes ne rencontrèrent pas une grande adhésion jusqu’au massacre de juillet 1983. En réponse à une embuscade des LTTE contre l’armée dans laquelle 13 soldats furent tués, le gouvernement organisa un véritable pogrom contre la communauté tamoule de Colombo. En quelque dix jours, plusieurs milliers de Tamouls furent tués, des maisons brûlées, des terres confisquées. La violence contre leur communauté prit une dimension inégalée jusqu’alors. Cela provoqua une vague d’immigration vers le nord du pays et à l’étranger ainsi que l’adhésion en masse des jeunes Tamouls aux différents groupes militants formés dans les années 1970 (8). Près de 100 000 Tamouls émigrèrent, constituant par la suite les plus ardents défenseurs du séparatisme tamoul.

Les LTTE, plutôt la guerre que les négociations

Durant les années 1980, le gouvernement indien organisa une médiation entre les groupes armés (qu’il entraînait et qu’il a vraisemblablement fourni en armes) et le gouvernement du Sri Lanka. Les différents groupes tamouls finirent par se mettre d’accord sur les principes suivants : reconnaissance du peuple tamoul comme une nation à part entière et droit à l’autodétermination, garantie de l’intégrité territoriale d’un territoire tamoul indépendant, sauvegarde des droits fondamentaux des Tamouls en dehors de leur territoire indépendant. En mai 1987, le gouvernement et les parties tamouls trouvèrent un accord sur une série de propositions accordant un statut spécial aux provinces à majorité tamoule du Nord et de l’Est. Leur fusion restait temporaire et était conditionnée à la ratification par référendum de l’accord dans la province de l’Est. Les LTTE opposés au référendum et au désarmement rompirent l’unité. Les hostilités reprirent.

Parallèlement tout au long de la décennie, les Tigres organisèrent l’assassinat des principaux dirigeants des autres organisations armées. De nombreux militants tamouls modérés furent aussi assassinés. A la fin de la décennie, la plupart des organisations « concurrentes » avaient disparu ou avaient été absorbées par les LTTE, les militants avaient fui, étaient morts ou résignés. Cela permit aux LTTE de se prétendre « la seule organisation représentative du peuple tamoul ».

Dans les années 1990, les LTTE eurent de plus en plus recours aux attentats suicides. On leur impute près de 200 attentats dirigés contre des civils et des personnalités politiques dont l’assassinat de deux chefs d’État (le président du Sri Lanka, Predamasa en 1993 et l’ancien premier ministre indien Rajiv Gandhi en 1991). Les LTTE ne limitaient pas leurs attaques aux personnalités : des aéroports, des temples religieux, des bureaux étaient tout aussi bien visés. Ils ont « sophistiqué » leurs modes d’attaque : ils ont innové en utilisant les premières « bombes humaines », et en particulier des femmes, dans les attentats suicides. Dès 1989, les LTTE lançaient leur journée nationale des « héros » le 27 novembre, en commémoration du premier attentat suicide, ce qu’ils revendiquent comme étant « le jour où le premier combattant LTTE donna sa vie pour la liberté du peuple tamoul » (9).

Au nom de leur lutte pour un Eelam Tamoul, les LTTE utilisèrent massivement la violence contre toutes les communautés vivant dans la région qu’ils considéraient leur. Ils n’hésitèrent pas à organiser des massacres de civils cinghalais dans le but de provoquer en retour une violence de l’État contre les Tamouls servant à mobiliser autour de leurs rangs.

La violence fut aussi dirigée contre les Tamouls. Ceux-ci ne constituent pas une communauté unifiée et avaient historiquement des intérêts divergents. Les Tamouls des plantations, qui vivent dans le centre et le sud, n’ont jusqu’à présent jamais soutenu le mouvement séparatiste porté par les Tamouls de Jaffna. Dans l’Est, les musulmans tamoulophones formaient une communauté importante. Dans les années 1980, ils avaient fondé leur propre parti politique : le Sri Lanka Muslim Congress (SLMS). Les LTTE étaient hostiles à ce parti qui remettait en cause leur prétention à représenter « toute » la communauté tamoule du Nord et de l’Est. Entre 1984 et 1990 les populations musulmanes qui vivaient dans le nord contrôlé par les LTTE furent victimes de nombreuses violences (10). La situation atteint son paroxysme avec le nettoyage ethnique organisé par les Tigres en octobre 1990. 75 000 musulmans furent expulsés de la péninsule de Jaffna, avec 48 heures pour s’en aller. La plupart d’entre eux continuent aujourd’hui à vivre dans des camps de fortune du district de Puttalam (ouest de l’île) (11).

A partir de 1995, après un nouveau tour de négociations avorté, le gouvernement opta pour une solution militaire. Une guerre plus conventionnelle fut menée. Les Tigres, financés par la diaspora, s’étaient dotés de moyens de communication modernes, d’une flottille de vedettes rapides, d’avions de tourisme équipés de bombes. Les familles devaient fournir au moins un enfant à « l’armée de libération », les LTTE n’hésitant pas à recruter des enfants soldats. Plusieurs années de guerre ne permirent ni à l’armée, ni aux LTTE de remporter une victoire décisive.

Sous pression, les LTTE et le gouvernement acceptèrent un nouveau cessez-le-feu en février 2002 et l’ouverture de négociations à partir de septembre. Pour la première fois dans leur histoire les LTTE acceptèrent d’explorer une solution politique de type fédéral au sein d’un État sri lankais uni. Pourtant en 2003, les tigres quittèrent à nouveau la table des négociations, en désaccord avec le gouvernement sur la structure administrative provisoire pour le développement du Nord Est. Durant la campagne présidentielle de 2005 qui suivit, ils forcèrent la communauté tamoule au boycott, provoquant l’élection de justesse du président actuel Mahinda Rajapaksa.

Cette logique guerrière a conduit à de nombreuses pertes tant en termes de vies qu’au niveau économique. Mais surtout, elle a laissé peu de place à des solutions politiques, la guerre devenant l’expression brutale des nationalismes tamoul et cinghalais.

L’étude des évènements révèle le peu de volonté que les LTTE ont eu à négocier un véritable accord de paix. Les Tigres n’ont jamais autorisé d’activités politiques indépendantes au sein de la communauté tamoule sous leur contrôle. Un mouvement de masse en faveur de la paix constituait un obstacle à leur hégémonie et n’a jamais été toléré. Leur survie politique reposant sur la perpétuation de la guerre, seule la perspective d’un État tamoul séparé était envisagée. Les périodes de cessez-le-feu et de négociations étaient utilisées à des fins tactiques, leur permettant de se réarmer en vue de nouvelles hostilités.

Un gouvernement au service des extrémistes cinghalais

Cette politique a fini par amener les LTTE droit dans le mur et avec eux la communauté tamoule et la société sri lankaise dans son ensemble.

Le nouveau président était soutenu par les extrémistes cinghalais. La rhétorique gouvernementale ne fait aucun doute sur leur influence dans l’entourage du président. Ainsi le général en Chef Sarath Fonseka déclare : « je crois fortement que ce pays appartient aux Cinghalais ; mais il y a des minorités et nous les traitons comme les nôtres... Ils peuvent vivre dans ce pays avec nous, mais ils ne doivent pas essayer, sous le prétexte d’être une minorité, de demander des choses indues ». Le ministre de la défense Gotabaya Rajapaksa, frère du président, a lui-même déclaré que « dans tout pays démocratique, la majorité devrait diriger le pays. Ce pays sera dirigé par la communauté cinghalaise qui est la majorité représentant 74 % de la population » (12).

Après la scission de Karuna, commandant les forces LTTE dans l’Est de l’île et sa reddition, les extrémistes poussèrent le gouvernement vers une solution militaire. En 2006, bien que clamant vouloir un accord politique, le gouvernement s’employa à démanteler le consensus établit dans les années 1980 et engagea la cour suprême à annuler la fusion entre les provinces du Nord et de l’Est. Dans le même temps, il commença une « guerre contre le terrorisme » visant à en finir avec les LTTE. L’armée bombarda de manière intense la région de Muttur dans l’Est de l’île et organisa des déplacements massifs de la population tamoule qu’elle parqua dans des camps. Par la suite les maisons dans la zone de Sampoor, culturellement tamoule, furent détruites afin de faire place à la construction par les Indiens d’une centrale thermique (13).

Depuis la reprise des hostilités, l’armée sri lankaise a commis d’innombrables crimes de guerre contre les civils tamouls, bombardant indistinctement écoles, mosquées, temples, hôpitaux dans lesquels les civils s’étaient réfugiés.

Cette « guerre contre le terrorisme » a servi aussi de prétexte au gouvernement pour entraver les libertés démocratiques de tous dans le pays. Il s’est rendu coupable de nombreux assassinats extra-judiciaires, de disparitions, de détentions arbitraires, lançant ses escadrons de la mort contre les Cinghalais dénonçant les dérives gouvernementales. Les médias ont été pris pour cible, des journalistes harcelés, menacés et assassinés, les bureaux des journaux brûlés et bombardés (14). Le Sri Lanka montre une fois de plus que les atteintes contre les minorités aboutissent à la restriction des libertés de tous.

La défaite militaire n’apportera pas de paix durable

Le très probable écrasement militaire des derniers Tigres dans la bande de 10 km2 où ils se sont retranchés ne va pour autant pas résoudre un conflit politique vieux de plus de 60 ans. Aucune paix durable ne sera possible sans la reconnaissance du droit à l’autodétermination du peuple tamoul. Sans préjuger du résultat d’un vote d’autodétermination sur la question de l’indépendance, l’autonomie doit en tout état de cause être accordée aux régions à majorité non cingalaise, seule garantie de paix et de démocratie dans un État multiracial et multiculturel. L’égalité entre les citoyens, quelque soit leur origine, doit être garantie.

Dans l’immédiat nous devons soutenir toutes les initiatives visant à imposer au gouvernement un cessez- le-feu qui permettrait d’arrêter les massacres des civils et les destructions massives. Dans le même temps, les LTTE doivent accepter de laisser partir les civils qui décident de quitter la zone de combat. Les Tamouls qui y sont piégés, comme ceux parqués dans les camps de détention du gouvernement, ont un besoin urgent de nourriture, de soins et de médicaments.

L’ONU et l’ensemble de la communauté internationale, en particulier l’UE, doivent clairement faire savoir au gouvernement sri lankais et aux LTTE qu’ils seront tenus responsables des crimes contre l’humanité qu’ils commettent envers la population civile tamoule.■

Le 9 mai 2009

Notes

1. Source ONU

2. Sur le sujet lire : Grappling with the Past, Coping with the Present, Thinking of the future : Culture, Tradition and Modernisation in Sri Lanka, K. M. De Silva, South Asian Survey 2001.

3. Kadirgama Ahilan, Pirani Cenan, The Tragedy of Politics in Sri Lanka : Http ://www.europe-solidaire.org/spip.php ?article13514

4. En 1971, un système de quotas basé sur le langage fut mis en place, remplacé en 1974 par un système de quotas par district, ceux-ci étant divisés en deux catégories déterminant un traitement différent dans l’accès à l’université.

5. Pour de plus amples développements sur la période 1983-2002 lire : Eric Meyer, Quel avenir pour le Sri Lanka ?, Lettre du Réseau Asie, Mai 2009 : http://www.reseau-asie.com/cgi-bin/prog/index.cgi ; Rainford, Charan, "Tamil nationalist struggle for Eelam", The International Encyclopedia of Revolution and Protest, Immanuel Ness (Ed), Blackwell Publishing, 2009

6. Eelam Web, Is Tamil Eelam a Communist Idea ? Interview de Prabhakaran par The Sunday Times du 8 avril 1990 : http://www.eelamweb.com/faq/

7. Eelam Web : http://www.eelamweb.com/ltte/

8. Kadirgama Ahilan, Pirani Cenan, The Tragedy of Politics in Sri Lanka : Http ://www.europe-solidaire.org/spip.php ?article13514

9. Eelam Web, National Heroes Day, An Introduction : http://www.eelamweb.com/maveerar/introduction/

10. University teachers for Human Rights (Jaffna), The War of June 1990, Report 4, Chapter 7 : http://www.uthr.org/Reports/Report4/chapter7.htm

11. Exploring the right to secession, The South Asian Context, Neera Chandhoke, South Asia Research 2008.

12. Citations tirées de l’article de Vasantha Raja, Is this the End of the tamil Struggle ? (7 mai 2009) : http://lankaeye.xuan.co.uk/

13. Rajan Hoole, Tamils of Sri Lanka, A People on the Run : http://www.europe-solidaire.org/ecrire/?exec=articles&id_article=13609

14. Death of a Journalist, 13 janvier 2009, Asia Sentinel : http://www.asiasentinel.com/index.php?option=com_content&task=view&id=1664&Itemid=183